Le Tétralogue — Roman — Chapitre 7

17/10/2022 (2022-10-12)

[Voir :
Le Tétralogue — Roman — Prologue & Chapitre 1
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 2
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 3
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 4
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 5
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 6]

Par Joseph Stroberg

​7 — Ultimes préparatifs

Jiliern et Tulvarn se réveillèrent assez tard, alors que Veguil était visible nettement au-dessus de l’Horizon est. Matronix apparaissait presque entièrement vers le sud, éclairée sur la moitié de sa surface. De larges et diffuses nuées grisâtres empêchaient une vision parfaitement claire de l’un comme de l’autre. Cependant, elles étaient insuffisantes pour amener de la pluie. La journée serait donc propice aux entraînements en attendant le retour espéré de Gnomil. Pourtant, elle n’allait pas se dérouler comme prévu. Ils sursautèrent tous les deux lorsqu’ils entendirent une voix féminine interpeller la Vélienne depuis le seuil de la porte :

— Jiliern ! Vite, peux-tu m’aider ?

— … Plaît-il ? ne put que réagir la cristallière dans un premier temps… Que se passe-t-il, Marnia ? interrogea-t-elle après s’être retournée et avoir reconnu la visiteuse.

— Dernio et Galdien sont impuissants. Toi seule peux peut-être faire quelque chose.

— L’herboriste et le thérapeute ? Impuissants à quoi ?

— Velnir est au plus mal et personne au village ne sait pourquoi. Avec un de tes cristaux, peut-être pourrais-tu trouver ou faire quelque chose ?

— D’accord, je vais te suivre. Tulvarn, il serait sans doute préférable que vous restiez ici pour attendre l’éventuel retour de Gnomil.

— En effet, répondit le moine. Néanmoins, j’aimerais que vous me fournissiez quelques indications sur votre destination, au cas où.

— Je ne devrais pas être absente très longtemps, mais si cela devait se prolonger, vous pourriez en effet m’y rejoindre. Tilnern est à moins de mille pas vers le nord et la maison de Velnir est la plus petite, près du centre. C’est le doyen du village, un érudit qui offre ses services contre de la nourriture. Il faut dire que sa maison ne contient rien d’autre que des livres, des parchemins et une couchette sommaire posée à même le sol. Bon, je vais prendre mon sac déjà rempli de cristaux et je laisse les autres sous votre garde. Marnia, Tulvarn ici présent est un des moines du temple, comme tu auras pu le deviner à son accoutrement.

— Oui, je le pensais bien. Salutations, noble moine !

— Noble ? Non, je ne mérite pas un tel qualificatif. Encore trop novice pour cela.

— Oh, mais vous êtes pourtant certainement plus noble que nous tous au village, à l’exception peut-être de ce pauvre Velnir. Puisse le Grand Satchan le maintenir en vie !

— Je prierai en ce sens, dame Marnia.

— Merci, noble moine. Cela pourrait faire une différence. Vite, il n’y a pas de temps à perdre, Jiliern !

— Voilà, j’arrive !

À ces mots prononcés à la hâte, les deux Véliennes sortirent en courant de la maison. Si elles pouvaient maintenir cette allure, Tulvarn ne leur donnait pas longtemps avant de rejoindre le malade. La grande inconnue serait ensuite le temps nécessaire au diagnostic, puis éventuellement au traitement, en espérant pour l’érudit que celui-ci soit possible. Il ne doutait pas des compétences de la cristallière, mais si le mal lui était inconnu, elle risquait d’avoir quelques difficultés à le traiter, surtout sans en connaître la cause.

Resté seul dans la maison d’une Vélienne qu’il connaissait encore très peu, Tulvarn n’avait rien d’autre à faire que d’attendre son retour et celui du voleur. Lequel des deux reviendrait en premier ? Ce qu’il ferait ensuite dépendrait prioritairement de la réponse à cette question. Si Gnomil revenait en premier, ils attendraient tous les deux quelque temps le retour de Jiliern avant de se mettre en marche à sa recherche. Si celle-ci revenait d’abord, ils reprendraient leurs exercices pendant deux ou trois cycles avant de décider de partir sans le voleur ou de poursuivre l’attente un peu plus longtemps. Dans un cas comme dans l’autre, cela retardait le véritable départ vers l’aventure et l’inconnu. Tulvarn ne savait pas trop laquelle des deux possibilités il préférait. Revoir Gnomil d’abord pourrait signifier ne plus pouvoir dormir profondément, de crainte qu’autrement il ne dérobe cette fois effectivement des cristaux. Et cela n’augurerait pas un bon déroulement des opérations pour Jiliern. À l’inverse, l’arrivée de cette dernière pourrait laisser supposer que le voleur s’était moqué d’eux et qu’ils auraient à faire une croix sur son aide en certaines situations particulières toujours possibles. Il était en effet très probablement capable de déceler et d’éviter divers pièges, surtout s’ils devaient traverser des zones de ruines antiques, la cité de cristal ou quelques labyrinthes particulièrement vicieux comme il en existait, semble-t-il, en certaines contrées. De vieilles légendes le laissaient croire. Il pourrait aussi ouvrir quelques portes verrouillées par des mécanismes plus ou moins sophistiqués, donnant alors accès à quelques rares trésors. Et qui savait si le Tétralogue n’était pas parmi eux ? Son adresse probable leur permettrait aussi probablement de grimper en des endroits qui autrement leur resteraient inaccessibles. Son faible gabarit lui permettrait de se glisser par certains passages interdits même à la Vélienne d’une taille pourtant dans la moyenne. Et combien d’autres habiletés pouvait-il avoir ? Cependant, les capacités de la cristallière se révélaient également appréciables. Finalement, ces deux personnes lui paraissaient soudainement plus importantes que lui-même pour l’atteinte de la relique, si jamais elle existait. Que pouvait en effet apporter un moine à une telle entreprise ? Repousser quelques carnassiers ? Mieux valait recruter un chasseur à une telle fin. Peut-être était-ce d’ailleurs une partie du sens du message apporté par l’érudit Déviorn ? Faire appel à un chasseur et à un assassin pour assurer plus facilement le succès de leur entreprise ? Ou bien au contraire, se méfier particulièrement de ceux qu’ils rencontreraient sur leur chemin ? Dans la première hypothèse, il n’en connaissait pour l’instant aucun. Dans la seconde, pourquoi le message n’évoquait-il qu’un chasseur et qu’un assassin ? Ce pouvait-il que ces deux individus plus spécifiques soient particulièrement dangereux, eux bien plus que leurs comparses ? Comment dans ce cas les reconnaître ? Cette possibilité lui paraissait finalement peu probable. L’ennui était que l’autre ne lui semblait pas tellement plus plausible. Il avait beau tourner et retourner cela dans sa tête, il ne percevait pas grand-chose de bien concluant pour l’instant. Ce message amenait bien davantage de questions que de solutions. Qu’en penserait son maître ? Il n’en savait rien, mais ne pouvait et ne devait de toute manière plus compter sur lui. Puis, à quoi bon se préoccuper de cela maintenant ? Il ne servait à rien pour l’instant de savoir ce qui pouvait être préférable ou non. Ce qui comptait était ce qui interviendrait effectivement. Il n’aurait alors d’autre choix que d’y faire face ou éventuellement de renoncer à sa quête de la relique, option qu’il préférait ne pas retenir. Finalement, penser aux diverses possibilités était de la perte de temps, même s’il n’avait pas grand-chose d’autre à faire qu’attendre, ou au moins de la perte d’énergie. Il pourrait probablement trouver mieux en attendant le retour de l’un ou de l’une. Et si aucun des deux ne revenait d’ici quelques cycles, il se mettrait alors en route pour chercher Jiliern ou pour découvrir ce qui pouvait lui être arrivé.

En attendant le retour de ses comparses, Tulvarn décida de faire une exploration des environs. Il prendrait garde de rester toutefois à portée de voix, si jamais ces derniers revenaient dans l’entrefaite. Il y avait peut-être quelques ressources végétales utiles dans les environs, en plus des baies sitjiennes dont il allait reprendre quelques poignées. Il les placerait dans la pièce de tissu déchiré à laquelle il avait eu recours la première fois. Lorsqu’elle serait pleine, il l’attacherait à son sac à l’aide d’une cordelette improvisée à partir d’un rhizome de hiélix dont il devait bien exister plusieurs spécimens par ici. C’était suffisamment résistant au point de ne pas pouvoir être coupé à mains nues. Il devrait pour cela recourir à son sabre. Maintenir ainsi les baies à l’extérieur du sac leur éviterait de se trouver malencontreusement écrasées. Et il resterait dans ce dernier suffisamment de place pour d’autres ressources médicinales ou alimentaires moins fragiles.

Tulvarn ne tarda pas à trouver un buisson à baies et à en prélever le maximum de ce qu’il pouvait emporter dans sa pochette de fortune. À seulement quelques pas ensuite, il découvrit du hiélix et en tira quelques cordelettes dont celle qu’il réservait pour attacher les baies. Poursuivant sa marche exploratoire, attentif aux types de plantes, négligeant par conséquent davantage les animaux, il s’éloignait progressivement et de manière spiralée de la maison de Jiliern.

La végétation était plus ou moins dense selon les endroits. Des buissons de taille et de largeur variable alternaient avec des herbacées et quelques arbres éparts. Divers petits animaux s’y faufilaient en espérant peut-être passer inaperçus du Vélien. D’autres étaient trop occupés à ronger une écorce, déterrer une racine ou marquer leur territoire pour fuir devant lui. Peut-être ne le ressentaient-ils pas comme dangereux. Il ne faisait qu’un faible bruit pour éviter autant de les surprendre que de les effrayer. Intérieurement, il émettait envers eux une disposition de paix, de calme et de symbiose, désirant se fondre au mieux avec l’environnement, afin de repérer plus facilement des plantes potentiellement utiles pour son aventure.

Durant ses longs cycles passés au monastère, Tulvarn avait appris la valeur de la moindre parcelle de vie animale autant que végétale. Et lorsqu’il devait manger l’une ou l’autre pour sa propre subsistance, il leur adressait d’abord une prière non formulée, un mélange d’imploration, d’excuses et de remerciements. Elle n’avait pas de mots, mais se traduisait en sentiments soutenus qui émanaient de son cœur. Ces êtres se sacrifiaient pour qu’il puisse lui-même survivre. Tel était le jeu de la vie sur cette planète. Le Livre laissait entendre que c’était pratiquement le cas sur tous les corps célestes dotés de formes de vie tangibles. Ces dernières servaient tôt ou tard de nourriture à d’autres. Mieux valait alors éviter que cela se fasse dans la souffrance. Un des rôles du moine était justement le soulagement des souffrances, autant morales ou psychiques que physiques. Même son aspect guerrier s’y vouait, car il était essentiellement défensif et nullement pratiqué dans un esprit de conquête, d’agression, de domination ou encore de destruction.

Tulvarn ne pensait pas avoir beaucoup d’occasions d’exercer son art martial défensif, mais son maître lui avait conseillé de ne jamais rien considérer comme acquis ni certain. La vie avait comme le don de nous surprendre. Et aussi bien il pourrait au contraire devoir souvent sortir la lame de son fourreau au cours de sa quête de la relique. Alors qu’il poursuivait l’exploration du voisinage pour sa récolte, il aperçut une variété qu’il ne connaissait pas encore. Intrigué, il l’examina de plus près.

La plante était basse, mais sa vingtaine de tiges couvrait le sol sur un rayon équivalent à celle de son bras. Sur ces dernières, les feuilles étaient disposées à plat en un dense réseau, de telle sorte qu’aucune parcelle du sol n’était visible. Ce dernier conservait ainsi son humidité. De plus, ces feuilles, épaisses, semblaient gorgées d’eau ou d’un liquide à déterminer. Elles devaient ainsi pouvoir facilement résister aux étés les plus chauds et les plus secs. Si un jour il revenait au temple, il faudrait qu’il demande à son maître s’il la connaissait et dans ce cas, qu’elles étaient ses vertus. Il ne voulait pas prendre le risque d’en manger la moindre partie. Elle pouvait être empoisonnée et peut-être même que son simple contact le ferait tomber raide mort. Il savait qu’au moins une plante sur le second continent était couverte d’un poison capable de ce genre de prouesse. Ce dernier parvenait à percer le cuir de la plupart des espèces animales ainsi que celui des Véliens. Les animaux à écailles y échappaient. Heureusement, elle était fort rare, de même que la présente plante semblait l’être pour ne jamais avoir été mentionnée au temple. Était-elle originaire de Veguil ? Ou venait-elle d’ailleurs ? Il l’ignorait, mais sa curiosité naturelle le poussait à rechercher la réponse. Peut-être devrait-il consulter quelques érudits. Cependant, ce n’était pas la priorité du moment et il poursuivit son exploration méthodique du voisinage.

La suite ne lui permit pas de découvrir de nouvelles espèces, mais de remplir largement son sac de denrées fortement nutritives et de remèdes utiles. Ses compagnons de voyage et lui seraient ainsi mieux à même, au moins au début, de résoudre plusieurs types d’ennuis de santé et d’incidents malencontreux. Alors qu’il arrivait en vue de la maison de Jiliern, il tomba en arrêt devant un imposant Vélien qui lui barrait manifestement le chemin. Celui-ci était armé de deux sabres pour l’instant dans leur fourreau et arborait un air menaçant. Tulvarn s’apprêtait à le contourner lorsque celui-ci ouvrit la bouche pour proférer l’injonction suivante :

— Si vous tenez à la vie, n’allez pas plus loin, mais écoutez plutôt ma proposition.

— Pour l’instant, je n’ai rien à perdre à vous écouter, du moins si ce n’est pas trop long, alors je vous écoute. Que voulez-vous ?

— Je suis en train de constituer une armée et j’ai besoin de soldats comme vous semblez en être un. Si vous refusez de vous mettre à mon service, je serai contraint de vous tuer. Je ne peux me permettre de laisser des ennemis en vie derrière moi.

— Comme vous y allez ! Première erreur : je ne suis pas un soldat, mais un moine…

— Et ce sabre, il sert seulement de décoration ? interrompit l’inconnu.

— C’est cela, oui — pourquoi pas ? — de décoration, ironisa Tulvarn amusé par la question. Et si vous le permettez, je dois poursuivre mon chemin.

— N’y songez même pas, avertit brutalement le guerrier, sortant ses deux sabres alors qu’il se précipitait soudainement en avant.

Le moine ne put que constater que le colosse ne plaisantait pas. Il fit un écart du côté droit en tirant prestement son propre sabre. Pivotant en direction de l’assaillant, il effectua un mouvement semi-circulaire rapide partant du haut pour frapper finalement au niveau du ventre avec une inflexion du poignet. Malheureusement, son adversaire évita de justesse l’attaque d’un saut en arrière avant de contre-attaquer d’un puissant coup de pied dirigé vers la tête. Du moins c’est ce qui apparaissait, mais Tulvarn ressentit une vive douleur au thorax qui le fit presque s’effondrer sur le sol. Il se ressaisit au dernier moment, effectuant une roulade sur la gauche pour éviter le prochain coup alors qu’une voie masculine se mit à crier depuis la même direction, mais légèrement en retrait derrière lui :

— Eh ! Qu’est-ce que vous faites là, interrogea le nouvel arrivant ?

Tournant la tête, Tulvarn reconnut le voleur et fut quelque peu soulagé de le voir arriver maintenant. Dans la foulée, il profita de l’effet de surprise sur son assaillant pour placer une estocade que ce dernier ne put cette fois éviter. L’inconnu recula vivement alors qu’une traînée de sang s’écoulait d’un autre endroit que celui visé. Jugeant peut-être qu’il ne pouvait alors faire face à deux adversaires, il battit en retraite et s’enfuit rapidement hors de leur vue.

— Qui était-ce, demanda Gnomil ?

— Je ne sais pas. Il veut apparemment constituer une armée.

— Et c’est comme cela qu’il s’y prend ?

— Il dit tuer ceux qui ne le servent pas. Mais heureusement que tu es revenu juste à temps. Cet énergumène a réussi à me blesser d’une étrange manière. Il tentait de me lancer un coup de pied lorsque j’ai reçu cette vilaine blessure, poursuivit-il en montrant une large entaille tout près du cœur.

— Oh ! Je vois.

— Je ne comprends pas comment il a pu faire ça. Un pied ne permet pas une telle déchirure dans le corps d’un Vélien, surtout pas au niveau du thorax. Et puis, à l’inverse, je l’ai visiblement blessé, mais pas du tout de la manière que j’avais supposément effectuée.

— Serait-ce un mage expert en illusions ?

— Peut-être. Je ne sais pas. Si c’est le cas, il est extrêmement dangereux, car il semble aussi disposer d’une grande force physique.

— Un mage guerrier ? suggéra le voleur.

— J’ignore si une telle classe d’individus existe, répondit Tulvarn.

— Et s’il était le seul de son espèce ?

— Il le vaudrait mieux, car s’ils sont plusieurs, la menace est encore plus grave, surtout si celui-ci ou plusieurs d’entre eux veulent créer une armée.

— Pour en faire quoi ?

— Je l’ignore aussi. Cela fait de nombreux cycles que les guerriers ont pratiquement disparu. Alors une telle armée serait unique, et très dangereuse, car sans véritables adversaires. Tout lui serait permis : conquêtes, pillages, viols… et que sais-je encore ? Je vais prier que cela n’arrive pas.

— Eh bien, j’espère que vos prières sont efficaces, car nous en aurons besoin, dirait-on.

— Je le souhaite aussi, mais habituellement je n’effectue pas de telles prières. C’est une situation exceptionnelle. Permets-moi de ne pas prolonger cet échange de questions, je dois me soigner, acheva-t-il.

— Faites donc, noble moine, vous en avez bien besoin !

— S’il te plaît, pas de lèche…

— D’accord, d’accord. Je me tais.

Tulvarn passa l’heure suivante à nettoyer puis refermer sa plaie, utilisant pour cela une partie de sa récolte. Déjà ! Ça commençait plutôt mal ! Il allait devoir la reconstituer avant le retour de Jiliern. Cependant, cette fois il aurait de l’aide.

(Suite : Le Tétralogue — Roman — Chapitre 8)

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