22/03/2020 (2020-03-22)
[Note de Joseph : L’article suivant aborde les questions environnementales dans la ligne du Club de Rome, du GIEC et d’Extinction Rébellion]
de Laurent Dapoigny
Docteur en agronomie, jardinier paysagiste, auteur.
Après cette 25ème COP (Conference of Parties ou Sommet sur le Climat de l’ONU) qui a eu lieu à Madrid en novembre 2019, les gouvernements n’ont pas été à la hauteur des défis planétaires auxquels nous devons faire face. Devant l’ampleur des dégâts causés aux écosystèmes, la survie de l’humanité est en jeu. Le changement mondial à effectuer pour nous assurer un futur, tout simplement, ne concerne pas seulement le réchauffement climatique mais toute notre relation avec l’environnement dans tous les domaines de l’activité humaine.
Selon les calculs de l’ONG Global FootPrint Network, les capacités de renouvellement de la Terre ont été dépassées en 2019 le 29 juillet. Depuis cette date, et jusqu’à la fin de l’année 2019, tout ce que nous prélevons sur la Planète se fera sans qu’aucun renouvellement des ressources naturelles prélevées ne soit possible. Car trop, c’est trop. Tout poisson, tout arbre, toute ressource renouvelable prélevée ne pourront pas être remplacés par le renouvellement naturel normalement permis par les écosystèmes à condition de leur laisser le temps de le faire. La restauration des écosystèmes est possible à condition de ne pas les détruite à nouveau avant qu’ils ne se reconstituent de façon naturelle. Mais l’activité humaine s’accélère à n’en plus en finir, s’activant comme elle le peut pour assouvir ses désirs matériels qui semblent insatiables. Les humains ponctionnent à outrance les richesses que la Terre lui fournit sans lui laisser le temps de les remplacer. Est-ce que cela peut durer encore longtemps comme cela ? A force de trop se tendre, l’élastique claque, ce qu’une économie folle, aveugle et avide, ne saurait comprendre et entrevoir dans sa vision court-termiste ? A côté des discours catastrophistes pour notre futur, d’autres sont confiants. Ils attendent sereinement, grâce à leur foi en l’innovation, que la science et la technique résolvent tous les problèmes du monde.
Sept milliards sept cents millions d’êtres humains vivent sur Terre. Ce nombre a bien sûr un impact très important sur l’aspect destructeur de l’humanité vis-à-vis de son environnement. Si nous n’étions que 3,7 milliards comme en 1970, la date de dépassement serait plus raisonnablement proche de la fin de l’année et le devenir de l’humanité ne serait pas en jeu. Mais plus la population mondiale est élevée, plus elle exerce à comportement égal une pression importante sur les écosystèmes et la biosphère dans son ensemble. Par contre, à nombre égal, le comportement de l’homme a une influence importante sur la biosphère de par l’intensité, forte ou faible, et même voire nulle, de son impact écologique. Ainsi, bien qu’à 7,7 milliards d’habitants, et même d’avantage chaque jour (225 000 de Terriens par jour en plus), il est possible de changer nos comportements pour faire baisser notre impact écologique sur les écosystèmes et donc les préserver, voire les restaurer.
Une planète Terre n’est plus suffisante pour répondre aux désirs matériels des humains. D’après les calculs de l’ONG Global FootPrint Network, l’humanité vit comme si nous avions 1,75 Terres. Ce chiffre est de 0.7 pour les Indiens, de 5 pour les Américains des Etats-Unis et de 2,8 pour les Européens. Si tous les Chinois et les Indiens vivaient comme les Américains, la Terre ne serait-elle pas ravagée, d’après ces données, en moins de six mois ? Pour les partisans en l’innovation, on trouvera toutes les ressources nécessaires sur les autres planètes. Mais avons-nous vraiment le temps de réagir en espérant quelques solutions rapides de remplacement extraterrestres ? Il faut des mois pour faire l’aller-retour sur Mars avec la technologie actuelle. La Lune, proche, serait-elle notre dernier secours ? Mais pourquoi vouloir quitter un si beau navire que la Terre pour s’exiler sur une planète désertique ou un satellite inhospitalier ? Pourquoi donc ne pas préserver la Terre et la restaurer plutôt que de choisir des solutions coûteuses, lointaines et qui prennent du temps à se mettre en place ?
La Planète a été surexploitée à partir de l’année 1971. Avant, c’était limite. Mais ça allait encore. Le premier jour du dépassement fut donc celui du 24 décembre 1971. C’est l’année de la sortie du rapport du Club de Rome, « Halte à la croissance » produit par le Massachussets Institute of Technology (MIT). Pour la première fois, une étude systémique sur notre futur est réalisée en prenant en compte la population mondiale, la production manufacturée, les ressources renouvelables et non renouvelables et la pollution. Le constat est clair : notre mode de vie occidental, basé sur la consommation et la croissance, n’est pas viable car la planète est finie. Elle est limitée dans le temps et l’espace et ne saurait supporter une croissance infinie comme le suppose et le propose l’économie dominante. Et, qu’avec les croissances économique et démographique, la pollution empoisonnera la Terre. Voilà quarante-six ans pourtant que cela dure
et que le mouvement dominant qui nous emporte n’a pas changé. Au contraire, la force de l’humanité ne fait que s’accroître et la planète est entrée dans la période de l’anthropocène. Les humains sont devenus la première force de changement géologique sur Terre. Ils modèlent la vie et l’histoire de la planète au même titre que les grandes forces biogéochimiques qui l’avaient façonnée jusqu’à maintenant.
Depuis ce 24 décembre 1971, le jour du dépassement des ressources planétaires se rapproche, d’année en année, du début de l’année du fait d’un prélèvement sans cesse accru des ressources planétaires. En 2000, elle avait lieu le 25 septembre, en 2006, le 24 août, et cette année en 2019, le 29 juillet. Et si cette tendance continuait au même rythme ? Une extrapolation du graphe de l’évolution de la date du jour de dépassement au cours du temps (voir Figure 1) indique que le 1 janvier 2091, les richesses que la Terre nous fournit seront déjà épuisées au premier jour de l’année. La Planète serait alors ravagée sans qu’il n’y ai plus de quoi vivre. L’évolution de la date du jour du dépassement de la Terre prévoit une fin possible de notre humanité pour la fin du XXIème siècle.
Cette simple projection se fait en supposant que rien ne change par rapport aux relations entre les hommes et la Terre et que les capacités de dépassement de renouvellement de la terre gardent une relation linéaire dans le temps, ce qui est loin d’être vrai vue la dynamique complexe du vivant et des écosystèmes. Les systèmes complexes, très solides dans leur état stable, peuvent s’effondrer très rapidement comme un château de carte, lorsque de multiples perturbations les éloignent de cette stabilité. Il est alors possible, voire très probable, qu’un effondrement généralisé des écosystèmes ait lieu bien avant cette date supposée de 2090. De plus, la population mondiale devrait continuer de croître pour atteindre les 9,5 milliards d’habitants en 2050. La pression sur l’environnement sera d’autant plus grande. Et il n’y aura déjà plus de poissons dans les océans, leur quasi- disparition étant prévue pour 2050. De plus, les oiseaux et les insectes sont aussi en voie d’extinction. Si nous continuons sur notre lancée actuelle, les dégradations faites à l’environnement s’accentueront d’autant (déforestation, infertilité des sols par une agriculture intensive, incendie, désertification, pollutions chimique et plastique), les pollutions s’accroîtront encore, et les nombres d’espèces végétales, animales diminueront encore et encore nous faisant vivre les pires moments des grandes extinctions massives de la Planète. La dernière en date a eu lieu il y a 70 millions d’années laquelle inaugure la fin des dinosaures. Elle a été causée par la chute d’un astéroïde. Aujourd’hui, l’homme est la cause première de cette hécatombe généralisée. Avec entre 5000 à 25 000 espèces qui disparaissent par an, le taux d’extinction actuelle est de 100 à 1000 fois supérieur aux taux des précédentes extinctions géologiques. La dernière étude publiée le 6 mai 2019 par la Plate-forme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services (IPBES) annonce qu’un million d’espèces animales et végétales sont menacées à court terme.
Si le rythme d’évolution du jour de dépassement pris depuis 1971 ne change pas, le 1 janvier 2091, il n’y aura bientôt rien pour que l’homme vive. Mais, prendre en compte la façon dont on vivait il y a 30 ans ou 40 ans a-t-il du sens alors que des changements ont eu lieu dans notre façon de vivre ? Non. Alors, prenons le rythme d’évolution de la date jour de dépassement depuis 2009, juste après la crise de 2008, à aujourd’hui, et extrapolons la droite linéaire vers le futur (Figure n°2).
La date de la fin des ressources planétaires est alors repoussée de 30 ans pour arriver au début de l’année 2120. Si à cette date, les capacités de renouvellement de la Terre seront dépassées dès le début de l’année, c’est que l’humanité aurait disparu avant, car faute d’environnement viable, l’homme ne peut vivre.
Prophétie d’un Amérindien Cree.
Les effondrements de notre civilisation et des écosystèmes auraient lieu des années avant l’année 2120, toujours dans l’hypothèse que les calculs de Global FootPrint Network aient une réalité, et que rien ne change dans la dynamique de croissance de l’économie et de la consommation. Si cela est le cas, la date de la destruction totale de la biosphère telle que l’on la connaît risque de venir bien plus tôt que beaucoup ne le pensent. Les avertisseurs de danger sont allumés de toute part, mais les discours alarmants sont-ils à la hauteur de ce qui se passe réellement? Comme indiqué précédemment, à force de trop se tendre, l’élastique claque.
Espérons que cette simple projection des tendances actuelles vis-à-vis de nos comportements actuels sur cette Planète nous fasse prendre conscience de l’urgence de la situation. Pensez à l’avenir des enfants qui naissent aujourd’hui a-t-il du sens si nous ne changeons pas drastiquement notre façon de vivre ? Car aucun avenir décent ne leur est proposé dans un futur qui risque davantage d’être fait de catastrophes, sauf si un changement radical dans notre relation à la Planète advenait. Changement drastique également, et nécessaire, des relations entre les humains vers plus de fraternité, de coopération et de partage. Mais ce changement positif général auquel on aspire n’est-il pas déjà un peu en cours ?
Il reste peu de temps avant que la situation ne soit irréversible, mais l’espoir est encore permis car les solutions existent pour s’en sortir
Nous avons l’espoir que les choses soient encore réversibles car les solutions existent déjà pour vivre dans un monde en harmonie avec l’environnement et la Planète. Et il n’y a qu’à les appliquer pour changer les tendances sombres qui viennent sur nous pour une perspective bien plus radieuse. Comme l’écrit Edgar Morin, quand tout semble perdu, l’impossible est parfois possible. Et l’abîme peut être évité à condition, bien sûr, de changer de cap à cent pour cent comme en temps de guerre. Un pays transforme son économie et son industrie du jour au lendemain lorsqu’il est attaqué par un pays ennemi. Comme le rappelle Lester R. Brown, c’est ce qu’a fait Franklin Delano Roosevelt en décembre 1941 suite à Pearl Harbour. Et il doit donc être possible à nos gouvernements de changer radicalement de cap pour sauver la Terre et l’humanité, comme le suggère Lester R. Brown.
Fort heureusement, la société civile n’attend pas que les gouvernements changent. Partout dans le monde et chaque jour, de nouvelles solutions sont proposées. Elles sont aptes à changer notre relation avec notre environnement pour moins de prélèvements, plus de respect pour l’environnement et une vie harmonieuse avec la Planète. Ces solutions permettent d’économiser l’eau (par exemple, la douche infinie du finlandais Jason Selvarajan, ) , de disposer d’eau dans le désert (voir la Warka-water de l’italien Arturo Vittori ou la gourde solaire de l’autrichien Kristof Retezar), de dépolluer l’eau et les océans (Ocean Clean-up, la machine à récupérer les plastiques du néerlandais Boyan Slat), et les sols (la phytorestauration de Thierry Jacquet), de restaurer les écosystèmes, de transformer les déserts en forêts (le zimbabwéen Allan Savory, le coréen John Di Liu, le burkinabé Yacouba Sawadogo); de réutiliser des sols qui étaient devenus incultivables (les français Lydia et Claude Bourguignon), et d’utiliser facilement l’énergie solaire qui devient l’énergie la moins chère du marché (la technique existe pour stocker l’énergie solaire à faible coût grâce aux volants en béton du français André Gennesseaux), et produire des aliments sains et respectueux des sols et de l’économie locale, grâce à l’agroforesterie et la permaculture, de produire sans pesticides chimiques grâce à l’agriculture biologique, de créer des réserves océaniques pour la restauration des population de poissons, créer de grandes murailles vertes contre l’avancée du désert (en Chine et au Sahel), de reboiser grâce au lancer de bombes à graines (voir en Thaïlande) , de produire une énergie décentralisée grâce aux tuiles ou aux vitres solaires, d’isoler les bâtiments avec des toits ou des murs végétaux, de dépolluer l’air en absorbant les polluants atmosphériques ou le CO2 ou grâce à des murs végétaux ( le projet City Tree qui, pour 7 m3 est équivalent à 275 arbres; ou l’aspirateur à pollution du néerlandais Daan Roosegaarde, la smog free tower qui transforme le CO2 en diamant), enfin de créer des villes forêts (voir les projets de l’italien Stefano Boeri)…
Des actions citoyennes ont lieu partout dans le monde pour réveiller les consciences et forcer les gouvernements à agir. Depuis son discours à la conférence pour le climat de la COP 24 en décembre 2018, l’adolescente suédoise Greta Thunbergte parcourt le monde pour faire entendre son message et encourager les jeunes à faire engendre leur voix. Le futur des jeunes générations est menacé à cause de l’inaction des adultes. Les belles paroles des gouvernements aux conférences sur le climat ne suffisent plus. Il faut maintenant des actions concrètes de leurs parts. Greta Thunberg propose aux lycéens de faire une grève de l’école tous les vendredis pour manifester pour le climat. Elle était le 23 septembre 2019 à la tribune de l’ONU à New York pour renouveler son appel auprès des dirigeants des Nations.
Le mouvement écologiste mondial « Extinction rébellion » crée en octobre 2018 au Royaume-Uni fait entend sa voix et appel à la désobéissance civile face, toujours, à l’inaction des gouvernements devant l’effondrement écologique qui s’annonce et aux changement climatiques. Il se veut un mouvement pacifique ouvert à la diversité et au changement régénérateur et souhaite la création d’une assemblée citoyenne chargée d’impulser une société juste, équitable et respectueuse de l’environnement.
La liste n’est pas exhaustive et elle serait encore bien longue. La multiplication de ces projets et leur généralisation est assurément un espoir immense pour que demain, un avenir meilleur que celui qui vient sur nous, advienne. Mais pour cela, il faut agir, sortir de la routine de cette société qui a oublié que c’est la vie biologique et son environnement qui donne vie à l’homme. Car l’homme seul n’est rien. Il provient de la conjonction d’une longue histoire qui l’unit totalement à un environnement écologique comme cosmique. Alors ? Pourquoi ne pas opter pour un futur meilleur pour tous ? Arrêtons-nous, changeons de cap et évitons l’abîme. Appliquons au niveau global les solutions qui marchent au niveau local. Face aux menaces (météorologiques, incendies, disparitions des espèces, pollutions, guerres pour l’eau potable, faim, famines…) qui viennent, l’argent de manque pas pour induire des actions concrètes. Chaque année, nos gouvernements dépenses près de 1700 milliards de dollars dans l’armement. Une économie de guerre amène la guerre et la mort.
Aujourd’hui, devant l’inaction durable des gouvernements et de leurs réunions répétitives (G7, G20, COP xx ), seule l’expression de la voix des peuples pourra vraiment induire un changement véritable d’ampleur mondial et faire que leurs belles paroles deviennent des actes. L’argent de la guerre peut être disponible pour l’utiliser en priorité à créer demain, un monde viable en promouvant la vie en restaurant les écosystèmes. En arrêtant l’extinction des espèces et la destruction des écosystèmes qui ont lieu chaque jour. En investissant massivement dans la vie plutôt que dans la guerre, il est possible techniquement et financièrement de changer radicalement de cap et nous assurer un futur meilleur que les pronostics sombres actuels. Les discours ne suffisent plus. Seuls les actes préservant les écosystèmes pourront sauver l’humanité du pire. Le seul futur possible sera fait de fraternité, de partage et de coopération. Pour cela, les citoyens du monde doivent faire la demande claire d’un monde meilleur en faisant entendre haut et fort leur voix pour que « Demain » soit synonyme d’un futur plein de promesses. Une fois le changement engagé pour de bon, le jour de dépassement des ressources de la Terre ne sera alors plus qu’un vieux souvenir. Une nouvelle civilisation, véritablement humaine et respectueuse de tous, pourra s’épanouir.
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