Fin de l’humanité avant 2100 ou changement rapide vers une civilisation nouvelle ?

[Note de Joseph : L’article suivant aborde les questions environnementales dans la ligne du Club de Rome, du GIEC et d’Extinction Rébellion]

de Laurent Dapoigny
Docteur en agronomie, jardinier paysagiste, auteur.

Après
cette 25ème COP (Conference of Parties ou Sommet sur le Climat de
l’ONU) qui a eu
lieu à Madrid en novembre 2019, les gouvernements n’ont pas été à
la hauteur des défis planétaires auxquels nous devons faire face.
Devant l’ampleur des dégâts causés aux écosystèmes, la survie de
l’humanité est
en jeu. Le changement mondial à effectuer pour nous assurer un
futur, tout simplement, ne concerne pas seulement le réchauffement
climatique mais toute notre relation avec l’environnement dans tous
les domaines de l’activité humaine.

Selon
les calculs de l’ONG Global FootPrint Network, les capacités de
renouvellement de la Terre ont été dépassées en 2019 le 29
juillet. Depuis cette date, et jusqu’à la fin de l’année 2019, tout
ce que nous prélevons sur la Planète se fera sans qu’aucun
renouvellement des ressources naturelles prélevées ne soit
possible. Car trop, c’est trop. Tout poisson, tout arbre, toute
ressource renouvelable prélevée ne pourront pas être remplacés
par le renouvellement naturel normalement permis par les écosystèmes
à condition de leur laisser le temps de le faire. La restauration
des écosystèmes est possible à condition de ne pas les détruite à
nouveau avant qu’ils ne se reconstituent de façon naturelle. Mais
l’activité humaine s’accélère à n’en plus en finir, s’activant
comme elle le peut pour assouvir ses désirs matériels qui semblent
insatiables. Les humains ponctionnent à outrance les richesses que
la Terre lui fournit sans lui laisser le temps de les remplacer.
Est-ce que cela peut durer encore longtemps comme cela ? A force de
trop se tendre, l’élastique claque, ce qu’une économie folle,
aveugle et avide, ne saurait comprendre et entrevoir dans sa vision
court-termiste ? A côté des discours catastrophistes pour notre
futur, d’autres sont confiants. Ils attendent sereinement, grâce à
leur foi en l’innovation, que la science et la technique résolvent
tous les problèmes du monde.

Sept
milliards sept cents millions d’êtres humains vivent sur Terre. Ce
nombre a bien sûr un impact très important sur l’aspect destructeur
de l’humanité vis-à-vis de son environnement. Si nous n’étions que
3,7 milliards comme en 1970, la date de dépassement serait plus
raisonnablement proche de la fin de l’année et le devenir de
l’humanité ne serait pas en jeu. Mais plus la population mondiale
est élevée, plus elle exerce à comportement égal une pression
importante sur les écosystèmes et la biosphère dans son ensemble.
Par contre, à nombre égal, le comportement de l’homme a une
influence importante sur la biosphère de par l’intensité, forte ou
faible, et même voire nulle, de son impact écologique. Ainsi, bien
qu’à 7,7 milliards d’habitants, et même d’avantage chaque jour (225
000 de Terriens par jour en plus), il est possible de changer nos
comportements pour faire baisser notre impact écologique sur les
écosystèmes et donc les préserver, voire les restaurer.

Une
planète Terre n’est plus suffisante pour répondre aux désirs
matériels des humains. D’après les calculs de l’ONG Global
FootPrint Network, l’humanité vit comme si nous avions 1,75 Terres.
Ce chiffre est de 0.7 pour les Indiens, de 5 pour les Américains des
Etats-Unis et de 2,8 pour les Européens. Si tous les Chinois et les
Indiens vivaient comme les Américains, la Terre ne serait-elle pas
ravagée, d’après ces données, en moins de six mois ? Pour les
partisans en l’innovation, on trouvera toutes les ressources
nécessaires sur les autres planètes. Mais avons-nous vraiment le
temps de réagir en espérant quelques solutions rapides de
remplacement extraterrestres ? Il faut des mois pour faire
l’aller-retour sur Mars avec la technologie actuelle. La Lune,
proche, serait-elle notre dernier secours ? Mais pourquoi vouloir
quitter un si beau navire que la Terre pour s’exiler sur une planète
désertique ou un satellite inhospitalier ? Pourquoi donc ne pas
préserver la Terre et la restaurer plutôt que de choisir des
solutions coûteuses, lointaines et qui prennent du temps à se
mettre en place ?

La
Planète a été surexploitée à partir de l’année 1971. Avant,
c’était limite. Mais ça allait encore. Le premier jour du
dépassement fut donc celui du 24 décembre 1971. C’est l’année de
la sortie du rapport du Club de Rome, « Halte à la croissance »
produit par le Massachussets Institute of Technology (MIT). Pour la
première fois, une étude systémique sur notre futur est réalisée
en prenant en compte la population mondiale, la production
manufacturée, les ressources renouvelables et non renouvelables et
la pollution. Le constat est clair : notre mode de vie occidental,
basé sur la consommation et la croissance, n’est pas viable car la
planète est finie. Elle est limitée dans le temps et l’espace et ne
saurait supporter une croissance infinie comme le suppose et le
propose l’économie dominante. Et, qu’avec les croissances économique
et démographique, la pollution empoisonnera la Terre. Voilà
quarante-six ans pourtant que cela dure

et
que le mouvement dominant qui nous emporte n’a pas changé. Au
contraire, la force de l’humanité ne fait que s’accroître et la
planète est entrée dans la période de l’anthropocène. Les humains
sont devenus la première force de changement géologique sur Terre.
Ils modèlent la vie et l’histoire de la planète au même titre que
les grandes forces biogéochimiques qui l’avaient façonnée jusqu’à
maintenant.

Depuis
ce 24 décembre 1971, le jour du dépassement des ressources
planétaires se rapproche, d’année en année, du début de l’année
du fait d’un prélèvement sans cesse accru des ressources
planétaires. En 2000, elle avait lieu le 25 septembre, en 2006, le
24 août, et cette année en 2019, le 29 juillet. Et si cette
tendance continuait au même rythme ? Une extrapolation du graphe de
l’évolution de la date du jour de dépassement au cours du temps
(voir Figure 1) indique que le 1 janvier 2091, les richesses que la
Terre nous fournit seront déjà épuisées au premier jour de
l’année. La Planète serait alors ravagée sans qu’il n’y ai plus de
quoi vivre. L’évolution de la date du jour du dépassement de la
Terre prévoit une fin possible de notre humanité pour la fin du
XXIème siècle.

Figure 1 : Evolution du jour de dépassement des capacités de renouvellement de la Terre depuis 1971. Projection linéaire et prévision de la destruction totale des capacités de renouvellement de la Terre.

Cette simple projection se fait en supposant que rien ne change par rapport aux relations entre les hommes et la Terre et que les capacités de dépassement de renouvellement de la terre gardent une relation linéaire dans le temps, ce qui est loin d’être vrai vue la dynamique complexe du vivant et des écosystèmes. Les systèmes complexes, très solides dans leur état stable, peuvent s’effondrer très rapidement comme un château de carte, lorsque de multiples perturbations les éloignent de cette stabilité. Il est alors possible, voire très probable, qu’un effondrement généralisé des écosystèmes ait lieu bien avant cette date supposée de 2090. De plus, la population mondiale devrait continuer de croître pour atteindre les 9,5 milliards d’habitants en 2050. La pression sur l’environnement sera d’autant plus grande. Et il n’y aura déjà plus de poissons dans les océans, leur quasi- disparition étant prévue pour 2050. De plus, les oiseaux et les insectes sont aussi en voie d’extinction. Si nous continuons sur notre lancée actuelle, les dégradations faites à l’environnement s’accentueront d’autant (déforestation, infertilité des sols par une agriculture intensive, incendie, désertification, pollutions chimique et plastique), les pollutions s’accroîtront encore, et les nombres d’espèces végétales, animales diminueront encore et encore nous faisant vivre les pires moments des grandes extinctions massives de la Planète. La dernière en date a eu lieu il y a 70 millions d’années laquelle inaugure la fin des dinosaures. Elle a été causée par la chute d’un astéroïde. Aujourd’hui, l’homme est la cause première de cette hécatombe généralisée. Avec entre 5000 à 25 000 espèces qui disparaissent par an, le taux d’extinction actuelle est de 100 à 1000 fois supérieur aux taux des précédentes extinctions géologiques. La dernière étude publiée le 6 mai 2019 par la Plate-forme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services (IPBES) annonce qu’un million d’espèces animales et végétales sont menacées à court terme.

Si
le rythme d’évolution du jour de dépassement pris depuis 1971 ne
change pas, le 1 janvier 2091, il n’y aura bientôt rien pour que
l’homme vive. Mais, prendre en compte la façon dont on vivait il y a
30 ans ou 40 ans a-t-il du sens alors que des changements ont eu lieu
dans notre façon de vivre ? Non. Alors, prenons le rythme
d’évolution de la date jour de dépassement depuis 2009, juste après
la crise de 2008, à aujourd’hui, et extrapolons la droite linéaire
vers le futur (Figure n°2).

Figure 2 : Evolution du jour de dépassement des capacités de renouvellement de la Terre depuis 2009. Projection linéaire et prévision de la destruction totale des capacités de renouvellement de la Terre.

La
date de la fin des ressources planétaires est alors repoussée de 30
ans pour arriver au début de l’année 2120. Si à cette date, les
capacités de renouvellement de la Terre seront dépassées dès le
début de l’année, c’est que l’humanité aurait disparu avant, car
faute d’environnement viable, l’homme ne peut vivre.

Quand le dernier arbre sera abattu, la dernière rivière empoisonnée, le dernier poisson capturé, alors seulement vous vous apercevrez que l’argent ne se mange pas.

Prophétie d’un Amérindien Cree.

Les
effondrements de notre civilisation et des écosystèmes auraient
lieu des années avant l’année 2120, toujours dans l’hypothèse que
les calculs de Global FootPrint Network aient une réalité, et que
rien ne change dans la dynamique de croissance de l’économie et de
la consommation. Si cela est le cas, la date de la destruction totale
de la biosphère telle que l’on la connaît risque de venir bien plus
tôt que beaucoup ne le pensent. Les avertisseurs de danger sont
allumés de toute part, mais les discours alarmants sont-ils à la
hauteur de ce qui se passe réellement? Comme indiqué précédemment,
à force de trop se tendre, l’élastique claque.

Espérons
que cette simple projection des tendances actuelles vis-à-vis de nos
comportements actuels sur cette Planète nous fasse prendre
conscience de l’urgence de la situation. Pensez à l’avenir des
enfants qui naissent aujourd’hui a-t-il du sens si nous ne changeons
pas drastiquement notre façon de vivre ? Car aucun avenir décent ne
leur est proposé dans un futur qui risque davantage d’être fait de
catastrophes, sauf si un changement radical dans notre relation à la
Planète advenait. Changement drastique également, et nécessaire,
des relations entre les humains vers plus de fraternité, de
coopération et de partage. Mais ce changement positif général
auquel on aspire n’est-il pas déjà un peu en cours ?

Il
reste peu de temps avant que la situation ne soit irréversible, mais
l’espoir est encore permis car les solutions existent pour s’en
sortir

Nous
avons l’espoir que les choses soient encore réversibles car les
solutions existent déjà pour vivre dans un monde en harmonie avec
l’environnement et la Planète. Et il n’y a qu’à les appliquer pour
changer les tendances sombres qui viennent sur nous pour une
perspective bien plus radieuse. Comme l’écrit Edgar Morin, quand
tout semble perdu, l’impossible est parfois possible. Et l’abîme
peut être évité à condition, bien sûr, de changer de cap à cent
pour cent comme en temps de guerre. Un pays transforme son économie
et son industrie du jour au lendemain lorsqu’il est attaqué par un
pays ennemi. Comme le rappelle Lester R. Brown, c’est ce qu’a fait
Franklin Delano Roosevelt en décembre 1941 suite à Pearl Harbour.
Et il doit donc être possible à nos gouvernements de changer
radicalement de cap pour sauver la Terre et l’humanité, comme le
suggère Lester R. Brown.

Fort heureusement, la société civile n’attend pas que les gouvernements changent. Partout dans le monde et chaque jour, de nouvelles solutions sont proposées. Elles sont aptes à changer notre relation avec notre environnement pour moins de prélèvements, plus de respect pour l’environnement et une vie harmonieuse avec la Planète. Ces solutions permettent d’économiser l’eau (par exemple, la douche infinie du finlandais Jason Selvarajan, ) , de disposer d’eau dans le désert (voir la Warka-water de l’italien Arturo Vittori ou la gourde solaire de l’autrichien Kristof Retezar), de dépolluer l’eau et les océans (Ocean Clean-up, la machine à récupérer les plastiques du néerlandais Boyan Slat), et les sols (la phytorestauration de Thierry Jacquet), de restaurer les écosystèmes, de transformer les déserts en forêts (le zimbabwéen Allan Savory, le coréen John Di Liu, le burkinabé Yacouba Sawadogo); de réutiliser des sols qui étaient devenus incultivables (les français Lydia et Claude Bourguignon), et d’utiliser facilement l’énergie solaire qui devient l’énergie la moins chère du marché (la technique existe pour stocker l’énergie solaire à faible coût grâce aux volants en béton du français André Gennesseaux), et produire des aliments sains et respectueux des sols et de l’économie locale, grâce à l’agroforesterie et la permaculture, de produire sans pesticides chimiques grâce à l’agriculture biologique, de créer des réserves océaniques pour la restauration des population de poissons, créer de grandes murailles vertes contre l’avancée du désert (en Chine et au Sahel), de reboiser grâce au lancer de bombes à graines (voir en Thaïlande) , de produire une énergie décentralisée grâce aux tuiles ou aux vitres solaires, d’isoler les bâtiments avec des toits ou des murs végétaux, de dépolluer l’air en absorbant les polluants atmosphériques ou le CO2 ou grâce à des murs végétaux ( le projet City Tree qui, pour 7 m3 est équivalent à 275 arbres; ou l’aspirateur à pollution du néerlandais Daan Roosegaarde, la smog free tower qui transforme le CO2 en diamant), enfin de créer des villes forêts (voir les projets de l’italien Stefano Boeri)…

Des
actions citoyennes ont lieu partout dans le monde pour réveiller les
consciences et forcer les gouvernements à agir. Depuis son discours
à la conférence pour le climat de la COP 24 en décembre 2018,
l’adolescente suédoise Greta Thunbergte parcourt le monde pour faire
entendre son message et encourager les jeunes à faire engendre leur
voix. Le futur des jeunes générations est menacé à cause de
l’inaction des adultes. Les belles paroles des gouvernements aux
conférences sur le climat ne suffisent plus. Il faut maintenant des
actions concrètes de leurs parts. Greta Thunberg propose aux lycéens
de faire une grève de l’école tous les vendredis pour manifester
pour le climat. Elle était le 23 septembre 2019 à la tribune de
l’ONU à New York pour renouveler son appel auprès des dirigeants
des Nations.

Le
mouvement écologiste mondial « Extinction
rébellion
 »
crée en octobre 2018 au Royaume-Uni fait entend sa voix et appel à
la désobéissance civile face, toujours, à l’inaction des
gouvernements devant l’effondrement écologique qui s’annonce et aux
changement climatiques. Il se veut un mouvement pacifique ouvert à
la diversité et au changement régénérateur et souhaite la
création d’une assemblée citoyenne chargée d’impulser une société
juste, équitable et respectueuse de l’environnement.

La
liste n’est pas exhaustive et elle serait encore bien longue. La
multiplication de ces projets et leur généralisation est assurément
un espoir immense pour que demain, un avenir meilleur que celui qui
vient sur nous, advienne. Mais pour cela, il faut agir, sortir de la
routine de cette société qui a oublié que c’est la vie biologique
et son environnement qui donne vie à l’homme. Car l’homme seul n’est
rien. Il provient de la conjonction d’une longue histoire qui l’unit
totalement à un environnement écologique comme cosmique. Alors ?
Pourquoi ne pas opter pour un futur meilleur pour tous ?
Arrêtons-nous, changeons de cap et évitons l’abîme. Appliquons au
niveau global les solutions qui marchent au niveau local. Face aux
menaces (météorologiques, incendies, disparitions des espèces,
pollutions, guerres pour l’eau potable, faim, famines…) qui
viennent, l’argent de manque pas pour induire des actions concrètes.
Chaque année, nos gouvernements dépenses près de 1700 milliards de
dollars dans l’armement. Une économie de guerre amène la guerre et
la mort.

Aujourd’hui,
devant l’inaction durable des gouvernements et de leurs réunions
répétitives (G7, G20, COP xx ), seule l’expression de la voix des
peuples pourra vraiment induire un changement véritable d’ampleur
mondial et faire que leurs belles paroles deviennent des actes.
L’argent de la guerre peut être disponible pour l’utiliser en
priorité à créer demain, un monde viable en promouvant la vie en
restaurant les écosystèmes. En arrêtant l’extinction des espèces
et la destruction des écosystèmes qui ont lieu chaque jour. En
investissant massivement dans la vie plutôt que dans la guerre, il
est possible techniquement et financièrement de changer radicalement
de cap et nous assurer un futur meilleur que les pronostics sombres
actuels. Les discours ne suffisent plus. Seuls les actes préservant
les écosystèmes pourront sauver l’humanité du pire. Le seul futur
possible sera fait de fraternité, de partage et de coopération.
Pour cela, les citoyens du monde doivent faire la demande claire d’un
monde meilleur en faisant entendre haut et fort leur voix pour que
« Demain » soit synonyme d’un futur plein de promesses. Une
fois le changement engagé pour de bon, le jour de dépassement des
ressources de la Terre ne sera alors plus qu’un vieux souvenir. Une
nouvelle civilisation, véritablement humaine et respectueuse de
tous, pourra s’épanouir.