23/04/2024 (2024-04-23)
[Source : kairospresse.be]
Par Alexandre Penasse
La guerre n’est jamais faite par ceux qui la financent et en tirent les bénéfices. Je me souviens de cette scène du documentaire de Michael Moore, Fahrenheit 9/11, où le réalisateur interpelle des sénateurs américains pour qu’ils signent un document et acceptent l’enrôlement de leur enfant dans la guerre : pas un prêt à envoyer sa progéniture en Irak comme chair à canon pour l’Oncle Sam au bénéfice des compagnies pétrolières. Que faire alors pour recruter les fils et filles des perdants du modèle américain, sans utiliser la force ? : agiter le drapeau et les valeurs patriotiques qui leur fera croire qu’ils se sacrifient pour leur pays.
Les gagnants : les oligarques des deux camps, ceux qu’on dit démocratiquement élus dans les contrées où l’on vote pour élire son maître, où ceux qui n’ont pas besoin pour régner de passer par le simulacre de l’élection.
Les perdants : ceux sur le champ de bataille, qu’on a depuis longtemps persuadés que l’ennemi était en face d’eux, mais pas au-dessus, ceux qui donnaient les ordres. Pourtant, ce sont souvent des frères et sœurs qui s’entretuent, alors que dans un monde décent on sait qu’ils auraient pu être amis, amants, taper la carte ensemble, ou cogner les verres.
Malheureusement, la propagande médiatico-politique les a persuadés qu’ils faisaient partie du camp A face à ceux du camp B. La catégorisation sociale, bien qu’automatique, est un des mécanismes les plus dangereux pour la paix sociale. Elle nous fait tristement oublier notre commune humanité… George Orwell soulignait cette vérité, alors qu’il était dans une tranchée lors de la guerre d’Espagne :
« Nous étions dans un fossé, mais derrière nous s’étendaient cent cinquante mètres de terrain plat, si dénudé qu’un lapin aurait eu du mal à s’y cacher (…). Un homme sauta hors de la tranchée [ennemie] et courut le long du parapet, complètement à découvert. Il était à moitié vêtu et soutenait son pantalon à deux mains tout en courant. Je me retins de lui tirer dessus, en partie à cause de ce détail de pantalon. J’étais venu ici pour tirer sur des “Fascistes”, mais un homme qui est en train de perdre son pantalon n’est pas un “Fasciste”, c’est manifestement une créature comme vous et moi, appartenant à la même espèce — et on ne se sent plus la moindre envie de l’abattre. »
Voilà à quoi s’attellent chaque jour les politiques et leurs chapelles médiatiques : nous priver des outils pour comprendre, don nous monter inévitablement les uns contre les autres, puisque l’ignorance amène à trouver le mauvais coupable. Ils ne nous disent évidemment pas que le pays le plus meurtrier qui soit est les États-Unis et que se défaire du lien de dépendance qu’a l’Europe avec eux pour favoriser une entente avec la Russie et le monde arabe serait peut-être une meilleure solution. Non, ils préfèrent alimenter une guerre qu’ils ne font pas entre deux peuples frères qui se massacrent pour eux.
Le prix Nobel de la paix décerné à Barack Obama en 2009 sera le blanc-seing lui signalant qu’il peut faire la guerre tous azimuts. Sous ses deux mandats, comme aucun autre président, les États-Unis auront été en guerre. Afghanistan, Irak. Mais aussi la Syrie, la Libye, et les nouvelles guerres par drones au Pakistan, en somalie, au Yemen.
Aujourd’hui, le guerrier de la paix, ou le pacifiste belligérant, donne des conférences partout dans le monde. La dernière ? En Belgique, sur les technologies de pointe. Cachet pour la soirée : 600 000 euros. Le sang, ça rapporte.
Dans cette technologie de pointe, les drones font belle figure, à l’heure de la guerre 4.0 où on tue des êtres humains à des milliers de kilomètres assis sur un fauteuil confortable dans un centre en Allemagne ou ailleurs… La guerre jusqu’au summum de la déshumanisation. Les États-Unis nous avaient dès le début appris que leur existence reposait sur la destruction de l’autre, puisque les Indiens qui vivaient paisiblement sur leur terre depuis des siècles ont été massacrés par des dirigeants qui ne connaissaient pas le partage et ont depuis le mot pacifisme gravé sur le canon de leur fusil.
Daniel Ganser l’a bien exprimé : Les USA sont la plus grande menace pour la paix mondiale. Ils ont bombardé le plus de pays depuis 1945 ; Les É.-U. Ont plus de 200 000 soldats stationnés à l’étranger ; chaque année, le budget militaire américain augmente : il sera de plus de 842 milliards en 2024… Comme le dit encore Ganser : « Le mouvement pacifiste sait que beaucoup pourrait être fait avec un tel budget annuel. Au lieu de la guerre et des armes, l’argent pourrait être consacré à soulager la faim dans les pays pauvres, à l’éducation, à la santé, à l’expansion des énergies renouvelables, ou à des projets visant à lutter contre la pollution, ou encore à financer des médias alternatifs qui dénoncent les mensonges de guerre ou informent sur les causes réelles de la guerre, etc. ». Ainsi, la guerre externe entretient la guerre sociale interne, nourrie par d’indécentes inégalités.
Quel gâchis. Car c’est un souffle d’humanité qui nous emplit de bonheur lorsque nous voyons ceux appelés ennemis laisser tomber les armes et faire la paix. Ce rapprochement entre des camps rendus virtuellement adverses par ceux qui font les guerres dans les salons feutrés, mais ne les vivent pas, montre l’absurde de ces hommes qui se déchirent entre eux. C’est la trêve de Noël dans les tranchées de 14–18. Il n’est de meilleure preuve de la construction de cette haine de l’autre par les médias et qui ne peut se matérialiser que lorsque, arme à la main, notre survie dépend de la mort de l’autre.
Les marchands d’armes, qui sont souvent les mêmes que les marchands de propagande, doivent donc créer des catégories abstraites dans lesquelles les gens se reconnaissent, leur rappelant ce qui les distingue plutôt que tout ce qui les rapproche, occultant à dessein notre commune humanité.
La guerre, ce n’est pas la destruction de deux camps, c’est la destruction de ce qui fait de nous des êtres humains.
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