Crépol : l’éléphant dans la pièce

01/12/2023 (2023-12-01)

[Source : contrepoints.org]

Par Yves Bourdillon

Il faut arrêter de jouer à « l’Éléphant dans la pièce », que l’on fait semblant de ne pas voir, car ce serait embarrassant ou inquiétant. Le meurtre de Crépol est plus grave que ceux commis par des individus déséquilibrés, ou radicalisés. Il s’agit d’une attaque en bande organisée contre une fête de village tranquille illustrant une partition dans notre pays.

C’est une fable russe de 1814 qui a donné lieu à l’expression éponyme en anglais « The elephant in the room », pour désigner quelque chose d’énorme que tout le monde fait semblant de ne pas remarquer,1 car ce serait admettre quelque chose d’embarrassant, voire terrifiant.

L’attaque de jeunes gens par une bande armée de couteaux à Crépol, il y a dix jours, lors de laquelle un adolescent, Thomas, a été tué, est seulement le dernier évènement illustrant cette fable. Tout le monde peut voir de quoi il s’agit, mais beaucoup font semblant de croire qu’il s’agit juste d’un banal fait divers, comme il en a toujours existé et en existera toujours.

Eh bien, pas du tout.

Cette attaque sidère et révolte, plus encore que les attaques commises par des « déséquilibrés » comme il en a toujours existé (ce qui ne les empêche pas forcément d’être endoctrinés ou téléguidés), peu ou prou oubliés après les traditionnelles peluches-bougies-marches blanches, à l’image des trois jeunes poignardés à Angers en juin 2022 par un Soudanais, de la petite Lola kidnappée, torturée et tuée par une Algérienne sous OQTF, des quatre enfants blessés à Annecy par un Syrien en situation irrégulière en France, etc.

Une icône attaquée

Plus encore parce que l’attaque à Crépol a touché une icône, que l’on croyait préservée, de la ruralité française, une fête de village joyeuse et tranquille. Un drame équivalent avait d’ailleurs failli se produire deux semaines auparavant dans un village du Lot-et-Garonne, Saint-Martin-Petit.

Elle est aussi, par son ampleur, un mort et dix-huit blessés, sans commune mesure avec les bastons de bals de jadis. Il s’agit bel et bien d’un meurtre en bande organisée, un des chefs d’inculpation des neufs suspects, mené par des jeunes voulant « planter du Blanc », d’après ce qu’ont entendu neuf témoins. Si les comparaisons de certains avec des razzias ou des pogroms sont très exagérées, l’aspect raciste de cette sorte de « ratonnade » (comme il n’en existe heureusement presque plus à l’encontre des Maghrébins depuis 1973) à l’envers, fait peu de doute.

Enfin, et sans doute surtout, parce que les réactions des proches des mis en cause à Romans-sur-Isère, sur les réseaux sociaux ou BFM, montrent un univers mental totalement étranger, pour ne pas dire antagoniste, à celui de la grande majorité, autochtones ou d’origine immigrée, de la population de ce pays.

Derrière les dénonciations convenues de la violence, leur première inquiétude n’est pas que les habitants de Crépol soient traumatisés, mais plutôt, « moi d’abord, » d’être eux même ostracisés (ben, quand des jeunes issus de votre quartier en tuent d’autres, c’est un peu logique d’être circonspect, voyez-vous). Ils jugeaient aussi « normal » que leurs amis fussent armés de couteau pour se défendre en cas d’embrouilles. Aucun ne semble ébaucher un début de questionnement sur leurs responsabilités, ou défaillances de parents, éducateurs, ou copains ; non, il n’est pas normal d’emporter au bal une lame de 25 cm. Tous adhèrent au récit selon lequel leurs camarades draguaient tranquillement des filles après avoir payé l’entrée de la fête, avant d’être agressés par des rugbymen jaloux (les participants à la fête évoquent plutôt l’attaque de vigiles voulant les refouler après avoir repéré des couteaux).

Cet esprit tribal instinctif, cette réalité psychosociale parallèle illustre bien les propos il y a cinq ans de l’ancien ministre de l’Intérieur Gérard Collomb, décédé samedi, trop peu écouté dans son propre camp, la gauche, selon lequel le vivre ensemble serait devenu « vivre côte à côte », avant peut-être demain de devenir « vivre face à face ». La simple coexistence, avant l’antagonisme, voire un jour l’affrontement.

La sécession à l’œuvre

Les agresseurs de Crépol font partie visiblement de cette jeunesse laissée à elle-même, pour qui la vie humaine ne vaut pas grand-chose, traînant dans ces quartiers où plus grand monde n’écoute les chibanis (les vieux sages en arabe dialectal algérien), mais qui ne sont pourtant pas si démunis que cela en équipements, ou dépenses de la politique de la Ville ; la maire de Romans-sur-Isère a reconnu que sa ville avait bénéficié de 140 millions d’euros de l’État ces dernières années. Ils n’ont pratiquement pas d’autre horizon que leur bande, et le port d’un couteau leur paraît une condition sine qua non de virilité. Une contre-société avec ses codes sommaires, prévalence de la bande, territorialisation à l’extrême et mépris pour les « autochtones » et leurs institutions.

Quand des gens vous désignent comme des « eux », il vient fatalement un moment où il est difficile de les considérer comme des « nous ». Cette partition officieuse ne se cantonne d’ailleurs pas aux aspects sécuritaires. Dans le système éducatif, selon une étude récente, en ZEP, 79 % des élèves ne comprennent pas vraiment la langue française et 83 % ignorent les bases du calcul…

Ce n’est pourtant pas faute d’alertes sur la montée de cette « contre-société », depuis notamment la parution des Territoires perdus de la république (Emmanuel Brenner et al, 2004), ou Une France soumise (Georges Bensoussan, 2017), sans oublier L’étrange suicide de l’Europe (Douglas Murray, 2018).

Le déni et pas de vagues

Mais les pouvoirs publics, et certains médias « progressistes » continuent de récuser ce constat.

À l’image des dépêches d’agence évoquant d’abord une simple « rixe » à Crépol, mot évoquant un simple échange de coups de poing où les torts seraient partagés, ou du ministre de la Justice fustigeant « la récupération », forcément d’extrême droite, de ce « fait divers ».

Pour ne pas être accusé d’extrémisme, ou de récupération, il faudrait donc ne pas commenter ces événements ni chercher à en tirer les leçons, ce qui serait pourtant sain et humain ? Faire même semblant de croire qu’ils n’existent pas serait un plus…

Encore une fois, le déni, repousser la poussière sous le tapis et ne pas voir le fameux Éléphant dans la pièce, déjà exprimé à maintes reprises par ministres, élus, associations et médias. Qui, il faut « tuer le messager », assimilent toute colère, ou exaspération après ce genre de drame, ou après des attaques habituelles de commissariat, émeutes & tirs de mortiers, à une tentative d’ostraciser l’ensemble de nos compatriotes musulmans, dont la majorité vit aussi mal que les autres l’existence de ces bandes.

Les exemples abondent, mais le plus ridicule est certainement celui du ministre de l’Intérieur prétendant que les bandes de « kaïras » du 9-3 venus dépouiller des supporters lors de la finale de la coupe d’Europe de football en mai 2022 étaient en fait des supporters anglais sans billets…

Sans oublier ceux qui dénoncent un deux poids deux mesures, à savoir que parler de Crépol sans évoquer l’attaque d’un immigré par un septuagénaire raciste dans le Val-de-Marne, reviendrait à repérer les attaques « d’un côté, mais pas de l’autre ».

Port d’arme blanche : une interdiction fictive

Ce genre de drame interroge aussi sur le fonctionnement de la justice, sans doute tétanisée, comme d’autres, par le « pas de vague » en vigueur depuis sans doute les émeutes de 2005.

La faiblesse des peines prononcées, quelques mois avec sursis, et non exécutées en dessous de deux ans, pour des agressions pourtant souvent graves, a de quoi laisser perplexe, surtout quand on compare avec ce qui se pratique dans d’autres pays européens pour des crimes et délits équivalents. Les adversaires du tout carcéral font valoir, pas forcément à tort, qu’on entre en prison délinquant et qu’on en sort criminel, mais une stratégie « douce » à base de stage de réinsertion ou travaux d’intérêt collectif (qui font bien se marrer les prévenus) a surtout pour conséquence qu’elle persuade des névrosés du couteau qu’ils ne risquent strictement rien.

En fait, en théorie le port d’arme blanche « non justifié » (là est l’astuce) sur la voie publique est puni d’un an de prison ferme. Les racailles y regarderaient sans doute à deux fois avant de se promener armés s’ils savaient qu’ils feraient un an de cabane au moindre contrôle policier. Sauf que, savez-vous combien de peines de prison ont été prononcées pour cela depuis dix ans ? À ma connaissance, zéro.

Au passage, combien de morts par arme blanche ? Eh bien, les données précises et fiables n’existent pas, à ma connaissance. Comme si on avait peur de savoir. Les statistiques sur les circonstances, âge des victimes et des prévenus, lieux et motifs des 900 meurtres commis chaque année en France sont détaillées, mais rien sur le type d’armes employées. Tout juste une enquête il y a quelques années établissait-elle que les deux tiers des agressions, suivies ou pas de décès, étaient à l’arme blanche.

Dans le même ordre d’idée, l’interdiction des statistiques ethniques empêche d’évaluer en France la surreprésentation, ou pas, des personnes d’origine étrangère parmi les criminels et délinquants. La Suède et la Finlande n’ont pas ces pudeurs, avec des résultats guère rassurants.

Un déni, une volonté de mettre ce qui dérange sous le tapis qui s’explique au demeurant assez logiquement, par la trouille et la vanité.

L’intégration ne va pas toujours de soi

La trouille (le déni est un puissant mécanisme de protection psychologique) de pressentir que tout cela pourrait mener un jour à la guerre civile (évoquée par Jean-Pierre Chevènement, que l’on peut difficilement soupçonner de tentation lepéniste, soulignant en 2019 que « toutes les guerres civiles débutent à bas bruit ») ; ou du moins à des affrontements récurrents qui obligeraient, par exemple, à la constitution de milices privées. Ce serait fun, des hommes armés de fusils fouillant les participants aux fêtes de village…

Et la vanité de croire que l’intégration d’immigrés se ferait naturellement, sans accompagnement spécifique, car cela aurait été condescendant, ou discriminant, du fait que notre société serait si cool et séduisante. Comment pouvoir détester un pays si riche en opportunités de job, de soins et d’éducation gratuits, ou d’allocations, qui avait d’ailleurs su absorber les innombrables vagues migratoires (européennes) jadis ? Les lobbyistes de l’immigration, dont des libéraux un peu candides sur les questions civilisationnelles, ont prétendu pendant quarante ans que, nonobstant des incidents isolés, tout se passerait bien.

En fait, pas vraiment.

Sauf à vivre barricadé dans le huitième arrondissement, la réalité paraît moins angélique. Qui n’a jamais vu quelqu’un se faire traiter de « sale Blanc » ? L’intelligentsia progressiste a, au passage, sa part de responsabilité, qui prétend, narcissisme de culpabilité, que « les Blancs sont le problème » et que les descendants de colonisés auraient au fond raison de nous détester, ou de vouloir prendre une revanche. À force, rien d’étonnant à ce que certains les aient crus.

La réalité est que l’intégration de l’immigration arabo-musulmane, irréprochable pour la majorité, n’a pas du tout marché pour une minorité non négligeable comme l’illustre le drame de Crépol. Certains font semblant de découvrir soudainement l’ensauvagement, selon les termes du ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin (un autre titulaire du poste, Jean-Pierre Chevènement, avait évoqué dès 1999 les « sauvageons », terme toutefois moins riche en couteaux, évoquant plutôt un arbre non greffé).

L’intégration, surtout en provenance d’un système juridico-politique, l’Islam, qui a une très forte identité et perception de sa singularité/mission d’expansion, ne fonctionne pas bien au-delà de certains effectifs. C’est au demeurant logique et renvoie aux dynamiques à l’œuvre quand une population A d’une certaine culture se mélange à une population B.

Quand, dans un pays, vous êtes ultra minoritaire, sur le plan culturel ou ethnoreligieux, vous avez puissamment intérêt à vous fondre dans le moule. Pas forcément à adopter les mœurs locales, personne en France n’a jamais obligé quiconque à manger du saucisson, porter une jupe, ou accrocher un crucifix dans son logement, mais au moins vous avez intérêt à comprendre et accepter les mœurs du pays d’accueil (Montesquieu disait qu’un pays « est fait de ses coutumes bien plus que de ses lois ») et donc, dans l’espace public vous n’imposez pas vos normes, et ne cherchez pas à constituer un bloc politique de défiance, à la limite du sécessionniste. Au-delà d’une certaine proportion (10 % ?), au contraire, le communautarisme, bien au-delà du voile sur la voie publique, des demandes d’horaires de piscine spécifiques, ou du conducteur de bus qui refuse de répondre au salut des femmes, devient une option plus alléchante…

L’intégration a d’ailleurs tellement bien marché que les thuriféraires du vivre ensemble se gardent bien d’aller vivre, ou faire scolariser leurs enfants à Romans-sur-Isère… Comme disait Péguy, en une variante de la fable russe, il faut un peu de courage pour « voir ce que l’on voit ».


1 La fable d’Ivan Krylov raconte le périple d’un homme dans un musée qui s’attache aux détails sans remarquer à aucun moment l’éléphant présent à côté de lui.

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