23/06/2021 (2021-06-23)
Par Abdellali Merdaci
Selon un journal d’Alger, zélateur du néo-hirak, un candidat aux législatives anticipées du 12 juin a été élu député, à Constantine, avec trois cents voix.1 L’événement, en soi, peut paraître absurde, mais il n’entache en rien la légalité de cette élection. Bienvenue, M. le député ! Dans le contexte national algérien actuel, marqué par une irréductible pandémie sanitaire et par les dérives d’aventuriers stipendiés de la politique, seul compte le socle de la légalité dans une organisation du vote sans heurts et l’indispensable légitimité proclamée est celle de l’action, davantage que celle des chiffres. Du reste, les chiffres vitaminés d’une élection ne sont jamais consentis à une gouvernance meilleure, ainsi qu’en témoignent les élections de l’ère Bouteflika. L’écrivain et journaliste Mohamed Benchicou rapporte dans un remarquable essai biographique2 comment le candidat Abdelaziz Bouteflika exigeait, en 1999, des généraux qui l’ont ramené au pouvoir de décider de ses propres chiffres électoraux. À l’évidence, le tripatouillage des résultats électoraux est exclu dans l’Algérie nouvelle et c’est une précieuse évolution démocratique.
Abdelmadjid Tebboune a rappelé, au-delà des chiffres de participation aux différentes consultations électorales (12 décembre 2019, 12 juin 2021) et référendaire (1er novembre 2020), la légalité de la démarche politique et institutionnelle qui les fonde. En démocratie, l’électeur a le droit de s’abstenir ou de boycotter une votation : si la politique de la chaise vide n’a jamais été payante, l’État algérien, qui n’impose rien, protège sa liberté de conscience. Dans aucun pays et dans aucune démocratie, même parmi les plus avancées, le taux de participation le plus bas n’a invalidé une élection et disqualifié ses candidats élus. Dans les faits, abstentionnistes et boycotteurs ne forment ni un parti, ni une tendance politique lisible, ni une majorité.
[Ndlr : en France, le faible taux de participation à une élection tend à être considéré par un certain nombre d’analystes ou de commentateurs comme une marque de manque de légitimité démocratique des représentants élus. Avec moins de 50 % de participation (comme cela a été le cas pour le premier tour des récentes législatives françaises), il devrait ou pourrait même se poser le problème de la légitimité de la forme gouvernementale elle-même, surtout lorsqu’elle prétend relever de démocratie.]
Pourquoi, à défaut d’une vraie opposition politique, une presse bien-pensante — qui la supplée — ne cesse d’asséner au président de la République et aux Algériens une incertaine logique des chiffres ? Il n’y a pas de « légitimité populaire » : qu’un candidat soit élu à 100 % des électeurs inscrits n’est pas un gage de réussite de son mandat. Sauf à tournebouler le sens des mots, la seule légitimité consensuelle appartient à l’Histoire. M. Tebboune, président de la République, écrit une page de l’Histoire de l’Algérie, et cette page, il faut se garder de la juger hors de l’heure du bilan.
Lorsqu’on évoque dans notre pays, dans les marges de toute consultation électorale démocratique, la formation d’un champ politique national, résolument national, l’absolu critère est celui de l’unité de la Nation algérienne. Or, le néo-Irak, érigé en dehors de toute légalité ces derniers mois par une presse qui lui est acquise en principal opposant du pouvoir d’État, parasité par des organisations nettement terroristes (Rachad, MAK) et par des acteurs politiques formés par les services américains de la démocratisation du monde arabe, du Moyen-Orient au Maghreb,3 en est éloigné. Il ne peut se projeter que dans le chaos pour mettre à terre les institutions de l’État, notamment la présidence de la République, et ses chartes, particulièrement la Constitution, ses garants juridiques.
Cette politique de destruction, sans honneur et sans loyauté, perdure. Après le 22 février 2019, contre un gouvernement sans gouvernail et sa « ‘içaba » (clan), il fallait un changement de cap, le hirak originel pouvait l’incarner dans une brève période de latence politique, le néo-hirak, qui prétend le continuer dans l’usurpation et dans l’imposture, constitue un obstacle. Il est de bonne guerre, contre cet ennemi de l’intérieur et de l’extérieur répondant à des agendas pernicieux, que le président Tebboune fasse valoir l’impérieuse nécessité de la légalité institutionnelle. L’Algérie, déstructurée par le long règne des frères Bouteflika, appelle cette impulsion vers l’État légal, qu’il conduit opiniâtrement.
Alors même que le président de la République s’appuie sur un programme de refonte du pays et parle régulièrement aux Algériens,4 quels arguments leur présentent ceux qui ambitionnent de faire tomber l’État algérien par de continuels mouvements de rue, troublant la paix sociale, et échappant à toute réglementation administrative et juridique ? Quelles sont les attentes des « ténors autoproclamés » (Ahmed Bensaada) du néo-hirak ? Maîtres Mostefa Bouchachi et Zoubida Assoul, secondés par Karim Tabbou et Abdelouahab Fersaoui (RAJ), bénéficiant de l’onction du sociologue français Lahouari Addi, activistes de mauvais aloi, formés et financés par les experts américains de l’agit-prop, envisagent sûrement de mettre l’Algérie sur les rails d’une politique antinationale, dans la perspective des États-Unis d’Amérique, de l’Europe et, singulièrement, de la France. Ils proposent un programme d’ouverture politique vers l’extérieur rompant avec les fondamentaux de l’État algérien issu d’une terrible Guerre anticoloniale, qu’ils souhaitent effacer, ainsi le droit des peuples sous domination coloniale, notamment en Palestine et au Sahara occidental, à l’autonomie politique nationale. Ce changement politique s’adossera sur l’établissement de relations diplomatiques avec Israël et sur la reconnaissance des thèses sionistes. Sous la direction de cette phalange d’illuminés, l’imparable progrès social serait d’ouvrir des terrasses à bière sur les avenues d’Alger, de libéraliser les mœurs5 et d’engager une politique déterminée vers la binationalité franco-algérienne pour contenter les bobos d’Alger, leur clientèle assurée et reconnue, qui ne pèse pas lourd dans l’échiquier électoral. Qu’ils aillent donc expliquer ce programme politique à l’électeur de la bourgade de Slim. Le MAK, pour sa part, n’a qu’un exclusif horizon politique, la sécession de la région kabyle d’Algérie (Tizi-Ouzou, Bejaia, en partie Bouira, Boumerdès, Sétif et Bordj Bou-Arréridj), faisant corps pendant des millénaires avec l’Algérie, relevée par cinquante-neuf années d’accompagnement exceptionnel de l’État algérien, pour la livrer à la France et à Israël. Quant aux islamistes de Rachad, leur objectif unique est de se venger de la cuisante défaite que leur a infligée, dans les années 1990, l’État algérien dont ils envisagent, désormais, l’anéantissement en manipulant la rue dans un jeu pervers et criminel.
Le reproche qu’il faudra faire à ces « ténors autoproclamés », c’est qu’ils ne s’adressent jamais clairement au peuple algérien sur leurs intentions. Leur fuligineuse antienne, devenue incantatoire, est de briser l’État algérien pour aller sûrement vers la dislocation du pays. Est-ce que l’extrême majorité des Algériens, et notamment ceux qui pour différentes raisons ne votent pas, et il faudrait y voir un effet du long règne autoritaire des frères Bouteflika plus qu’un désaveu du pouvoir d’État, approuveraient ce projet ? Quel Algérien se prévaudrait d’une tabula rasa, du démembrement de la terre sacrée d’Algérie et du démantèlement de ses institutions ? Il n’est ni indifférent ni inintéressant de savoir qui est à la manœuvre dans cette entreprise funeste de nettoyage du pays : de grands bourgeois à fort revenu bien installés dans la capitale, souvent rétribués sur les fonds régaliens de l’État,6 qui se soucient comme d’une guigne des marcheurs des cités populaires dont ils exploitent le malheur, des islamistes de Londres et Genève, bazaris discrédités, sans attache réelle avec le pays, des séparatistes kabyles emmenés par un chansonnier de cabaret sauvage, qui reçoivent — contre toute attente — le soutien de communistes, héritiers de l’ancien PAGS, et des trotskistes du PST, représentants du peuple ouvrier arborant autrefois comme signe de ralliement une paire d’espadrilles (« sbidri ») éculée, tout feu, toute flamme contre l’État national algérien. Voilà les ennemis de l’Algérie, de l’État algérien et de M. Tebboune. Comment imaginer un « Bousbidri » en affaire politique avec un islamiste, un makiste et un bourgeois prédateur des beaux quartiers d’Alger — et, inversement ? Cette conspiration de cloportes, cette association bancale de groupes politiques sans ressort dans la société, de séparatistes hargneux et de terroristes sanguinaires dont la mesure commune est la chute de l’État légal, leurs fourvoiements violents et vertigineux n’ont aucun avenir en termes politiques et électoraux.
L’Algérie est une jeune nation, sortie de l’emprise d’un colonialisme français génocidaire qui a exterminé, entre 1830 et 1962, un quart de sa population. Ce pays d’infinie souffrance mérite d’exister. Aujourd’hui, le plus urgent engagement qui vaille est d’en défendre l’intégrité territoriale et la pérennité de ses institutions. L’unité de la Nation algérienne, désormais menacée et fragilisée par les soutiers de plans étrangers mortifères, est à ce prix. Maintenant, au-delà de la feuille de route de M. Tebboune, l’urgence pour le gouvernement et le parlement, et peu importe leurs soubassements partisans et idéologiques, est de penser des lois renforçant le cadre politique et institutionnel légal pour protéger contre toute hypothèse insurrectionnelle la Nation algérienne et l’inscrire dans la durée. Que vive l’Algérie !
Notes
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- [1] « Le Quotidien indépendant », 18 juin 2021.[↩]
- [2] « Bouteflika, une imposture algérienne », Alger-Paris, Le Matin Éditions-Jean Picollec, 2004.[↩]
- [3] Je renvoie sur cet aspect aux publications strictement documentées d’Ahmed Bensaada, notamment « Qui sont ces ténors autoproclamés du hirak ? », Alger, Apic, 2020, et aux articles sur ce thème publiés sur son site web : http://ahmedbensaada.com/[↩]
- [4] Le président de la République est dans son rôle de défendre l’Algérie et de porter la voix de l’Algérie dans tous les médias du monde qui le sollicitent, quelles qu’en soient les lignes éditoriales. Son récent entretien avec « Le Point », porte-parole de la droite française, historiquement fermé à l’Algérie et proche du Makhzen, est en termes de politique algéro-algérienne un contresens. Comment les conseillers du président chargés de la presse ont-ils accepté qu’il soit interrogé par deux ex-Algériens devenus Français, l’un par le mariage avec une Française (Adlène Meddi), l’autre par choix personnel (Kamel Daoud) ? Si Meddi évite tout prosélytisme, Kamel Daoud se présente comme le « Français du futur » et invite les Algériens à le rejoindre dans ce choix. Alors qu’il n’y a pas de législation algérienne autorisant la double nationalité entre l’Algérie et la France, l’accueil à la présidence de la République de journalistes néo-français peut être perçu comme une caution à la course vers la binationalité franco-algérienne. Déception et regrets.[↩]
- [5] On en a une représentation fidèle et juste dans l’expression des attentes de la jeunesse dorée d’Alger et d’Oran dans le documentaire de Mustapha Kessous « Algérie, mon amour » (France 5, 26 mai 2020). Mais cette projection libérée des mœurs est visible dans les grandes cités du pays et dans les couches sociales supérieures.[↩]
- [6] Ainsi, Mme Assoul, cheffe de parti, pressentie dans un triumvir dirigeant une transition politique en Algérie, une des doléances du néo-hirak, a été accusée publiquement par un sénateur constantinois de percevoir une mirobolante retraite à vie pour une mission parlementaire dans les années 1990. Elle n’y a pas réagi.[↩]