18/05/2024 (2024-05-18)
[Source : eurosiberia.net via dedefensa.org]
Par Constantin von Hoffmeister
Nous savons aujourd’hui que le monde anglo-saxon de l’américanisme est déterminé à anéantir l’Europe, c’est-à-dire la patrie et l’origine de l’Occident. L’originel est indestructible.
– Martin Heidegger (1942)
Contrairement à l’Europe, qui est entrée dans la modernité après une riche histoire prémoderne, l’Amérique est née directement dans la modernité, incarnant une société purement conceptuelle basée sur l’individualisme. Ce fondement individualiste a donné naissance à une culture hautement libérale, où l’individu erre comme un Dasein («être-là» ou «réalité humaine»)1 isolé. L’anthropologie et les sciences sociales modernes, qui assimilent l’« Humanité » à l’individu, sont restées fixées sur ce concept. La fixation de l’Amérique sur l’individu a conduit à un mode d’existence superficiel, dépourvu de la profondeur de l’être historique qui caractérise les sociétés européennes.
S’inspirant de la philosophie de l’histoire de Hegel, l’Amérique n’a pas suivi le développement dialectique de la conscience historique qui insuffle à la modernité européenne le sens du Geist (esprit) et de la Geschichtlichkeit (historicité). L’absence d’expériences prémodernes — telles que l’empire, la théocratie ou le féodalisme — signifie que l’Amérique ne possède pas la perception profonde de l’Histoire qui alimente une identité plus riche et plus authentique. Au lieu de cela, l’Amérique opère dans un état de Seinsvergessenheit (oubli de l’être), prise dans la superficialité du monde moderne. Cette situation contraste fortement avec celle de l’Amérique latine qui, en tant qu’extension périphérique de l’Europe, a hérité d’éléments prémodernes et les a intégrés dans son identité, tels que les coutumes et les structures sociales médiévales espagnoles et portugaises. Ainsi, la recherche d’une identité plus authentique dans la société américaine reste complexe et difficile, entravée par les circonstances historiques et l’individualisme omniprésent.
Cependant, certains affirment que l’Amérique est une greffe européenne et que le passé de l’Europe est aussi le passé des Américains d’origine européenne. Dans cette optique, l’Amérique est une république européenne érigée par des Européens sur le sol du Nouveau Monde, imprégnée de traditions, de politiques et donc d’histoire européennes. Cette perspective suggère que l’identité américaine est inextricablement liée à la trajectoire historique européenne et que la composition culturelle et philosophique de l’Europe fait partie intégrante de la compréhension de l’être américain. Bien que l’Amérique n’ait pas sa propre histoire prémoderne, elle perpétue l’héritage dialectique de l’Europe, incarnant la modernité européenne dans un nouveau contexte. Ce lien implique que les racines de l’identité américaine, bien que transplantées, restent liées à l’histoire riche et complexe de l’Europe, offrant une voie différente pour découvrir l’essence réelle du Dasein américain, qui n’est qu’une autre variante du Dasein européen.
Considérons le paradoxe de notre époque : L’Amérique, issue de l’Europe, est devenue à la fois son héritière et son adversaire. Elle manie les instruments de la propagande comme le divertissement et de la prédation comme le capitalisme, semblant vouloir rompre ses liens primordiaux avec l’Ancien Monde. Pourtant, l’essence de la civilisation occidentale, imprégnée de la pensée et de l’esprit européens, reste inébranlable. Le cœur de l’être américain est imprégné de l’héritage européen — un marqueur d’identité qui perdure. Ainsi, l’anéantisseur potentiel est aussi le porteur de continuité, car la naissance de l’Occident est un événement métaphysique et, en tant que tel, insensible à la dissolution.
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