Le Tétralogue — Roman — Chapitre 44

11/03/2023 (2023-03-04)

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Par Joseph Stroberg

44 — Grosse surprise

Lorsque les quatre aventuriers débouchèrent enfin de la jungle, le spectacle qui s’offrit à leurs yeux leur causa un choc. S’ils avaient envisagé l’éventualité de squelettes éparpillés ici et là, de vieux tas d’os depuis longtemps rongés, ce qu’ils virent n’y correspondit que dans une faible mesure. S’il existait bien quelques squelettes déjà visibles à l’entrée de la vaste zone labyrinthique, il y avait depuis probablement peu de temps également des tas de cadavres, presque alignés sur chacun des chemins possibles. L’odeur caractéristique était encore faible, indice d’un trépas assez récent, de tout au plus quelques jours. La plupart étaient transpercés d’un dard métallique, d’autres avaient la tête tranchée, et d’autres encore portaient de récentes traces d’autres blessures mortelles, généralement accompagnés de mares brunâtres de sang séché. La mort semblait chaque fois avoir été rapide, voire instantanée. Aucune trace de lutte ! Elle les avait cueillis brutalement, sans le moindre égard, quel que fût l’âge de ces intrépides inconscients ou de ces valeureux explorateurs. Diverses armes, de toutes sortes, se trouvaient pêle-mêle à côté d’eux, parfois encore serrées dans la main, d’autres fois également brisées. Tout ce qui avait pu être conçu par les forgerons locaux se trouvait là, de même que les cadavres étaient tous véliens. Aucun étranger à la planète ne s’était apparemment aventuré en ces lieux.

Après un bref temps d’arrêt, les quatre compagnons décidèrent de suivre l’une des pistes jonchées de cadavres pour s’aventurer vers le cœur du labyrinthe, le moine en tête avec son sabre prêt à intercepter d’éventuels projectiles et autres dangers. Cependant, à leur surprise, rien ne se passa, aucune flèche ne tenta de transpercer l’un d’eux, aucune lame ne se manifesta pour les couper en rondelles ou pour les écraser sous un énorme poids. Rien ! Ils en conclurent que les récents morts avaient simplement saturé les défenses du lieu, avaient fini par les épuiser, par les désactiver toutes. Pourquoi ? Et comment se faisait-il que ces suicidaires ou ces martyres sacrifiés se soient trouvés ici en si grand nombre tout récemment ? Aucun des quatre n’avait de réponse.

En suivant le parcours qui présentait la plus grande densité de cadavres, ils étaient amenés à de fréquents changements de direction parmi les ruines, à escalader des murs partiellement détruits, à se baisser sous des arches plus ou moins effondrées, à se faufiler tout juste dans quelques passages étroits, à faire parfois demi-tour devant une voie finalement sans issue… Pour éviter de repasser inutilement sur les chemins déjà explorés sans succès, c’est-à-dire sans trace du mausolée du Saint-Homme, ils tournaient face contre terre tous les cadavres qui se trouvaient proches des intersections, ceci sur la zone qu’ils étaient sur le point de quitter en vue d’explorer une autre branche. Après une heure d’exploration, et selon la perception que pouvait en avoir le chasseur, ils n’avaient découvert qu’une petite fraction de la surface labyrinthique et celui-ci n’avait pour l’instant pas repéré quelque chose qui puisse ressembler à un tombeau ou à un monument funéraire de forme connue. Et sur Veguil, à l’image des maisons bâties presque toutes sur le même modèle, il n’existait pas des dizaines de sortes de tombeaux. En fait, il n’existait que trois formes fondamentales, reproduites néanmoins en diverses tailles. L’une d’elles se présentait en une croix dont l’une des branches était plus grande, à l’image du corps d’un Vélien décédé dont les bras seraient écartés de part et d’autre de l’axe jambes-tête, de manière perpendiculaire à ce dernier. Une autre était une étoile à cinq branches étroites, à l’image de ce même corps se présentant cette fois avec les jambes écartées. Et la dernière était simplement un ovale, à l’image d’un œuf vélien. Celle-ci était réservée pour les morts d’enfants, la croix l’était pour la plupart des adultes, et l’étoile était réservée aux saints et aux maîtres dans leur corps de métier. Cependant, Reevirn n’avait pu jusqu’à maintenant repérer aucune de ces formes à l’aide de sa vision intérieure. Il n’avait pas non plus aperçu d’édifices particuliers encore relativement intacts, mais seulement des ruines, et encore des ruines.

Au cours des heures suivantes, entrecoupées par une halte ravitaillement, le quatuor parcourut un bon tiers du labyrinthe, mais toujours sans succès. Les cadavres continuaient à encombrer les chemins. Ils en avaient déjà retourné plusieurs centaines et laissé probablement quelques milliers d’autres dans leur ultime position au moment de la mort. Partout autour d’eux se présentait le même spectacle dont les squelettes faisaient figure d’accessoires mineurs et les végétaux de timides apparitions en certains croisements, ou plus rarement grimpants sur quelques murets, alors frêles lianes qui parvenaient à survivre en puisant les nutriments depuis un sol nourri préalablement par les anciens cadavres en décomposition. À quelques intersections bizarrement plus humides, la verdure pouvait se montrer légèrement plus dense, le plus souvent sous forme herbacée, parfois d’arbrisseaux malingres, mais le groupe n’avait pour l’instant pas repéré un seul arbre ni de source d’eau visible. Une différence se dessinait cependant progressivement par rapport à l’entrée du labyrinthe : les morts paraissaient plus récentes, datant sans doute de seulement quelques heures.

Une demi-journée plus tard, les quatre compagnons avaient couvert environ les trois quarts de la zone pierreuse sans constater de changements significatifs, à l’exception du sang qui paraissait plus frais, pas aussi sec et brun qu’auparavant. Cependant, le chasseur venait depuis peu d’apercevoir intérieurement le tombeau particulier recherché, une petite construction en forme d’étoile à cinq branches, presque à l’opposé de l’entrée depuis la jungle. Au-delà du labyrinthe, il voyait maintenant une zone de nouveau couverte de verdure, plutôt dispersée, une sorte d’intermédiaire entre steppe et savane. En se centrant sur l’image du mausolée, Reevirn parvint à déceler le chemin le plus rapide pour le rejoindre depuis leur emplacement actuel. Ils pouvaient dorénavant forcer l’allure.

Alors qu’ils se trouvaient tout proches du tombeau ciblé, observant maintenant le sang fraîchement écoulé des cadavres, les quatre compagnons virent soudain apparaître un Vélien vivant, comme surgi de nulle part, à seulement quelques dizaines de pas en face d’eux, obstruant partiellement l’entrée de l’édifice. Tulvarn reconnut alors l’espèce de mage ou de sorcier guerrier qu’il avait déjà combattu !

(Suite : Le Tétralogue — Roman — Chapitre 45)

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