Le Masque et le Miroir

22/09/2024 (2024-09-22)

Par Amal DJEBBAR

L’Hypocrisie et l’Honnêteté se rencontrent au bord d’un lac silencieux, sous un ciel crépusculaire.
L’air est lourd.

Hypocrisie : (souriant doucement) Ah, Honnêteté, toujours aussi droite et rigide. Tu as ce talent unique de mettre les gens mal à l’aise, tu sais ? Ton besoin d’être franche en toutes circonstances, c’est presque… irritant.

Honnêteté : (impassible) Irritant pour toi, peut-être, mais nécessaire. Sans moi, les gens ne sauraient jamais où ils en sont, ni qui ils sont réellement.

Hypocrisie : (en haussant les épaules) Est-ce vraiment important ? Les gens aiment ce que je leur offre. Un petit mensonge ici, un compromis là-bas, et soudain tout devient plus facile. Pourquoi leur imposer la dure réalité quand ils peuvent vivre dans une douce illusion ?

Honnêteté : (ferme) Parce que cette illusion ne dure jamais. Elle finit par s’effondrer sous son propre poids. Ce que tu proposes n’est qu’un répit temporaire, un trompe-l’œil qui, tôt ou tard, mène à la déception.

Hypocrisie : (ricanant) Tu me sous-estimes. J’ai survécu des siècles, à la cour des rois, dans les chambres des politiciens, et même à la table des familles. J’offre aux gens ce qu’ils veulent entendre. Toi, tu ne leur offres que ce qu’ils refusent de voir. Regarde autour de toi, qui de nous est la plus aimée ?

Honnêteté : (calme) Tu confonds être aimé et être nécessaire. Ils peuvent te préférer en surface, mais lorsqu’ils sont seuls face à eux-mêmes, c’est à moi qu’ils se tournent. Ils cherchent la vérité pour se libérer de tes chaînes. Ce que tu appelles facilité n’est qu’une prison déguisée.

Hypocrisie : (sourire en coin) La vérité est souvent trop douloureuse. Tu le sais aussi bien que moi. Que fais-tu quand tu détruis des vies en révélant tout ? Moi, je leur permets de continuer à vivre sans cette douleur. Il y a une sorte de grâce dans l’illusion.

Honnêteté : (réfléchissant) La douleur est le prix de la liberté. Ceux qui choisissent de l’affronter grandissent, se renforcent. Avec toi, ils stagnent, prisonniers d’une mascarade qui les épuise à long terme. Tu les empêches de devenir meilleurs.

Hypocrisie : (malicieuse) Peut-être… mais je les rends heureux, du moins pour un temps. Et qu’est-ce que la vie, sinon une succession de moments ? Les miens sont doux et pleins de réconfort. Les tiens, abrupts et souvent cruels.

Honnêteté : (regardant le lac) La cruauté ne vient pas de moi, mais de la réalité que je dévoile. Je ne la crée pas, je l’expose. Ceux qui affrontent la vérité finissent par trouver une paix plus durable que tes sourires vides.

Hypocrisie : (en se rapprochant) Alors, pourquoi ne puis-je jamais être éliminée ? Pourquoi suis-je toujours présente, à chaque époque, à chaque instant ? Peut-être parce qu’au fond, les gens ont besoin de moi autant qu’ils te désirent.

Honnêteté : (avec une légère tristesse) Peut-être. Mais ils ne doivent jamais oublier que sans vérité, leur bonheur reste fragile. Tu ne fais que leur vendre du temps emprunté. Moi, je leur offre quelque chose de plus, même si cela leur coûte.

Hypocrisie : (riant doucement) Ah, cher Honnêteté, nous sommes condamnés à nous croiser éternellement. Je continuerai à donner des rêves, et toi… tu viendras les réveiller.

Honnêteté : (froidement) Et c’est dans cet éveil que réside leur salut. Souviens-toi de cela.

Hypocrisie : (renforçant son sourire) Voyons, regarde autour de toi. Ce siècle, cette époque, tout ce que les gens font et disent. Ils n’ont jamais autant adoré l’illusion qu’aujourd’hui. Les réseaux sociaux, les apparences, les filtres… Tout est soigneusement calibré pour que chacun se sente bien dans ses mensonges. Ce n’est pas moi qui les force à se voiler la face, ce sont eux qui me réclament à corps perdu.

Honnêteté : (inflexible) Ce n’est qu’un masque temporaire. Ils finiront par comprendre que la vérité est indispensable, même si elle est difficile à accepter. Personne ne peut échapper à la réalité éternellement.

Hypocrisie : (doucement) Ah, mais ils n’ont jamais eu autant de moyens pour fuir ! Tu parles comme si les gens cherchaient encore la vérité… mais regarde ! Ils s’entourent de distractions constantes : divertissements, mensonges partagés, likes et faux sourires. Pourquoi se tourneraient-ils vers toi quand je leur offre tout ce qu’ils désirent ? C’est bien plus agréable de me suivre. Pourquoi affronter la réalité quand on peut simplement la contourner ?

Honnêteté : (plus calme) La vérité finit toujours par les rattraper. Les illusions, aussi séduisantes soient-elles, ne durent pas éternellement. Elles s’effritent, et lorsqu’elles s’écroulent, les gens sont laissés face à une douleur encore plus grande.

Hypocrisie : (faisant mine de réfléchir) Oui, peut-être, mais combien sont prêts à le reconnaître ? Combien sont réellement prêts à se confronter à cette douleur ? Dis-moi… ne vois-tu pas que même les plus fervents défenseurs de la vérité plient sous le poids de leurs propres contradictions ? Regarde-les, ces penseurs, ces intellectuels… Ils prônent la transparence, mais dans l’ombre, ils se couvrent de mes voiles. Ils m’utilisent, parce qu’au fond, personne ne veut vraiment tout voir, tout savoir.

Honnêteté : (réfléchissant) Ce sont des faiblesses humaines. Mais je crois toujours que certains cherchent quelque chose de plus profond, quelque chose qui va au-delà de tes illusions.

Hypocrisie : (souriant plus largement) Peut-être… mais ces quelques individus ne changeront pas le monde. La masse ne cherche pas l’éveil. Elle cherche le confort, la tranquillité. Qui veut se remettre en question constamment ? Qui veut souffrir en se regardant dans le miroir sans fard ? Ils préfèrent un reflet embelli, une douce fiction plutôt qu’une dure vérité. C’est là que j’interviens, et c’est pourquoi je triomphe.

Honnêteté : (abasourdie) Mais… ils ne peuvent évoluer sans affronter la vérité !

Hypocrisie : (en haussant les épaules) Évoluer ? Mais qui te dit qu’ils veulent évoluer ? Ils veulent survivre. Trouver un sens dans un monde devenu trop complexe, trop oppressant. La vérité ne leur offre que plus d’angoisses. Moi, je leur donne une sortie de secours. Un doux sommeil où ils n’ont pas à penser aux décombres de leurs propres échecs.

Honnêteté : (se sentant dépassée) Tu ne fais que les maintenir dans une stagnation, une paralysie.

Hypocrisie : (avançant doucement) Et cette paralysie, cette torpeur… elle est si séduisante. Regarde-les, accrochés à leurs écrans, à leurs fausses certitudes. Ils préfèrent ne jamais se réveiller, car le rêve est tellement plus confortable. Et moi, je suis la gardienne de ce rêve. Sans moi, ils sombreraient dans une panique que tu ne saurais jamais apaiser. Alors, Honnêteté… dis-moi encore, qui de nous deux est vraiment le plus nécessaire ?

Honnêteté : (observant le lac) Tu as peut-être raison… Ce siècle ne semble pas prêt à accepter la vérité. Peut-être même que je suis devenu un fardeau.

Hypocrisie : (avec un sourire triomphal) Voilà… Tu le sens, n’est-ce pas ? Ils ne te veulent plus, pas maintenant. La vérité est trop brutale pour cette époque. Ce qu’ils cherchent, c’est une manière de continuer sans jamais se regarder en face. Et moi, je leur donne exactement cela.

Honnêteté : (soupirant) Peut-être que mon rôle n’a plus sa place ici. Peut-être que je dois reculer… pour un temps.

Hypocrisie : (doucement) Exactement. Laisse-les se reposer, se perdre un peu plus dans mes bras. Et quand ils seront prêts, vraiment prêts… tu reviendras. Mais pour l’instant, c’est moi qu’ils choisissent.

Honnêteté : (douloureusement) Je ne peux que m’incliner.

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