Le Tétralogue — Roman — Chapitre 41

01/03/2023 (2023-02-26)

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Le Tétralogue — Roman — Chapitre 40]

Par Joseph Stroberg

​41 — Vers le labyrinthe

Le long trajet vers le labyrinthe de Trinestarn leur fit dans un premier temps traverser de nouveau une vaste région semi-désertique où les seules sources d’eau étaient de rares plantes épineuses de taille moyenne. Celles-ci étaient le plus souvent constituées d’un tronc orangé en forme de demi-boule allongée dans le sens vertical, mais évasée à la base et terminée en longue pointe au sommet. Leur hauteur dépassait généralement deux fois celle d’un Vélien et leur plus grande largeur en dehors de la base représentait approximativement le quart de leur taille. Sur le tronc se trouvaient d’épaisses… tiges ? Feuilles ? Excroissances de formes similaires et garnies d’épines, mais cette fois de couleur verte. Une fois débarrassées de ces épines venimeuses à coup de dague ou de sabre, ces étranges tiges une fois tranchées révélaient une chair rosée et juteuse de saveur légèrement douce et acidulée, avec un parfum qui ne ressemblait à rien de connu pour les quatre aventuriers. Cela se révéla non toxique et leur fournissait suffisamment d’eau malgré la chaleur torride, en attendant une prochaine plante similaire. Par contre, ce n’était ni suffisant ni approprié pour se laver et ils puaient de plus en plus alors que leur cuir se mettait maintenant à attirer diverses sortes d’insectes avides de se nourrir des sucs accumulés libérés par la transpiration.

Concentré sur la nouvelle cible supposément cachée quelque part dans le labyrinthe, le chasseur n’avait pas le temps de ruminer sa culpabilité. L’intensité de cette dernière avait néanmoins diminué grâce à la présence et au soutien de ses trois compagnons qui progressivement s’étaient transformés en de véritables amis, tous différents, mais quelque part si complémentaires dans cette quête à la foi insensée et stimulante. Les différentes épreuves, parfois mortelles, les avaient rapprochés dans un esprit altruiste et généreux qui pouvait aller jusqu’au sacrifice personnel si cela permettait de sauver les autres du danger. Si lui-même s’en était profondément voulu d’avoir au contraire d’une certaine manière sacrifié ses deux anciens acolytes chasseurs lors de cette triste journée qui hantait encore son esprit et s’il ne s’en était pas encore guéri, en ce moment même, il n’y pensait pas, trop absorbé par sa tâche. Maintenir sa focalisation sur la cible, sur leur but, était primordial pour éviter de s’égarer dans d’interminables détours.

Étrangement, la cible commençait à lui apparaître de manière visuelle sur son écran mental, en plus de la sensation classique pour lui de sa direction et de sa distance approximative. Maintenant, il s’y ajoutait une forme floue, encore indistincte qui semblait correspondre à un endroit en ruines ou au moins jonché de blocs rocheux de nuances ocre et beiges, parfois grisâtres ou même plus sombres. Il ne paraissait pas y avoir la moindre verdure. Reevirn n’avait pas prêté attention à la naissance de cette subtile apparition dans son esprit alors qu’il maintenait son attention sur son objectif lointain. Pour tout dire, il aurait été bien incapable de préciser le moment exact de l’apparition de ce… trouble visuel intérieur, s’il pouvait le considérait comme tel. Il le constatait seulement depuis peu, alors que son intensité l’avait rendu trop manifeste désormais pour passer inaperçu. C’était comme s’il distinguait vaguement un paysage lointain au travers d’une vague tache floue de taille encore très modeste. Cependant, plus le temps passait, et plus celle-ci semblait s’éclaircir tout en s’agrandissant progressivement et insensiblement, rendant du même coup un peu plus discernable l’image perçue par son biais. À chaque nouvelle attention plus précise portée à sa cible, lorsqu’il n’examinait pas les environs immédiats pour voir notamment où il mettait les pieds, la perception gagnait de l’ampleur et perdait un peu plus son caractère vague et nébuleux.

Alors qu’ils se trouvaient maintenant à la lisière d’une région légèrement plus humide qui commençait à se couvrir d’une végétation plus dense, avec de larges zones herbeuses et un nombre croissant de buissons d’épineux porteurs de petits fruits, l’image intérieure précisait de plus en plus son contour circulaire et le paysage confirmait chaque fois davantage être un genre de champ de ruines. Le chasseur ignorait à quoi il devait cela. Il ne faisait que constater le résultat : une plus grande facilité à repérer et suivre sa cible. Au stade actuel, il ne pouvait encore spécifier l’endroit exact du paysage lointain où était censé se trouver le mausolée du Saint-Homme, mais il discernait de mieux en mieux ses environs probables.

Les trois autres aventuriers se contentaient de suivre et de surveiller les environs pour éviter d’éventuelles nouvelles mauvaises surprises. Ils marchaient vaguement en ligne à quelques pas de leur « traqueur », tel ils commençaient à le surnommer à cause de sa méthode particulière de repérer et de suivre ses cibles. Gnomil se tenait sur la gauche, Tulvarn sur la droite, et Jiliern ainsi protégée entre les deux. Personne ne regardait derrière, mais le moine avait maintenant stabilisé sa perception spéciale qui lui permettait de sentir le danger et d’accomplir spontanément le bon geste pour y faire face avec son sabre, même les yeux fermés ou plutôt surtout avec les yeux fermés, car la vision ordinaire pouvait alors au contraire le perturber et le rendre moins efficace.

Ainsi disposés, les quatre aventuriers poursuivaient leur progression en direction du Labyrinthe alors que la végétation se faisait plus dense et qu’ils se rapprochaient de la jungle du continent, la plus épaisse de la planète. Des arbres commençaient à faire leur apparition dans le paysage tandis que les plantes se manifestaient conjointement en variété et nombre croissants. Certaines d’entre elles étaient communes à leur continent d’origine, mais plus de la moitié leur étaient inconnues, et notamment des sortes de champignons géants qui atteignaient jusqu’à cinq fois leur hauteur et procuraient une ombre salvatrice face à un soleil toujours aussi étouffant que dans le désert laissé derrière eux. La différence était une humidité croissante produite par un réseau de plus en plus dense de rivières en provenance de la gigantesque chaîne centrale et dont certaines abreuvaient des lacs ou bien de vastes zones marécageuses selon les endroits. Ces parasols naturels présentaient une surface d’aspect soyeux, presque duveteux, comme si celle-ci était couverte de minuscules poils serrés les uns contre les autres. De couleur pastel, dans les tons généralement orangés, ocre ou rougeâtres selon les spécimens, elle était souple et la main d’un Vélien parvenait à y inscrire momentanément son empreinte. Par contre, il valait mieux à ce dernier de s’abstenir d’un tel geste, car autrement sa main se voyait progressivement changer elle-même de couleur, passant du bleu originel à un vert de mauvais augure. Son cuir devenait alors brûlant sous l’effet d’un violent acide qui commençait à l’attaquer pour le rendre aussi peu utile qu’un courant d’air. Gnomil en fit l’amère expérience avant d’être rapidement soigné par Jiliern à l’aide de trois cristaux successifs, dont celui qui accélérait la cicatrisation. Le malheureux épisode les retarda de quelques heures, presque un quartier entier.

Quand ils rejoignirent enfin une rivière au milieu d’un paysage qui ressemblait de plus en plus à une forêt, ils s’y plongèrent immédiatement, sans même prendre le temps d’évaluer les dangers qu’elle pouvait contenir sous la forme d’animaux marins ou encore de courants trop violents. Ils avaient trop hâte de se laver de leur couche de crasse et de puanteur, tellement qu’ils pénétrèrent dans l’eau sans se dévêtir, sachant que de toute manière leurs vêtements aussi en bénéficieraient. Seuls les bagages étaient restés sur la berge, au risque de se faire écraser par quelques gros animaux tels que les ruminants qu’ils voyaient sur le bord opposé de la rivière, en train de s’y abreuver. Sur ce bord-ci, ils n’avaient toutefois pour l’instant croisé que de petits rongeurs, des serpents et des sortes d’oiseaux marcheurs incapables de voler, mais rien qui a priori leur semblait pouvoir mettre à mal leurs maigres sacs. C’était pourtant sans compter sur la ruse de certains d’entre eux qui profitèrent de l’absence prolongée des quatre Véliens pour se glisser à l’intérieur et s’y régaler des baies recueillies récemment. Ces derniers en seraient quittes pour faire de nouvelles provisions alimentaires, mais cette fois, l’endroit s’y prêtait bien, étant donné l’abondance d’arbres en tous genres, dont des variétés qui fournissaient des fruits comestibles bien identifiés.

Leur toilette se prolongea finalement pendant un quartier entier et rester dans l’eau aussi longtemps leur était d’autant plus facile que sa température était tiède en ce presque milieu d’été sur le continent le plus tropical de la planète. Ils se prélassaient ainsi dans l’eau relativement calme de cette rivière qui serpentait sur une vaste plaine. Et comme apparemment elle ne contenait ici pas d’animaux dangereux, ils vivaient un moment magique, enchanteur, qui leur faisait oublier facilement les nombreux déboires rencontrés, les blessures presque mortelles, les peurs et les pleurs des uns et des autres, les doutes et les difficultés qui avaient failli les faire renoncer. Au contact des eaux presque transparentes et à peine troublées par les remous de quelques poissons et de leurs propres gestes, ils se rechargeaient en énergie, en courage et en détermination, bientôt prêts pour affronter les derniers défis, ceux proposés en particulier par ce labyrinthe à la sinistre réputation.

Avant de s’éloigner de ce lieu paradisiaque, ils refirent provision d’eau dans deux outres improvisées (à partir notamment de larges feuilles imperméables et flexibles prélevées sur un arbre proche), et surtout de fruits divers dont ils chargèrent leurs deux sacs restants en dehors de celui qui contenait les cristaux et quelques menues bricoles potentiellement utiles. Heureusement, ils disposaient aussi toujours de l’arc et de quelques flèches, de la dague et du sabre si d’aventure ils devaient de nouveau faire face à des prédateurs, voire à des hordes d’assaillants véliens. Cependant, même regonflés moralement à bloc par ce séjour aquatique, ils devraient désormais marcher plus lentement pour ménager Jiliern qui se trouvait maintenant proche de la ponte de ses quatre œufs. Pour la préserver, les trois mâles décidèrent de marcher dorénavant en triangle autour d’elle, le chasseur en pointe, le moine guerrier en retrait sur la droite, et le voleur de même sur la gauche, puis ils levèrent le camp.

(Suite : Le Tétralogue — Roman — Chapitre 42)

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