​Le Tétralogue — Roman — Chapitre 33

02/02/2023 (2023-02-02)

[Voir :
Le Tétralogue — Roman — Prologue & Chapitre 1
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 2
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 3
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 4
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 5
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 6
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 7
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 8
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 9
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 10
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 11
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 12
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 13
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 14
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 15
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 16
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 17
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 18
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 19
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 20
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 21
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 22
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 23
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 24
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 25
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 26
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 27
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 28
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 29
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 30
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 31
​Le Tétralogue — Roman — Chapitre 32]

Par Joseph Stroberg

​33 — Atterrissage

Tulvarn se sentit soudainement tiré en arrière par une force irrésistible et bascula comme s’il tombait dans le vide d’une hauteur vertigineuse et incommensurable. Il ressentit une sorte de violent choc électrique qu’il aurait pu comparer à la foudre, puis se réveilla dans son corps de chair et de sang. Il n’était plus fatigué, mais étrangement abasourdi, comme s’il venait de se réveiller après un long coma et avait du mal à retrouver ses repères. Si une partie de lui-même venait de se remémorer brièvement le rêve spécial qui l’avait poussé à se lancer dans sa folle quête, il ne disposait pas d’une présence d’esprit suffisante pour réaliser la forte similitude de ce dernier avec ce qu’il venait de vivre. Il se contenta de se lever lentement, à moitié hagard, comme s’il avait mangé un bon repas un peu trop arrosé, puis il regarda vaguement autour de lui. Son ami Reevirn était allongé sur le sol à quelques pas sur sa gauche et par chance, aucun autre animal n’était venu le déranger et encore moins le manger.

Plusieurs charognards de diverses espèces se trouvaient déjà occupés à grignoter plus ou moins avidement les divers cadavres. Cependant, assez bizarrement, aucun d’entre eux ne s’était attaqué au buldorg, ce qui permettrait aux Véliens de se ravitailler également. Pourtant, cette viande devait leur être commune, puisque notamment tout un troupeau s’était trouvé à boire dans l’oasis. Est-ce que l’odeur vélienne s’y trouvait plus concentrée, peut-être du fait de la flèche ? Le moine n’aurait sans doute jamais de réponse à cette question que ne faisait que timidement effleurer son esprit encore vaseux. Il n’avait même pas la capacité d’estimer son présent degré de chance. Sa faible attention était seulement dirigée vers le chasseur, ou plus exactement sur la nécessité de récupérer un morceau de viande convenable pour l’en nourrir.

Tulvarn s’approcha distraitement du cadavre indemne du buldorg, puis en découpa délicatement un bon filet depuis le flanc libre de l’animal après en avoir ôté le cuir poilu. Il se dirigea ensuite vers le chasseur toujours dans les vapes et le réveilla de quelques tapes sur les joues avant de lui montrer le morceau de viande. Son ami s’assit lentement, aidé en cela par le moine, puis entama un long repas qui lui redonnerait quelques forces et un peu d’eau, extraite de la viande suite au processus de digestion. Pendant ce temps. Tulvarn découpa deux autres bons morceaux et les glissa dans le sac vide qu’il avait apporté pour les donner ensuite à Jiliern et à Gnomil. Il avertit brièvement Reevirn qu’il leur fallait sans tarder retrouver ces derniers, mais celui-ci lui fit signe de le laisser ici : il garderait le reste de la viande en éloignant au besoin les amateurs à l’aide de son arc, mais ne pensait pas avoir affaire à d’autres prédateurs avant longtemps, vu le massacre accompli par le moine. Ce dernier ne chercha pas à s’épuiser dans une argumentation qui ne ferait très probablement pas changer son ami d’avis, ceci d’autant moins qu’il n’aurait toujours pas eu d’acuité d’esprit suffisante pour la mener à bien. Il se contenta donc de s’éloigner au petit trot pour aller rejoindre la cristallière et le voleur.

Chemin faisant, le moine retrouvait lentement ses esprits, alors que sa course à faible allure le conduisait de l’autre côté du relief. Matronix était sur le point de disparaître sous l’horizon et Dévonia se trouvait au tiers de la distance au zénith. Tulvarn recommençait à prendre conscience de l’environnement autrement que par une vision qui avait semblé se dérouler au travers de brumes spéciales, productrices d’un engourdissement de la vigilance. Il ressentait de nouveau l’odeur des rares plantes environnantes et la caresse du vent très léger qui soufflait timidement dans la région. Le ciel était totalement dégagé et d’une couleur bleue intense qui frôlait parfois l’indigo. Dans le même temps, il recommençait à penser, à laisser son esprit revoir et revivre les événements depuis leur arrivée sur ce continent, au risque une fois de plus de trébucher et de se retrouver face contre terre. Devant cette perspective, il se ressaisit et s’efforça de rediriger son attention vers le paysage environnant alors qu’il poursuivait sa course.

L’endroit où il avait laissé Jiliern et Gnomil ne devait plus être très loin maintenant, mais quelque chose n’allait pas… Il ne reconnaissait pas les lieux et ne voyait aucune trace de leur présence qui pourtant aurait dû être nettement perceptible sur ce terrain presque uniformément plat. Ressentant un bref instant de légère panique, il stoppa net sa progression et s’efforça de repasser dans sa mémoire tout le chemin parcouru depuis qu’il les avait quittés… Celui-ci n’avait pourtant pas eu l’air si chaotique, mais semblait avoir consisté essentiellement en une succession de quelques trajets rectilignes, à peine déviés lorsque notamment il avait franchi la colline légèrement pentue menant à l’oasis. Et ses deux amis n’auraient pourtant pas dû se trouver bien loin. Or, il n’en percevait pas la moindre trace, pas davantage que celle des sacs restants ! Cette aventure était décidément trop étrange. Quelque chose n’allait pas. S’était-il trompé de chemin lors du retour depuis l’oasis ?

Passer une seconde fois en revue le trajet ne lui permit pas davantage de découvrir l’endroit où il aurait pu se tromper. En désespoir de cause, il se mit à hurler leur nom de toutes ses forces, au cas où ils seraient cachés quelque part hors de sa vue. Il sursauta lorsque son pied gauche fut happé par une main molle qui sortait de terre, suivie, lentement, du corps entier de la cristallière qui s’extrayait péniblement du sol sablonneux de l’endroit en se roulant de côté. De l’autre main, elle désigna vaguement un petit tube qui émergeait d’une autre partie du sol, à moins de quelques pieds sur sa droite. Dans un de ses rares éclairs de lucidité depuis des jours, le moine comprit alors que le voleur s’était lui aussi enterré avec le reste de ses forces pour échapper à la chaleur et préserver au mieux le peu d’humidité que son corps conservait encore. Le petit tube provenait de ce qu’il restait des abris de fortune. Tulvarn s’empressa alors de libérer son ami presque mort, puis il sortit les deux morceaux de viande pour les distribuer aux deux survivants. Ceux-ci n’avaient même pas la force de parler et mangèrent lentement, reprenant un peu de couleur bleue après avoir viré au gris, teintés ici et là d’ocre par la poussière terreuse. Il les observa simplement sans rien dire. Il n’y avait plus qu’à attendre que la viande fasse son effet.

(Suite : Le Tétralogue — Roman — Chapitre 34)

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