« L’ACCORD CÉRÉALIER ». LES SOMMETS DU CYNISME

04/10/2023 (2023-10-04)

Par Oleg Nesterenko
Président du CCIE (www.c-cie.eu)
(Spécialiste de la Russie, CEI et de l’Afrique subsaharienne ; ancien directeur de l’MBA, ancien professeur auprès des masters des Grandes Écoles de Commerce de Paris)

Si dans l’antiquité le terme « cynisme » était directement associé à l’école philosophique grecque d’Antisthène qui prônait des valeurs telles que l’humilité, la vertu et la sagesse — soit parfaitement saines — notre époque n’a rien retenu du passé et a transformé ce noble terme qu’en mépris profond et qu’en absence de morale.

Le mépris et l’immoralité, jumelés à une profonde hypocrisie, devenus des normes dans le monde politique actuel — on les retrouve pleinement aujourd’hui dans le cadre de l’une des plus importantes machinations de la dernière décennie organisée par les décideurs du monde occidental : « l’Initiative pour le transport sécuritaire des céréales et des aliments à partir des ports ukrainiens », plus communément connue comme « l’Initiative céréalière de la mer Noire » ou « l’Accord céréalier ».

Afin de comprendre la réalité et d’avoir une vision claire de « l’Accord céréalier » en question, voyons les éléments, d’une part, visibles et largement diffusés auprès de l’opinion publique mondiale et, d’autre part, ceux soigneusement dissimulés, car en totale opposition avec la partie visible de l’iceberg : le rôle réel des céréales ukrainiennes et russes sur la scène internationale ; les véritables répercussions préméditées des sanctions occidentales antirusses vis-à-vis du marché mondial des céréales, légumineuses et engrais agricoles ; les réels rapports ukraino-occidentaux dans le cadre de « l’Accord céréalier » et le rôle-clé sous-jacent des grands groupes occidentaux. 

Le rappel des faits

Dès le déclenchement de « l’opération militaire spéciale » russe en Ukraine (terme emprunté par les Russes aux Américains qui l’utilisent depuis des décennies), le 24 février 2022, les côtes ukrainiennes de la mer Noire sont devenues la zone des hostilités, empêchant ainsi le bon déroulement des exportations par voie maritime des denrées alimentaires ukrainiennes. Craignant le débarquement des Russes, l’Ukraine a miné ses eaux côtières, rendant ainsi la circulation maritime impossible.

Le monde occidental américanocentrique s’est immédiatement « révolté », accusant la Fédération de Russie de vouloir provoquer la famine à l’échelle mondiale, en prenant en otage les pays les plus pauvres, vu que l’Ukraine est considérée comme l’un des principaux exportateurs de céréales au monde. Charles Michel, le président du Conseil européen, a parfaitement résumé la position occidentale dans sa déclaration datant de début juin 2022 : « La Russie est la seule responsable de cette crise alimentaire ! ».

En ne négligeant pas le rôle de l’Ukraine vis-à-vis du marché céréalier mondial, dont le pays a, notamment, été le principal fournisseur de blé au Liban, à hauteur de 80 %, et afin d’assurer la continuation des exportations des denrées alimentaires ukrainiennes, le 22 juillet 2022, la Russie a pris des engagements vis-à-vis de l’ouverture et de la sécurisation d’un couloir maritime dans la mer Noire, ouvert pour l’Ukraine sous le contrôle conjoint de la Turquie et de l’ONU qui devaient assurer sa non utilisation par l’Ukraine à des fins militaires.

Un an après, le 18 juillet 2023, la Russie a stoppé sa participation dans « l’Initiative céréalière de la mer Noire » d’une manière unilatérale et les exportations céréalières ukrainiennes via la mer Noire ont pris fin.

L’indignation du monde occidental

Le jour même, Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne a condamné la décision de Moscou :

« Je condamne fermement la décision cynique de la Russie de mettre fin à l’initiative céréalière de la mer Noire, malgré les efforts des Nations unies et de la Turquie. L’UE s’efforce de garantir la sécurité alimentaire des populations vulnérables de la planète ».

L’ambassadrice américaine à l’ONU, Linda Thomas-Greenfield s’indigne : « La Russie joue à des jeux politiques […] et prend l’humanité en otage » et condamne « acte de cruauté ». De son côté, Jake Sullivan, conseiller du président Joe Biden, déclare : « La Russie a tourné le dos à la fourniture aux pays du Sud, d’Afrique, d’Amérique latine et d’Asie la nourriture indispensable à des prix abordables ». Le secrétaire d’État américain Anthony Blinken qualifie d’immoral le retrait de la Russie de l’initiative de la mer Noire. À son avis, tous les pays du monde devraient voir que la Russie est « responsable du refus de nourriture aux personnes qui en ont désespérément besoin dans le monde entier ».

Le porte-parole de Rishi Sunak, Premier ministre britannique, annonce : « si la Russie ne renouvelle pas l’accord, elle privera des millions de personnes d’un accès vital aux céréales ». Hanke Bruins Slot, Ministre des Affaires étrangères des Pays-Bas, condamne à son tour : « Utiliser la nourriture comme arme (contre les pays pauvres) » est « immoral ». La porte-parole adjointe du gouvernement allemand, Christiane Hoffmann a appelé Moscou à « ne pas faire supporter les conséquences de ce conflit par les plus pauvres de la planète ».

Le président français, Emmanuel Macron, déclare que Poutine a commis « une énorme erreur » et que « nous voyons très clairement que la Russie a décidé (…) d’affamer des pays déjà en difficulté (…) la Russie doit cesser son chantage sur la sécurité alimentaire mondiale ».

Le portugais Antonio Guterres, Patron actuel de l’ONU, annonce de son côté : « Des centaines de millions de personnes font face à la faim. Ils vont en payer le prix ».

Guère besoin de rajouter d’autres citations pleines de nobles motivations et d’indignations venues du fond des âmes révoltées des responsables politiques occidentaux : la liste est très longue et parfaitement unanime dans sa condamnation de « la barbarie de la Russie qui a décidé d’affamer la planète ».

Après avoir contemplé en détail les déclarations de ceux qui se déclarent faire partie du « camp du bien face au mal », voyons en détail la réalité. La réalité qui est à l’opposé des déclarations et qui démontre sans équivoque que l’intégralité des indignations évoquées n’est qu’une forme de dégénérescence morale et de cynisme jumelés à une profonde hypocrisie.

Les termes de « l’Accord céréalier »

En parlant de « l’Accord céréalier », de quoi s’agit-il exactement ? Cet accord était le produit d’une négociation quadripartite sur les exportations de céréales et autres produits agricoles ukrainiens depuis les trois ports de la mer Noire : d’Odessa, de Tchernomorsk et de Ioujniy. Négociation, suivie d’une signature du document en deux volets, le 22 juillet 2022, d’une part, par la Russie, la Turquie et les représentants de l’ONU et, d’autre part, par l’Ukraine, la Turquie et l’ONU.

Comme mentionné auparavant, la Russie s’est engagée à ouvrir un couloir maritime sécurisé permettant le passage des navires marchands entre lesdits ports ukrainiens et le détroit du Bosphore en Turquie. De l’autre côté, les représentants de l’ONU, de la Turquie et de la Russie s’engagent à inspecter les navires transportant des céréales et à garantir qu’ils ne transportent pas de munitions ni d’armes à destination de l’Ukraine.

Cela étant, les éléments énumérés ne sont que la première partie de l’accord signé. Il existe également, en contrepartie, le deuxième volet de l’accord : « le Protocole d’accord entre la Fédération de Russie et le Secrétariat de l’ONU sur la promotion des produits alimentaires et des engrais russes sur les marchés mondiaux » — un mémorandum signé pour une durée de 3 ans entre la Russie et l’ONU qui prévoit l’engagement de l’ONU dans le processus de suppression des entraves mises en place par l’Occident collectif vis-à-vis des exportations de produits alimentaires, dont les céréales, et les engrais russes.

Cette seconde partie de l’accord concerne donc les intérêts russes et est constituée de 5 exigences de Moscou qui ont reçu une approbation tacite de principe des parties directement concernées, mais non-signataires durant la négociation qui a eu lieu.

Quelles sont ces exigences ?

  1. La reconnexion de la banque russe Rosselkhozbank au SWIFT.
  2. Le déblocage des avoirs et des comptes tenus à l’étranger des entreprises russes liées à la production et au transport de produits alimentaires et d’engrais.
  3. La suppression des restrictions vis-à-vis de l’exportation vers la Russie des machines agricoles et pièces détachées.
  4. La restauration et la remise en service du pipeline d’ammoniac Togliatti-Odessa.
  5. La levée des restrictions sur l’assurance et la réassurance des navires marchands russes, ainsi que la levée de l’interdiction de leur accès aux ports maritimes.

La condition sine qua non de la poursuite de la réalisation de l’accord par le signataire russe était l’exécution de l’intégralité de ces points : non seulement ceux de la première partie qui est en faveur de l’Ukraine, lui apportant des revenus directement investis dans la guerre contre la Russie, mais également de la seconde partie qui est au bénéfice de Moscou.

La signification des exigences russes

Voyons les détails des cinq exigences russes et, surtout, leur réelle signification.

1. La reconnexion de la banque russe Rosselkhozbank au SWIFT (Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication) signifierait la levée, au moins partielle, des sanctions contre la banque russe Rosselkhozbank — la banque clé dans le cadre des transactions financières au niveau des exportations russes du secteur agroalimentaire.

En privant l’intégralité des banques russes de l’accès au SWIFT, c’est bien d’une manière délibérée que l’Occident collectif a mis en place, de ce fait, des restrictions qui privaient automatiquement une partie du monde des céréales et engrais agricoles de la production russe et dont plusieurs dizaines de millions de personnes sur la planète en dépendent directement. Les transactions interbancaires rendues impossibles — ce sont les paiements aux Russes et donc les achats par les intéressés qui sont devenus impossibles.

2. Le blocage des avoirs et des comptes tenus à l’étranger des entreprises russes liées à la production et au transport des produits alimentaires et des engrais agricoles était une mesure non seulement pour empêcher les transactions d’achat et vente de céréales et de fertilisants russes, ainsi que leur transport vers les pays-acheteurs, mais également pour mettre une grave entrave au développement futur du secteur agraire et à la production des engrais en Russie : les fonds importants confiés par les entreprises russes des secteurs concernés à des banques occidentales ont été spoliés.

En cas de réussite de cette initiative, le résultat direct espéré par le camp « atlantiste » devait être néfaste pour le secteur agraire et l’industrie des engrais russes, soit une importante récession des secteurs en question et une réduction considérable de la production et donc des exportations à l’avenir. Le fait que les pays-acheteurs traditionnels qui en dépendent directement serait mis dans une grave pénurie non pas ponctuelle pour les années de guerre, mais à très long terme, n’a pas été considéré par les décideurs occidentaux digne d’attention.

3. Pendant les trois dernières décennies, la Fédération de Russie était un grand acheteur de machines et d’équipements agricoles de fabrication occidentale. Ainsi, une réelle dépendance vis-à-vis des pièces détachées nécessaires au bon fonctionnement des appareils occidentaux acquis a été instaurée.

L’objectif direct du blocage des ventes des pièces de rechange est la mise maximale hors état de service des machines et du matériel agricole vendus aux Russes et, ainsi, la diminution maximale des récoltes russes avec les conséquences ultimes néfastes déjà mentionnées.

Il s’est avéré factuel pour les acteurs économiques du monde non occidental : il est devenu dangereux de travailler avec les entreprises occidentales au risque de connaître de graves problèmes vis-à-vis des chantages économiques et commerciaux orchestrés en permanence par des élites « atlantistes » qui détruisent, par la même occasion, la réputation des acteurs économiques occidentaux qui ont, par le passé, été considérés comme fiables. La Fédération de Russie, comme le reste du monde, tire les conclusions et prend ses dispositions pour l’avenir. Depuis plus d’un an, les Russes ont enclenché le processus de substitution du matériel « toxique » (de même que pour d’autres secteurs, dont aéronautique). Néanmoins, étant pris au piège, il s’est avéré nécessaire de forcer l’adversaire à faire des concessions pour minimiser les retombées négatives sur le secteur agricole. La suppression des restrictions vis-à-vis de l’exportation vers la Russie des machines agricoles et, surtout, des pièces détachées était donc incluse dans les exigences russes dans le cadre de « l’Accord céréalier ».

4. En ce qui concerne le pipeline d’ammoniac Togliatti-Odessa (Russie-Ukraine). Dès le début de l’opération militaire russe, le transit d’ammoniac via ce pipeline stratégique d’une longueur totale de 2417 km, construit de 1975 à 1981 — le plus long pipeline d’ammoniac au monde — a été stoppé par l’initiative ukrainienne.

Le 16 septembre 2022, le président ukrainien Vladimir Zelensky a posé ses conditions de rétablissement de l’acheminement d’ammoniac russe : un échange de prisonniers selon la formule « tous contre tous ». Malgré le plus important échange de prisonniers de guerre dans le conflit en cours qui a suivi, le 22 septembre 2022 (Kiev a reçu 215 de ses combattants, dont les membres des bataillons ultranationalistes et néonazis) — la reprise du transport d’ammoniac via le pipeline n’a jamais eu lieu. La déclaration du président Zelensky précédant l’échange de prisonniers était, tout simplement, mensongère.

Huit mois plus tard, le 5 juin 2023, les forces armées ukrainiennes ont fait exploser plusieurs sections du pipeline se situant dans la région de Kharkov. Selon les spécialistes, les réparations des dégâts causés à l’infrastructure prendront de 30 à 90 jours, sous condition de la sécurisation de la zone des travaux. Ainsi, Kiev a pris ses dispositions pour la non-remise en service immédiat en cas d’une obligation de l’engagement politique future dans ce sens.

Quelle est l’importance de ce pipeline ? L’importance de cette infrastructure est d’ordre stratégique pour le marché international des fertilisants et ne peut être sous-estimée en tant qu’outil de la lutte contre la faim à l’échelle mondiale. Avec sa capacité de transport allant jusqu’à 2,52 millions de tonnes d’ammoniac par an, les engrais agricoles produits avec sont en mesure de faire pousser des cultures en quantité suffisante pour nourrir près de 45 millions de personnes par an, sans le recours à des importations alimentaires.

Si avant l’explosion du pipeline, le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres a fait des déclarations sur l’importance de sa préservation et de la continuation de son fonctionnement — depuis son sabotage l’ONU reste silencieuse au sujet de sa restauration. Ce silence pourrait paraître étonnant, mais il ne l’est pas : tout au long des dernières années il a été démontré à maintes reprises que les fonctions clés dans l’administration de l’Organisation des Nations Unies sont occupées par des personnes soumises à la volonté du camp occidental américanocentrique, dont Antonio Guterres lui-même fait partie.

5. La dernière exigence russe est la levée des restrictions sur l’assurance et la réassurance des navires marchands russes, ainsi que la levée de l’interdiction de leur accès aux ports maritimes soumis aux sanctions.

Il faut rappeler que ce n’est pas une simple possession de navires marchands qui permet de réaliser le transport maritime de marchandises (cargos), mais toute une série d’éléments clés interdépendants, dont l’assurance maritime. Et, d’une manière traditionnelle, ce sont les entreprises occidentales qui dominent ce marché (dont le montant global du marché mondial a atteint 35,8 milliards USD en termes de primes d’assurances en 2022). De même que pour les banques russes qui ont été privées de l’accès au SWIFT, les navires marchands sous pavillon russe ont vu s’interdire les assurances, dont ils bénéficiaient auparavant, ce qui est une grave entrave directe à l’exportation des céréales et engrais agricoles russes.

Malheureusement pour l’initiative morbide des décideurs de l’Occident américanocentrique, la Russie contourne très efficacement les sanctions illégales selon le droit international, en utilisant ce que les Occidentaux appellent la flotte « grey » et « dark » (création d’entreprises internationales du secteur maritime hors Russie, principalement au Panama, Libéria et Îles Marshall ; l’acquisition de navires sous anonymat…). 

En ce qui concerne la levée de l’interdiction de l’accès des navires russes aux ports maritimes occidentaux, ce n’est pas vraiment le rétablissement du commerce russo-occidental que vise la Russie dans ses exigences, mais le déblocage et le départ des navires russes illégalement immobilisés depuis plus d’un an dans les ports occidentaux.

L’arrêt de l’accord

Dès le jour de sa signature, le 22 juillet 2022, au jour de son arrêt à la suite de la non-reconduction, le 18 juillet 2023, « l’Accord céréalier » a été exécuté par la Fédération de Russie à la hauteur de 100 % de ses engagements.

Du côté du camp occidental, strictement aucun des 5 points de la seconde partie de l’accord n’a été respecté. Le refus, du premier au dernier jour du fonctionnement de l’accord, à exécuter sa « part du marché » pour laquelle il a donné, néanmoins, son consentement de principe au moment de la négociation qui a précédé la signature du 22 juillet 2022 — sans quoi cet accord n’aurait jamais eu lieu — ce refus ne peut être considéré comme un hasard ou une force majeure, mais bien comme une action calculée et préméditée : le temps à disposition des occidentaux était suffisant pour exécuter ne serait-ce que partiellement les termes de l’accord, au moins pour donner une apparence de bonne volonté.

De même que pour l’engagement vis-à-vis du non-élargissement de l’OTAN vers les frontières russes, le modus operandi de ses membres est toujours identique : « nous n’avons rien signé et ratifié, alors, nous n’avons rien à exécuter ». Les fondements mêmes de la jurisprudence qui stipulent qu’un accord tacite, non écrit, a autant de valeur en soi qu’un contrat écrit et que les contrats sont rédigés uniquement en vue des éventuels litiges à traiter auprès des juges — ces fondements sont totalement méprisés.

Initialement, la durée de l’accord a été fixée à 120 jours avec la possibilité de prolongation. À l’expiration de la validité du premier trimestre de l’accord et malgré l’absence totale du moindre résultat positif de la supposée action de la direction de l’ONU auprès des « atlantistes » au niveau des restrictions mentionnées dans le cadre de ce dernier, Moscou a fait un geste de bonne volonté et a validé son renouvellement en prenant en compte que l’Ukraine a fourni des garanties écrites de ne plus utiliser le couloir humanitaire et les ports ukrainiens utilisés pour l’exportation de céréales pour mener des opérations militaires contre la Russie — ce qui était le cas durant les premiers mois de la réalisation de l’accord.

Les renouvellements ont eu lieu quatre fois d’affilée durant 2022-23, bien que la participation de Moscou dans l’accord ait coûté près d’un milliard de dollars en manque à gagner aux producteurs agricoles russes : en raison de l’existence de « l’initiative céréalière de la mer Noire », les prix des céréales russes ont baissé, la différence variait entre 10 et 20 dollars par tonne de blé.

Ce n’est qu’en constatant que la partie adverse n’avait strictement aucune intention de prendre ses responsabilités et que l’accord, en soi, n’était qu’une machination mensongère de plus, afin de gagner du temps — exactement avec le même scénario qui a eu lieu en 2015 dans le cadre de « l’Accord de Minsk » qui devait instaurer une paix durable en Ukraine, mais qui n’était qu’une tromperie ukraino-occidentale — Moscou a mis fin à sa participation.

Lors de la rencontre à Sotchi avec le président turc Recep Tayyip Erdogan, le 4 septembre 2023, Vladimir Poutine a déclaré : « C’est souvent avec nos partenaires occidentaux que cela se passe ainsi, ils nous ont trompés, ils n’ont rien fait ! ». Le président russe a également souligné que l’accord céréalier « n’a nullement amélioré la situation alimentaire internationale », car ce dernier a été totalement perverti par le signataire ukrainien et son mentor occidental. Cela étant, il a reconfirmé :

« Nous ne sommes pas contre cet accord, nous sommes prêts à y revenir immédiatement, dès que les promesses qui ont été faites à la Russie seront réalisées ».

Le secrétaire d’État américain Antony Blinken a déclaré (dans une interview à Radio France Internationale (RFI) que Washington avait résolu les questions de la Russie concernant l’accord céréalier : « Concernant les indications spécifiques sur les problèmes potentiels tels que les banques, le transport maritime, etc. — nous avons tout fait pour garantir que ces problèmes soient résolus ». Ceci est une déclaration parfaitement mensongère.

Auparavant, le 4 août 2023, le directeur du Bureau de coordination des sanctions du Département d’État des États-Unis, James O’Brien, a déclaré que « Moscou a présenté un certain nombre de revendications qui sont toutes liées au fait que diverses institutions russes ne reçoivent pas de services de la part du secteur privé ». Quel est l’objectif d’une telle missive ? Il est clair : par cette déclaration il a sous attendu, qu’en fait, ce sont les problèmes entre l’état russe et les structures occidentales privées ; donc, son bureau et le camp qu’il représente n’y sont pour rien si le secteur privé prend de telles initiatives antirusses. Nul besoin de commenter une telle communication adressée à l’opinion internationale.

Aucune pirouette de la propagande ne peut cacher une réalité mathématiquement simple : dans les circonstances du monde actuel, faire stopper les exportations du blé russe mènera d’une manière directe et inévitable à des famines dans plusieurs pays du monde. Supposer que cette évidence ait totalement échappé aux auteurs desdites sanctions serait une preuve d’une grande légèreté.

Le niveau des exportations ukrainiennes de céréales durant la guerre

Afin de démontrer que la Russie exécute mal ses obligations prises dans le cadre de « l’Initiative céréalière de la mer Noire » et continue à créer des entraves à des exportations ukrainiennes, Kiev a accusé Moscou de retarder artificiellement les vérifications en Turquie des navires en transit via le couloir « céréalier ».

Toutefois, les accusations ukrainiennes se heurtent à des statistiques tout à fait étonnantes : durant l’année de guerre 2022/23 (du 1er juillet 2022 au 30 juin 2023) l’Ukraine a exporté 48,99 millions de tonnes de céréales et de légumineuses, dont 16,836 millions de tonnes de blé, 2,704 millions de tonnes d’orge, 18 000 tonnes de seigle et 29,128 millions de tonnes de maïs. Soit, un volume qui est supérieur même à celui exporté avant la guerre (!). 

Au cours de l’année précédente, incluant pratiquement 8 mois avant la guerre (du 1er juillet 2021 au 29 juin 2022), l’Ukraine a exporté 48,355 millions de tonnes de céréales et de légumineuses, dont 18,72 millions de tonnes de blé, 5,747 millions de tonnes d’orge, 161 500 tonnes de seigle et 23,409 millions de maïs. Soit, moins de 635 000 tonnes que l’année suivante.

Ces chiffres ne sont guère une spéculation ou les calculs russes, mais sont les données officielles du ministère de la Politique Agraire et de l’Alimentation de l’Ukraine.

Cela étant, selon les prévisions de l’Organisation de l’ONU pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO) de juin 2023, la production mondiale de céréales en 2023 devrait s’établir à hauteur de 2819 millions de tonnes, dont dans les 783 millions de tonne pour le blé. En ce qui concerne la consommation de céréales, elle est prévue à hauteur de 2805 pour la même période. Soit, les 48,68 millions de tonnes de céréales exportées par l’Ukraine ne sont qu’une quantité négligeable et ne couvrent que 1,7 % du besoin mondial. Le rôle de l’Ukraine présenté par le camp occidental en tant qu’épicentre de la solution contre la famine dans le monde n’est pas juste très exagéré, mais, tout simplement, mensonger.

En ce qui concerne les quantités des céréales toujours bloquées dans les ports ukrainiens à la suite des hostilités russo-ukrainiens — on parle de volumes qui sont inférieurs à 1 % du chiffre d’affaires céréalier sur le marché international.

Les « détournements » des céréales ukrainiennes

Après avoir vu le détail des quantités des exportations ukrainiennes et entendu les vives déclarations de l’indignation du monde occidental précédent l’entrée et suivant la sortie de la Russie de « l’Accord céréalier », il est tout à fait étonnant de faire un constat des faits qui sont vérifiés et confirmés : la quasi-intégralité des exportations céréalières ukrainiennes a été totalement détournée des destinations qui ont été proclamées dans le cadre de l’accord.

Les slogans de la propagande « otanienne » sur la mise en danger du monde alimentaire par la Russie se sont avérés strictement à l’opposé de la réalité.

Quelle est cette réalité ?

Sur les 48,9 millions de tonnes de céréales et de légumineuses exportées par l’Ukraine durant l’année 2022/23, 32,9 millions de tonnes ont été transportées via le couloir maritime sécurisé par les Russes.

Selon les données officielles de l’ONU, ce ne sont guère les pays les plus pauvres qui ont été les destinataires de l’Ukraine, mais bien l’Union Européenne qui a été le principal bénéficiaire de l’initiative sur les céréales et se sont bien les pays européens qui ont absorbé 38 % des exportations de céréales ukrainiennes via la mer Noire, sans parler des quantités acheminées, parallèlement, par voie terrestre. En tout, 81 % des céréales ont « atterri » dans les pays riches et ceux aux revenus intermédiaires supérieurs.

Seulement 19 % des céréales sur le total exporté ont été acheminées par les Ukrainiens vers les pays pauvres et dont uniquement -3 % vers les plus démunis se situant au bord de la famine (principalement vers le Bangladesh).

Au niveau du blé, la Roumanie a racheté 15,8 % (contre 0,5 % en 2021/22), tandis que l’Espagne : 14 % (contre 0,8 % en 2021/22). La Pologne, tant mécontente des importations européennes des denrées alimentaires ukrainiennes, fait, en même temps, également partie du TOP-5 de ces acheteurs directs européens (et non pas des prétendus transitaires).

Dans le TOP-20 des consommateurs de céréales ukrainiennes exportées sous le drapeau de l’initiative qui était censée sauver le monde de la famine, entrent également et l’Italie et les Pays-Bas et le Portugal et la Belgique et l’Allemagne et la France.

L’Association italienne des producteurs agricoles Coldiretti a déclaré que l’annulation par les Russes de « l’Accord céréalier » pourrait « secouer les marchés mondiaux » et « menacer la stabilité politique dans les régions aux prises avec des problèmes de sécurité alimentaire ». Il est tout à fait regrettable qu’elle ait « oublié » de mentionner que dans le cadre de la réalisation de l’accord en question, l’Italie s’est fait livrer au passage, l’air de rien, 2 millions de tonnes de céréales ukrainiennes, soit plus de 2 fois le volume que l’ensemble des pays les plus pauvres — l’Éthiopie, le Yémen, l’Afghanistan, le Soudan et la Somalie n’ont reçu : 922 092 tonnes pour eux cinq.

La Turquie — pays transitaire de l’intégralité des céréales ukrainiennes via « l’Accord céréalier » — a gardé au passage 20 % de blé (contre 10 % avant la guerre, en 2021/22) et 23 % des exportations ukrainiennes d’orge.

Vu les quantités relativement modestes de céréales exportées par l’Ukraine (1,7 % de la consommation mondiale en 2023/24) et, surtout, vu les réels principaux destinataires de leurs céréales sous couverture de l’accord — l’existence de l’initiative en question et même l’intégralité des exportations alimentaires de l’Ukraine ne sont nullement critiques pour la sécurité alimentaire des pays les plus pauvres. Le renouvellement des exportations ukrainiennes via la mer Noire ne peut être considéré que comme un mécanisme supplémentaire, mais nullement stratégique, encore moins vital.

Les faits chiffrés ont une fâcheuse tendance à être têtus et il est tout à fait intéressant et instructif de constater que, de facto, selon le camp américano-européen, les pays qui se situent au bord de la famine ne sont guère le Soudan, le Yémen, l’Afghanistan, la Somalie, l’Éthiopie ou encore le Nigéria, mais la quasi-intégralité des pays membres de l’OTAN. Il ne nous reste qu’à compatir avec les pauvres enfants espagnols et roumains qui, vraisemblablement, doivent ignorer s’ils survivront ou mourront de faim demain et qui doivent envier le sort heureux des enfants du Sud-Soudan et du nord du Nigéria.

Difficile de comprendre la logique des hauts responsables (si on peut les qualifier ainsi) politiques occidentaux qui ont fait, d’un côté, un effort sans précèdent pour se déclarer être défenseurs des intérêts alimentaires des pays les plus pauvres, pour accuser la Russie d’y planifier une grande famine et, de l’autre côté, permettre le détournement de la quasi-intégralité des exportations ukrainiennes sous l’égide de l’accord signé vers les consommateurs, dont les Occidentaux eux-mêmes, qui n’ont strictement rien à voir avec ceux mis sur le devant de la scène pour faire pression sur Moscou. Les peuples africains n’ont été qu’un outil périssable dans le cadre du stratagème élaboré.

Vu l’ampleur spectaculaire du détournement, ainsi que la présence des contrôles poussés des navires partant des ports ukrainiens tant par les Russes que par les représentants de l’ONU, il est inconcevable de supposer que les leaders « atlantistes » aient cru pouvoir dissimuler leurs méfaits à long terme.

Ne pouvant pas admettre qu’il s’agit d’un simple manque de capacités intellectuelles menant vers l’incapacité d’anticipation (car nous parlons de la quasi-intégralité des leaders politiques du monde occidental et de leurs équipes respectives, ainsi que du pouvoir ukrainien actuellement en place), les nobles déclarations précédant la signature de « l’Accord céréalier » et la réalité de la réalisation ukraino-occidentale qui a suivi ne peuvent être que la preuve de la présence chez les décideurs en question d’une forme aiguë de cynisme, d’hypocrisie et, tout simplement, de dégénérescence morale.

La supercherie sur le transit céréalier via l’EU

Le 24 mai 2022, le Conseil européen a adopté « un règlement permettant la libéralisation temporaire des échanges et d’autres concessions commerciales en ce qui concerne certains produits ukrainiens. Le règlement prévoit que, pendant un an, les droits à l’importation sur toutes les exportations ukrainiennes vers l’Union européenne ne seront pas dus ». Soit, l’abolition des droits et taxes douaniers. Le 6 juin 2023, le règlement a été prolongé d’un an, au 5 juin 2024.

Cette décision concernait les produits agricoles, les produits agricoles transformés, les fruits, les légumes et les produits industriels. En sachant que sur l’intégralité des exportations ukrainiennes plus de la moitié est traditionnellement destinée à l’Union Européenne et que la structure de l’export du pays est composée à 44,36 % de la production agroalimentaire (données 2022) — ce sont bien les céréales, en premier lieu, qui ont été visées par ce nouveau dispositif douanier.

Il est important de noter qu’une telle mesure s’avère être, d’une part, particulièrement préjudiciable vis-à-vis des agriculteurs intraeuropéens, mais d’autre part, très bénéfique vis-à-vis des négociants céréaliers. Néanmoins, si à son adoption personne dans l’UE n’a formulé aucune réelle objection, ceci était dû au fait que les responsables politiques de l’union ont souligné et affirmé, qu’en ce qui concerne les céréales de l’Ukraine, elles ne sont destinées qu’au transit par la voie terrestre vers les pays pauvres, en plus de celle du couloir maritime ouvert par les Russes dans le cadre de « l’Accord céréalier », et nullement à la commercialisation interne à l’UE.

Dès le début de cette initiative, il était déjà évident que ces déclarations étaient parfaitement mensongères. Car de telles mesures n’avaient aucun sens, si la production agricole ukrainienne était réellement destinée au transit et non pas à la consommation intracommunautaire.

Une évidence juridique : le transit constitue un régime douanier particulier qui exempte les marchandises en transit du paiement des droits et taxes sur le territoire du transit. Le transit « externe » de l’Union concerne la circulation de marchandises non -Union sur le territoire douanier de l’Union européenne (TDU), sous le code douanier « T1 ». Les produits en transit via un territoire donné ne peuvent nullement influencer les prix du produit en question à l’intérieur dudit territoire.

Soit, pour faire acheminer les céréales ukrainiennes vers les pays se situant au bord de la famine, l’adoption du règlement du 24 mai 2022 et sa prolongation n’ont seulement pas eu le moindre sens, mais ont créé l’effet directement opposé.

Pour qu’un produit soit en mesure d’influencer les prix sur un marché donné — TDU, dans notre cas — d’une manière obligatoire il doit passer, d’une part, la procédure douanière de la « mise en libre pratique », l’autorisant à circuler librement sur le territoire de l’UE (une marchandise tierce mise en libre pratique acquiert les mêmes droits qu’une marchandise produite sur le sol de l’UE), et, d’autre part, la procédure douanière de la « mise à la consommation » qui lui permet d’être commercialisée et à disposition des consommateurs.

Ce sont bien ces contraintes douanières qui ont été abolies par le Conseil européen, afin que les céréales ukrainiennes soient non pas transitées, mais bien commercialisées sur le territoire de l’UE. Cette abolition a constitué le dumping direct tant au niveau des quantités qu’au niveau du prix des céréales importées. À noter que le règlement adopté en mai 2022 abolissait également d’une manière perspicace la perception de droits antidumping sur les importations originaires d’Ukraine.

La préméditation des décisionnaires européens est flagrante. Et la prolongation qui a eu lieu, le 6 juin 2023, est la preuve directe que les responsables de l’Union Européenne ont l’intention de reproduire, vis-à-vis des futures récoltes ukrainiennes de 2024, le même scénario qui a eu lieu en 2023 : les « détourner » et les consommer, une fois de plus, au lieu de les faire transiter vers les pays dans le besoin critique.

Soit, non seulement les bateaux transportant les céréales ukrainiennes dans le cadre de l’initiative de la mer Noire ont été « détournés » vers l’Europe, mais même la voie terrestre propice a été ouverte, afin de maximiser la « spoliation » des récoltes de l’Ukraine.


Les « 5 fantastiques » ou les armes de destruction massive du néolibéralisme

En énumérant les parties prenantes dans « l’Accord céréalier », j’ai décrit en détail le camp « atlantiste » américanocentrique, ce qui peut laisser croire qu’il ne s’agit exclusivement que des décideurs politiques occidentaux et de leurs exécutants. Pourtant, c’est loin d’être le cas. Les élites politiques sont bien les signataires des décisions prises, mais ne sont nullement leurs seuls instigateurs et, encore moins, leurs principaux bénéficiaires.

Qui sont, alors, les réels instigateurs et les principaux bénéficiaires de « l’Initiative pour le transport sécuritaire des céréales et des aliments à partir des ports ukrainiens » ?

Jusqu’à la suspension par la Russie de sa participation, l’existence même de cette initiative sous couverture humanitaire n’a servi, quasi intégralement, qu’aux intérêts de ceux qui fournissent un effort considérable pour rester le plus discret possible : des géants américains et européens négociants de l’agro-industrie, et des financiers qui les épaulent. Les élites politiques du camp américanocentrique ne sont que les outils et les exécutants, dont le rôle était de créer via les mass-medias contrôlés par les dotations étatiques (exemple : l’Agence France Presse est financée par l’État à hauteur de plus de 100 millions d’euros par an, soit un tiers de son chiffre d’affaires) le prétendu rôle de l’Ukraine en tant que « sauveuse de l’humanité d’une grande famine » — ce qui a permis la mise en place dudit arrangement.

Depuis des décennies, les géants de l’agro-industrie font du lobbying via leurs agents de pression politique auprès des institutions internationales telles que la Banque Mondiale et le Fond Monétaire International pour y faire dominer la politique néolibérale d’ouverture des marchés et mettre les pays pauvres et ceux en voie de développement dans l’obligation de s’ouvrir de plus en plus aux marchés internationaux. Au niveau national, le protectionnisme étatique est combattu, les aides aux exploitations agricoles locales s’anéantissent et la dépendance vis-à-vis des monopoles multinationaux de l’agroalimentaire s’accroît.

La production mondiale de céréales depuis les 20 dernières années est, hormis quelques années, en croissance constante et, comme mentionné auparavant, devrait atteindre 2819 millions de tonnes en 2023, ce qui est un niveau record, après le record qui a déjà eu lieu l’année précédente.

Malgré cette production au niveau sans précédent, les prix mondiaux des denrées alimentaires ont vu une croissance de 33,6 % et ont atteint leur niveau le plus haut depuis 1990, au moins — l’année de la création par l’ONU du registre de contrôle des prix alimentaires.

La crise du marché alimentaire ne date nullement du début de l’opération militaire russe en février 2022. Bien auparavant, en 2015, selon l’ONU et le Programme Alimentaire Mondiale (WFP), déjà près de 670 millions de personnes dans le monde souffraient de faim chronique. En 2021, à cause des perturbations supplémentaires sur le marché alimentaire mondial dues à la pandémie du Covid, ce chiffre est passé à 828 millions de personnes.

Depuis le pic spéculatif des prix en mars 2022, le coût des céréales sur les marchés mondiaux est en baisse significative, ce qui est grandement dû à la réussite de la Russie qui continue à alimenter le marché mondial par des céréales, malgré les importants efforts des élites politiques « otaniennes » pour l’en empêcher.

Néanmoins, il faut souligner que si même au début de 2023 les prix des céréales et oléagineux sont revenus à leur niveau de la fin 2021, en cette période avant le déclenchement de la guerre en Ukraine les prix mondiaux des denrées alimentaires de base étaient déjà très élevés et ont vu leur augmentation à hauteur de 28 % en moyenne, dont 31,3 % pour le blé et 44,1 % pour le maïs par rapport à l’année précédente.

Soit, la propagande occidentale accusant la Russie et son opération militaire d’être la cause de la crise alimentaire que le monde connaît est purement fantaisiste : le problème du marché des céréales est structurel, non pas conjoncturel, et dépasse grandement la période des hostilités sur le territoire de l’Ukraine.

Selon l’ONU-même et le Conseil International des Céréales (CIC) américain, en période du 07.2021 au 06.2022, la production mondiale de céréales a augmenté de 5 millions de tonnes, tandis que les volumes commercialisés ont augmenté de 3 millions de tonnes par rapport à la période précédente. Quatre mois après le début de la guerre en Ukraine, la disponibilité globale de blé — la production plus les stocks disponibles dans le monde — a été excédentaire de près de 275 millions de tonnes par rapport à la demande globale. Nous ne disposons pas encore des chiffres précis, mais les estimations démontrent qu’en période du 07.2022 au 06.2023, la disponibilité mondiale a également été excédentaire par rapport à la demande.

Vu cette réalité, la question se pose : quelle est, alors, la cause de la flambée des prix, notamment du blé, qui va, tout simplement, à l’encontre de la logique régissant les marchés et qui met des millions de personnes dans le monde au bord de la famine ?

La réponse se situe principalement au niveau seulement de cinq entreprises, les plus grands négociants céréaliers, qui contrôlent pour eux cinq dans les 90 % du marché mondial non seulement du blé, mais de l’intégralité des céréales commercialisées dans le monde : Cargill, ADM, Bunge, Louis Dreyfus et Glencore.

Quelle est l’origine de ces sociétés et quel est leur chiffre d’affaires dans ces temps si difficiles que vit l’humanité ?

La multinationale Cargill est une société américaine, la plus grande entreprise privée des États-Unis, dont le chiffre d’affaires pour l’exercice 2021/22 est de 165 milliards de dollars américains — le record absolu depuis les 157 ans de son existence — avec une croissance de 23 % du CA par rapport à l’année précédente et dont le bénéfice net atteint 6,68 milliards USD (+35 %). Pour l’exercice 2022/23, le CA a augmenté de 7 % de plus et atteint un nouveau record : 177 milliards USD.

La multinationale Archer-Daniels-Midland (ADM) est également américaine et a réalisé le CA de 101,85 milliards de dollars pour la même période, avec une croissance de 19,47 % du CA. En même temps, elle enregistre une croissance record de 60 % de bénéfice net qui atteint 4,34 milliards USD.

La multinationale Bunge est, une fois de plus, américaine, dont le CA atteint 67,25 milliards USD pour l’année 2022 (avant sa fusion avec le géant canadien Viterra).

Le groupe Louis Dreyfus est franco-suisse avec le CA de 2022 à hauteur de 59,9 milliards de dollars, soit une croissance de 21 %. Et ceci malgré les volumes de ventes à -1,3 % par rapport à l’année précédente. Le bénéfice net est de 1,006 milliard USD contre 697 millions USD en 2021, grandement grâce à la guerre en Ukraine : on vend moins et on gagne plus.

Et le groupe Glencore, un anglo-suisse, dont le CA de l’année de guerre 2022 est de 256 milliards de dollars pour toutes ses activités confondues, soit une croissance de 26 % par rapport à l’année précédente. Avec ceci, ce groupe contrôlant, entre autres, dans les 10 % du marché mondial des céréales, a fait 17,3 milliards USD de bénéfice net, soit une modeste croissance de 248 %.

Le marché céréalier est très volatil, car il dépend d’un grand nombre de variables dont les principales sont l’offre et la demande ; la météo, dont les récoltes en dépendent ; la situation géopolitique des principaux pays producteurs ; le fret transport et le prix de l’énergie. Chacun des facteurs clés énumérés, hormis la météo, est parfaitement manipulable et les cinq géants, dont les bénéfices faramineux des dernières années n’ont aucune corrélation avec la dynamique réelle de l’offre et de la demande, sont passés maîtres absolus en la matière. Leurs bénéfices historiques sont dus, en grande partie, à l’augmentation spectaculaire de leurs marges.

Ces cinq négociants disposent d’un monopole absolu sur le marché céréalier mondial. Monopole qui s’appuie sur plusieurs éléments clés, dont les principaux sont, d’une part, leurs capacités sans égal au niveau du stockage (ils détiennent la majeure partie des stocks mondiaux de céréales) et de transport (les 5 groupes contrôlent le transport des 9/10 des céréales produites dans le monde) ; d’autre part, sur le lobbying auprès des centres de décisions politiques du camp occidental.

Les paroles de Fernand Braudel pour qui le capitalisme est la limitation de la transparence et l’établissement des monopoles qui ne peuvent être atteints qu’avec la complicité directe de l’État, trouvent leur reflet direct dans les activités de ces géants.

En tandem avec les « 5 fantastiques » céréaliers, les marchés à terme des céréales ont été particulièrement actifs dans les premiers mois de la guerre. Dix des plus grands fonds spéculatifs mondiaux ont fait près de 2 milliards USD de bénéfices nets en capitalisant sur la montée des prix des céréales en cette période. Sous la pression des lobbies, ni les régulateurs américains ni les régulateurs européens n’ont fait aucune opposition à ces manipulations financières qui, à elles seules, ont grandement participé à la spéculation et la montée des prix de l’alimentaire.

La sécurité alimentaire est composée de plusieurs facteurs stratégiques, dont la stabilité de l’accès à la nourriture, la stabilité de la disponibilité suffisante et la stabilité de la qualité des nutriments. Et c’est bien la souveraineté alimentaire, définie durant le Sommet mondial de l’alimentation de 1996 en tant que « droit des peuples à une alimentation saine et culturellement appropriée produite avec des méthodes durables, et le droit des peuples de définir leurs propres systèmes agricoles et alimentaires » qui est le garant d’une véritable sécurité alimentaire. La souveraineté alimentaire mondiale qui est combattue depuis des décennies avec un succès indéniable par les principaux bénéficiaires et instigateurs du modèle économique néolibéral.

Les géants occidentaux de l’agro-industrie et l’Ukraine

En ce qui concerne l’Ukraine, une partie considérable des volumes exportés de céréales proviennent des terres agricoles appartenant non pas aux Ukrainiens, mais… bien à des géants occidentaux de l’agro-industrie. En mars 2020, sous l’influence des lobbies occidentaux auprès du FMI, l’Ukraine a adopté la loi autorisant à racheter les terres agricoles par des entreprises étrangères, ce qui était interdit auparavant. Ceci était la condition du FMI — l’organisation contrôlée par les « atlantistes » — pour que l’Ukraine accède à la nouvelle ligne de crédit du Fond.

Depuis ce méfait désastreux accompli par les élites politiques actuelles ukrainiennes contre les intérêts nationaux de l’Ukraine, seulement en 3 ans suivant son adoption, près de 40 % des terres cultivables du pays sont devenues la propriété d’acteurs économiques étrangers.

La prise de contrôle de l’agriculture ukrainienne, principalement par des puissances occidentales, était d’autant plus facile, que si les prix à l’achat d’un hectare de terre arable en Union Européenne varient en moyenne de 4 à 70 000 USD, le même hectare en Ukraine leur revenait seulement à 1-2.500 dollars, en sachant que la qualité générale de la terre cultivable ukrainienne est sensiblement meilleure que celle européenne.

Aujourd’hui, plus de 52 % des terres cultivables ukrainiennes, soit 17 millions d’hectares, appartiennent seulement à 3 entreprises : les Américains Cargill et DuPont et l’allemand Bayer (dont les terres en Ukraine ont été acquises par l’américain Monsanto, société acquise, ensuite, par l’allemand). Et ils ne sont pas les seuls nouveaux propriétaires étrangers heureux des sols ukrainiens : toute une série d’autres géants de second rang sont également présents dans le pays. La classe politique actuellement installée à Kiev a fait le nécessaire pour qu’à moyen/long terme la quasi-intégralité des terres arables du pays n’appartiennent plus aux Ukrainiens.

Durant les premiers mois de la guerre en Ukraine, les élites politiques de l’Occident collectif ont fait le nécessaire pour créer des couloirs « humanitaires », dont celui sous « l’accord céréalier de la mer Noire », pour faire sortir les « marchandises » bloquées et appartenant à leurs grands compatriotes qui, par la suite, ont disposé de leurs biens de la manière détaillée précédemment. Il n’est donc nullement étonnant de constater que les exportations des denrées alimentaires exécutées par le pouvoir ukrainien se réalisent sur un fond qui peut laisser perplexe qu’un spectateur ignorant : la probabilité très élevée que l’Ukraine elle-même connaisse une pénurie alimentaire déjà d’ici la fin de l’année en cours.

L’EU et la prohibition des céréales ukrainiennes

Si l’ouverture totale du marché européen a été tout à fait bénéfique à de grands groupes-négociants en céréales et à de hauts fonctionnaires européens qui les représentent d’une manière évidente, cela n’a pas été le cas des agriculteurs des pays producteurs de céréales frontaliers de l’Ukraine.

L’intégralité de ces pays membres de l’UE, avec la Pologne en tête, a tout simplement fait interdire l’entrée des céréales ukrainiennes sur leurs territoires respectifs. L’embargo a été en vigueur du 2 mai au 30 juin 2023 et, malgré l’opposition et les menaces des sanctions de la part de la direction de l’UE, la Pologne le fait reconduire depuis le 15 septembre dernier.

De leur côté, les élites politiques occidentales ont proliféré des mensonges via l’appareil de propagande des mainstreams médias, qui ne peuvent être qualifiés que de grossiers, en stipulant que les céréales en question ne font que transiter via le territoire polonais à destination des pays les plus démunis ; que ce type d’initiatives radicales de la part de la Pologne sont infondées et que la chute des prix des céréales, notamment en Pologne, n’est due qu’à l’accumulation des stocks temporaires des céréales ukrainiennes sur leur sol, faute de logistique pour les faire suivre vers les peuples au bord de la famine. Le fait que les céréales entrent sur le territoire de l’Union Européenne non pas sous le statut du transit douanier permettant l’exemption des droits et taxes, mais bien sous le statut d’importation directe permettant la mise en libre circulation et la consommation du produit en UE est mis sous le tapis.

Déjà, sous les restrictions qui ont eu lieu en mai-juin 2022, le président ukrainien, V. Zelensky, connaissant parfaitement la réalité : les exportations de céréales ukrainiennes ne sont nullement prévues pour les pays les plus pauvres, mais, en grande partie, bien pour le marché interne de l’UE — il s’est mis en colère et a qualifié d’« absolument inacceptable » que la Commission européenne se soit pliée aux exigences des cinq pays de l’Europe de l’Est et a confirmé que les quatre produits en provenance d’Ukraine : le blé, le maïs, le tournesol et le colza — ne peuvent être ni stockés, ni commercialisés sur le territoire de l’EU, mais doivent uniquement transiter par le territoire des pays en question.

Le cynisme chronique de la classe dirigeante « atlantiste » ne lui permet pas de se soucier de la moindre crédibilité de leurs déclarations aux yeux de la communauté internationale non occidentale qui les observe. Elle est parfaitement informée de la situation et ne prend plus la peine de la cacher. Selon la déclaration du Commissaire européen en charge de l’Agriculture, le Polonais Janusz Wojciechowski, aux membres du Parlement européen lors d’une audition de la commission de l’agriculture, seuls 2-3 % des céréales ukrainiennes entrées dans l’UE la quittent vers des pays hors Union, dont l’Afrique. La raison qu’il a évoquée est le coût de transit trop élevé, ce qui rend une telle initiative « économiquement non viable ». De ce fait, la quasi-intégralité des céréales ukrainiennes reste sur le marché européen.

Aujourd’hui, malgré les menaces de sanctions déclarées par les hauts fonctionnaires européens, ni la Pologne, ni la Hongrie, ni la Slovaquie n’ont l’intention de réouvrir leurs frontières aux céréales ukrainiennes pour leur transit vers les pays hors de l’EU – ce qui, logiquement, devait être une excellente alternative à la suppression par les Russes, le 18 juillet 2023, du couloir maritime sécurisé de la mer Noire. Une telle réouverture de frontières n’aura pas lieu, car ils sont parfaitement au courant : le prétendu « transit » via l’UE vers les populations au bord de la famine n’est qu’une grande supercherie organisée par leur propre camp, mais dont les trois pays en question se sont retrouvés en position de victimes collatérales et en paient les frais.

Il est à noter, entre parenthèses, que la domination quantitative du secteur agraire ukrainien vis-à-vis de l’agriculture des pays de l’Est de l’Europe est une raison, entre autres, pour laquelle il est exclu que l’Ukraine entre un jour au sein de l’Union Européenne, ce qui procurerait, notamment à des denrées alimentaires ukrainiennes, l’accès libre et permanent au territoire douanier commun de l’Union européenne (TDU) et aboutirait à l’anéantissement direct et assuré du secteur agraire de plusieurs pays membres de l’EU. Les déclarations du contraire par les responsables européens sont purement démagogiques et ne sont qu’un outil de motivation pour Kiev et de pression sur Moscou.


Les réserves céréalières

En parlant de la famine dans le monde, il est important de souligner : la production agricole et les réserves alimentaires mondiales sont tout à fait suffisantes pour assurer aisément son éradication.

Le rôle de la Russie et de l’Ukraine dans le cadre de l’approvisionnement des pays pauvres en denrées alimentaires est devenu de premier plan nullement à cause des quantités qu’ils exportent — ils restent relativement modestes par rapport à la production mondiale globale — mais bien à cause de la politique égocentrique des puissances économiques, notamment en matière de gestion de leurs stocks céréaliers.

La plupart des stocks mondiaux de céréales sont détenus par des grands groupes privés, comme déjà mentionné, ce qui leur permet d’orchestrer des bulles spéculatives sur les marchés mondiaux : les blocages des stocks créent des pénuries artificielles qui font remonter les cours. L’effet qui est, financièrement, très productif, surtout jumelé à des entraves artificielles à la souveraineté alimentaire mises en place par ses mêmes monopoles contre tant de pays.

Toutefois, en dehors des stocks céréaliers « privés », il existe également toute une gamme de stocks gérés par les pouvoirs publics et dont un grand nombre d’états en dispose :

« les stocks stratégiques » qui font partie du système de défense nationale et, souvent, sont couverts par le secret-défense ;

« les stocks de réserve » qui rééquilibrent les ratios consommation/disponibilité lors des chutes de la production et/ou des importations ;

« les stocks régulateurs » qui encadrent les variations des prix et « les stocks d’intervention » constitués des rachats par l’état de céréales à un prix minimum garanti auprès des producteurs locaux, afin de protéger leurs revenus contre les baisses des prix du marché.

En cas d’une crise alimentaire majeure dans les pays les plus vulnérables, le partage partiel des stocks disponibles dans les pays développés et en voie de développement n’est qu’une question de volonté politique.

Il est parfaitement compréhensible que peu de pays soient en mesure d’ouvrir leurs réserves de céréales d’une manière unilatérale pour contrer les famines dans des pays tiers — le partage des stocks céréaliers nationaux reste une solution extrême. Toutefois, ce qui est difficilement réalisable pour un état en particulier — tout à fait faisable au sein d’une action conjointe participative à la résolution de crise des pays membres de l’ONU, surtout ceux aux revenus supérieurs. Et ceci est sans aucun sacrifice réel vis-à-vis du bien-être des populations des pays participant à l’effort humanitaire, vu les quantités considérables de stocks céréaliers à leur disposition et l’apport nécessaire proportionnellement négligeable, car partagé par l’ensemble d’une telle coalition.

Certes, il existe également ce qu’on appelle « les stocks d’urgence » constitués au niveau national et international pour répondre, justement, à des situations de crise alimentaire de diverses natures dans le cadre d’actions humanitaires. Néanmoins, la pratique démontre que de telles initiatives ne sont nullement suffisantes en termes de quantités. De même, notamment, pour la réserve alimentaire régionale d’Afrique de l’Ouest qui a été créée en tant que complément sécuritaire à des stocks dits de proximité et des stocks nationaux de sécurité alimentaire : elle est insuffisante.

Cela étant, pas un seul sur les dizaines de responsables politiques des pays occidentaux, officiellement tant soucieux du sort des peuples africains en danger de famine, n’a jamais prononcé un seul mot dans le sens du sacrifice d’une infime partie des réserves nationales des céréales de chacun des pays du bloc occidental en le destinant à l’Afrique en cas d’apparition d’un extrême besoin — ce qui est le cas aujourd’hui — afin d’éradiquer le danger d’une nouvelle famine sur le continent. Dès qu’on évoque un hypothétique manque de pain et/ou sa hausse du prix sur les étalages dans les boulangeries du monde occidental, même la mort imminente de faim de dizaines de milliers de personnes dans un monde qui n’est pas le leur, ce n’est pas un argument suffisant aux yeux de la classe dirigeante américanocentrique, car cela ferait un mauvais effet sur leur carrière politique.

Non seulement aucune solution n’a été mise en place, ni même soulevée en tant que possibilité, mais c’est l’action qui se situe à l’opposé de celle évoquée qui a été planifiée, mise en place et réalisée, comme précédemment détaillée : sous couvert des accords humanitaires sur les exportations des céréales ukrainiennes vers les pays les plus pauvres, les hauts responsables européens ont organisé d’une manière la plus cynique le « détournement » des exportations des céréales ukrainiennes vers l’Union Européenne.

Les exportations céréalières russes

Malgré les entraves illégales hors du commun mises en place par les « atlantistes » vis-à-vis des exportations des céréales et des engrais russes, afin de créer une pénurie alimentaire auprès des pays pauvres et pouvoir y accuser la Fédération de Russie, cette dernière a réussi en cette année de 2023, de même que l’année précédente, à préserver son statut de leader mondial des exportations de céréales et à poursuivre sa contribution d’une manière significative pour assurer la sécurité alimentaire mondiale.

À elle seule, la Russie assure aujourd’hui près d’un quart des exportations mondiales de blé, soit 46 millions de tonnes rien qu’en 2022/23, contre des 30 millions de tonnes exportées dans la même période par les États-Unis, le Canada, l’Australie, la France et l’Ukraine réunis et dont les 3 premiers sont traditionnellement les principaux exportateurs de blé derrière la Russie.

En 2022 la Russie a récolté 157,7 millions de tonnes de céréales, dont 104,2 millions de tonnes de blé. Dans l’année agricole 2021/22 (1er juillet 2021 – 30 juin 2022), le pays a exporté 38,1 millions de tonnes de céréales, dont 30,7 millions de tonnes de blé. En 2023, selon les prévisions, la récolte des céréales en Russie devrait atteindre 140 millions de tonnes, dont 90 millions de tonnes de blé. Dans l’année agricole 2022/23 (1er juillet 2022 – 30 juin 2023), la Russie a exporté 60 millions de tonnes de céréales. Depuis le début de la nouvelle année agricole, le 1er juillet 2023, en deux mois la Russie a déjà exporté 13 millions de tonnes de céréales.

Parallèlement à des exportations déjà réalisées, la Russie détient des stocks céréaliers considérables et ne demande qu’à les ouvrir et en faire bénéficier le marché mondial en volume qui, de fait, fera baisser les prix artificiellement maintenus à la barre haute par les négociants céréaliers occidentaux et les décideurs occidentaux qui les cautionnent.

L’Occident collectif américanocentrique accuse la Russie d’utiliser la faim comme arme de guerre. Pourtant, les faits indiquent une réalité tout à fait éloignée de leur propagande : en créant d’une manière délibérée et calculée de considérables entraves à l’exportation des produits agricoles russes, le bloc « atlantique » est bien l’auteur de l’utilisation sans le moindre scrupule de la faim comme arme de guerre contre la Russie. Car, avec 60 millions de tonnes de céréales exportées dans l’année agricole de 2022/2023, c’est bien la Fédération de Russie qui est le plus grand exportateur de céréales au monde — et nullement l’Ukraine, dont le volume d’exportation est plus modeste.

Pour les pays de l’OTAN, comme ceci est démontré à plusieurs reprises dans l’histoire contemporaine, cela n’a aucune importance si des populations périssent de faim du moment que cela diminue les revenus de l’adversaire qui peuvent, dans le cas présent, contribuer à l’effort de guerre contre leurs intérêts sur le territoire ukrainien. La volonté de causer des dommages à l’économie russe prédomine très largement la volonté discutable de soustraire le continent noir d’une éventuelle nouvelle famine.

En ce qui concerne la Russie, parallèlement à des exportations classiques, en cette année de crise elle a déjà fait envoyer ou enverra dans l’avenir immédiat et d’une manière gracieuse 200 000 tonnes de blé vers la Somalie, la RCA, le Burkina Faso, le Zimbabwe, le Mali et l’Érythrée, ainsi que 166 000 tonnes d’engrais vers le Sri Lanka, le Nigeria, le Kenya, au Zimbabwe et au Malawi.

En outre, un projet est en cours d’élaboration avec la Turquie et le Qatar pour livrer 1 million de tonnes de céréales russes à la Turquie pour y être transformées et envoyées aux pays les plus pauvres non seulement d’une manière absolument gratuite, mais également avec la prise en charge du transport par la Russie.

Une telle initiative n’a nullement lieu « pour plaire » — la Russie n’a guère besoin de cela, car elle dispose déjà d’acquis historiques considérables sur le continent africain et ne les perdrait pas si une telle contribution n’avait pas lieu. L’action initiée n’est qu’une profonde compréhension d’une urgence absolue vis-à-vis des pays bénéficiaires qui encourent un réel danger de famine et qui ne peuvent s’en soustraire sans une aide extérieure immédiate. Il est regrettable de constater que tant de pays disposant de moyens financiers bien supérieurs à ceux des Russes n’ont aucune intention de suivre l’exemple.

Il est à souligner qu’en prenant en considération les quantités réelles produites et exportées, ce n’est nullement la privation du marché mondial de céréales ukrainiennes, mais bien davantage la privation des céréales et engrais agricoles russes qui est un véritable danger de famine pour les pays les plus démunis. Les sanctions unilatérales illégales contre les entreprises russes engagées dans la production et l’exportation de produits agricoles et d’engrais, le détournement vers les pays occidentaux d’une bonne partie des exportations de céréales ukrainiennes dans le cadre de « l’Accord céréalier » couplé à l’absence de l’idée même du partage d’une infime partie des stocks céréaliers occidentaux, afin de compenser le déficit au niveau des exportations russes et ukrainiennes, sont une action parfaitement réfléchie et orchestrée par les administrateurs du « camp du bien » qui sont tout à fait conscients de possibles terribles conséquences de leurs initiatives. Les conséquences qui sont, à leurs yeux, visiblement, pas assez d’importance pour être prises en considération.

Ce cas de figure permet de ne pas rejeter la supposition grave et, en même temps, parfaitement légitime : le camp « atlantiste » ne verrait pas du mauvais œil si une nouvelle famine qu’ils prédisent si perspicacement se déclenchait sur le continent africain et, ainsi, pourrait être incriminée à Moscou dans le cadre de la propagande « céréalière » menée contre les Russes depuis la première partie de 2022.

De même, il faut faire preuve d’une importante myopie analytique pour envisager que le pouvoir actuellement installé à Kiev, étant l’un des acteurs majeurs dans l’affaire en question, n’ait pas été, dès le début, parfaitement au courant des réels objectifs de la mise en place de « l’Initiative céréalière de la mer Noire » et des réels destinataires et bénéficiaires de leurs propres exportations.

Les engrais agricoles

En parlant de céréales, il est également important de ne pas passer sous silence le problème des engrais agricoles. Depuis des années nous constatons une pénurie importante de fertilisant sur le marché international. Plusieurs facteurs ont créé cette pénurie, dont les hausses des prix de l’énergie et les restrictions par l’état chinois des exportations d’engrais. Un aspect grave de la conjoncture actuelle du secteur agricole au niveau mondial est à noter : la limitation de l’offre a mené vers l’augmentation des prix des fertilisants qui est sensiblement plus élevée que celle des produits agricoles. Ceci amène les agriculteurs à minimiser l’utilisation d’engrais ce qui mènera, de facto, à la récession de la production agricole mondiale.

Si le manque ponctuel de céréales pour des populations démunies est toujours un danger nutritionnel immédiat et à moyen terme, le manque d’engrais agricoles est une bombe à retardement. Une bombe qui est aussi néfaste, voire davantage, que l’absence des denrées alimentaires. Car, privées de fertilisants, les exploitations agricoles locales sont souvent dans l’incapacité d’avoir un rendement de leurs terrains qui soit suffisant pour ne pas faire tomber les populations internes dans une dépendance quasi totale des importations alimentaires.

Et c’est bien dans cette conjoncture que les leaders du monde occidental ont pris la décision d’instaurer de graves entraves aux exportations de fertilisants russes, dont le pays est l’un des principaux exportateurs au monde. De même que pour les céréales, si cette initiative malveillante et néfaste vis-à-vis de l’agriculture des pays pauvres ne prend pas fin, le pire est encore devant nous.

Post-scriptum

Les représentants du pouvoir occidental, auteurs des méfaits énumérés dans ces pages, et leurs peuples respectifs, qu’ils sont censés représenter, ne sont nullement un bloc parfaitement uni et homogène vis-à-vis du modèle prédateur qui est le modus operandi classique de l’Occident néolibéral, dissimulé derrière des apparences herbivores.

Les peuples occidentaux sont profondément divisés en trois principaux camps : celui des formatés et hypnotisés par la propagande d’état mené avec une grande cadence via l’appareil des mass medias contrôlés par les injections permanentes des fonds publics dans leur fonctionnement, celui des indifférents et celui des révoltés et indignés par la politique carnivore menée en leur nom contre le reste de l’humanité. 

Les échecs répétés des derniers temps des élites politiques et leurs justifications de plus en plus maladroites laissent un espoir du renforcement significatif du camp des révoltés, ce qui pourrait mener, à terme, au refondement de l’échiquier politique occidental et à l’instauration d’un monde plus juste, dont ce dernier prendra, enfin, part.

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