Le gouvernement fantôme de l’Allemagne

04/03/2024 (2024-03-04)

Par Jean-Michel Grau

Dans la guerre qui oppose la Russie et les USA en Ukraine par OTAN interposé, l’Allemagne a une place à part. Elle est le seul état européen à faire la jonction entre l’Est et l’Ouest. En d’autres termes, entre la Russie et l’Occident, encore aujourd’hui. En effet, les conséquences de sa division Est-Ouest perdurent 35 ans après la chute du mur de Berlin et la disparition des RFA et RDA, malgré la réunification allemande.

Les stigmates de la défaite de 1945, puis de la guerre froide sont encore bien présents, ne serait-ce que dans la faiblesse de l’actuelle armée allemande, en troupes et en armement, en comparaison de celles de la Grande-Bretagne et de la France, même si toutes les trois sont à l’os, après leur contribution massive à l’effort de guerre en Ukraine.

La conséquence directe des brûlures de l’histoire est que l’Allemagne est toujours et encore aujourd’hui le pays le plus inféodé aux USA. Militairement en particulier, avec la présence sur son sol du plus grand nombre de bases de l’OTAN, mais surtout de son centre de commandement intégré à Ramstein, sans parler de la base américaine de Büchel qui y abrite des bombes nucléaires comme dans 4 autres pays (Belgique, Pays-Bas, Italie et Turquie).

Pour toutes ces raisons, il apparaît donc ici évident que l’Allemagne est en première ligne dans l’éventualité d’un conflit ouvert entre la Russie et l’OTAN.

Ce qui nous amène à la divulgation de cette invraisemblable discussion entre ces quatre officiers allemands de la Lufwaffe dans les médias russes RT et Sputnik.(([1] https://fr.sputniknews.africa/20240301/attaques-contre-le-pont-de-crimee-le-texte-integral-dune-conversation-au-sein-de-la-bundeswerh–1065341183.html))

Pourquoi invraisemblable ? Il ne s’agit pas de nier ici la réalité de cette discussion qui a été reconnue par le ministère de la défense allemand, mais qui peut croire que des officiers de l’armée de l’air allemande puissent échanger tranquillement dans une conversation téléphonique non cryptée sur un sujet aussi grave que celui d’envoyer des missiles à longue portée en Ukraine pour atteindre la Crimée, aujourd’hui territoire russe ? Avec, pour clore le tout, un des participants à Singapour ?

Si la présence de ce général de brigade à Singapour était si indispensable pour cette discussion, que n’était-il pas plus simple et raisonnable de lui payer un billet d’avion pour l’Allemagne afin de discuter bien tranquillement au fond d’un bunker de Ramstein à l’abri des oreilles indiscrètes ?

La première réponse qui vient donc à l’esprit est que cette discussion a été faite pour être divulguée.

Il faut être un enfant de 4 ans pour croire aux explications vaseuses de Boris Pistorius, le ministre de la Défense, qui impute la divulgation de cette conversation à une attaque hybride de la Russie.(([2] https://www-rt-com.translate.goog/news/593702-german-defense-chief-blames-russia-for-leak/?_x_tr_sl=en&_x_tr_tl=fr&_x_tr_hl=en))

En fait, le pauvre homme ne sait plus où il habite, parlant tout à la fois de « guerre de l’information que mène Poutine » et « d’attaque hybride visant la désinformation » tout en recommandant de « réagir de manière particulièrement pondérée, mais néanmoins résolue. »

Derrière toutes ces injonctions contradictoires, que ne désavouerait pas un Macron, se cachent la discorde au sein du gouvernement allemand entre les bellicistes (Pistorius, Baerbock) et le chancelier Scholtz qui a affirmé plusieurs fois récemment qu’il était hors de question d’envoyer des missiles Taurus à l’Ukraine.

D’où cette question qui se pose aujourd’hui sans détours :

Qui gouverne aujourd’hui l’Allemagne ? Les civils ou bien l’armée ? Scholtz ou bien Baerbock ?

Il est facile de considérer celle-ci comme une Nuland(([3] La sous-secrétaire d’État américaine Victoria Nuland est restée célèbre pour sa distribution de cookies sur la place Maidan à Kiev lors du coup d’État américain en Ukraine de 2014 et par son jugement tout en finesse lors d’une écoute téléphonique : “Fuck Europe !”)) allemande, tant son bellicisme n’a d’égal que son alignement inconditionnel à Washington.

On peut comprendre que cette question inquiète particulièrement la Russie, qui vient de convoquer son ambassadeur d’Allemagne.

Mais plus grave encore, pour Dmitri Medvedev, la divulgation de cet enregistrement des officiers allemands préparant une attaque du pont de Crimée met en relief la volonté de l’Allemagne de préparer une guerre contre la Russie via l’OTAN.

Et il explique : « L’Histoire connaît de nombreux exemples où les militaires ont été capables de prendre des décisions à la place de leurs supérieurs civils concernant le déclenchement d’une guerre ou simplement l’incitation à un conflit », évoquant un scénario de provocation hypothétique, dans lequel l’armée allemande pourrait convaincre Scholtz que les forces russes avaient lancé un missile sur Berlin qui aurait été intercepté.

Ce qui donne du poids aux craintes de Medvedev, ce sont deux évènements récents. L’un majeur et lourd de conséquences, l’autre qui est passé totalement inaperçu.

Ainsi, tout d’abord, le sabotage de Nord Stream par les Américains, pour définitivement déscotcher l’Allemagne de l’énergie russe bon marché, qui a mis à genoux toute l’économie allemande et qu’a laissé faire sans broncher le chancelier Scholtz. Par son silence face à cet acte de guerre, Scholtz est passible d’une inculpation pour complicité de haute trahison contre son propre pays.

L’autre évènement, beaucoup plus discret, à savoir le détour par le Texas d’Annalena Baerbock, lors de sa visite à Washington le 13 septembre dernier. À cette occasion, elle a rencontré le gouverneur républicain Greg Abbott. Bizarre autant qu’étrange, sachant que celui-ci est, selon Courrier International, l’antithèse de l’écologiste d’outre-Rhin. Futur vice-président du candidat Donald Trump, Abbott « a fait passer une des réglementations relatives à l’avortement les plus dures des États-Unis, envoie la garde nationale contre les migrants le long des 2000 kilomètres de sa frontière avec le Mexique et se refuse à renforcer la législation sur les armes à feu. »

Ce qui fait dire à Courrier International que celle qui surnomme le Texas « l’État des extrêmes » est venue se rendre compte des chances de Donald Trump de remporter les élections présidentielles de novembre et que l’Allemagne prépare déjà l’après Biden.

Si l’on prend en considération :

1) — la probabilité du retour au pouvoir de Trump en novembre qui ne voit plus l’intérêt de continuer à entretenir l’OTAN alors que son pays est englué dans une immigration continue qui explique le gel par les républicains du Congrès des nouveaux fonds américains à envoyer à l’Ukraine,

2) — l’entraînement exceptionnel « Steadfast defender » des 90 000 troupes de l’OTAN pendant 4 mois jusqu’en juin aux frontières de la Russie, on peut raisonnablement se demander si l’Allemagne via ses ministres de la Défense et des Affaires étrangères n’est pas en train de profiter de cet entraînement pour préparer une attaque de la Russie en passant par-dessus son chancelier qui apparaît plus que jamais comme un idiot utile à la politique de Washington.

La divulgation de la réunion préparatoire des quatre officiers de la Luftwaffe pour une attaque contre le pont de Crimée pourrait apparaître comme volontaire, ne serait-ce que pour forcer la main au chancelier Scholtz en montrant sa duplicité face à une escalade guerrière contre la Russie. Traduction : « je refuse d’envoyer des missiles Taurus à l’Ukraine, mais mon armée s’y prépare. »

Rappelons enfin qu’Annalena Baerbock est étrangement silencieuse sur ce scandale de la divulgation de la discussion des officiers de la Luftwaffe, mais aussi sa compatriote, dont le bellicisme forcené n’est plus à démontrer, Ursula Von der Leyen, tout aussi étrangement muette…

Pour terminer, citons Maria Zakharova qui a déclaré aujourd’hui :

« L’Allemagne est gouvernée par une puissance de l’ombre. Il existe une force invisible et inconnue pour l’électeur allemand, sans rapport avec le système électoral, au sein de l’appareil d’État qui gouverne désormais l’Allemagne. Les Allemands parlent du “Schattenstaat”, un “État fantôme”. »


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