« Seul un dieu peut encore nous sauver… ». Cette phrase, le philosophe Martin Heidegger l’a prononcée lors de sa célèbre interview au journal allemand der Spiegel en 1966 (elle ne sera publiée que dix ans plus tard). Elle conclut son analyse pessimiste et résignée du destin de l’homme occidental(isé) au vingtième siècle, tout entier sous l’emprise de la technique et en particulier de ce que le philosophe appelle la cybernétique. À l’époque, l’informatique n’en était encore qu’à ses débuts et sans doute utiliserait-il aujourd’hui des termes plus familiers à nos oreilles tels que technologie numérique, monde virtuel ou encore I.A. (Intelligence Artificielle).
Il faut tout de même rendre hommage à sa vision prophétique qui, loin de se borner à une conception purement instrumentale de la technique, entrevoit les terribles implications psychosociales de celle-ci sur le devenir même de l’homme, son créateur. La technique numérique, ce n’est pas seulement l’outil (hardware + software) qui rend une grande partie du travail humain superflu, qui oblige ceux qui l’utilisent à de permanentes mises à jour génératrices de stress, d’angoisse, de dépressions et qui permet insidieusement le traçage et le contrôle à distance des populations ; ce n’est pas une simple machine dont nous ne parviendrions pas encore à maîtriser toute la puissance. C’est bien plus que cela. L’informatique, en effet, ne se contente pas de rester à l’extérieur de nous-mêmes ou de modifier notre rapport au monde, comme l’ont fait avant elle la roue, l’écriture, l’imprimerie, la machine à vapeur ou le chemin de fer. Elle pénètre en nous.
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