18/09/2023 (2023-09-18)
[Illustration : Sauvetage de migrants par les garde-côtes italiens, le 15 septembre à Lampedusa. Un épisode parmi tant d’autres…
Photo © Cecilia Fabiano/LaPresse/Shutter/SIPA]
[Source : valeursactuelles.com]
Jean Messiha : Crise migratoire à Lampedusa, la solution du blocus naval
TRIBUNE. Le seul mode de blocus naval possible tant sur le plan militaire qu’humain est un blocus aux limites des eaux territoriales des deux pays de départ que sont la Tunisie et la Libye, explique Jean Messiha, président de l’Institut Vivre Français.
Par Jean Messiha
Une origine étymologique lointaine attribue le nom de Lampedusa à une espèce d’huître très présente sur son littoral. Loin d’être aussi hermétiquement fermée que le crustacé dont elle porte le nom, cette île italienne est aujourd’hui en proie à une invasion de migrants venus par la mer. Depuis le 11 septembre 2023, plusieurs dizaines de bateaux ont ainsi déversé pas moins de 11 000 personnes en provenance d’Afrique du Nord.
Au total, ce sont plus de 127 000 migrants qui ont débarqué sur les côtes italiennes depuis le début de l’année, soit le double par rapport au nombre de migrants arrivés à la même période en 2022.
Cet afflux massif et continu de migrants, pour la plupart subsahariens, maghrébins et masculins (on est loin de la « parité » si chère aux gaucho — « progressistes ») relance inévitablement, et pour la énième fois, le lancinant débat sur la politique migratoire. Qui plus est, dans un contexte où les peuples européens disent massivement non à tout accueil de migrants supplémentaires, comme en attestent les sondages qui se succède depuis des années.
Les termes du débat public autour de la migration ne sont toutefois pas satisfaisants, tant s’en faut. Les gaucho — « progressistes » ont une position qui consiste à dire « on ne peut rien faire et donc la seule solution est de ventiler les migrants sur toute l’Europe ». Ce discours est repris par le président de la République française, Emmanuel Macron, dont la politique migratoire se résume à une « relocalisation » des migrants dans les territoires français qui n’en ont pas actuellement, à savoir principalement la France rurale ainsi que dans les villes petites et moyennes. Ne parlons pas de la Nupes pour qui l’invasion migratoire n’est pas un problème, mais un projet susceptible d’accélérer l’objectif de créolisation de la France cher à Jean-Luc Mélenchon. Autant dire son grand remplacement.
De l’autre côté du spectre politique, le camp national déclare ne vouloir accueillir aucun migrant sur le sol européen. L’ambition est louable, mais pèche par manque de précision opérationnelle. Pas de migrants, très bien, mais comment, concrètement les empêcher d’arriver sur les côtes européennes ?
Contre l’immigration, il faut arraisonner les bateaux à la limite des eaux territoriales du pays de départ
Le mode opératoire pour réduire drastiquement l’afflux d’une immigration supplémentaire est pourtant assez simple : il faut un blocus naval.
Un blocus naval ? Fort bien. Mais comment exactement ? Le seul mode de blocus naval possible tant sur le plan militaire qu’humain est un blocus aux limites des eaux territoriales des deux pays de départ que sont la Tunisie et la Libye, et ce, pour plusieurs raisons.
Si on laisse les embarcations — et en particulier les plus petites — progresser jusqu’à la limite des eaux territoriales italiennes, la distance pour retourner à la côte de départ, la Tunisie ou la Libye est bien trop importante (plus d’une centaine de kilomètres) et donc beaucoup trop risquée. Aucune marine militaire n’acceptera de refouler les bateaux dans ces conditions, en prenant le risque inconsidéré d’être mise au banc des accusés en cas de naufrage meurtrier.
En revanche, en arraisonnant les bateaux à la limite des eaux territoriales du pays de départ, soit 12 milles marins (22 kilomètres) au large, le risque du refoulement est beaucoup plus faible et les marines nationales européennes pourront, de surcroît, appeler les garde-côtes tunisiens ou libyens.
Les objections peuvent facilement être levées
À cette stratégie, six objections peuvent être opposées, toutes pouvant être facilement levées.
« Comment allez-vous empêcher les bateaux de quitter les eaux territoriales tunisiennes ou libyennes ? En leur tirant dessus ? » Bien sûr que non ! Et d’ailleurs nul besoin d’arriver à cette extrémité pour atteindre le but recherché. Il suffit de regarder du côté de la Grèce. Que font les garde-côtes grecs ? Ils refoulent les bateaux vers la Turquie avec très peu de casse. Toutefois, si passeurs et/ou migrants se rebellent contre l’arraisonnement, il faut faire parler les armes non létales de maintien de l’ordre, comme on le ferait pour calmer des émeutiers n’importe où.
« Les bateaux risquent de se saborder pour forcer les navires de guerre à les prendre en charge. » Dans cette éventualité, pas de problème : les migrants seront secourus. Mais ils resteront sur place jusqu’à ce que les garde-côtes libyens et/ou tunisiens arrivent, et cela aussi longtemps que nécessaire.
« Les bateaux risquent de refuser de faire demi-tour ! » Même réponse. Ils seront immobilisés jusqu’à l’arrivée des garde-côtes tunisiens ou libyens. En attendant, ils seront bien entendu fournis en eau et nourriture.
« Et si les garde-côtes tunisiens ou libyens ne viennent pas ? » Dans ce cas devront déferler les sanctions diplomatiques et éventuellement économiques massives de l’Union européenne sur les pays récalcitrants.
« Mais de quel droit peut-on arraisonner un bateau alors qu’il a atteint les eaux internationales ? » C’est très simple : la suspicion de trafic d’êtres humains, comme le prévoient le droit international et le droit de la mer.
« Cela va coûter un pognon de dingue aux pays de l’Union et à l’Union ! » Certes, mais au total, cela nous coûtera bien moins cher que ce que nous coûte l’immigration illégale, tous frais confondus (accueil, logement, soins, insécurité, etc.).
Un tel blocus naval doit faire l’objet d’une très large publicité dans toute l’Afrique pour que les candidats au départ qui, loin d’être aussi misérables qu’on le prétend, réfléchissent à deux fois avant de s’engager dans une odyssée coûteuse, dangereuse et, finalement, sans espoir. C’est comme ça que l’Australie a réussi sa stratégie dite du « no way ».
La marine italienne pourrait contrôler le front de 500 kilomètres
Dans ce contexte, il est particulièrement irritant d’entendre Georgia Meloni appeler l’Europe au secours en guise de seule réponse à la submersion migratoire de son pays. D’autant qu’elle a tout de même été élue pour, sinon la stopper, du moins la juguler de manière significative.
Certes, l’Europe doit aider l’Italie à refouler les dizaines de milliers de migrants qui tentent d’atteindre ses côtes. Mais cela n’exclut certainement pas le fait que l’Italie pourrait déjà commencer à s’occuper de cette invasion avec ses propres moyens.
La marine italienne est la deuxième de l’Union, derrière la France, mais devant l’Allemagne. De surcroît, la marine italienne n’est pas éparpillée entre la mer du Nord, la Manche, l’Atlantique, la Méditerranée, la mer des Caraïbes, l’océan Indien et le Pacifique comme la marine française. Son aire de projection principale sinon unique, c’est la Méditerranée.
Avec une marine nationale forte de 91 navires (sans compter les garde-côtes), six sous- marins et 75 aéronefs, le tout servi par 18 000 hommes, l’Italie a donc très largement les capacités de bloquer les bateaux qui partent de Tunisie et de l’ouest de la Libye. C’est un front maritime d’environ 500 kilomètres à surveiller. C’est gérable et largement faisable.
Cette position de Georgia Meloni qui se résume à dire : « je ne bouge pas tant qu’on ne vient pas m’aider » est donc tout bonnement absurde et frôle la trahison de la majorité des électeurs italiens qui l’ont largement élue afin qu’elle prenne le taureau de l’invasion migratoire par les cornes.
Les Polonais n’ont pas attendu l’aide européenne pour fermer leur frontière
Il est vrai qu’au moins dans l’absolu, Georgia Meloni pourrait commencer « à se bouger » sans attendre l’aide de personne et surtout pas celle de l’Europe dont le but n’est pas de freiner l’immigration, mais de la répartir. D’ailleurs, qu’ont fait les Polonais quand, à l’été 2022, la Biélorussie a organisé une énorme vague migratoire de Moyen-Orientaux vers les frontières de son voisin ? Le président polonais Andrzej Duda ne s’est pas croisé les bras en disant : « ou bien l’Europe vient m’aider ou je les laisse passer ! » C’est tout le contraire. En réponse, la Pologne de Duda s’est massivement mobilisée pour résister en fermant hermétiquement ses frontières aux non-résidents, y compris aux travailleurs humanitaires et aux médias. Des milliers de militaires et de policiers y ont été déployés et une muraille métallique a été érigée, équipée d’installations électroniques. Le Parlement polonais a même approuvé une loi autorisant les refoulements des migrants. Les ONG ont hurlé, la justice internationale a gesticulé. Mais la Pologne a tenu bon et très peu de migrants sont parvenus à entrer sur son territoire. Qu’attend donc Mme Meloni pour suivre hardiment cet exemple ?
Nos amis italiens prétendent que leur frontière maritime est également la frontière de l’Europe. En conséquence de quoi, il faudrait que ce soit l’Europe qui la défende. Mais ont-ils seulement lu le traité de Schengen avant de le signer ? Car celui-ci stipule que, bien qu’en effet la frontière maritime italienne soit aussi celle de l’Europe, c’est bien à l’Italie d’assurer sa protection !
Peu attractive en matière sociale pour la grande majorité des dizaines de milliers de migrants arrivant sur les côtes européennes, l’Italie n’est donc plus qu’un passage vers les autres pays de l’Union.
Mais si la réalité était plus complexe qu’il n’y paraît ? Et si derrière son apparente inertie et sa déconcertante impuissance, Georgia Meloni était en fait en train de prendre l’Union et les gaucho — « progressistes » à leur propre piège ? Et si Georgia Meloni ne faisait en réalité que louvoyer pour poursuivre son agenda anti-immigrationniste par d’autres moyens ?
Une souricière sournoisement mise en place par les gaucho — « progressistes »
Pour mieux comprendre cette thèse, il convient tout d’abord de planter le décor politique. La présidente du Conseil italienne élue en 2022 s’est trouvée rapidement prise dans une souricière. Souricière sournoisement mise en place par les gaucho — « progressistes » qui sont aux commandes tant de l’Union européenne que de ses deux principales puissances que sont l’Allemagne et la France. En effet, d’un côté von der Leyen, Macron et consorts mettent le pistolet sur la tempe de l’Italie, la sommant de respecter les traités immigrationnistes européens avec des menaces à peine voilées de sanctions (un peu le même stratagème qu’avec la Grèce en 2012, mais en plus discret, l’Italie étant un plus gros morceau que son voisin hellénistique). De l’autre, l’Italie, membre de la zone euro (ce qui n’est pas le cas de la Pologne…) ne se sentant pas les reins économiques et financiers suffisamment solides, refuse pour l’instant le bras de fer et se soumet au diktat de Bruxelles en laissant débarquer les migrants par dizaines de milliers.
Cette apparente impéritie de Georgia Meloni permet ensuite aux gaucho — « progressistes » de dauber sur « l’échec de l’extrême droite à résoudre le problème migratoire ». D’une pierre deux coups donc : maintenir intact l’immigrationisme tout en dézinguant et décrédibilisant le camp national en Italie et ailleurs.
Cela étant, si l’on se place du strict point de vue italien, Georgia Meloni est-elle si perdante que cela ? Pas sûr. Meloni a, en effet, très astucieusement pris il y a quelques semaines des mesures pour réduire la voilure de l’État providence italien. Elle a par exemple décidé de supprimer l’équivalent italien de notre RSA, pour le remplacer par un dispositif nettement moins avantageux, provoquant l’ire des partis de gauche. Certes, les migrants ne sont pas éligibles au RSA italien. Il n’empêche que cette mesure, en apparence modeste, envoie tout de même un message fort aux candidats à l’entrée illégale en Italie, là où la France continue d’attirer avec un modèle social ouvert aux quatre vents.
Une pure tactique pour ménager la chèvre européenne et le chou du programme de Georgia Meloni
Peu attractive en matière sociale pour la grande majorité des dizaines de milliers de migrants arrivant sur les côtes européennes, l’Italie n’est donc plus qu’un passage vers les autres pays de l’Union, à commencer par la France, pays qui reste encore le plus généreux d’Europe en matière sociale. L’Italie est donc d’autant plus volontiers laxiste sur l’immigration que son patronat prend la minorité de migrants qui l’intéresse en raison de la pénurie de main-d’œuvre dans certains secteurs, et que des légions d’ONG organisent la transhumance des autres vers les frontières nord avec la France, la Suisse et l’Autriche où ils tentent inlassablement de passer et finissent forcément par y parvenir.
La victoire de Georgia Meloni avait suscité une immense vague d’espoir pour tous ceux qui, en Europe, attendent l’arrivée d’un gouvernement national qui mettrait fin à la folie migratoire. Pour l’Italie, on peut se demander si Meloni ne fait pas aux Italiens le coup de Sarkozy aux Français au nom du « pragmatisme ».
En attendant et quand bien même son attentisme serait pure tactique pour ménager la chèvre européenne et le chou de son programme, l’expérience Meloni prend vraiment à contrepied le camp national français qui doit maintenant expliquer pourquoi et comment il tiendra réellement ses promesses de campagne en matière migratoire et donner de sérieux gages préélectoraux pour montrer qu’il ne capitulera pas in fine face au mur d’un pseudoréalisme économique et juridique…
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