13/12/2022 (2022-12-09)
[Voir :
Le Tétralogue — Roman — Prologue & Chapitre 1
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 2
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 3
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 4
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 5
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 6
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 7
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 8
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 9
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 10
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 11
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 12
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 13
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 14
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 15
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 16
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 17
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 18]
Par Joseph Stroberg
19 — Secousses forestières
Tulvarn fut réveillé par des secousses en provenance du sol. Les tremblements semblaient s’accentuer dramatiquement. Réalisant un possible danger, il s’extirpa prestement de son abri. Tout en examinant rapidement les alentours, il cria à l’adresse de ses compagnons. Ceux-ci dormaient encore, selon toute vraisemblance. Ses cris restant sans effets, il se précipita pour secouer les endormis un à un sans les ménager le moindrement. Il ne prit même pas le temps d’ouvrir leur mini tente, mais les envoya rouler sur le côté d’une bonne poussée manuelle. Emportés par l’élan, ils effectuèrent plusieurs tonneaux, empêtrés dans leur prison de tissus, avant de s’arrêter, tout en émettant des cris de surprise. Pendant que Tulvarn cherchait toujours vainement l’origine de cet étrange tremblement de terre, ses trois compagnons finirent par sortir à l’air libre et se mirent debout en état d’alerte.
— Que se passe-t-il ? demanda Gnomil, légèrement effrayé.
— Aucune idée, répondit Tulvarn. Mais ça semble se rapprocher. Le problème est que je ne sais pas de quelle direction ça provient. Nous ferions bien de trouver un abri ou un arbre assez solide, au cas où.
— Ici ! alerta Reevirn en désignant sur sa gauche un arbre particulièrement imposant.
Sans attendre, les quatre Véliens coururent vers le colosse de bois dont la plus basse branche, elle aussi énorme, était pourtant inatteignable. Dans leur précipitation, ils avaient laissé tous les sacs à terre, et leurs couchages s’y trouvaient encore pêle-mêle. Arrivés au pied de l’arbre visé, aucun d’eux ne pouvait individuellement atteindre la branche hors d’atteinte, même en sautant particulièrement haut. Par contre, Tulvarn était assez costaud pour les y propulser, ce qu’il effectua en commençant par Jiliern. Le seul ennui est qu’il ne pouvait lui-même grimper. Il fit demi-tour dare-dare pour aller chercher une corde et deux des sacs, alors que les secousses étaient de plus en plus violentes et menaçaient de le jeter à terre. Il revenait vers l’arbre en sprintant quand il ressentit le danger immédiat derrière lui. Dans un pur réflexe, il se jeta à terre au moment même où la patte droite d’une énorme bête allait lui fracasser le crâne alors qu’elle continuait sa course folle dans la forêt, brisant au passage les plantes trop frêles qui se trouvaient sur son chemin. Malheureusement, elle n’était pas seule, mais accompagnée par des milliers d’autres, d’espèces diverses. Tulvarn se releva avant de se faire piétiner par la suivante, puis reprit promptement son chargement. Il parcourut les derniers pas, déposa les sacs dans un creux entre deux racines, puis lança la corde à ses amis avant de devoir à nouveau s’aplatir. Deux énormes herbivores le frôlèrent d’un rien en s’écartant au dernier moment pour ne pas percuter l’arbre. Il se mit de nouveau debout et sauta pour attraper l’extrémité de la corde que venait de lui lancer Gnomil avec adresse. Celui-ci avait attaché rapidement et solidement l’autre bout autour de la grosse branche pendant que le moine était au sol. Tulvarn grimpa à la force de ses bras et se hissa, exténué, sur la plate-forme étroite offerte par la branche sur laquelle se trouvaient déjà ses trois compagnons. Ceux-ci s’y trouvaient à plat ventre et s’y agrippaient à l’écorce. Ils espéraient ainsi éviter de tomber au sol en contrebas, sous l’effet des secousses continuelles qui se voyaient ici amplifiées.
Pendant ce temps, des animaux effrayés, de toutes tailles et espèces, continuaient à agiter la forêt. Ils fuyaient tous vers le nord-ouest, devant un danger inconnu. Les herbivores et frugivores s’y mêlaient indistinctement aux prédateurs, car l’heure n’était visiblement pas à la chasse. Si les quatre Véliens n’avaient pas été aussi accaparés par leur effort pour rester accrochés à leur branche, ils auraient pu s’émerveiller de la grande variété (et parfois étrangeté) des animaux qui traversaient brièvement l’endroit. Les plus gros parmi ces derniers étaient les principaux responsables des tremblements incessants du sol. La plupart étaient inconnus de la grande majorité des habitants de la planète, car ils vivaient uniquement dans cette partie des pleines de l’Ouest, une zone cependant assez vaste pour inclure des centaines de milliers d’espèces animales différentes. La vie grouillait littéralement dans cette jungle. Et pour l’heure, elle était affolée par une menace que le quatuor ne distinguait pas encore. S’agissait-il d’un incendie ? Comment l’un d’eux aurait-il pu prendre dans cette forêt humide, à moins d’un acte incendiaire délibéré ? Tulvarn s’interrogeait à ce sujet et tentait d’imaginer des moyens et des motivations pour l’entreprise d’un tel crime.
Relâchant son attention et son effort, il fut désarçonné de la branche salvatrice et tomba lourdement de l’arbre. Ouille ! Un puissant pachyderme manqua l’écraser en passant. Il ne dut son salut in extremis qu’à une roulade de côté par pur réflexe de survie. Il n’avait plus le temps de remonter et choisit alors la seule solution viable qui s’offrait à lui : contourner vivement le tronc pour s’y abriter derrière. En principe, les animaux évitaient l’imposant végétal et jusqu’à présent aucun d’eux n’avait été assez gros pour risquer de le déraciner en le heurtant de front.
Ses trois compagnons étaient tellement occupés par leur propre maintien qu’ils n’avaient aucunement remarqué sa chute. Ils ne risquaient pas de lui lancer une corde. Tulvarn se plaqua donc sur le tronc pendant que les animaux effrayés le dépassaient par la droite ou par la gauche. Encore une fois, son manque de maîtrise mentale l’avait gravement mis en danger. Et il ne devait sa vie qu’à la chance ou au bon vouloir du Grand Satchan.
Le flux des animaux terrorisés semblait ne pas pouvoir se tarir. Pourtant, il fut soudainement remplacé par une cohorte de Véliens sur le dos de quadrupèdes énormes. Solidement harnachés, ils hurlaient à qui mieux mieux et tiraient en l’air avec des armes étranges. Des explosions assourdissantes couvraient le bruit de la débandade. Le moine s’empressa de se boucher les oreilles et pria pour ne pas être remarqué de ces fous furieux. Il essaya, bien sûr sans succès, de se faire plus petit. S’il existait une cachette dans le coin, il n’aurait de toute manière même pas le temps de l’atteindre. Des centaines et des centaines de ces guerriers ne cessaient d’arriver pour remplacer ceux qui disparaissaient au loin en s’enfonçant dans la jungle. Ils semblaient être aussi nombreux que les animaux pourchassés, du moins ceux de taille au moins équivalente à celle des montures de ces espèces de guerriers. Des guerriers ? Est-ce qu’il s’agissait de cela ? Et donc d’un genre d’armée ? Mais pourquoi ? Que venait-elle faire dans ce cas en plein milieu des plaines de l’Ouest ? Y cherchait-elle de la nourriture ? S’agissait-il d’un genre d’exercice ? Ou d’amusement ? Tulvarn imaginait mal pouvoir s’amuser lui-même par ce genre d’activité. Néanmoins, il n’était pas dans les vêtements ni dans le cuir de ces individus. Il en avait bien conscience. Pour autant, avec sa manière particulière de vivre et de voir les choses et les êtres, il s’en félicitait. Il n’aurait pas voulu être à leur place. Ils se comportaient comme de mauvais barbares, des brutes ayant perdu la raison.
Alors que Tulvarn poursuivait son introspection à la recherche de réponses, le flux des guerriers finit par se tarir et les secousses s’estompèrent progressivement. Ses compagnons se rendirent compte de son absence sur la branche et l’appelèrent en criant :
— Ohé ! Tulvarn ?…
— … Oui ! Quoi ? répondit le moine en revenant au monde extérieur.
— Où es-tu ? demanda Jiliern qui regardait beaucoup trop loin devant elle pour l’apercevoir.
— Ici, juste en bas !
— Oh ! Comment es-tu descendu sans que nous nous en apercevions ?
— Devine ! En tombant, encore une fois !
— Hum ! Ça semble être une habitude chez sieur Tulvarn, intervint Gnomil. Il va falloir qu’on lui trouve quelque chose pour l’en préserver.
— Dépêchez-vous alors, car ça commence à sérieusement m’embêter ! J’ai eu de la chance de ne pas me faire piétiner à mort. En fait, le problème provient de ma fâcheuse tendance à trop me plonger dans mes pensées alors que je devrais prêter attention à ce qui se déroule autour de moi. Mon maître nous a souvent dit qu’il y avait un temps pour agir et un autre pour méditer et qu’il pouvait être dangereux de mélanger les deux.
— Ça me semble correct, mentionna Reevirn. J’imagine notamment que penser à autre chose pendant que l’on tire une flèche sur du gibier est le meilleur moyen de le rater.
— Et penser à un piège pendant que l’on crochète un coffre à trésors, ou l’inverse, est le meilleur moyen de se faire prendre, ajouta le voleur en guise d’approbation.
— C’est vrai que si je n’avais pas été habituellement concentrée sur mon objectif lorsque je recherchais des cristaux, je n’en aurais certainement pas trouvé autant, reconnut aussi Jiliern. Au moins là-dessus, ton maître a vu juste.
— Pour ce que j’ai pu constater et expérimenter depuis que je le connais, il n’a pas dû se tromper souvent, termina le moine. Et s’il était ici, il nous conseillerait peut-être de nous remettre en route. Allons-y, si vous n’y voyez pas d’inconvénients ! Cette étrange armée doit être maintenant assez loin devant nous. Souhaitons qu’elle ne se dirige pas vers Beltarn’il !
Les quatre aventuriers firent le bilan des dégâts : les tentes étaient hors d’usage et des sacs laissés à terre, ils ne purent récupérer que l’équivalent de la moitié d’un seul d’entre eux. Heureusement que Tulvarn avait eu la bonne idée d’en cacher deux autres ! De plus, ceux-ci contenaient les réserves de nourriture les plus essentielles et les bricoles les plus utiles. Au moins, ils n’avaient pas tout perdu et seraient désormais plus allégés. Ils reprirent donc leur marche, à allure modérée, en restant vigilants face aux éventuels prédateurs et autres animaux dangereux. Ceux-ci avaient probablement maintenant cessé leur fuite éperdue pour retourner sur leurs pas afin de retrouver leur zone habituelle de chasse ou de vie. Dévonia était levée, mais restait cachée par les arbres. Et ils n’avaient pour l’instant aucun moyen de savoir si Matronix s’affichait ou non dans le ciel. Il leur aurait fallu pour cela au minimum grimper au sommet des plus grands arbres. Ils n’y songeaient même pas.
(Suite : Le Tétralogue — Roman — Chapitre 20)
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