Russie + Chine = une fausse alternative à l’hégémon américain

19/05/2024 (2024-05-19)

[Source : telegra.ph]

Par Iurie Rosca — 19 mai 2024

L’éminent penseur politique et auteur Mees Baaijen m’a envoyé un courriel me suggérant d’écrire un article qui apaiserait d’une manière ou d’une autre l’enthousiasme des admirateurs des dirigeants russes et chinois, ainsi que des BRICS, qu’ils perçoivent comme un projet alternatif à l’hégémonisme américain et, par conséquent, bénéfique pour les peuples du monde. C’est pourquoi cet article est dédié aux adorateurs du culte Russie-Chine-BRICS à l’occasion de la récente visite de Poutine en Chine.

C’est donc à Pékin que le président russe Vladimir Poutine a effectué sa première visite officielle depuis les dernières élections présidentielles et son investiture triomphale à Moscou. Mais avant de faire quelques remarques sur les relations entre les deux pays, je voudrais rappeler aux idolâtres du régime de Moscou qu’il ne peut être considéré comme légitime que dans la mesure où le pouvoir génère la légitimité.

Conformément à la constitution russe adoptée en 1993, ce pays est une démocratie libérale calquée sur le modèle occidental. Mais comme dans tout régime ploutocratique, en Russie, l’exercice électoral n’est qu’un spectacle politique destiné à créditer le régime en place. Rappelons que Poutine n’a jamais été élu sur la base d’une véritable alternative. Il a d’abord été installé comme président intérimaire le 31 décembre 1999 par décret de Boris Eltsine, dont l’état de santé s’était dégradé en raison d’une consommation excessive d’alcool. Et toutes les élections présidentielles qui ont suivi au cours des 25 dernières années n’ont été qu’une série de simulacres dans des conditions de suppression de toute opposition réelle. La dernière campagne électorale n’a pas fait exception à la règle.

La première remarque concernant les relations bilatérales entre les deux pays serait la suivante. Il ne s’agit pas de relations mutuellement bénéfiques, mais de relations en faveur de la Chine et au détriment de la Russie en tant qu’État, et en même temps au profit des groupes oligarchiques qui contrôlent l’économie de ce pays.

Un grand frère et une république bananière

Une fois de plus, après les sanctions imposées à la Russie par la guerre économique des Anglo-Américains assistés de leurs satellites européens, ce pays a été poussé dans les bras étouffants de la Chine. Un rapide coup d’œil sur les marchandises exportées par la Russie jusqu’à il y a quelques années, principalement vers l’Occident, puis vers la Chine et d’autres pays de l’Est, montre clairement l’état ingrat dans lequel ce pays s’est retrouvé. Les groupes d’intérêts privés qui contrôlent le pouvoir politique en Russie exportent massivement des ressources naturelles et des matières premières, notamment du gaz, du pétrole, du bois, des céréales, des métaux, etc. Au contraire, la Russie a importé de l’Occident, et maintenant de la Chine, des produits industriels finis, des technologies, des composants informatiques, etc. Dans ces conditions, on ne peut pas parler de relations économiques mutuellement bénéfiques, mais d’une nature néocoloniale de ce type de partenariat.

En d’autres termes, la Russie est devenue une république bananière de la Chine, qui prive son « partenaire commercial » de ressources naturelles. Rappelons également que la Russie a concédé à la Chine d’immenses territoires en Sibérie depuis des décennies. Et compte tenu de l’écart démographique entre les deux pays, Moscou pourrait, dans un avenir assez proche, perdre les territoires situés au-delà de l’Oural au profit de ce « principal partenaire ». Ainsi, alors que la Russie et l’URSS jouissaient du rôle de « grand frère » à l’égard des pays colonisés de l’ancienne zone communiste, elle se trouve aujourd’hui dans la position embarrassante de « petit frère du grand frère chinois ».

Et le fait que la Russie reste une puissance nucléaire redoutable ne l’exonère pas des risques de rester un appendice économique de la Chine hyperindustrialisée. L’erreur que commettent les analystes géopolitiques lorsqu’ils évoquent la Chine est de considérer ce pays selon la formule d’une rivalité européenne classique qui divise les acteurs en deux camps. C’est-à-dire, dans le cas présent, la compétition entre « l’Ouest » et « le Reste ». Mais il faut savoir que les Chinois ont une mentalité et une stratégie totalement différentes pour promouvoir leurs propres intérêts dans le monde.

Lorsque deux personnes se battent, c’est la troisième qui gagne

Leur formule magique n’est pas le jeu à deux, mais à trois acteurs. Dans la confrontation entre l’Occident et la Russie, les deux parties doivent perdre en faveur du troisième acteur, la Chine. Mais contrairement aux Occidentaux, elle ne pratique pas un langage belliqueux, mais favorise l’expansion économique par le biais d’une diplomatie douce basée sur une ruse orientale infinie. Il suffit d’observer les relations commerciales entre la Chine et les États-Unis, mais aussi entre ce pays et l’UE, pour constater que la guerre en Ukraine n’a pas affecté ces relations. L’expansion de la Chine dans les États d’Asie centrale de l’ex-URSS, ainsi que dans les pays ex-communistes d’Europe, se fait évidemment au détriment de la Russie et des États-Unis. Le même processus est en cours sur l’ensemble du continent asiatique, en Amérique latine et en Afrique.

Par conséquent, la dynamique géoéconomique à l’échelle mondiale invalide le récit dominant présent dans les discours et les documents signés à Pékin ces jours-ci par Xi Jinping et Poutine, qui insiste sur le « mythe de la multipolarité ». L’histoire de la multipolarité n’est rien d’autre qu’une manœuvre de la ploutocratie mondialiste tirant les ficelles d’en haut, conçue pour tromper les États de l’Est et du Sud qu’en échange de l’hégémonie américaine, un ordre mondial plus juste et plus équitable est à venir pour les anciennes nations colonisées. C’est là que réside toute l’escroquerie. Le déclin de « l’Occident » n’implique pas la montée du « Reste ».

En effet, les élites mondialistes exercent un contrôle tout aussi fort sur l’« Occident collectif » que sur des conglomérats tels que les BRICS. Et quiconque est capable de saisir l’ensemble et de voir la situation dans sa totalité ne peut nier cette réalité. Et celui qui n’a pas encore compris qu’il s’agit d’un immense piège, tissé par les mêmes cercles mondialistes, risque de se mettre dans une position ridicule, car la vérité deviendra évidente même pour les aveugles.

Quand les entreprises gouvernent, les États obéissent

L’illusion que des entreprises telles que BlackRock, Vanguard, State Street laissent un Poutine et un Xi Jinping préserver la souveraineté nationale de leurs pays révèle une grave erreur de perspective. Et ce, quand il ne s’agit pas d’un écran de fumée pour couvrir la stratégie universellement valable des élites mondialistes. Faut-il rappeler qu’aucun pays n’échappe aux griffes de la pieuvre financière de la Banque des règlements internationaux mondialiste ?

Ceux qui ont un minimum d’instruction savent que la mondialisation des dernières décennies a érodé jusqu’à l’annihilation la souveraineté de tous les États. Et à cet égard, ni les États-Unis, ni la Chine, ni la Russie ne sont des exceptions. Je me réfère au titre d’un livre fondamental publié en 1995, When Corporations Rule the World (Quand les entreprises dirigent le monde)de David C. Korten. Et toutes les erreurs de calcul des adorateurs des BRICS se résument à leur entêtement à ne pas appliquer cette formule à des pays comme la Russie et la Chine.

Pour rire un peu plus, nous citons la déclaration commune des deux dirigeants du 16 mai : « promouvoir la démocratisation des relations internationales et l’équité et la justice internationales ». Il est tout à fait comique de voir comment les représentants de deux régimes abusifs, antidémocratiques par excellence, plaident avec véhémence pour la « démocratisation des relations internationales ». Si cela signifie l’expansion du modèle « russe » ou « chinois » sur le monde entier, alors nous avons toutes les raisons de nous inquiéter pour notre avenir.

Gouvernement mondial avec le nom de conspiration UN

Un deuxième aspect fondamental qui frappe toute approche critique est la rhétorique triomphaliste affichée par Poutine et Xi louant le rôle moteur et bénéfique de l’ONU. Ils déclarent leur allégeance à l’ONU, plaidant pour le renforcement du rôle de cette organisation dirigée par des entités non étatiques éminemment mondialistes telles que le CFR, le WEF, la franc-maçonnerie et d’autres cercles occultes. D’ailleurs, le plaidoyer pour le rôle prépondérant de l’ONU dans les relations internationales est présent dans tous les documents des BRICS (voir mes articles à ce sujet : https://arcaluinoe.info/en/blog/2023-08-24-9o94djqp/ ou Les BRICS menacent-ils l’agenda mondialiste ? ; https://arcaluinoe.info/fr/blog/2023-08-26-646srixg/ ; https://arcaluinoe.info/en/blog/2023-08-29-4fdmeklk/ ou Les BRICS — un instrument clé pour l’établissement du nouvel ordre mondial).

Une lecture attentive du texte programmatique du Secrétaire général de l’ONU, António Guterres, intitulé « Notre programme commun » (https://www.un.org/en/common-agenda) et des documents préparatoires au Sommet pour l’avenir (https://www.un.org/en/summit-of-the-future) prévu pour les 22 et 23 septembre 2024 suffit pour comprendre que le gouvernement mondial est en train d’émerger en portant le masque de l’ONU. N’oublions pas non plus la prochaine Assemblée mondiale de la santé https://www.who.int/about/accountability/governance/world-health-assembly, qui se tiendra du 27 mai au 1er juin 2024 et qui devrait adopter l’Accord sur les pandémies ainsi que compléter le Règlement sanitaire international. Et étant donné que la Chine et la Russie ont montré leur totale obéissance à l’OMS pendant la période de la fausse pandémie de Covid-19 et n’ont jusqu’à présent manifesté aucun désaccord avec la politique génocidaire et tyrannique de cette organisation, l’idée même que ces deux pays soient en désaccord avec l’agenda mondialiste est une pure aberration.

En ce sens, il convient de rappeler qu’à l’origine de l’émergence de la Société des Nations après la Première Guerre mondiale et de l’ONU après la Seconde Guerre mondiale se trouvaient les cercles occultes de la ploutocratie mondialiste. Le siège des promoteurs du Nouvel Ordre Mondial se trouve précisément à l’ONU. Et nos braves rebelles des BRICS contre l’ordre unipolaire déifient notamment cette organisation, préconisant qu’elle exerce une « gouvernance mondiale ». Cette notion même annule toute idée d’indépendance nationale.

Et si tout être humain qui a gardé sa capacité cognitive et son intégrité morale intactes est profondément préoccupé par l’imposition de la Grande Réinitialisation menée à un rythme accéléré, alors il n’y a pas moyen d’éviter l’évidence frappante que la Russie et la Chine sont parmi les champions de la mise en œuvre de cette stratégie satanique. Il suffit de se référer à l’Agenda 2030 de l’ONU pour le développement durable, à l’acceptation de la CBDC, à la société sans argent liquide, à la surveillance généralisée, à l’adhésion au mythe du changement climatique, à la numérisation totale, etc. Dans ce contexte, peut-on prétendre que la Russie et la Chine ne font pas partie du projet cauchemardesque de mise en place d’une technocratie satanique mondiale ? Et pourtant, ils sont encore assez nombreux ceux qui continuent à nier l’évidence.

La subordination à l’OMC comme adhésion aux politiques économiques néolibérales

Outre la subordination à l’ONU et à l’OMS, la déclaration commune des deux dirigeants du 16 mai indique également qu’ils souhaitent « renforcer la coopération dans le cadre de l’OMC ». Ici, une petite explication s’impose. Pour ceux qui ont un minimum de connaissances en relations internationales, le rôle néfaste de l’OMC est bien connu. On sait donc que cette organisation représente l’instrument de recréation des relations économiques internationales dans l’intérêt des grandes entreprises et au détriment des États et des peuples, ainsi que des petites et moyennes entreprises. Le fondement de l’OMC est l’idéologie économique néolibérale axée sur le libre-échange, sur l’affaiblissement de l’indépendance économique des États, sur l’interdiction des mesures de protection des marchés intérieurs, les mêmes principes étant présents dans ce que l’on appelle le Consensus de Washington (https://en.wikipedia.org/wiki/Washington_Consensus ; https://www.ipea.gov.br/forumbrics/en/learn-about-brics.html).

Il convient de noter qu’au cours des dernières décennies, le seul paradigme permettant d’interpréter les relations économiques internationales est le paradigme néolibéral, toutes les autres écoles de pensée économique étant marginalisées et blâmées. L’idée même d’un énorme marché qui engloberait une construction amorphe en expansion continue comme les BRICS est façonnée par l’idée du libre-échange, qui est la règle d’or des prédateurs économiques.

Nous le répétons. Le déclin de l’empire américain ne signifie pas le déclin de la ploutocratie mondialiste, qui contrôle une grande quantité de ressources économiques, technologiques, militaires et médiatiques. Et entre la mondialisation unipolaire et la mondialisation « multipolaire », il n’y a pas de différence de fond.

(à suivre)

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