Psychopathie — « La science du mal »

13/02/2024 (2024-02-13)

[Source : fr.sott.net]

Analyse personnelle de l’ouvrage « La Ponérologie politique »

Par Michael Rectenwald — Mises Institute

Une nouvelle édition de La Ponérologie politique d’Andrew M. Łobaczewski, proposée par Harrison Koehli, est désormais disponible. Ce livre singulier et provocateur soutient que le totalitarisme résulte de la propagation d’une psychopathologie dans l’ensemble du corps politique — systèmes économiques compris — à partir d’un foyer de psychopathes. La Ponérologie politique constitue une lecture essentielle pour les penseurs consciencieux et toutes les victimes du totalitarisme, passées et présentes. Cet ouvrage est d’autant plus fondamental aujourd’hui que le totalitarisme refait à nouveau surface, cette fois en Occident, où il affecte quasiment tous les aspects de la vie et notamment nos esprits.

Avant de découvrir La Ponérologie Politique d’Andrew Łobaczewski, je peinais à comprendre comment le gauchisme autoritariste avait pu, au fond, s’emparer des États-Unis d’Amérique. Dès que je me suis trouvé confronté à ces Social Justice Warriors1 enragés en tant que professeur à l’Université de New York — comme je le raconte dans mon livre Springtime for Snowflakes2 — j’ai commencé à remarquer, avec une vive inquiétude, le caractère autoritariste de la gauche contemporaine. Puis, l’émergence de l’idéologie « woke »3 qui, telle une métastase, a dépassé le cadre du monde universitaire pour envahir le corps social tout entier, m’a mis en quête de comprendre la montée du totalitarisme — car je croyais, et crois toujours, que le wokisme est totalitaire.

J’ai commencé par la révolution bolchevique en Russie et continué en étudiant l’exportation des variantes bolcheviques en Europe de l’Est et en Asie. Le communisme était pour moi beaucoup plus intéressant que le nazisme, et il s’agissait d’un terrain bien plus négligé dans le monde universitaire étasunien. En outre, il était plus pertinent dans le contexte actuel. Alors que j’entreprenais des recherches sur la criminalité politique de la gauche, j’ai été autant surpris que furieux de constater à quel point le monde universitaire avait enterré une grosse partie de l’Histoire. Par exemple, des recherches par mots-clés sur les pratiques de « séances de lutte » ou d’« autocritique », extrêmement répandues en Chine lors de la Révolution culturelle, ne donnaient quasiment aucun résultat. Soit ces sujets et autres questions connexes n’étaient pas traités, soit ils avaient simplement disparu. Je soupçonnais alors qu’une vaste opération de dissimulation avait été entreprise.

Cela dit, ce domaine d’étude n’a jamais été ma spécialité. Je suis universitaire depuis presque trente ans. Mes travaux concernaient l’histoire de la science et ses points de rencontre avec la culture dans l’Angleterre du XIXsiècle. Je me suis attardé sur le « sécularisme », un mouvement peu connu lancé par George Jacob Holyoake en 18514. M’étant ainsi de moi-même confiné à cette niche académique, j’avais pas mal de retard à rattraper. Naturellement, je me suis plongé dans Le Livre noir du communisme, un volume tristement célèbre parmi les marxistes occidentaux et que, en raison de leur allègre rejet, je n’avais jamais pris la peine d’ouvrir, et encore moins de lire, bien qu’étant marxiste moi-même. Il y avait tant de recherches à faire, y compris fouiller dans les Archives digitales staliniennes auxquelles j’avais accès en tant que retraité de l’Université de New York. J’ai aussi lu les classiques sur le totalitarisme ainsi que les récits littéraires écrits par des auteurs désormais célèbres mais encore trop négligés.

Ce n’est pas avant d’avoir lu La Ponérologie politique que j’ai pu disposer des outils nécessaires pour comprendre l’étiologie du totalitarisme. Il y avait là un auteur qui prétendait sans ambages avoir découvert « les lois générales de l’origine du mal ». Si c’était vrai, ce livre était du même niveau que les Principia de Newton en sciences physiques, tout en étant d’une plus grande importance pratique. J’ai été étonné de voir avec quelles assurance et détermination l’auteur poursuivait ce but. Et il approchait ce domaine depuis la perspective disciplinaire de la psychologie. Ce genre de méthodologie « individualiste » avait été reléguée au rang de simple « psychologisme » dans mon propre domaine d’étude et bien d’autres relevant des sciences humaines et sociales. Je me suis demandé pourquoi Łobaczewski s’évertuait à se focaliser sur les troubles psychologiques individuels pour comprendre le déploiement du « mal macrosocial ». J’étais toujours parti du principe qu’il fallait étudier l’idéologie politique et que celle-ci expliquait quasiment tout ce qu’il était nécessaire de savoir sur le comment et le pourquoi de l’apparition du mal totalitaire.

Dès ma première lecture de La Ponérologie politique, j’ai commencé à être convaincu qu’effectivement, une « psychose collective » — une expression récemment introduite par des dissidents et dénigrée par les médias dominants dans le contexte de la propagande autour du covid — pouvait commencer par des individus pathologiques et se répandre dans toute la société, submergeant des nations entières. Łobaczewski explique en détail ce processus au lecteur, de son début à sa fin peu glorieuse. J’ai reconnu les patterns que Łobaczewski s’attelle à exposer. Ils correspondaient aux faits du totalitarisme historique. Et j’ai remarqué que ces patterns sont toujours d’actualité, jusqu’au pourcentage de gens qui succombent à l’idéologie politique totalitaire ou y résistent.

En parlant d’idéologie, La Ponérologie politique explique un phénomène qui m’avait contrarié. Comment les idéologues communistes ont-ils réussi à convaincre les masses qu’ils avaient commis leurs crimes au nom « des travailleurs », « du peuple », ou de l’égalitarisme ? Mais encore plus déroutant, comment ces idéologues se sont-ils convaincus eux-mêmes que leurs crimes étaient pour le bien du citoyen ordinaire ? Łobaczewski explique que l’idéologie totalitaire opère à deux niveaux : les termes de l’idéologie d’origine sont pris au pied de la lettre par les véritables partisans, tandis que les initiés du parti leur substituent un sens secondaire, et que les gens normaux sont soumis à du gaslighting5. Seuls ces initiés, les psychopathes, connaissent et comprennent ces sens secondaires. Ils reconnaissent que les actions soi-disant entreprises au nom des « travailleurs » se traduisent en domination du parti et de l’état au nom des psychopathes eux-mêmes. La vérité est à l’opposé de ce que prétendent les initiés du parti, et ils le savent. La Ponérologie politique nous explique ainsi l’origine du « double langage » qu’Orwell décrit si bien. Par pure coïncidence, Łobaczewski a terminé son manuscrit de La Ponérologie politique en 1984.

Par ailleurs, le livre posé devant le lecteur est autant une anomalie qu’un exploit monumental. Il représente le volume inaugural d’une nouvelle science — la ponérologie, ou la science du mal. Minutieusement et avec une précision scientifique, il explique l’émergence et le développement du mal macrosocial.

Comment sont advenues l’écriture de ce livre et la découverte de ce domaine scientifique ? Les deux sont nés dans un laboratoire vivant. Łobaczewski n’y était pas seulement l’un des scientifiques qui développaient ses méthodes, il en était aussi le cobaye. Łobaczewski a atteint l’âge de la majorité sous le nazisme avec l’occupation allemande de la Pologne, et il a ensuite vécu sous le régime communiste. Il est devenu psychologue, et étant donné sa compréhension clinique de la psychopathologie, commença à entrevoir le caractère psychopathologique du système politique communiste qui avait pris le contrôle de son pays natal.

Comme je l’ai mentionné, dans La Ponérologie politique, Łobaczewski aborde ce domaine avec une méthodologie — l’individualisme et le matérialisme méthodologiques de la psychologie — que l’on aurait pu penser inapplicable à ce champ d’études. Il exige de cette nouvelle science de la ponérologie qu’elle offre la perspective de comprendre et, plus ou moins de remédier à, ce qui constitue l’un des développements les plus pernicieux de l’histoire moderne et la source de souffrances indicibles.

Łobaczewski affirme qu’une étude adéquate du totalitarisme était jusque-là impossible car elle avait été entreprise dans les mauvais registres. Elle avait été réalisée, entre autres, sous l’angle de la littérature, de l’étude des idéologies, de l’histoire, de la religion, des sciences politiques et de la politique internationale. On se souviendra des récits et études littéraires sur l’Union soviétique, le bloc de l’Est et l’Allemagne nazie — des classiques d’Hannah Arendt, d’Alexandre Soljenitsyne, de Václav Benda, de Václav Havel, et bien d’autres. Ces contributions ont été indispensables mais, et sans que cela ne soit leur faute, elles ont nécessairement échoué à saisir la racine du problème, à savoir la dimension psychopathologique de l’origine et du développement de la « pathocratie », le règne des psychopathes.

Les réactions des êtres humains normaux face aux injustices criantes et à la déformation de la réalité perpétrées par les instances dirigeantes, n’ont jusqu’ici été comprises que du point de vue des visions naturelles du monde. Émotivité et jugements moraux empêchent les victimes de voir ce qui les afflige. Les insuffisances des approches universitaires, ainsi que le moralisme de tout un chacun, ont fondamentalement conduit l’humanité à se faire une idée erronée de la pathocratie, la laissant ainsi sans défense à son encontre. Łobaczewski corrige ces insuffisances et fournit des moyens de défense.

Pour acquérir cette connaissance, il est crucial d’introduire une nouvelle taxonomie appropriée. Łobaczewski s’efforce d’expliquer la nécessité d’une taxonomie et de justifier l’introduction de termes scientifiques objectifs et les concepts auxquels ils renvoient. L’auteur nous rappelle que toute science pénétrant en territoire inconnu a dû procéder de la sorte. Il estime à juste titre que la terminologie est essentielle pour mener à bien cette entreprise scientifique, car elle isole et définit ses données, et fournit des outils pour les contrôler. « Je n’ai pas eu d’autre choix », écrit Łobaczewski, « que de recourir à une terminologie biologique, psychologique et psychopathologique afin de mettre en lumière la véritable nature du phénomène […] ». Je laisserai à l’éditeur et à l’auteur lui-même le soin d’introduire la plupart de ces termes et leur définition, et relèverai uniquement que la dénomination appropriée de « pathocratie » et de ses caractéristiques n’est qu’une des contributions majeures de l’auteur. Par cette dénomination, il lève toute ambiguïté et fournit le premier moyen de défense contre son développement et sa propagation.

Certaines parties de ce livre sont si fournies qu’on pourrait avoir l’impression qu’elles expriment de simples généralités. Mais le lecteur doit s’efforcer de rester extrêmement attentif lorsque Łobaczewski aborde les conditions psychologiques et psychosociales normales des individus et des sociétés afin que l’émergence au pouvoir de personnages pathologiques, avec leurs caractéristiques révélatrices, puisse être discernée, comprise, et si possible, empêchée. Ces caractéristiques sont abordées avec perspicacité et une lucidité remarquable. Comme je l’ai fait, le lecteur vivant des situations similaires prendra connaissance des patterns et validera les découvertes de l’auteur en les comparant à sa propre expérience. Il commencera ainsi à trouver les moyens de défense contre les effets de la pathocratie promis par l’auteur. Comme le dit Łobaczewski, « en ce qui concerne les phénomènes de nature ponérogénique, la simple et seule connaissance peut commencer à guérir les individus et les aider à retrouver la paix de l’esprit ». Lire La Ponérologie politique constitue donc une vaste séance thérapeutique pour ceux qui s’efforcent de conserver leur santé mentale et leur humanité au milieu de la démence et de l’inhumanité. Cela a été le cas pour moi.

Pour ces raisons et bien d’autres, le lecteur pourra trouver ce livre vertigineux mais aussi d’une importance capitale. La Ponérologie politique constitue une lecture essentielle pour les penseurs concernés et les victimes passées et présentes du totalitarisme. Elle est particulièrement cruciale aujourd’hui, alors que le totalitarisme de gauche connaît un nouvel essor, cette fois en Occident, où il affecte quasiment chaque aspect de la vie, en particulier la vie intellectuelle.

Ainsi commence « une thérapie générale du monde ».

Michael Rectenwald, PhD
Pittsburgh, Pennsylvanie, 27 février 2022

Source de l’article publié initialement en anglais le 26 mars 2022 : Mises Institute
Traduction : Sott.net

Commentaire : Et voici une vidéo de Michel Drac sur la première édition francophone du livre :

Une note de lecture sur un essai transdisciplinaire psychosociologique rédigé par un psychologue polonais confronté au système du bloc de l’Est : L’étude de la genèse du mal, appliqué à des fins politiques.

Dr Michael Rectenwald

Le Dr Michael Rectenwald est l’auteur de Thought Criminal (2020), Beyond Woke (2020), Google Archipelago (2019), Springtime for Snowflakes (2018), entre autres ouvrages. Il est Directeur d’études et cofondateur de l’American Scholars, une plateforme éducative pro-américaine. Il a été professeur dans le cadre du programme de culture générale de l’Université de New York de 2008 à 2019.

Notes

1 Littéralement « guerriers de la justice sociale », souvent abrégé en SJW. Terme généralement utilisé de manière péjorative pour désigner des personnes défendant des idées ou des causes progressistes. — NdT

2 Rectenwald, Michael. Springtime for Snowflakes: “Social Justice” and Its Postmodern Parentage: An Academic Memoir. Nashville, TN : New English Review Press, 2018.

3 Littéralement « éveillé ». Ce terme désigne le fait d’être conscient des problèmes de justice sociale, d’égalité raciale et de défense des minorités, entre autres idées progressistes. — NdT

4 Voir par exemple :
– Rectenwald, Michael, “Secularism and the Cultures of Nineteenth-Century Scientific Naturalism”, The British Journal for the History of Science 46, no. 2 (2012): 231-54. https://doi.org/10.1017/s0007087412000738;
– Rectenwald, Michael, Nineteenth-Century British Secularism: Science, Religion and Literature, Palgrave Macmillan, 2016;
– Rectenwald, Michael, « Mid-Nineteenth-Century British Secularism and Its Contemporary Post-Secular Implications », Essai in Global Secularisms in a Post-Secular Age, édité par Michael Rectenwald, Rochelle Almeida, et George Levine, 43-64. Boston, MA : De Gruyter, 2015.

5 Ou détournement cognitif ; il s’agit d’une forme de manipulation dans laquelle l’information est déformée, présentée sous un autre jour, omise sélectivement ou faussée dans le but de faire douter la victime de sa mémoire, de sa perception et de sa santé mentale. — NdT

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