16/06/2021 (2021-06-16)
[Source : Le Saker Francophone]
[Illustration : Wikimedia Commons]
Par Moon of Alabama
Il y a quelques nouveaux éléments concernant le vol Ryanair 4978 qui, le 23 mai, a atterri en Biélorussie après avoir reçu une alerte à la bombe. Récapitulons :
Le 23 mai, une alerte à la bombe contre un vol Ryanair reliant la Grèce à la Lituanie a été envoyée par courriel aux aéroports et aux autorités de Lituanie, de Biélorussie et de Grèce. On ne sait pas qui a envoyé le courriel. ... Le contrôle du trafic aérien du Belarus, dans l'espace aérien duquel l'avion volait à ce moment-là, a contacté le pilote, l'a informé de la menace et lui a recommandé d'atterrir à Minsk. Le pilote a contacté la direction de Ryanair et a ensuite décidé de suivre le conseil. L'avion a atterri à 10:15 utc (13:15 heure biélorusse), les passagers ont débarqué et une longue fouille a été effectuée. Aucune bombe n'a été trouvée. ... Les passagers ont dû passer par le contrôle des passeports. Deux passagers faisant l'objet de mandats d'arrêt non exécutés ont été placés en détention. Les autres passagers ont repris l'avion vers leur destination initiale. ... Une heure après l'atterrissage de l'avion, [l'activiste cherchant à changer le régime] Frank Viacorka, qui est suivi par de nombreux "blueticks" sur Twitter, a présenté un récit de l'incident qui s'éloignait fortement de la réalité, mais qui a permis de relancer le programme de changement de régime qui était au point mort. ... Le tweet largement partagé et ceux qui l'ont suivi impliquaient que le gouvernement bélarusse avait détourné l'avion pour arrêter un autre activiste cherchant à changer le régime, Protasevich. Lorsque l'on examine les détails de l'affaire, il devient vite évident que ce récit est faux.
Les médias « occidentaux » continuent de raconter ce faux récit. Il a conduit, comme l’espéraient ses initiateurs, à l’introduction de nouvelles sanctions contre le Bélarus.
L’affaire est revenue sur le tapis lors d’une récente interview du président russe par la NBC. La transcription et la vidéo sont disponibles ici :
Keir Simmons : Passons à la Biélorussie et à l'Ukraine, deux questions qui seront certainement abordées lors de votre sommet avec le président Biden. Saviez-vous à l'avance qu'un avion de ligne serait contraint d'atterrir en Biélorussie et qu'un journaliste serait arrêté ? Vladimir Poutine : Non, je n'étais pas au courant. Je ne savais rien d'aucun avion de ligne. Je n'étais pas au courant des personnes qui ont été détenues là-bas par la suite. Je l'ai appris par les médias. Je ne savais pas, je n'avais pas la moindre idée des personnes détenues. Je n'en sais rien. Cela ne nous intéresse pas. Keir Simmons : Vous semblez l'avoir approuvé à en juger par votre rencontre avec le président Lukashenko peu après. Vladimir Poutine : Non pas que je l'approuve. Non pas que je la condamne. Mais, bon, c'est arrivé. Je l'ai dit récemment lors d'une conversation avec un collègue européen, la version de M. Loukachenko est que des informations leur avaient été données selon lesquelles il y avait un engin explosif à bord de l'avion. Ils ont informé... Keir Simmons : Et vous croyez ça ? Vladimir Poutine : ...le pilote sans le forcer à atterrir. Et le pilote a pris la décision d'atterrir à Minsk. C'est tout. Pourquoi ne devrais-je pas le croire ? Demandez au pilote. C'est la chose la plus simple. Demandez au capitaine de bord. Demandez au commandant de l'avion. Lui avez-vous demandé s'il a été forcé d'atterrir ? Parce que je n'ai pas entendu ni vu d'interview avec le commandant de l'avion qui a atterri à Minsk. Pourquoi ne pas lui demander ? Pourquoi ne pas lui demander s'il a été forcé d'atterrir ? Pourquoi ne pas lui demander ? En fait, c'est même étrange. Tout le monde accuse Lukashenko, mais le pilote n'a pas été interrogé. ... Vladimir Poutine : Oui. Ecoutez, je vais vous le répéter. Ce que le président Loukachenko m'a dit, je n'ai aucune raison de ne pas le croire. Pour la troisième fois, je vous le dis : Demandez au pilote. Pourquoi ne pas demander au pilote. Était-il... Keir Simmons : Mais vous... Vladimir Poutine : ...avait-il peur ? Était-il menacé ? A-t-il été contraint ? Le fait que des informations soient apparues selon lesquelles il y avait une bombe dans l'avion, que des individus, des personnes qui n'avaient rien à voir, qui étaient des passagers, qui n'avaient rien à voir avec la politique ou tout type de conflits intérieurs, qu'ils puissent le percevoir négativement, s'en inquiéter, bien sûr que c'est une mauvaise chose. Il n'y a rien de bon dans tout cela. Et évidemment, nous condamnons tout ce qui a trait à cela, et au terrorisme international, et à l'utilisation d'avions. Bien sûr, nous sommes contre cela. ...
Poutine a raison de souligner que les médias « occidentaux » n’ont fait aucun effort pour examiner réellement l’affaire. Ils pourraient s’adresser au pilote et au copilote ainsi qu’à Ryanair et leur demander ce qui s’est réellement passé.
Mais Poutine se trompe en suggérant que les pilotes n’ont pas été interrogés du tout. Après l’atterrissage de l’avion à Vilnius, le pilote a été interrogé par la police lituanienne :
Parmi les personnes interrogées figure le commandant de bord de l'avion qui "a pris la décision [de changer de cap vers Minsk] après avoir consulté la direction de Ryanair", selon [Rolandas Kiškis, chef du bureau de la police criminelle].
La transcription incontestée du trafic radio entre le pilote et le contrôle du trafic aérien bélarusse prouve qu’il n’y a eu aucune menace ou ordre des autorités de faire atterrir l’avion. La tour de contrôle a recommandé de se dérouter vers Minsk en raison de l’alerte à la bombe. Le pilote a communiqué avec sa compagnie aérienne et a ensuite suivi les conseils de la tour.
Le fait que celui qui interroge Poutine sur NBC ne soit pas au courant de ces faits le disqualifie en tant que journaliste.
Deux activistes « occidentaux » rémunérés qui avaient œuvré pour un changement de régime au Bélarus se trouvaient sur le vol Ryanair. Roman Protasevich et sa petite amie Sofia Sapega étaient sous le coup de mandats d’arrêt. Ils ont été arrêtés après l’atterrissage de l’avion à Minsk. Une chaîne de télévision bélarusse a réalisé un documentaire (vidéo) sur l’affaire des alertes à la bombe. On y voit que ces deux personnes ont quitté l’avion comme tous les autres passagers et n’ont été arrêtés qu’au moment de passer le contrôle douanier. On y voit également le premier entretien de Protasevich avec la police. Dans une autre interview de 90 minutes (vidéo) de Protasevich avec un journaliste de la télévision bélarusse, il crache le morceau sur l’opposition financée par l’« Occident ».
Hier, le ministère des affaires étrangères du Bélarus a donné une conférence de presse sur le sujet. Protasevich était également présent pour répondre aux questions. Sa partie est à la 45eme minutes dans la vidéo de la conférence de presse.
Les journalistes de la BBC présents à la conférence de presse ont quitté la salle car ils ont supposé que la présence de Protasevich n’était pas volontaire. Protasevich lui-même conteste fortement cette affirmation. Comme dans les précédentes vidéos de lui, il n’y a aucun signe dans son attitude ou son engagement qui me ferait croire qu’il a été contraint.
La conférence de presse avait pour but de clarifier plusieurs affirmations erronées trouvées dans les médias « occidentaux ». L’une d’entre elles était la suivante :
Asta Skaisgirytė, principal conseiller en politique étrangère du président lituanien Gitanas Nauseda, a déclaré dimanche que la Biélorussie avait fait décoller deux avions militaires - un avion de chasse MiG-29 et un hélicoptère Mi-24 - pour détourner l'avion civil de passagers vers Minsk.
Lors de la conférence de presse, le porte-parole militaire explique que l’hélicoptère n’avait rien à voir avec le vol Ryanair, car il volait beaucoup plus bas et plus lentement et n’avait aucune chance de s’en approcher. Le MIG-29 n’a décollé qu’après que le vol Ryanair a lancé un MAYDAY et décidé d’atterrir à Minsk. Le MIG se trouvait à ce moment-là à des centaines de kilomètres de l’avion de Ryanair et la distance la plus proche qu’il ait pu franchir était de 55 kilomètres lorsque l’avion de Ryanair a atterri à Minsk.
Suit une partie sur un conflit frontalier autour de l’immigration illégale entre le Belarus et la Lituanie. Après cela, l’enquêteur principal de l’affaire discute des crimes dont Protasevich et Sapega sont accusés. Il indique également que Protonmail, la société suisse par laquelle le courriel d’alerte à la bombe a été envoyé, n’a pas coopéré avec les autorités biélorusses dans cette affaire et dans les affaires précédentes.
Suivent ensuite des questions adressées à Protasevich lui-même. La première question porte sur l’affirmation d’une chaîne d’opposition sur Telegram selon laquelle le président Loukachenko serait apparu dans sa prison et aurait personnellement battu Protasevitch.
Protasevich répond que ce n’est pas sérieux. Il explique les marques sur ses poignets que l’on pouvait voir lors de sa dernière interview. Il explique que lorsqu’il a été arrêté, la police de l’aéroport n’avait pas de menottes et a utilisé des serre-câbles en plastique à la place. Celles-ci lui ont entaillé la peau.
Il affirme qu’il n’a pas été blessé du tout et qu’il est en pleine santé. Il demande à ses anciens camarades de l’opposition biélorusse de ne pas répandre de rumeurs à son sujet. Il craint que ses parents, qui se trouvent en Pologne, ne soient induits en erreur sur sa situation. Lorsqu’on l’interroge sur l’oligarque russe qui, selon lui, a financé une partie de l’opposition, il répond qu’il ne se souvient pas du nom de cet homme.
Merci à Elena Evdokimova d’avoir traduit les détails ci-dessus.
Dans son article sur l’apparition de Protasevich à la conférence de presse, le New York Times fait plusieurs affirmations erronées. Il affirme que Protasevich « a été traîné hors d’un vol Ryanair avec sa petite amie, Sofia Sapega, il y a trois semaines par des agents de sécurité biélorusses ».
Le documentaire sur le vol montre, à 20:20 min et à 25:45 min, que ce ne fut pas le cas. Aucune police n’est montée à bord. Les passagers, dont Protasevich et Sapega, quittent l’avion un par un avec leurs bagages à main. Des chiens renifleurs de bombes contrôlent ensuite les bagages et les passagers montent dans un bus pour être conduits au terminal.
A 26:53 min le documentaire montre Protasevich avec un masque noir et un sac à dos militaire dans le terminal en train d’attendre pour passer le contrôle des passeports.
Le New York Times affirme également :
Les autorités biélorusses avaient promis de fournir de nouveaux détails dans leur histoire sur comment et pourquoi le vol Ryanair a été forcé à atterrir après avoir pénétré dans l'espace aérien du pays lors d'un vol vers la Lituanie depuis la Grèce.
Le vol Ryanair n’a pas été « forcé à atterrir » et à aucun moment les autorités biélorusses n’ont proposé de fournir des détails sur un tel événement. Elles ont fourni des détails sur un avion qui a fait l’objet d’une alerte à la bombe et qui s’est dérouté vers Minsk après que le pilote a volontairement décidé de le faire.
L’émission de la BBC sur la conférence de presse est également rempli de contre-vérités et de propagande :
Contredisant carrément les comptes-rendus indépendants de ce qui s'est passé, le chef de l'armée de l'air biélorusse, Igor Golub, a déclaré lors de la conférence de presse : "Il n'y a pas eu d'interception, pas de détournement forcé vers la frontière de l'État ni d'atterrissage forcé de l'avion de Ryanair."
Que sont, s’il vous plaît, ces « récits indépendants de ce qui s’est passé » à part quelques tweets sans fondements publiés par des activistes qui veulent changer le régime, comme Frank Viacorka ; tweets complètement contredits par les preuves et les faits bien documentés ?
Moon of Alabama
Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone
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