03/04/2024 (2024-04-03)
[Source : Anti | thèse]
Myret Zaki est une journaliste économique suisse. Elle a notamment été rédactrice en chef du magazine économique Bilan de 2014 à 2019. Elle est l’auteur de plusieurs ouvrages liés à l’actualité financière, principalement suisse et américaine.
https://www.payot.ch/Detail/sans_diversite_de_vues_pas_de_journalisme_-myret_zaki-9782828921422
Sommaire :
- 00:00 Intro
- 02:37 Journaliste et éditorialiste
- 04:01 L’art de la critique
- 05:54 Le journalisme d’opposition
- 07:12 Médias et complaisance envers les pouvoirs
- 11:43 Sans diversité de vues, pas de journalisme
- 24:59 Atomisation de l’information
- 30:25 L’éducation aux médias
- 34:27 Les conflits d’intérêts
- 41:10 Julian Assange
- 43:21 La guerre entre Israël et les Palestiniens
- 54:52 La fin du dollar ?
- 1:09:35 L’avenir de la Suisse
- 1:15:19 Comment réformer l’économie ?
- 1:18:44 Une guerre pour le contrôle des esprits
- 1:26:09 Carte blanche — les consortiums de journalistes
Résumé entretien Myret Zaki
Myret Zaki commence par faire le constat qu’il existe une certaine monoculture idéologique dans les médias traditionnels occidentaux.
Le déclin des démocraties occidentales s’accompagne du déclin des médias et des pratiques pluralistes. L’euphorie des Trente glorieuses est terminée. Certains journalistes considèrent que leur mission est de défendre l’Occident, afin d’éviter son déclin. C’est devenu une sorte de croisade du bien contre le mal. Dans les rédactions, des points de vue ont été sacralisés, jusqu’à en devenir dogmatiques (et ceux qui s’en éloignent sont mal vus). Exemple : l’OTAN a toujours raison, les USA sont une puissance bienveillante et démocratique ; L’Occident et le dollar continueront à triompher. Dire l’inverse, c’est prendre le risque d’être traité d’anti-américaniste. Comment cela est-il possible ? Par accointance idéologique essentiellement.
En Allemagne, beaucoup de patrons de presse sont intégrés dans des think tanks transatlantiques, par exemple (cf. Monde Diplomatique de mars 2024). Des étiquettes sont utilisées pour condamner ceux qui pensent différemment : « populiste », « extrême droite », complotiste »… Ces étiquettes ne sont bien souvent que des anathèmes pour défendre l’idéologie dominante. Or, le journalisme devrait avoir un esprit factuel et scientifique, en phase avec le crédo de Voltaire : la cohabitation pacifique de différents points de vue, et le combat contre les dogmes. La monoculture idéologique, en tant qu’obscurantisme à caractère néo-religieux, signe la mort du journalisme. Elle conduit un grand nombre d’individus à se détourner des médias traditionnels.
Quel est le secret de Myret Zaki pour rester critique dans le domaine public sans être ostracisée ? La critique est un art qui implique d’adopter certaines stratégies, en maintenant une base factuelle. Il faut être plus solide que ses adversaires et bien connaître leurs arguments. Il faut aussi utiliser les bons mots, car certains sont « prohibés ». Les prononcer, c’est prendre le risque d’être ostracisé ou traité de populiste. En économie, la critique du système capitaliste et de ses institutions reste encore mal vue. Pourtant, le journalisme d’opposition est le journalisme s’il veut être le quatrième pouvoir qu’il prétend être. Aujourd’hui, beaucoup de journalistes sont les relais des pouvoirs. Mais ce n’est pas du journalisme.
Comment expliquer cette complaisance des journalistes envers les pouvoirs ? Par la paupérisation du métier et le contexte sociétal général. Or, les médias ont une responsabilité sociale. Une mission et une utilité sociale. Cela impliquerait d’aller consulter des sources alternatives, d’être attentif au réel, qui n’est pas forcement reluisant et glamour. C’est d’autant plus important à l’heure où nos démocraties sont chancelantes et les grandes entreprises sortent gagnantes de toutes les crises (exemple de Rheinmetall, entreprise industrielle allemande, notamment d’armement, qui a explosé en bourse depuis le début de la guerre en Ukraine ; mais aussi les bénéfices gigantesques des pharmas lors de la crise Covid). Le journaliste doit servir le bien commun, c’est sa mission de base. Il doit comprendre que la société est faite d’une somme d’intérêts contradictoires, qu’il doit décrire aux citoyens avec le plus d’honnêteté possible.
À l’avenir, il y aura une multiplicité de canaux d’information (c’est déjà en partie le cas). Pour être informés des grandes actualités du monde, les citoyens devront donc se renseigner en créant leur propre playlist de chaînes alternatives ou de spécialistes à suivre (comme Seymour Hersh sur la destruction du gazoduc Nord Stream), parfois plus libres. Cela demandera une certaine maturité et donc une éducation digne de ce nom aux médias, qui inclut un esprit critique par rapport aux gouvernements, à l’histoire de leurs mensonges, par exemple lors de l’invasion américaine de l’Irak en 2003. Il faut être vigilant et vérifier les conflits d’intérêts potentiels, qui minent l’indépendance des médias. Les États et institutions internationales ne pourront empêcher ce développement, sauf à vouloir censurer les canaux d’information et réseaux sociaux (ce qui est arrivé par exemple avec Twitter), en violation de la liberté d’expression pourtant chère à l’Occident. L’intégrisme médiatique actuel devra mettre de l’eau dans son vin à mesure que le monde devient multipolaire.
Que penser du peu d’attention médiatique actuel autour de Julian Assange ? Il révèle que les États-Unis cherchent à garder l’opacité sur leurs opérations militaires. Le jour où des révélations chocs mettront au grand jour leur réalité, tout le soft power américain, véhiculé notamment par Hollywood, s’écroulera. Les États-Unis ne peuvent se le permettre.
La guerre entre Israël et la Palestine gangrène le Proche-Orient et le monde entier depuis 75 ans. Myret Zaki constate que les grandes familles ayant historiquement financé Israël ont beaucoup investi dans la tech américaine ces dernières années. Elles ont un peu délaissé le rêve de faire Israël le hub technologique du Moyen-Orient. Leur intérêt s’est émoussé, car la situation sur place est inextricable. Aujourd’hui, les hubs dans la région sont Dubaï, les Émirats ou l’Arabie Saoudite. Quelque chose a donc pris fin. Depuis le 7 octobre 2023, la tentative ultime d’annexion totale de la bande de Gaza est une fuite en avant, qui coûtera beaucoup à Israël. Myret Zaki dit connaître des personnalités juives en Occident qui ne soutiennent pas la guerre actuelle du gouvernement israélien sur la bande de Gaza. Israël se trouve aujourd’hui minorisé sur la scène internationale, et les médias devraient en parler de manière plus équilibrée et ouverte. Les pays arabes ne peuvent se permettre de déclencher une guerre contre Israël et les États-Unis. Ils appliquent une pression diplomatique et continueront de le faire. Il faudra bien un jour que les Palestiniens retrouvent une terre qui est la leur.
Dans la couverture médiatique de la guerre actuelle, les réseaux sociaux apportent des informations complémentaires bienvenues, qui ont fait basculer une grande partie de l’opinion internationale en faveur des Palestiniens. Beaucoup de gens sont aujourd’hui embarrassés de défendre Tsahal, qui mène une guerre très sale. Même Jacques Attali a critiqué l’action de Netanyahu. Les grands médias, comme à leur habitude, ont fait de l’officialisme » en s’alignant sur le soutien de la plupart des gouvernements occidentaux en faveur d’Israël.
La dédollarisation de l’économie. Beaucoup d’experts continuent à affirmer qu’il n’y aura pas d’alternative au dollar à l’avenir. Mais c’est souvent de la propagande pro-américaine, destinée à influence la perception globale pour que le dollar continue à être utilisé. Or, le groupe des BRICS+ est résolu à ne pas être dépendant de la monnaie américaine, qui se dévalue fortement à long terme. La part du commerce dans les autres monnaies augmentera. Avec les nouvelles technologies, le paradigme même de monnaie de référence unique n’a plus beaucoup de sens. Pour comprendre cela, il faut sortir du trou idéologique dans lequel l’Occident s’est enfermé.
Aujourd’hui, le dollar reste une monnaie de référence sur les marchés financiers (hautement spéculatifs), car les USA sont le pays qui émet le plus de dettes en dollar. Le dollar « commercial », en revanche, s’affaiblit très vite. La part des USA dans le commerce mondial diminue. Même le pétrole commence à être échangé dans d’autres monnaies que le dollar.
Quelle conséquence de la dédollarisation pour les USA ? C’est une normalisation historique, les USA deviendront un pays qui n’aura plus une influence prédominante dans le monde. Ils se régionaliseront (Amérique du Sud et Europe essentiellement). Il y aura une zone dollar, une zone euro affaiblie et une troisième zone avec d’autres monnaies émergentes. Ce rééquilibrage prendra du temps, car les USA utiliseront leur puissance militaire, indiscutablement supérieure, pour maintenir le plus longtemps possible la suprématie du dollar, qui sera donc conservé comme monnaie de référence de manière artificielle (c’est déjà le cas depuis plusieurs années), grâce à la planche à billets (dans un pur schéma de Ponzi). Les guerres actuelles contribuent à maintenir le dollar comme monnaie de référence. Le conflit en Ukraine est un test pour la suprématie des États-Unis.
À l’avenir, l’or restera une monnaie de réserve solide, car il ne se dévalue pas. L’étalon sera sans doute un panier de monnaies des puissances économiques émergentes, sur la base de leur commerce réel. C’est vers cela que les BRICS+ se dirigent. Les États-Unis lutteront contre cela via des campagnes de propagande et de désinformation.
Quel est l’avenir de la Suisse ? Une exception helvétique pourra -t-elle se dessiner à l’avenir ? Les conditions-cadres qui ont fait le succès de la Suisse ces 50 dernières années (neutralité, secret bancaire, industrie de pointe, etc.) ne seront plus présentes à l’avenir. Or, la prospérité de la Suisse reposait sur cela. Aujourd’hui, ce sont les Émirats et Dubaï qui deviennent des hubs pour les affaires. La politique étrangère helvétique est alignée sur celle de l’UE ou des États-Unis, ce qui nuit à ses échanges avec les pays du « sud global ». Depuis que des avoirs russes ont été gelés en Suisse, les fonds souverains étrangers hésitent à venir dans le pays.
Aujourd’hui, le public devient conscient que les médias dominants sont trop lénifiants envers les pouvoirs. Une partie des jeunes (la génération Alpha en particulier) sera sans doute plus politisée que nous. Ils acquerront une sensibilité très précocement, parfois en se radicalisant face à la réalité très dure que les réseaux leur montrent. Les rapports de violence, après avoir été sous-traités dans le reste du monde, sont importés en Occident, avec des tensions sociales. C’est un moment de vérité pour nos démocraties.
La guerre de demain sera cognitive, pour contrôler le cerveau des gens, sur les réseaux sociaux en particulier. Des armées de trolls viendront manipuler les opinions. Les plus fragiles et frustrés pourront être ainsi radicalisés. Quel contre-pouvoir pourra être opposé à cette guerre, afin de ramener ces nouvelles générations à la réalité ? Il faudra des armées de véritables « débunkers » pour désactiver les trolls. Il faudra aussi une éducation extrêmement pointue aux réalités des médias et de cette guerre cognitive.
Les consortiums de journalisme d’investigation, qui ont révélé les scandales de fraude fiscale, sont à prendre avec des pincettes. Les Swiss Leaks ont été révélés par l’OCCRP, une organisation basée à Washington et financée par des intérêts proches du gouvernement américain. Conséquence : ces « leaks » ne révèlent aucuns évadés fiscaux américains, seuls les pays faisant partie de « l’axe du mal » sont visés. Or, les plus grands paradis fiscaux sont aujourd’hui basés aux États-Unis (Delaware, Floride, etc.). Il s’agit, au fond, d’une guerre économique. Il faut en être conscient.
Sources :
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