Emmanuel Todd et la question antisémite

03/05/2024 (2024-05-03)

Par Nicolas Bonnal

On en reste à Todd pour la polémique que son succès et sa réflexion allaient nécessairement alimenter sans le vouloir en coulisse. Il n’y a plus de question juive, il n’y a qu’une question antisémite, et Bernie Sanders (qui ose s’en prendre à l’idole des jeunes, Bibi) comme Emmanuel Todd n’y peuvent mais. Cette affaire judéo-ukraino-russe devient passionnante. Comme on sait un antisémite aujourd’hui « ce n’est plus quelqu’un qui n’aime pas les juifs mais quelqu’un que n’aiment pas les juifs » — en particulier les néo-cons aux commandes. Emmanuel Todd est donc accusé d’antisémitisme (bien que d’origine juive, etc.) car il écrit en effet sur cet affreux conflit dans sa défaite (imméritée et mensongère) de l’Occident :

« … les deux personnalités les plus influentes qui “gèrent” l’Ukraine, Antony Blinken, le secrétaire d’État, et Victoria Nuland, la sous-secrétaire d’État, sont d’origine juive. (…) Cette guerre, si elle présente l’avantage, dans les rêves des néoconservateurs, d’user démographiquement la Russie, ne contribuera nullement, quelle que soit son issue, à consolider la nation ukrainienne mais à la détruire. À la fin du mois de septembre 2023, la police militaire ukrainienne a ceint le pays de barbelés pour empêcher les hommes valides, écœurés par la contre-offensive inutile et meurtrière de l’été, exigée par Washington, de fuir en Roumanie ou en Pologne pour échapper à la conscription. Quelle importance ? Pourquoi les Américains d’origine juive ukrainienne qui, avec le gouvernement de Kiev, copilotent cette boucherie ne ressentiraient-ils pas cela comme une juste punition infligée à ce pays qui a tant fait souffrir leurs ancêtres ? » (p. 67). »

On laisse de côté notre point de vue, car ce sont les Russes qui tuent, désolé (ils sont la cause matérielle au sens aristotélicien de ce demi-million de morts). Ils ont été roulés dans la farine en 2004 puis en 2014, ils ont perdu « la guerre de propagande » dont parle Custine, et il ne leur reste que la guerre de conquête, où ils ont toujours excellé. Ma femme étant ukrainienne, je mets ce point d’honneur à le rappeler. On n’en serait pas là s’ils avaient su jouer aux échecs sans renverser la table.

On va s’amuser avec le commentaire d’un micro-universitaire et censeur néo-con qui bosse pour une sous-université danoise boutefeu :

« Très clairement, Todd est en train de suggérer que les élites juives américaines manipulent les dirigeants ukrainiens afin d’envoyer mourir la jeunesse ukrainienne et se venger de la Seconde Guerre mondiale. C’est très exactement le cliché antisémite du Juif manipulateur et fauteur de guerre. »

Le bougre (qui cite Philippe Roger et son livre sur l’antiaméricanisme qui « cancel » toute la culture française) ajoute :

« De même, il prétend que les russophones ukrainiens seraient par essence russes (ignorant volontairement à la fois la complexité du multilinguisme ukrainien et l’existence d’un nationalisme civique, bien documenté, en Ukraine), et atteint des sommets d’ignominie quand il s’inquiète du sort de la ville de Belgorod, “sporadiquement bombardée” par les Ukrainiens, mais sans ne jamais toucher un seul mot des brutalités commises par les troupes russes dans les territoires ukrainiens occupés, dont le massacre de Boutcha. Ce n’est ainsi pas un hasard si le livre a été élogieusement couvert par la presse officielle russe : il dit très exactement la même chose que la propagande du régime poutinien. »

Le drôle accuse aussi Todd d’antiféminisme (horresco referens [« rapporter l’horreur »]…) :

Il explique également que l’hostilité à la Russie dans certains pays pourrait venir du fait que leurs dirigeants sont des femmes, « le féminisme (…) favorisant le bellicisme » (p. 141). Il faut citer ici le passage dans son entier :

« Gardant à l’esprit l’hypothèse d’Inglehart, qui associe les femmes au rejet de la guerre, on peut imaginer chez certaines d’entre elles, placées au plus haut niveau, celui des relations internationales, une forme d’imposture : “La guerre était la chose des hommes, nous devons nous montrer aussi décidées qu’eux, ou même plus.” La supposition que je hasarde ici, c’est que ces femmes auraient absorbé inconsciemment une dose de masculinité toxique. Une analyse statistique des attitudes politiques féminines et masculines face à la guerre d’Ukraine constituerait un beau sujet de thèse : Victoria Nuland (sous-secrétaire d’État américaine chargée de l’Ukraine), Ursula von der Leyen (présidente de la Commission européenne) et Annalena Baerbock (ministre allemande des Affaires étrangères), ces pasionarias de la guerre, représentent-elle plus qu’elles-mêmes, ou non ? Faut-il voir dans la prudence relative de Scholz et Macron une expression de masculinité » (p. 146-147).

J’en ai parlé ici dans un texte sur Orwell.

On tape alors sur le grand homme ramené à peu (les gratte-papiers du macronisme ne reculent devant rien — voyez ce qu’ils ont fait à Baudrillard ou à Godard) :

« Après la GPA comme signe de décadence sociale, Todd n’a aucun complexe à sortir le vieux cliché des femmes hystériques et agressives, et le lieu commun réactionnaire actuel du féminisme dangereux. S’il ne s’oppose pas à “l’émancipation des homosexuels”, il exprime sa réticence envers ce qu’il appelle “l’idéologie gay” qui “fait tourner la vie des sociétés autour des préférences sexuelles” (p. 60). »

Mais j’en reviens aux juifs, question d’actualité s’il en est, comme le reconnaissent Blinken et son souffleur Bibi. Des juifs et des Russes, Nietzsche écrivait dans un éblouissant et prophétique (le Journal de Dostoïevski n’est pas mal non plus, j’y reviendrai) aphorisme de Par-delà le bien et le mal :

« … les juifs sont incontestablement la race la plus énergique, la plus tenace et la plus pure qu’il y ait dans l’Europe actuelle ; ils savent tirer parti des pires conditions — mieux peut-être que des plus favorables, — et ils le doivent à quelqu’une de ces vertus dont on voudrait aujourd’hui faire des vices, ils le doivent surtout à une foi robuste qui n’a pas de raison de rougir devant les “idées modernes” ; ils se transforment, quand ils se transforment, comme l’empire russe conquiert : la Russie étend ses conquêtes en empire qui a du temps devant lui et qui ne date pas d’hier, — eux se transforment suivant la maxime : “Aussi lentement que possible !” Le penseur que préoccupe l’avenir de l’Europe doit, dans toutes ses spéculations sur cet avenir, compter avec les juifs et les Russes comme avec les facteurs les plus certains et les plus probables du jeu et du conflit des forces (§ 251). »

L’imbécile pourra dire que Nietzsche est antisémite. Ce n’est pas ce que me disait Léon Poliakoff dans ma studieuse jeunesse, mais bon (NDLR : « il disait avec humour : “avec Nietzsche on n’en finirait jamais…”) …

Voyons alors ce qu’écrivait Howard Kunstler sur cette question explosive il y a trois mois :

« En tant que Juif américain et connaisseur du folklore de mon peuple, j’attire votre attention sur la figure troublante du dibbouk (dih-bik), un démon désincarné qui, à cause de ses péchés, erre sans cesse parmi nous et peut entrer dans la chair d’une personne vivante, qui affligera et tourmentera alors la communauté jusqu’à ce qu’elle soit correctement exorcisée par un minian de rabbins vêtus de linceuls funéraires blancs et brandissant des serments sacrés. »

Kunstler ensuite nous dressait une liste de dibbouks de la politique :

« Ainsi, je vous présente Andrew Weissmann, avocat, le dibbouk en chef américain, présent sur la scène depuis des décennies, semant la zizanie et le malheur, à la tête d’une foule impie de dibboukim se faisant appeler Lawfare pour infester les tribunaux et s’immiscer dans les élections. Pensez-y : Michael Sussman, l’un des instigateurs du RussiaGate ; Michael Bromwich, ancien inspecteur général du ministère de la Justice (!), puis conseiller de Christine Blasey Ford (vous vous souvenez d’elle ?), David Laufman, ancien lutin du contre-espionnage du ministère de la Justice et garçon de courses de Blasey Ford, Marc Elias, ingénieur extraordinaire des opérations de récolte des bulletins de vote pour les élections de 2020 et de nombreuses farces connexes, Dan Goldman, avocat principal de la commission judiciaire de la Chambre des représentants pour la mise en accusation de Donald J. Trump… tous des dibbouks ! »

Au moins il était clair. Certes, « on » pourra toujours dire qu’Howard est un juif-antisémite passé à l’ennemi et qui pratique « la haine de soi » (idem pour Halimi en France et pour tous ceux qui ne veulent pas s’aligner sur le Bibi mort de rire).

Mais voici ce qu’écrit en English à ce sujet la revue communautaire Forward.com :

« Indeed, at least 10 prominent Jews have been nominated to key positions. There’s Ronald Klain (chief of staff); Anthony Blinken (Secretary of State) ; Janet Yellen (Treasury) ; Merrick Garland (Attorney General) ; Alejandro Mayorkas (Homeland Security) ; and Avril Haines (Director of National Intelligence). One level down are Wendy Sherman (deputy Secretary of State); Eric Lander (science and technology adviser); Ann Neuberger (deputy National Security Adviser); and David Cohen (deputy CIA director).

Plus there’s Doug Emhoff, the Jewish husband of Vice President-elect Kamala Harris. »

[« En effet, au moins 10 juifs éminents ont été nommés à des postes clés. Il y a Ronald Klain (chef de cabinet), Anthony Blinken (secrétaire d’État), Janet Yellen (Trésor), Merrick Garland (procureur général), Alejandro Mayorkas (sécurité intérieure) et Avril Haines (directeur du renseignement national). Un niveau plus bas, on trouve Wendy Sherman (secrétaire d’État adjointe), Eric Lander (conseiller pour la science et la technologie), Ann Neuberger (conseillère adjointe pour la sécurité nationale) et David Cohen (directeur adjoint de la CIA).

Il y a aussi Doug Emhoff, le mari juif de la vice-présidente élue Kamala Harris. »]

No comment, of course. [Sans commentaires, bien sûr.]

On répète Nietzsche alors pour les plus étourdis de nos lecteurs :

« Le penseur que préoccupe l’avenir de l’Europe doit, dans toutes ses spéculations sur cet avenir, compter avec les juifs et les Russes comme avec les facteurs les plus certains et les plus probables du jeu et du conflit des forces. »

Sources :

https://forward.com/news/462330/enough-for-a-minyan-a-jewish-whos-who-of-bidens-cabinet-to-be

https://fr.wikipedia.org/wiki/Minian

https://fr.wikisource.org/wiki/Par_del%C3%A0_le_bien_et_le_mal/Texte_entier

https://lesakerfrancophone.fr/appelez-les-exorcistes

https://www.jean-jaures.org/publication/defaite-de-loccident-ou-defaite-du-marche-des-idees-sur-le-dernier-ouvrage-demmanuel-todd

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