Religions : Dieu aime-t-il la guerre ?

01/08/2020 (2020-08-01)

[Source : Herodote.net – Le média de l’Histoire]

[Auteur :] Alban Dignat


Religions

Dieu aime-t-il la guerre ?

À l’encontre des lieux communs qui ont cours en Europe, les religions n’ont pas de responsabilité directe dans la plupart des grandes tragédies qui ont ensanglanté la planète jusqu’à l’aube du IIIe millénaire. Les hommes n’ont pas besoin de Dieu pour s’entretuer et nous verrons ci-après en survolant l’Histoire que l’immense majorité des morts violentes ont des causes autres que religieuses.

Les religions n’en jouent pas moins un rôle essentiel dans le fonctionnement des sociétés. Elles « créent du lien social », comme la religion essentiellement civile qui avait cours à Rome ou aujourd’hui aux États-Unis ou au Japon. Elles rapprochent les hommes, par exemple dans la chrétienté médiévale. Elles les consolent aussi dans les temps de malheur, comme les juifs dans l’exil ou la diaspora. La foi peut aussi devenir un ferment de libération comme en Espagne sous l’occupation française ou en Pologne sous la tutelle soviétique. Elle peut enfin être instrumentalisée comme aujourd’hui au Moyen-Orient…

L’horreur absolue

Les atrocités mises en scène par Daech rappellent d’autres mises en scène dans les guerres de religion, il y a cinq cents ans, les guerres de Vendée, il y a deux cents ans, ou plus près de nous les guerres de Yougoslavie.

Les décapitations et la réduction de jeunes filles en esclavage rivalisent dans l’horreur avec les éviscérations, empalements, bûchers, viols collectifs et scènes de cannibalisme d’autrefois.

Les guerres de religion et plus généralement les guerres civiles dressent en effet les uns contre les autres des gens ordinairement très proches, citoyens du même pays et parfois du même village.

D’où le besoin pour chaque camp de se justifier de ses crimes en déshumanisant l’adversaire et en niant sa qualité d’alter ego. C’est hélas ce qui fait toute la différence avec les guerres conventionnelles qui voient des armées régulières s’affronter sur un champ de bataille.

Les hommes n’ont pas besoin de Dieu pour s’entretuer

Il est temps ici de rappeler un fait statistique essentiel qui va à l’encontre des idées reçues : les conflits proprement religieux (KerbelaSaint-Barthélemyguerre de Trente Ans, hindous contre musulmans…) tuent beaucoup moins de gens que les guerres d’État à État, les guerres civiles et les dictatures !

La religion a été totalement absente des grands drames du XXe siècle (plus de 100 millions de victimes), exception faite de la scission Inde-Pakistan :

Elle n’a aucune responsabilité dans les guerres mondiales, les répressions nazies et communistes et les génocides (les Juifs, comme les Arméniens et les Tutsis, n’ont pas été exterminés en raison de leur religion mais de leur prétendue « race »).

D’une exceptionnelle ampleur ont été les méfaits commis par les régimes athées à l’oeuvre en Allemagne mais aussi en URSS et au Mexique des années 1910 aux années 1940, plus tard en Chine et au Cambodge. 

Guidés par le désir de faire table rase du passé et en particulier du fait religieux, Lénine, Hitler, Staline, Mao, Pol Pot… ont massacré des dizaines de millions d’innocents, soit par exemple beaucoup plus que tous les souverains européens depuis l’An Mil et en tout cas beaucoup plus que tous les fanatiques religieux de l’Histoire.

N’oublions pas la rébellion des Taiping, en Chine, au milieu du XIXe siècle, une guerre civile sans doute beaucoup plus meurtrière que la Première Guerre mondiale.

Il n’y a sans doute que les Mongols de Gengis Khan et Tamerlan qui peuvent rivaliser avec le triste record du XXe siècle avec à leur actif la disparition de près d’un quart de l’humanité (environ 50 millions de victimes). Qu’ils fussent chamanistes, chrétiens nestoriens, bouddhistes ou musulmans, ce n’est pas au nom d’une religion ou d’une idéologie quelconque qu’ils ont tué mais seulement « pour le plaisir ».

Exécution en 1927, au Jalisco, du père Francisco Vera, coupable d'avoir célébré la messe

Si nous remontons dans le temps, les préoccupations religieuses sont absentes des guerres de l’Antiquité, tant dans la sphère méditerranéenne que dans le reste du monde. Les cités grecques vénéraient les mêmes divinités mais s’affrontaient avec une extrême sauvagerie et n’hésitaient jamais à passer par le fil de l’épée les populations vaincues. Même chose en Afrique jusqu’à l’aube des temps modernes : Chaka a pu fonder l’État zoulou au début du XIXe siècle par des méthodes qui n’ont rien à envier à Staline et Pol Pot.

Au Moyen Âge, notons que les croisades apparaissent comme des guerres défensives bien plus que des guerres de religion ou des guerres saintes. Leur objectif premier était de restaurer la sécurité des pèlerinages en Terre sainte, mise à mal par l’irruption des nomades turcs. Si les croisés ont combattu avec la brutalité habituelle de l’époque, ils ne se sont pas pour autant souciés de convertir les infidèles musulmans, encore moins de les exterminer. 

Plus près de nous, la guerre d’Irlande, le conflit israélo-palestinien et également la guerre d’Algérie sont assimilables à des conflits coloniaux entre occupants plus ou moins anciens d’une même terre. Les guerres plus récentes, avant l’éruption islamiste, ont opposé des gens de même religion (Darfour, Congo, Irak-Iran…) au nom de préjugés raciaux ou nationaux.

Quant à l’intégrisme islamiste d’al-Qaida et Daech, qui cristallise aujourd’hui notre attention, il tue principalement des musulmans par centaines de milliers (Algérie, Syrie, Irak…) et n’a encore fait « que » 4 000 morts parmi les Occidentaux. Cette idéologie nauséeuse instrumentalise la religion mais se nourrit principalement des frustrations du monde arabe, en peine de s’adapter à la modernité.

Cela signifierait-il que Dieu n’a rien à voir avec les guerres ? Que nenni… mais pas toujours de la façon dont on l’imagine.

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À propos de l’auteur

Alban Dignat a enseigné l’Histoire au lycée, en France mais aussi à Meknès (Maroc), Tananarive (Madagascar) et Bangui (Centrafrique). Il suit avec un intérêt tout particulier l’histoire coloniale et l’histoire des Afriques.

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