Qui veut la mort de l’élevage en Europe ?

26/07/2023 (2023-07-26)

[Source : fr.irefeurope.org]

Par Aymeric Belaud

Dans un rapport publié le 22 mai 2023 intitulé « Les soutiens publics aux éleveurs bovins », la Cour des comptes sort de son rôle pour sombrer dans l’écologisme militant. Constatant que « l’élevage bovin est ainsi responsable en France de 11,8 % des émissions d’équivalents CO2 », elle prône « une réduction importante du cheptel » afin de respecter les « engagements de la France en matière de réduction des émissions de méthane ». Selon ses dires, « cette réduction peut être aisément conciliée avec les besoins en nutrition des Français, un tiers d’entre eux consommant davantage que le plafond de 500 g par semaine de viande rouge préconisé par le plan national nutrition santé ». La Cour envisage ainsi un rationnement de viande rouge pour les Français ; sans doute quelques fonctionnaires mettront-ils en place des tickets de rationnement numérique…

Attaquer l’élevage bovin n’est pas le seul fait de la Cour des comptes. Depuis quelque temps maintenant, le gouvernement des Pays-Bas a manifesté son intention de réduire le cheptel de 30 %, menaçant le tiers des exploitations agricoles de faillite. Et pour y parvenir, l’expropriation est envisagée ! L’élevage et la viande sont en danger.

Quand plusieurs gouvernements déclarent la guerre aux vaches

Depuis plusieurs mois, des gouvernements du monde occidental s’attaquent à l’élevage, à cause de ses rejets d’azote et de méthane. Si pour le moment le gouvernement d’Élisabeth Borne ne s’est pas prononcé sur une réduction du nombre de bêtes d’élevage, d’autres pays ont franchi le cap.

Aux Pays-Bas, le gouvernement a déclaré la guerre aux émissions d’azote de l’agriculture. L’année dernière, un plan national et régional destiné à les traquer plus sévèrement a été publié. Il prévoit de contraindre certaines régions à les réduire de 70 % au moins, parfois jusqu’à 95 %… ce qui revient à vouloir supprimer 30 % du bétail.

En Nouvelle-Zélande, l’année dernière, la Première ministre travailliste de l’époque Jacinda Ardern voulait que son gouvernement taxe les propriétaires d’animaux d’élevage émetteurs de gaz à effet de serre, touchant principalement les éleveurs bovins, soit une taxe sur les pets et les rots de vache.

En Irlande, le gouvernement aurait l’intention de procéder à l’abattage de 200 000 vaches laitières, selon un document émanant du ministère de l’Agriculture, afin de lutter contre les émissions de gaz à effet de serre. Le coût réel d’une telle mesure serait potentiellement de 600 millions d’euros ; une catastrophe économique.

En Irlande du Nord, l’Assemblée a adopté une loi sur le changement climatique engageant la région à réduire ses émissions de carbone à zéro d’ici à 2050. Un des objectifs est de réduire de 46 % les émissions de méthane, en grande partie associées au secteur agricole. Cela signifie, selon une analyse du cabinet d’audit et de conseil international KPMG commandée par ce secteur, qu’il faudrait éliminer environ 500 000 bovins et 700 000 ovins. Les poulets pourraient également faire partie des victimes pour « sauver la planète ». Cela rendrait vulnérables, par ricochet, plus de 100 000 emplois. La valeur de la production pourrait chuter d’environ 11 milliards de livres sterling.

Attaquer l’élevage en France ou en Europe serait en réalité favoriser la production d’autres pays, comme le Brésil, d’où proviennent aujourd’hui 25 % de la viande bovine importée dans l’Union européenne. Remplacer le bœuf européen par le bœuf brésilien, écologiquement parlant, ne ferait donc que déplacer les émissions « polluantes ». De plus, faire venir de la viande depuis l’Amérique du Sud n’est pas l’action la plus écologique qui soit.

Peu importe pour certains écologistes, qui répètent à l’envi et péremptoirement qu’il faut diminuer la consommation de viande, voire l’interdire. En écho à un article du Monde qui déplorait que la consommation de viande ne baisse pas en France, Sandrine Rousseau twittait le 2 juin : « La consommation de viande doit baisser. Nous sommes irresponsables d’en manger autant. » Le rapport de la Cour des comptes reprend peu ou prou cette injonction, également celle du GIEC, mais qui se révèle être basée sur un mensonge.

De l’art du mensonge sur l’élevage

L’élevage pollue, accapare des terres pouvant accueillir directement des cultures végétales, détourne des produits végétaux qui pourraient nourrir directement l’humanité et consomme énormément d’eau. Voilà de bonnes raisons pour réduire son impact. Des raisons… fausses ! L’INRAE, l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement, institut public, démolit ces arguments.

En premier lieu, l’INRAE revient sur la comparaison entre les émissions de CO2 de l’élevage et du transport qui seraient quasi équivalentes (environ 14 % des émissions mondiales) : les deux chiffres étant établis selon des méthodes différentes, cette comparaison n’est pas valable. « Le calcul pour l’élevage émane de la FAO, sur le modèle des analyses de cycle de vie, qui inclut diverses dimensions de l’élevage. Alors que le calcul pour les transports, qui émane du GIEC (Climate Change 2014 Synthesis Report — IPCC), ne prend en compte que les émissions de GES des véhicules en circulation. Par la méthode d’analyse de cycle de vie, cette valeur serait beaucoup plus élevée. »

Deuxième point, l’élevage occupe majoritairement des terres qui ne sont pas cultivables, comme des prairies, des montagnes, des steppes, ou encore la savane. Le supprimer ne réduirait donc pas le gaspillage des ressources. L’INRAE rappelle aussi que 86 % de l’alimentation animale n’est pas consommable par l’être humain, il n’y a par conséquent pas de compétition entre les deux. L’Institut ajoute que « les aliments concentrés utilisés pour les monogastriques (porcs, volailles) et les herbivores valorisent les résidus de cultures et les sous-produits des filières végétales destinées à l’alimentation humaine (tourteaux, sons, drêches, etc.) ». De fait, les élevages de ruminants herbivores et ceux qui utilisent beaucoup de « coproduits » de l’agriculture sont producteurs nets de protéines. Cela signifie qu’ils produisent plus de protéines consommables par l’homme qu’ils n’utilisent de protéines végétales consommables par l’homme pour nourrir les animaux.

Dernier point, sur la consommation d’eau. Le chiffre souvent avancé par les écologistes est de 15 000 litres d’eau consommée pour produire 1 kg de viande. En réalité, ce chiffre englobe trois types d’eau : l’eau bleue, soit l’eau réellement consommée par les animaux et l’irrigation des cultures ; l’eau grise, celle qui est utilisée pour dépolluer les effluents et les recycler ; et l’eau verte, l’eau de pluie. Sauf que cette méthode de calcul a été conçue pour des sites industriels et ne tient pas compte des cycles biologiques. Sur ces 15 000 litres, 95 % viennent de l’eau de pluie, qui, comme le rappelle l’INRAE, est « captée dans les sols et évapotranspirée par les plantes, et qui retourne de fait dans le cycle de l’eau. Ce cycle continuera même s’il n’y a plus d’animaux. » En vérité, dans les élevages français, la quantité d’eau utile1 pour produire 1 kg de viande de bœuf est comprise entre 20 et 50 litres…

Si Bruno Le Maire avait su tout cela, il aurait (peut-être) évité de faire la promotion de la viande végétale.

Les viandes végétales et synthétiques en embuscade

En effet, le ministre de l’Économie a vanté ses mérites dans une série de tweets publiée le 17 mai. Il visitait l’usine du fabricant de steaks végétaux HappyVore, société en partie financée par le milliardaire Xavier Niel (information importante pour la suite). M. Le Maire écrivait ainsi : « 100 g de protéines végétales génèrent de 60 à 90 % de gaz à effet de serre en moins que 100 g de protéines animales. »

Les « viandes » végétales et synthétiques sont des outils pour détourner les consommateurs de la vraie viande. Les écologistes s’en servent beaucoup, mais la science vient vertement, c’est le cas de le dire, modérer leurs ardeurs : selon une étude menée par l’Université de Californie, l’empreinte carbone d’un kilo de bœuf synthétique serait 4 à 25 fois plus importante que celle d’un kilo de bœuf élevé naturellement ! La viande cultivée en laboratoire serait bien plus nocive pour l’environnement que la vraie.

Un autre et puissant outil pour dégoûter les consommateurs de la viande est la cause animale. L’association L214, qui combat l’élevage dans sa globalité, mais dénonce particulièrement l’élevage dit intensif, est à la tête du combat. Ce mouvement militant, soutenu ouvertement par le journaliste du service public Hugo Clément, est un protagoniste du projet de référendum d’initiative partagée sur la cause animale. Six interdictions sont proposées : celles de l’élevage en cage et l’élevage à fourrure à partir de 2025, de la construction de nouveaux bâtiments d’élevage sans accès au plein air, de la chasse à courre, des spectacles avec des animaux sauvages et de l’expérimentation animale dès lors qu’une autre méthode existe. L214 n’est pas seul dans ce projet : l’accompagnent, notamment, des industriels français tels que… le patron de Free, Xavier Niel, que l’on retrouve impliqué dans plusieurs entreprises de viandes « alternatives ».

Il n’est évidemment pas le seul à financer la cause animale tout en investissant dans ce type d’industrie. Il y a maintenant sept ans, L214 a reçu un important don de la fondation américaine Open Philanthropy Project créée par l’un des fondateurs de Facebook, Dustin Moskovitz. Entre 2017 et 2020, la fondation a versé plus de 125 millions de dollars à des associations de défense animale, dont L214 qui a reçu 1,14 million d’euros en 2017. L’Open Philanthropy Project servirait d’intermédiaire entre plusieurs de ces associations et des organisations qui aident des start-up travaillant dans la viande synthétique. Elle a versé 6,5 millions de dollars à The Good Food Institute, qui fait la promotion de la viande cellulaire.

L214, dont les méthodes sont très contestables, allant de la diffamation au harcèlement en passant par la violation de propriétés privées, sert donc de marchepied à des concurrents directs du secteur de l’élevage. Les choses vont même plus loin, certains défenseurs de la viande artificielle proposant que cette industrie bénéficie de « l’appui des pouvoirs publics » pour se développer et se vendre. Or, le libre marché en a pour l’instant décidé autrement.

Pour terminer sur ce point, dans une enquête parue en juin 2022, l’École de guerre économique (EGE) accable la viande dite « cultivée ». Christian Harbulot, directeur de l’EGE, dénonce « la démarche des instigateurs de l’agriculture cellulaire [qui] consiste à éliminer les filières traditionnelles, en disant, sans le démontrer, qu’elles posent des problèmes de santé et d’environnement ». L’EGE explique que « les avantages environnementaux et sanitaires présumés de la viande cellulaire sont largement spéculatifs ». De même, l’innocuité de la viande synthétique n’est pas démontrée. Enfin, l’EGE insiste sur un point crucial : les alternatives cellulaires et végétales ne sont pas de la viande ! Elles ne doivent donc en aucun cas en porter le nom : c’est simplement de la tromperie.

Alors, le gouvernement français va-t-il plonger dans le mensonge et l’idéologie et assassiner son élevage déjà souffrant ?

L’écologisme veut achever un élevage français en grande difficulté

L’élevage en France est dans une situation catastrophique. L’élevage bovin compte près d’un million de vaches de moins qu’il y a dix ans (3 millions depuis 1980) et pourrait en perdre autant d’ici à 2030 à cause d’une vague de départs massifs à la retraite non remplacés. Entre 2010 et 2020, les exploitations en élevage ont subi une chute de 31 %, qui peut aller jusqu’à 41 % pour les exploitations combinant plusieurs types d’élevages, notamment lait et viande. On comprend facilement pourquoi cette profession n’attire plus la jeunesse.

Le taux de pauvreté chez les éleveurs de « bovins viande » est de 25,1 %, et de 25,5 % pour les éleveurs d’« ovins viande ». Le niveau de vie médian des premiers est de 18 420 € ; pour 10 % d’entre eux, le revenu moyen est de 8 570 €. En 2008, le taux de surmortalité par suicide était de 127 % pour les éleveurs « bovins viande » et de 56 % pour les éleveurs « bovins lait ». L’application de mesures écologistes comparables à celles que prévoient les Pays-Bas serait un énième coup de massue à notre agriculture et à nos éleveurs, déjà asphyxiés par le poids des normes et de l’État.

La Cour des comptes devrait d’urgence se renseigner sur les études de l’INRAE. Plusieurs d’entre elles démontrent les bénéfices environnementaux des prairies où l’élevage est pratiqué. Leur diversité floristique favorise les populations de pollinisateurs, leurs sols sont aussi plus riches en biomasse microbienne et en biodiversité que ceux des cultures ; ils stockent plus de carbone, sont 20 fois moins sensibles à l’érosion et filtrent mieux les eaux. En plus de cela, plusieurs projets de recherche européens l’ont montré, le stockage de carbone des prairies compense l’équivalent de 30 à 80 % des émissions de méthane des ruminants ! Des travaux du Cirad (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement) confirment ces résultats pour les zones d’élevage subtropicales.

Dans un autre article, l’INRAE précise également que si « toutes les populations du monde adoptaient un régime végétalien, il faudrait plus de terres cultivées pour nourrir la planète. En effet, il faudrait consommer plus de produits végétaux pour satisfaire les besoins humains en calories, en protéines et en certains micronutriments. »

La chasse à l’élevage ne se justifie donc pas, surtout dans nos pays occidentaux. Selon Pascal Mainsant, spécialiste de l’élevage et ancien ingénieur de recherches à l’INRA2, « un litre de lait produit en Bretagne dégage dix fois moins de gaz à effet de serre qu’un litre de lait produit en Inde ». En effet, 70 % des gaz à effet de serre de l’élevage mondial proviennent des pays émergents. Il surenchérit par la démonstration suivante : « La totalité des gaz à effet de serre anthropiques augmente de 2 à 3 % chaque année à cause du développement économique des pays émergents. Imaginons qu’on veuille réduire ceux de l’élevage par une action mondiale concertée, étalée sur une vingtaine d’années : l’impact de cet effort volontariste ne ferait que neutraliser une seule année de cette croissance actuelle des gaz à effet de serre totaux. Bref, c’est insignifiant. »

S’attaquer ainsi à l’élevage occidental n’a donc aucun sens. D’ailleurs, de nombreux scientifiques remettent en cause les travaux, les méthodes et les analyses du GIEC. Il serait hautement bénéfique de se libérer de l’emprise de l’écologisme dont les militants influencent les institutions et les relais d’opinion. Laissons nos éleveurs tranquilles !


À propos de l’auteur

Aymeric Belaud
Chargé d’études Diplômé en Science politique de l’Institut Catholique de Vendée et en Sciences politiques et Affaires publiques à HEIP. Spécialisé dans les questions agricoles, le fonctionnement de l’Etat et les questions politiques. Viticulteur.


1 Quantité d’eau dont est privée la ressource (eau consommée), pondérée par un facteur de stress hydrique régionalisé.

2 Ancêtre de l’INRAE.

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