« Marche contre l’antisémitisme », succès ou échec ?

17/11/2023 (2023-11-17)

Un modèle à suivre ou une monumentale erreur pour qui veut la paix ?
Comment en sortir ?

Par Alain Tortosa

Le 12 novembre s’est tenue en France la « marche contre l’antisémitisme » à Paris et dans 82 villes.

Si les médias mainstream parlent d’un événement « historique » et « regrettent l’absence du Président », les déclarations irréfragables sont-elles de nature suffisante pour en faire des vérités ?

Je suis bien conscient que cette question est 100 % complotiste et, si on les écoute, à la limite de « l’antisémitisme ». Le simple fait de questionner serait d’ailleurs inadmissible voire immonde. Le seul fait de « penser » pourrait relever du délit.

Mais qu’à cela ne tienne, parlons quand même nombres, les informations officielles donnent un total de 182 000 participants dans toute la France dont 105 000 à Paris, soit 77 000 en province. Une moyenne de 939 participants par manifestation hors Paris.

Pourquoi si peu de lieux alors que selon un sondage « 7 Français sur 10 (70 %) soutiennent la marche contre l’antisémitisme1 » et que la France compte environ 290 villes moyennes ou grandes de plus de 35 000 habitants2 pour 20,6 millions de personnes. 77 000 manifestants pour 290 villes nous donne une moyenne de 290 participants par lieu.

Les manifestations françaises d’envergure par le passé3

Voici quelques exemples issus de Wikipédia :

  • 2003 : Manifestation contre un projet de loi retraite, 2 millions de participants selon les organisateurs.
  • 2006 : Mouvement contre le CPE, 3 millions dans la rue.
  • 2010 (12 octobre) ; Lois retraite, 3,5 millions.
  • 2013 : Contre le mariage pour tous, 1,4 million !
  • 2017 : Johnny Hallyday, 800 000. Je m’arrête sur le décès du chanteur, 800k vs 182 k ! Quatre fois plus de personnes dans les rues pour les obsèques de l’idole des jeunes que pour la lutte contre l’antisémitisme ! Est-ce la définition d’un événement « historique » ?
  • 2023 : Retraites, 2,3 millions. Point pour le moins cocasse, un sondage effectué en mars 2023 indiquait que « 70 % des Français soutiennent la mobilisation contre la réforme des retraites4 ». Tiens, tiens, exactement le même nombre qui soutiennent la marche contre l’antisémitisme, mais avec des résultats forts différents. J’imagine qu’ils sont en empathie avec Macron qui était « par le cœur et par la pensée5 » à la manif.

Bien entendu Wikipédia ne parle pas des semaines consécutives de manifestations contre les lois liberticides et le pass sanitaire à l’été 2021.

Selon Les Échos6, 237 000 personnes ont manifesté contre le pass le 7 août pour le quatrième week-end d’affilé. Soit 55 000 de plus que pour la marche contre l’antisémitisme.

De plus, quiconque avec une petite conscience politique sait que les médias et le gouvernement étaient dans un mensonge totalement délirant sur les nombres. Je suis moi-même un exemple vivant de la réalité de ces mensonges. La vérité était sans doute plus proche des 2 millions, et ce sans cumuler les semaines de résistance.

En revanche il est intéressant de constater que les médias n’annoncent pas comme à l’accoutumée 182000 manifestations « selon le ministère » et x « selon les organisateurs » ce qui prouverait à minima une connivence entre organisateurs et gouvernement et pourrait laisser entendre que contrairement à l’habitude, les chiffres officiels pourraient être surévalués.

Couverture médiatique

Les manifestations contre le pass bénéficiaient soit d’un traitement de l’information à minima soit d’une absence totale. Dans ma ville point de France Télévision ou de France 3, point de BFM alors qu’ils ont une antenne locale et un canal TNT, point de radios mainstream, point de presse écrite nationale ni même de la presse locale subventionnée.

Pour la manifestation contre l’antisémitisme, c’était en gros 24 heures sur 24 pendant une semaine sur toutes les chaînes informations, sans compter la presse écrite et les radios.

Bref une publicité totalement incomparable entre ces événements pour lesquels, même les chiffres officiels donnent « gagnantes » les manifestations contre la dictature.

Mobilisation de la communauté juive

En mai 1990 la manifestation suite à la profanation du cimetière de Carpentras avait réuni environ 200 000 personnes à Paris7 versus 105 000 hier. Impossible de connaître la part de Français juifs et de non-juifs dans ces manifestations.

Les hypothèses possibles seraient une diminution de la mobilisation ou une plus grande peur de manifester. À moins d’imaginer que la majorité des Français qui se disent ou se pensent « juifs » ne se reconnaîtraient pas dans ces manifestions. Certains ne sauraient dire si ces rassemblements sont vraiment contre l’antisémitisme et s’il n’y aurait pas une confusion (volontaire ?) entre l’antisémitisme et l’antisionisme8.

Il est possible d’être français, juif, contre les actions du Hamas,
mais tout en étant aussi contre les massacres dans la bande de gaza,
contre la politique du gouvernement israélien voire même contre l’État d’Israël lui-même,
mais sans être pour autant « antisémite ».

Ce n’est ni une maladie, ni une tare, une folie ou de l’extrémisme que de se questionner et penser ainsi !

Il est même possible d’être français (et juif) et d’être pour la création d’un État unique qui ne s’appellerait ni Palestine, ni Israël et dans lequel toutes les communautés pourraient vivre ensemble et se reconnaître dans leur nation.

Manifestations en soutien à la Palestine

En France ces manifestations sont très mal vues ou interdites. Les médias mainstream insistent sur le caractère « antisémite » des manifestants (et non « antisioniste »). Certains n’hésitent pas à dire que le seul fait de participer à un rassemblement demandant un cesser le feu à Gaza fait de vous un antisémite. Se poser la question des horreurs des bombardements relèverait déjà de « l’antisémitisme ».

En revanche et à en croire les médias, il n’y aurait aucune animosité ni désir de violence, de vengeance, de la communauté juive à l’encontre des musulmans ou des Arabes.

Le 11 novembre, soit la veille de la manifestation française, un rassemblement a été organisé à Londres en « soutien à la Palestine » selon Reuters9. Entre 300 000 et 800 000, arrondissons donc à 550 000 manifestants. Même si le Royaume-Uni n’est pas la France, cela relativise le prétendu succès de la manifestation française.

Alors échec ou succès ?

Les médias et les politiques ont-ils du recul et de l’objectivité ? Voici ce qu’ils déclaraient suite à ce rassemblement.

  • « Les Français mobilisés » pour France Info le 13 novembre à 9 h 30.
  • « Je ne suis pas étonné du succès qu’elle a pu avoir » selon le président de l’Odexa.
  • « La classe politique marche contre l’antisémitisme » Cnews.
  • « Marche les absents ont toujours tort ? » BFM.
  • « “Succès” des manifestations contre l’antisémitisme en France, malgré les polémiques » Courrier international.
  • « Marche contre l’antisémitisme : “Cette marche a été clairement été un succès”, estime Muriel Ouakine-Melki, présidente de l’organisation juive européenne » France-info.
  • « La marche contre l’antisémitisme est “un succès pour la République, un sursaut”, suivie de selon Sylvain Maillard, député de Paris et président du groupe Renaissance à l’Assemblée nationale. » Sud-radio10.
  • « Une marche d’ampleur contre l’antisémitisme à Paris. » Les Échos.
  • « Marche contre l’antisémitisme : une mobilisation historique ! » La Tribune.
  • « Marche contre l’antisémitisme : “C’est l’avenir du vivre-ensemble qui est ici en jeu”. ENTRETIEN. Très engagé dans le dialogue interreligieux, le rabbin Rivon Krygier appelle à une mobilisation forte de la société contre l’antisémitisme. » Le Point11.
  • « Marche contre l’antisémitisme : la classe politique au rendez-vous d’un rassemblement historique à Paris. » Europe 1.
  • « L’ÉDITORIAL DU FIGARO — Il y avait foule ce dimanche, mais ce sont les absences qui ont été le plus remarquées. Il est heureux que, ce week-end, Paris n’ait pas offert le visage de Londres. Samedi, quelque 300 000 personnes ont effectivement pris d’assaut les rues de la capitale britannique pour crier leur haine d’Israël. Cette démonstration en dit long sur l’état d’esprit de beaucoup dans certaines sociétés européennes, de plus en plus fracturées. N’empêche, de ce côté-ci de la Manche, on aurait voulu, sans mauvais jeu de mots, que la marche citoyenne de dimanche se déroule sans faux pas. » Le Figaro12.

Vous aurez noté que la manifestation londonienne n’avait pas pour objet de « défendre les Palestiniens », mais « crier leur haine d’Israël ». Ici encore une confusion volontaire est créée entre « antisionisme » c’est-à-dire être contre l’État d’Israël qui a factuellement colonisé et expulsé, et être « antisémite », donc contre les « juifs » (même si les Arabes sont des Sémites, mais là n’est pas le propos).

En revanche si vous défiliez en scandant votre haine de la Russie ou de la Corée du Nord, il est peu probable que vous ayez à subir la foudre des journalistes, toujours la même histoire de « camp du bien » et de « camp du mal ».

La palme revient sans doute au Figaro13 qui a titré :

« Une marée humaine pour la “grande marche” contre l’antisémitisme. »

Pour revenir à la notion de succès ou d’échec, si vous êtes un fidèle des médias mainstream et que vous ne prenez aucun recul, nul doute que cette manifestation était un grand « succès », une « marée humaine » et un « événement historique ».

Il est intéressant de comparer cette publication du Figaro avec l’AFP et La Croix14 lors des manifestations du 1er mai 2023 contre la réforme des retraites, qui, rappelons-le, comptaient 2,3 millions de français dans les rues, indiquait :

« Pour cette 13e journée de mobilisation contre la réforme des retraites, les défilés étaient plus fournis que pour un 1er mai habituel, mais sans atteindre le niveau du “raz-de-marée” espéré par les syndicats. »

2,3 millions de travailleurs ou retraités soutenus par 70 % des Français ne font donc pas « marée » tandis que 0,185 million contre l’antisémitisme (soit 12 fois moins), soutenus officiellement par le même pourcentage, le font !

Inversement il y avait entre 100 000 et 300 000 manifestants le 18 octobre 2022, ce qui permettait au Parisien15 d’écrire « Grève du 18 octobre : les manifestations n’ont que peu mobilisé les foules ».

À rebrousse-poil

« Jean-Luc Mélenchon dénonce un “échec” de la marche contre l’antisémitisme, il est le seul à le faire ».

Hufpost16.

Effectivement les médias mainstream sont quasi unanimes pour qualifier de « succès » et « d’événement historique » une manifestation avec objectivement peu de participants.

Mélanchon : « “Toute la droite et l’extrême droite pourtant unies ont échoué à reproduire les mobilisations générales du passé”, a-t-il écrit dans un post sur X (anciennement Twitter), publié le 12 octobre. “Le rejet de l’antisémitisme est plus large en France. Ils l’ont rabougri et rendu ambigu. Le peuple français restera uni malgré ses dirigeants.”

JDD17

« Les gens qui se sont déplacés dans ces manifestations étaient davantage bourgeois et âgés, là où les manifestants pro-palestiniens sont plus jeunes. Quel tableau sociologique cela donne de la France derrière les chiffres eux-mêmes, au regard de la composition de la foule ? Que nous dit ce tableau de la manière dont se structure le débat politique en France ? »

Atlantico18

En conclusion

Nous sommes objectivement obligés de reconnaître que la montagne a accouché d’une souris.

Parler de victoire ou de succès eux égard à la publicité monstrueuse dont elle a bénéficié relève de la manipulation et du mensonge.

Éteindre l’incendie ou souffler des braises ?

La quasi-totalité des médias mainstream ne manquent pas d’affirmer qu’il ne faut pas importer le conflit israélo-palestinien en France et dans le même temps expliquent que l’antisionisme n’est que de l’antisémitisme.

De fait être français, de n’importe quelle confession, et être contre Israël, relève selon eux de l’antisémitisme19.

Dans leur mode de communication Israël est « l’unique victime » et le Hamas « l’unique coupable » :

  • Israël dit la vérité tandis que le Hamas ment, etc.
  • Israël fait des milliers de « victimes collatérales otages du Hamas » alors que « l’armée et le gouvernement font tout pour éviter des victimes civiles20 ». Le tout en rasant des quartiers entiers, bombardant les hôpitaux, coupant l’eau et j’en passe pour traquer le Hamas. Le Hamas est dans leur bouche un ramassis de « terroristes haineux qui tuent du juif pour le plaisir ».

Ces journalistes et ces personnalités médiatiques ne font jamais de lien entre « la montée de l’antisémitisme » en France et la politique israélienne. Jamais ils ne se demanderont si leur comportement outrancier, mais aussi mensonger pourrait se révéler contre-productif et « engendrer de la haine du juif » par réaction.

Comme si cet antisémitisme ou antisionisme était une création française ex nihilo.

Combien de personnes qui se ressentent de l’antisémite le sont par nature,
par une haine viscérale du juif pour ce qu’il est ou représente et combien le sont par réaction,
par un sentiment d’injustice, d’un deux poids deux mesures, etc. ?!

L’ancien Premier ministre Édouard Philippe a déclaré ce jour sur France-Info21.

« une lutte qui vient de tellement loin, qui est tellement ancienne et tellement difficile, qu’on n’en verra jamais le bout. »

À qui profite le crime ? À se demander si certains, et pas uniquement du côté des « méchants » n’y trouveraient pas un bénéfice. Certains ont déjà la réponse.

Que les médias puissent être considérés comme des charognes qui se nourrissent de la terreur et du malheur d’autrui passe. Nous pourrions aussi nous demander si des dirigeants politiques ou religieux de chaque bord ne chercheraient pas à entretenir ce climat de haine pour asseoir leur domination et leur pouvoir dans un statu quo mortifère.

Il faudra bien répondre un jour à ces questions :

  • Mon statut de victime (réel) dans le passé est-il de nature suffisante, quelles que soient la nature, l’horreur et l’ampleur du crime subit, à me préserver d’un statut de coupable (réel) pour toutes mes futures actions ?
  • Mon statut de victime me donne-t-il des droits ou au contraire le devoir d’être plus irréprochable, plus humaniste, plus empathique et ne pas faire subir à autrui ce que j’ai subi ?
  • Puis-je me dédouaner de tout crime présent, fût-il au nom d’une (prétendue) « légitime défense », en sortant ma carte de victime du passé ?
  • Puis-je dans le même ordre d’idée me préserver de toute critique en sortant ma carte de victime du passé ?
  • Puis-je ignorer que tous les tyrans et tortionnaires passés, présents et probablement futurs, revendiquent leurs actes au nom d’une « légitime défense » préventive ou curative, réelle ou imaginaire et que par conséquent la notion de légitime défense est biaisée ?
  • Puis-je condamner, y compris pénalement, celles et ceux qui m’accuseraient de crimes présents en me servant de ma simple appartenance à un peuple victime de crimes passés ?
  • Mes descendants pourront-ils utiliser cette carte de victime pour l’éternité ? Auront-ils le droit et la légitimité de récupérer une maison à Munich dans 500 ans, expulser les propriétaires allemands présents sans les dédommager en rappelant que leurs ancêtres en étaient les propriétaires et qu’ils avaient été expulsés puis massacrés il y a des siècles ?
  • Comment un statut de victime pourrait me donner le droit de spolier un habitant de sa terre natale sous prétexte que mes ancêtres étaient là bien avant lui il y a 3000 ans ?
  • Si je me place en dehors, si je m’arroge des règles uniquement pour moi, règles qui ne sont pas universelles, cela ne va-t-il pas favoriser et entretenir un ressenti, une haine et un racisme réactionnel dont mes ancêtres étaient déjà les victimes (à quelque titre que ce soit) ?
  • Au nom de quelle universalité mon peuple aurait légitimité à disposer de lois mémorielles interdisant toute recherche ou remise en cause des crimes passés tandis que les autres peuples victimes en seraient privés ?
  • Au nom de quelle morale cette horreur passée devrait être au-dessus de toutes les autres pour les siècles des siècles et toute comparaison ne serait que haine, racisme et blasphème ?
  • Comment puis-je me réclamer du droit et de la démocratie dans un pays où les droits de tout un chacun différent selon sa religion ou son lieu de naissance et d’autant plus que mes ancêtres ont eux-mêmes subi des lois discriminatives ?
  • Comment puis-je croire qu’en suivant, votant pour celles et ceux qui ne prônent que la « sécurité », la terreur et la haine de l’autre, l’issue pourrait être autre que mener mon peuple à sa perte ?
  • Comment puis-je m’illusionner avec une sécurité basée dans chaque camp sur la peur et la haine de l’autre et qui affirmerait l’impossibilité pour des frères (les Sémites) de vivre en harmonie sur une même terre ?
  • Comment puis-je me sentir en sécurité en construisant des murs et des miradors en bordure de mon terrain, fût-il de la taille de mon pays ?
  • Comment puis-je me qualifier d’homme libre en m’imposant une servitude volontaire et en m’enfermant dans un camp fut-il luxueux et de la taille d’un pays ?
  • Comment puis-je me qualifier de « gagnant » ou de « vainqueur » en apportant sur un plateau d’argent le rêve de tous celles et ceux, y compris des bourreaux, qui ne rêvaient que d’une chose, se débarrasser des miens et nettoyer leur pays de notre présence ?

Merci

Alain Tortosa22
13 novembre 2023
https://7milliards.fr/tortosa20231113-antisemitisme-comment-en-sortir.pdf

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