Le Tétralogue — Roman — Chapitre 11

06/11/2022 (2022-11-05)

[Voir :
Le Tétralogue — Roman — Prologue & Chapitre 1
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 2
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 3
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 4
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 5
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 6
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 7
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 8
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 9
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 10]

Par Joseph Stroberg

​11 — Le bazar

Cela faisait maintenant deux jours que le trio marchait dans les forêts et les étendues buissonneuses des plaines de l’Ouest. Alors que Matronix et Dévonia étaient cachées à leur vue par le feuillage des arbres, ils se frayaient un chemin tant bien que mal dans une zone de végétation plus dense qui n’avait visiblement pas été choisie comme source alimentaire par les herbivores. Cela faisait plus d’un quartier qu’ils avaient laissé le dernier sentier et n’en trouvaient plus de nouveaux. Il était rare que des Véliens traversent les plaines de l’Ouest et aucun des trois n’avait de connaissances précises sur la topographie des lieux. Peut-être qu’un chemin se trouvait à seulement quelques pas d’eux, mais la densité végétale le rendait alors difficilement perceptible. En conséquence ils progressaient très lentement, d’autant plus qu’ils devaient prendre garde à ne pas marcher n’importe où. Un trou masqué, une racine émergente, un serpent venimeux… représentaient autant de dangers potentiels.

Tulvarn, Gnomil et Reevirn commençaient à trouver le paysage monotone et pénible, d’autant plus que le sol n’était pas régulier, mais de plus en plus accidenté. Des rochers couverts de lichen devinrent pourtant bientôt visibles et leur donnèrent quelque espoir de changement de décor et surtout de progression. Alors que leur fréquence augmentait, ils ressentaient parallèlement un accroissement de l’humidité ambiante, signe qu’ils s’approchaient peut-être d’une masse d’eau. Ceci ne tarda pas à les motiver pour marcher un peu plus vite et l’échine moins courbée. Ils pressèrent donc le pas dans l’espoir de sortir de cette sorte de jungle dans laquelle ils se sentaient errer depuis trop longtemps, négligeant les épines qui parvenaient à écorcher le cuir de leurs jambes et à mettre en lambeaux le tissu qui les recouvrait. Ils avaient maintenant piètre allure et le chasseur ne disposait d’aucun linge de rechange. Il leur faudrait en fabriquer un à partir de quelques pièces prélevées dans les sacs de Tulvarn et de Gnomil. Ils verraient cela en temps voulu. Pour l’heure, il leur fallait d’abord quitter cet endroit.

Quelques centaines de pas plus loin, le paysage qui s’offrit à leurs yeux les laissa pour le moins déconcertés. Une large rivière leur barrait le chemin, mais de celle-ci émergeaient des sortes d’énormes piliers de roche à dominante ocre rouge. De section vaguement carrée, mais aux coins arrondis, leur forme s’élargissait vers le haut pour terminer par un plateau horizontal presque parfait. La rivière elle-même, tel un furieux torrent, dévalait une pente vers la gauche en un puissant courant. Elle pouvait les entraîner de manière incontrôlée et les faire s’écraser contre les piliers. Ces derniers étaient de hauteur variée et plus ou moins proches les uns des autres. Cependant, leur agencement était tel que ce serait un vrai casse-tête que de les utiliser pour traverser l’obstacle. Le plus étrange était ce qui apparaissait sur les plateaux lorsqu’ils pouvaient en avoir un aperçu, ceci pour les moins élevés. Sur l’un d’eux, apparemment le plus bas, se trouvaient différents tas de poudres pour l’instant indéfinies et un fatras d’objets divers, dont quelques rondins de bois de tailles et longueurs diverses. C’était le seul dont ils pouvaient apercevoir le contenu de manière détaillée et intégrale, car il se trouvait aussi être le plus proche de la berge de leur côté. Sur un autre, ils devinaient seulement la présence de plantes en pots, sans pouvoir déterminer pour l’instant les espèces concernées. Sur un troisième, divers animaux étaient enfermés dans des cages. Les autres étaient pour l’instant trop lointains ou trop élevés pour savoir si quelque chose s’y trouvait.

— Qu’est-ce que c’est que ce bazar ? interrogea alors Gnomil en se grattant le sommet du crâne.

— Je me demande aussi ce que cela signifie, ajouta Tulvarn également intrigué.

— Pour ma part, je ne saurais même pas dire si la situation fait ou non partie de la normalité, remarqua pour sa part Reevirn. Par contre, si je me base sur vos têtes, ceci n’a pas du tout l’air d’être fréquent, poursuivit-il en souriant.

— Qu’ont-elles donc nos têtes, demanda Gnomil légèrement sur la défensive ?

— Oh ! rien de grave. C’est juste que votre air m’évoque ce qui me semble bien correspondre à une grosse surprise et je le trouve comique. Assez bizarrement, il semble que je conserve des souvenirs de ce genre de choses. Est-ce que ceci est d’ordre inné ?

— Sans doute, oui, répondit le moine. Même les très jeunes Véliens reconnaissent spontanément les réactions émotionnelles des autres, sans pour autant qu’on leur ait un jour enseigné. D’ailleurs, l’enseigne-t-on parfois ? J’en doute. Mais revenons à notre problème ! Comment traverser cette rivière ? Et pourquoi ce « bazar » comme le nomme notre ami Gnomil ? Est-ce que c’est censé nous aider pour traverser ? En gros, on nous donne des ressources pour cela, mais c’est à nous de nous démerder ? Et qui en est à l’origine ?

— Et pourquoi ? interrompit Gnomil. En tout cas, on a besoin de traverser si on veut retrouver la belle. Et on nous offre des moyens, dirait-on. Mais pas la manière de les utiliser. Ça va être à nous de nous triturer l’esprit pour trouver quoi utiliser dans tout ce bric-à-brac, et peut-être même dans quel ordre. Il m’apparaît notamment qu’on ne pourra pas rejoindre les piliers les plus élevés sans avoir d’abord pu sauter sur les intermédiaires. Et certains semblent trop éloignés les uns des autres pour ce faire. Des morceaux de bois pourraient alors nous servir de pont.

— En effet, reconnut Tulvarn. Commençons-donc par atteindre la première plate-forme ! Qui se sent capable de sauter dessus sans retomber dans la rivière ?

— J’ai l’impression que je pourrais, répondit Reevirn avec une légère hésitation dans la voix. Mais je ne peux en être certain, n’ayant bien sûr aucun souvenir d’avoir déjà effectué un tel saut.

— Pour ma part, même si je suis leste et souple, je suis trop petit et manque de puissance, déclara le voleur.

— Et je suis un peu trop lourd, à mon avis, admit facilement le moine.

— Bon alors, je n’ai plus qu’à tenter, termina le chasseur avant de s’élancer.

Sur ce, il se mit à courir rapidement en direction de l’endroit le plus accessible du pilier visé, puis sauta en l’air pour atteindre son plateau. Après un saut couvrant plusieurs enjambées, ses mains en agrippèrent le rebord, puis son corps emporté par l’élan heurta la colonne rocheuse. Comme il s’y attendait, il ne lâcha pas prise. Reprenant son souffle, il se hissa ensuite sur le sommet du pilier par la force de ses bras. Enfin debout après un souple rétablissement, il parcourut du regard ce qui en jonchait le sol. Des tas de poudres de couleurs diverses étaient dispersés au milieu d’objets hétéroclites tels que des rondins de bois, des outils métalliques, une enclume et une forge sommaire. Il se déplaça ensuite rapidement pour observer derrière les plus gros objets et découvrit ainsi ce qui lui parut le plus utile dans l’immédiat : une corde d’une centaine de pas faite en laine de cnépul. Il en attacha l’une des extrémités autour de la forge, puis lança l’autre en direction de ses deux compères. Dès qu’elle lui parvint, Tulvarn s’en empara, puis se l’enroula fermement autour de la taille avant de faire signe à Gnomil d’y grimper pour rejoindre le chasseur. Celui-ci s’en saisit des deux mains avant de se balancer pour coincer la corde entre ses deux jambes. Ainsi renversé, il progressa agilement vers le sommet du pilier. Après seulement quelques instants, il se rétablit en position debout et lâcha la corde, faisant signe au moine que c’était à son tour de grimper. Cependant, lui n’eut d’autre choix que de se balancer au bout de la corde jusqu’à la colonne rocheuse avant de grimper. Ce faisant, il heurta celle-ci de ses pieds avant de rebondir en direction de la berge. Après quelques oscillations, le mouvement pendulaire de la corde cessa et Tulvarn put monter le long de celle-ci pour rejoindre le sommet. Avec ses quatre sacs, ce ne fut cependant pas facile et lui demanda un surcroît d’énergie. Parvenu enfin sur le plateau, il posa aussitôt ses sacs, ouvrit celui qui contenait ses réserves de nourriture et se saisit prestement d’une portion. Il conseilla par signe à ses deux collègues de faire de même et ceux-ci ne se firent pas prier. Les trois Véliens mangeaient maintenant tranquillement en attendant de trouver comment parvenir sur les piliers rocheux suivants et finir par traverser cette rivière.

(Suite : Le Tétralogue — Roman — Chapitre 12)

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