15/08/2023 (2023-06-01)
Par Nicolas Bonnal
Sur ce sujet on observe un silence prudent de nos jours. Pourtant Tocqueville s’en est mêlé ; et voici ce que l’auteur de De la démocratie en Amérique écrit à ce sujet, que l’on peut appliquer au monde entier colonisé par la sous-culture américaine imposée :
« En affaiblissant parmi les Indiens de l’Amérique du Nord le sentiment de la patrie, en dispersant leurs familles, en obscurcissant leurs traditions, en interrompant la chaîne des souvenirs, en changeant toutes leurs habitudes, et en accroissant outre mesure leurs besoins, la tyrannie américaine les a rendus plus désordonnés et moins civilisés qu’ils n’étaient déjà. »
Comme tous les humanistes et les gens de droite traditionnelle, comme tous les gentilshommes en fait, Tocqueville avait une très haute opinion des Indiens d’Amérique :
« La chasse et la guerre lui semblent les seuls soins dignes d’un homme. L’Indien, au fond de la misère de ses bois, nourrit donc les mêmes idées, les mêmes opinions que le noble du Moyen Âge dans son château fort, et il ne lui manque, pour achever de lui ressembler, que de devenir conquérant. »
L’aristocrate Tocqueville se sent proche des indiens ; de même le mystique suisse Frithjof Schuon qui les compare aux samouraïs (voyez mes textes sur ce prodigieux auteur).
Il cite ces lignes d’un rapport US concernant la disparition des Indiens. Les conquérants anglo-américains ont exterminé les Indiens en les privant de bisons, et cela se sait et se dit dès 1829 :
« Les troupeaux de bisons se retirent sans cesse, disent MM. Cass et Clark dans leur rapport au Congrès, 4 février 1829 ; il y a quelques années, ils s’approchaient encore du pied des Alleghanys ; dans quelques années, il sera peut-être difficile d’en voir sur les plaines immenses qui s’étendent le long des montagnes Rocheuses. On m’a assuré que cet effet de l’approche des Blancs se faisait souvent sentir à deux cents lieues de leur frontière. Leur influence s’exerce ainsi sur des tribus dont ils savent à peine le nom, et qui souffrent les maux de l’usurpation longtemps avant d’en connaître les auteurs. »
Rappelons que vers la même époque un certain William Smith Shaw dénonce les « hordes d’immigrés étrangers » (la xénophobie n’aura pas attendu son Trump).
Tocqueville décrit alors un vrai Grand Remplacement, pas celui fantasmé par certains de nos jours, et il est bouleversant :
« Quelques familles européennes, occupant des points fort éloignés, achèvent alors de chasser sans retour les animaux sauvages de tout l’espace intermédiaire qui s’étend entre elles. Les Indiens, qui avaient vécu jusque-là dans une sorte d’abondance trouvent difficilement à subsister, plus difficilement encore à se procurer les objets d’échange dont ils ont besoin. En faisant fuir leur gibier, c’est comme si on frappait de stérilité les champs de nos cultivateurs. Bientôt les moyens d’existence leur manquent presque entièrement. »
Tocqueville poursuit avec son rapport :
« MM. Clark et Cass, dans leur rapport au Congrès, le 4 février 1829, p. 23, disaient : “Le temps est déjà bien loin de nous où les Indiens pouvaient se procurer les objets nécessaires à leur nourriture et à leurs vêtements sans recourir à l’industrie des hommes civilisés. Au-delà du Mississipi, dans un pays où (on rencontre encore d’immenses troupeaux de buffles, habitent des tribus indiennes qui suivent ces animaux sauvages dans leurs migrations ; les Indiens dont nous parlons trouvent encore le moyen de vivre en se conformant à tous les usages de leurs pères ; mais les buffles reculent sans cesse. On ne peut plus atteindre maintenant qu’avec des fusils ou des pièges les bêtes sauvages d’une plus petite espèce…ˮ. Pareil en Patagonie où j’ai vécu. Les morses exterminés par les colons anglais, les indiens survivants se rabattirent sur les coquillages, puis ils disparurent. »
« C’est principalement au nord-ouest que les Indiens sont obligés de se livrer à des travaux excessifs pour nourrir leur famille. Souvent le chasseur consacre plusieurs jours de suite à poursuivre le gibier sans succès ; pendant ce temps, il faut que sa famille se nourrisse d’écorces et de racines, ou qu’elle périsse : aussi il y en a beaucoup qui meurent de faim chaque hiver. »
Prophète encore ici, Tocqueville décrit la conquête par le bruit, ce beuglant dont Saint-Exupéry parle dans Terre des Hommes. Car le bruit chasse et extermine :
« Du jour où un établissement européen se forme dans le voisinage du territoire occupé par les Indiens, le gibier prend l’alarme. Des milliers de sauvages, errant dans les forêts, sans demeures fixes, ne l’effrayaient point ; mais à l’instant où les bruits continus de l’industrie européenne se font entendre en quelque endroit, il commence à fuir et à se retirer vers l’ouest, où son instinct lui apprend qu’il rencontrera des déserts, encore sans bornes. »
Et Tocqueville de comparer les méthodes US et les méthodes espagnoles :
« Les Espagnols, à l’aide de monstruosités sans exemples, en se couvrant d’une honte ineffaçable, n’ont pu parvenir à exterminer la race indienne, ni même à l’empêcher de partager leurs droits ; les Américains des États-Unis ont atteint ce double résultat avec une merveilleuse facilité, tranquillement, légalement, philanthropiquement, sans répandre de sang, sans violer un seul des grands principes de la morale aux yeux du monde. On ne saurait détruire les hommes en respectant mieux les lois de l’humanité1. »
La guerre du droit… La destruction humanitaire de l’homme, tel est le programme des USA et de leur Europe communautaire en effet. La guerre de Sécession, qui verra Lincoln lancer les meutes des généraux Sherman et Sheridan sur les populations civiles des villes sudistes, avait une cruauté humanitaire qui elle-même n’avait rien à voir avec une abolition de l’esclavage des noirs. Thomas Di Lorenzo a rappelé que le mythifié Lincoln était raciste, et que l’esclavage ne fut aboli qu’en 1863, pour des raisons tactiques2.
Bibliographie
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