12/02/2023 (2023-02-12)
Par Nicole Delépine
« Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés »1
Ce que le gouvernement et bon nombre de parlementaires et éditorialistes ne veulent pas entendre du tout c’est que la pénibilité du travail, forte depuis toujours dans certains métiers comme le bâtiment, les égoutiers, etc. s’est accrue dans d’autres domaines par le biais du harcèlement, comme la santé, l’école, la sécurité sociale, etc., et même les entreprises privées aux mains des énarques ou sous-énarques passant du privé au public et inversement.
La volonté autocratique des dirigeants depuis le règne de Thatcher suivi par Mitterand en 1983 a donné la main aux technocrates ne connaissant rien aux métiers proprement dits et demandant du rendement, du chiffre, des tableaux Excel comme tous le résument, en toute inhumanité.
Ils ne comprennent pas pourquoi les métiers d’infirmières, de professeurs ou de médecins jadis tant prisés font aujourd’hui fuir, indépendamment même des salaires. Appliquer la méthode Ford, le taylorisme à une clinique ou un service médical en hôpital est une incongruence.
Faites le test si vous devez être hospitalisé, vous allez voir au moins sept personnes avant d’arriver dans votre chambre où votre infirmière pourra peut-être vous dire ce qui vous arrivera avec un peu de chance… Mais à jeun le lendemain matin, on vous apportera un petit déjeuner par erreur de transmission ou on vous donnera un anticoagulant avant votre opération. « C’était écrit dans le logiciel » (qui n’a pas été mis à jour). Oui travailler dans ces conditions-là devient épuisant, et l’idée de rester plus longtemps dans cette atmosphère délirante est insupportable pour énormément de salariés conscients de la perte de sens de leur métier et l’impossibilité de le pratiquer correctement.
Rappelez-vous les morts d’Orange, suicides… :
« Orange, ex-France Télécom, son ancien PDG, Didier Lombard, et six autres cadres et dirigeants ont été condamnés pour “harcèlement moral”, près de dix ans après une crise sociale durant laquelle plusieurs dizaines de salariés se sont suicidés. »2
À l’hôpital, c’est aussi le harcèlement des soignants par les administratifs :3
« Après le suicide d’un cardiologue, l’AP-HP et quatre responsables de l’hôpital Georges-Pompidou mis en examen pour “harcèlement moral”. Le professeur Jean-Louis Mégnien s’était défenestré en 2015. Des collègues avaient rapporté qu’il était victime de harcèlement et qu’un avertissement sur sa souffrance n’aurait pas été pris en compte ».
Les épuisements, les burn-out4, ont participé à ce que les travailleurs n’imaginent plus comment aller jusqu’à 64 ans, alors que quand nous travaillions dans des conditions normales, le problème ne se posait pas, au moins dans les professions autrefois protégées. Avec la chance d’avoir un métier magnifique de médecin pédiatre, je suis partie à 68 ans, mais vraiment ma situation n’était pas comparable à celle de mes confrères dans les dernières années, harcelés par leur « cadre », changeant de planning tous les deux jours, et devant éviter de s’attacher aux enfants malades pour avoir l’air professionnel. La folie s’est emparée de notre société déshumanisée sur diktat des puissants et soumission du peuple.
De nombreux livres ont été écrits sur le sujet emblématique du harcèlement au travail, dans le silence intersidéral des médias et trop souvent l’indifférence des syndicats. (Comme nous l’avons vécu à Avicenne et Garches…) « Je vous soutiendrais bien mais je ne veux pas perdre mon logement à l’hôpital ». S’ils se réveillent aujourd’hui, ne nous en plaignons pas et unissons-nous même si quelques-uns d’entre eux ont voté EM sous manipulation médiatique, cela ne change rien !
« Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés ». Ces mots, tirés de la fable de Jean de La Fontaine « Les animaux malades de la peste », Marie Pezé psychologue clinicienne et psychanalyste les a choisis comme titre à son ouvrage consacré à la souffrance au travail » dès 2005.
Résumé (extraits) : Marie Pezé a ouvert la consultation Souffrance et travail en France à Nanterre en 1997 première d’une vingtaine qui ont vu le jour un peu partout en France. Pendant treize années elle y a reçu des patients aux profils les plus divers du cadre sup à la simple secrétaire de l’aide-soignante au chef comptable tous ceux que l’on appelle les « Ressources humaines ». (…)
Marie Pezé dresse ce constat terrible : les troubles liés au travail se généralisent et s’aggravent ; (..) l’hyperproductivisme devient la règle de fonctionnement dans toutes les entreprises fragilisant l’ensemble des salariés. Ce livre est d’abord une galerie de portraits : Agathe l’aide-soignante qui veut par-dessus tout préserver la sécurité des patients hospitalités, Solange l’assistante de direction propulsée sur un plateau téléphonique qui tente de se plier aux exigences contradictoires du management, Serge le cadre sup qui ne sent vivant que dans la surcharge de travail, François juriste d’entreprise qui a tenté de se suicider sur son lieu de travail parce qu’il « n’y arrivait pas ». (..)
La notion de harcèlement seule n’explique pas pourquoi certaines personnes comme Solange consentent à des situations intenables, ou encore que la solitude voire la folie comme dans le cas d’Agathe, sont le lot de ceux qui veulent défendre un travail bien fait ; ou encore qu’une rationalisation excessive conduit à un tel appauvrissement du travail effectué que les individus concernés peuvent se mettre à adopter des conduites criminelles.5
Elle a poursuivi son travail d’alerte avec d’autres livres comme en 2014 :
« Le travail occupe la moitié de l’espace de nos vies d’adultes, sinon beaucoup plus. Et travailler, c’est travailler sa vie.
Pour le meilleur, quand le travail nous permet d’enrichir notre savoir, de construire notre place dans le monde, d’être reconnu par ceux à qui nous sommes utiles. Quand il nous permet de nous émanciper socialement, d’être autonome, de vivre de nos choix.
Pour le pire, quand le travail est vide de sens, quand il contraint nos corps, quand il appauvrit notre fonctionnement mental. Pour le pire quand nous gagnons de quoi nous loger ou de quoi nous nourrir. Quand nous y apprenons la rivalité, la haine et la peur de l’autre, puisqu’on nous dit qu’il n’y a pas de place pour tout le monde. »6
Les suicides des soignants, comme ceux des agriculteurs7 et des policiers 8 font parfois l’objet de quelques articles vite oubliés.
« Dans son métier d’agriculteur, on peut se sentir oppressé. Oppressé par le mauvais temps, la maladie de ses animaux. Oppressé par la fatigue, la liste longue comme le bras des choses à faire. Oppressé par ses banquiers, ses dettes à combler. Mais rien n’oppresse autant que le regard, inquisiteur, de tous ceux qui attendent le faux pas, l’erreur, pour nous blâmer. »
Le Dr Éric Henry, Président de l’association Soins aux Professionnels de Santé, dressait un bilan alarmant de l’état psychologique des professionnels de la santé9.
« Qu’ils soient aides-soignant(e) s, infirmier(e)s, psychologues, médecins, le quotidien des professionnels de santé est marqué par des conditions de travail favorisant leur isolement, des contraintes administratives réduisant la part consacrée au soin, mais aussi par le sentiment persistant d’un travail empêché au détriment de la santé des Français. Ne nous étonnons pas qu’ils soient parmi les populations les plus touchées par les troubles du sommeil, l’épuisement émotionnel et les conduites addictives…
La santé de nos soignants est un enjeu de société pour lequel il n’existe aujourd’hui que peu de réponses des pouvoirs publics. Ainsi, le projet de loi de santé présenté à l’Assemblée nationale ne comporte aucun volet de prévention des risques liés à la dégradation de l’activité des soignants. Quelle réponse apporter aux professionnels en souffrance ? ».
La médecine a perdu son sens avec la taylorisation du soin (depuis les années 90 et aggravation progressive)
Comme le rappelait L. Degos en 200210, il faut soigner une malade et non une maladie. Appliquer à tous les malades des protocoles nationaux à la chaîne au lieu de leur fournir des soins adaptés à leur singularité a fait perdre tout leur sens à nos beaux métiers, leur efficacité, leur humanité, leur raison d’être. Chaque malade est unique, chaque malade est différent comme le sont aussi leur maladie et leurs réactions aux médicaments. Nous l’avons maintes fois relaté dans nos livres.
Et ce ne sont pas les multiples audits des cabinets de conseil qui amélioreront les choses. Aussi comparer l’âge des départs en retraite dans d’autres pays n’a peut-être pas autant de sens qu’on pourrait le penser a priori.
Regardons notre pays épuisé, méprisé, agacé, insulté, surmené. Oui, une grande majorité d’entre nous, y compris chez les retraités, refusent le passage en force de cette réforme non aboutie. Les manifestations généralisées dans grandes et petites villes reflètent les souffrances accumulées pendant plusieurs décennies et la cocotte-minute qui risque d’exploser si personne n’entend. L’argent magique n’existe plus que pour l’étranger (Pakistan, Ukraine…). Les enseignants doivent financer leurs photocopies et les tribunaux sont toujours encombrés faute de moyens.
FAITES CONNAÎTRE LE RAS-LE-BOL DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE À LA BUREAUCRATISATION DU TRAVAIL
Nous sommes tout près d’un million de signataires ! Atteignons le million en partageant au maximum sur vos réseaux et listing mails la pétition ci-dessous.
Le gouvernement a annoncé le report de l’âge de la retraite à 64 ans avec un allongement accéléré de la durée de cotisation.
Cette mesure est injustifiée : le rapport du Conseil d’orientation des retraites (COR) l’indique clairement, le système de retraites n’est pas en danger. Il n’y a aucune urgence financière.
Cette réforme va frapper de plein fouet l’ensemble des travailleurs, et plus particulièrement ceux qui ont commencé à travailler tôt, les plus précaires, dont l’espérance de vie est inférieure au reste de la population, et ceux dont la pénibilité des métiers n’est pas reconnue. Elle va aggraver la précarité de ceux n’étant déjà plus en emploi avant leur retraite, et renforcer les inégalités femmes-hommes.
Ce projet gouvernemental n’a rien d’une nécessité économique, c’est le choix de l’injustice et de la régression sociale.
Renforcer notre système de retraites nécessite en revanche des mesures de progrès et de partage des richesses.
D’autres solutions sont possibles ! Je soutiens la mobilisation intersyndicale et je m’oppose à cette réforme : « je signe la pétition »
Vos données ne feront l’objet d’aucune collecte, ni d’aucun traitement de notre part.
La demande de don faisant suite à la signature de cette pétition n’émane pas des organisations syndicales mais de la plateforme change.org sur laquelle est hébergée celle-ci.
ET quelques images témoignages de la journée du 11 février en France qui a mis beaucoup de gens dans la rue.
ÉCOUTONS-LES
Combien de temps le gouvernement restera-t-il sourd à la volonté du peuple ?
Les députés continueront-ils longtemps à trahir leurs électeurs en croyant que ceux-ci auront oublié à la prochaine élection ?
Les points de vue exprimés dans l’article ne sont pas nécessairement partagés par les (autres) auteurs et contributeurs du site Nouveau Monde.