La fabrication des perceptions

29/04/2024 (2022-06-07)

[Voir aussi sur Dogma #19]

Par Joseph Stroberg

La perception de la réalité par les êtres humains représente un processus relativement complexe initié lors de la réception d’informations par les organes et les dispositifs sensoriels du corps. Elle présente au moins deux points de vulnérabilité qui offrent à des êtres malintentionnés des possibilités de manipulation de la perception : le premier est sa fragilité proportionnelle à sa complexité, de la même manière qu’une chaîne se brise d’autant plus facilement — par son maillon le plus faible — qu’elle est longue ; et le second provient de son caractère partiel et subjectif. Et si l’on cherche à pallier l’insuffisance, l’incomplétude et la subjectivité perceptive par des artifices technologiques, on ne fait souvent qu’accroître le degré de complexité et donc proportionnellement celui de fragilité, rendant l’individu encore plus vulnérable à la manipulation de ses perceptions par différents moyens. Or, il existe des individus ou des entités qui semblent avoir développé une spécialité : celle de remplacer la perception naturelle du réel par un récit artificiel, fallacieux ou factice qui peut au contraire s’en écarter plus ou moins drastiquement et dramatiquement.

Les moyens de perception offerts aux êtres humains sont actuellement de deux ordres : les naturels et les artificiels. Les premiers proviennent de son système sensoriel et les seconds ont été inventés à différentes époques comme autant d’instruments purement mécaniques dans certains cas, ou chargés d’électronique dans d’autres, généralement plus récents.

Parallèlement aux cinq sens classiques et bien connus, l’être humain dispose aussi de sens qui lui permettent de s’orienter dans l’espace, de trouver son équilibre, de ressentir les émotions (voire les pensées) d’autres individus à distance, d’anticiper des événements, etc. Par différents capteurs plus ou moins efficaces, précis, sélectifs…, ayant une plus ou moins longue portée et large couverture, il peut ainsi percevoir la position et le mouvement d’un objet ou d’un sujet d’observation, et d’autres caractéristiques perçues conventionnellement comme étant sa couleur, sa forme, sa texture, sa matière, etc., mais que la science a tendance de nos jours à considérer comme des assemblages dynamiques d’atomes ou de molécules. Cependant, ses capteurs et organes sensoriels ne représentent que la première étape du dispositif de perception des informations relatives aussi bien à lui-même qu’aux autres entités de l’Univers. Ces dernières sont ensuite transmises au cerveau, par le biais du système nerveux.

Le cerveau joue un rôle capital dans le traitement des perceptions, en les rendant intelligibles. Il renverse notamment l’image reçue du dehors par l’œil sur la rétine. Il transforme en couleurs les signaux reçus par les trois types de capteurs rétiniens. Il transforme en bruits, cris ou paroles les vibrations sonores captées au niveau de l’oreille. Il traduit en saveurs les substances chimiques perçues par les papilles gustatives. Il interprète sans cesse l’information reçue sous différentes formes et par de multiples capteurs sensoriels, tendant plus ou moins automatiquement à écarter ce qui ne cadre pas avec l’image du monde qu’il s’est déjà fabriquée grâce non seulement à ses sens naturels, mais aussi à ses moyens artificiels de perception.

Pour pallier ses handicaps sensoriels naturels ou accidentels ainsi que la limitation de ses sens de manière générale, par exemple par rapport à certains animaux, l’être humain a inventé au cours des âges divers moyens. Les plus anciens instruments qu’il a pu ainsi fabriquer à de telles fins sont probablement le monocle et la paire de lunettes. L’équivalent pour l’ouïe a pris d’abord la forme d’un cornet acoustique, puis plus récemment de prothèses auditives. De multiples dispositifs ont été créés pour nous permettre d’augmenter nos moyens de perception. Le microscope, le télescope optique, le radiotélescope, mais aussi le télégraphe, la radio, la télévision, les satellites de communication ou d’espionnage, et Internet font partie de ceux-ci. Nous percevons en effet le monde à travers eux.

Avec ou sans moyens artificiels pour augmenter ses sens ou pallier leur manque ou leurs limitations, les perceptions qui en découlent sont plus ou moins fortement tributaires du travail effectué au niveau du cerveau pour traiter les informations reçues. La grande majorité des individus, neurotypiques, tendent à ainsi à la « dissonance cognitive » quand de nouvelles données ne cadrent pas avec l’image du monde, la représentation interne qu’ils s’en fabriquent au fur et à mesure de leur évolution depuis le plus jeune âge. Ils le font d’autant plus que les réactions émotionnelles induites par ces données perçues sont négatives (par exemple sous forme de peur, de colère ou de haine). Dans un tel cas, la dissonance avec l’acquis est trop forte et ces dernières sont alors simplement rejetées. Lorsque les données plaisent ou laissent émotionnellement indifférent, mais sont en contradiction avec le schéma déjà construit, elles sont déformées par le cerveau pour pouvoir s’y intégrer.

L’image du monde que se fabrique un individu donné peut être plus ou moins déformée ou faussée par rapport à la réalité objective selon son fonctionnement neuronal (découlant notamment de ses habitudes de pensées) et selon ses capacités mentales d’analyse et de logique, mais aussi selon son degré d’humilité (ou au contraire d’orgueil) face aux champs de connaissance, ceux qu’il pense déjà connaître ou avoir suffisamment explorés, comme ceux qu’il ignore encore plus ou moins totalement. La vanité et la suffisance engendrées par un savoir acquis acceptent en effet mal la remise en question de ce dernier lorsque de nouvelles données tendraient à en détruire les fondations.

Une bonne maîtrise de la logique est pratiquement indispensable pour effectuer une analyse cohérente et relativement impartiale non seulement de la représentation du monde déjà élaborée (incluant théories et croyances diverses) que des nouvelles observations toujours susceptibles, d’ailleurs, d’entrer en contradiction avec celle-ci. La logique permet de séparer plus facilement la vérité de la fausseté et du mensonge.

Une bonne dose de réelle humilité est également indispensable, cette fois pour être capable d’accepter les erreurs, invraisemblances et incohérences du modèle du monde déjà construit en interne face aux nouvelles perceptions ou à un afflux de « lumière » qui les mettent en évidence. Quand nous avons basé notre vie sur une erreur (comme l’est par exemple assez probablement la théorie virale), l’orgueil favorisé par la notoriété (individuelle aussi bien que collective), le consensus (voire l’unanimité) et l’intelligence représente un puissant obstacle à la remise en question des connaissances acquises, combien même celles-ci seraient plus ou moins complètement fausses et frauduleuses.

D’autres obstacles à la remise en question de l’acquis s’avèrent de nos jours être l’intérêt financier, la volonté de contrôle social ou politique, et la peur de l’inconnu. Des individus ou des groupes principalement motivés par le maintien ou l’augmentation de leurs privilèges ont ainsi tout bénéfice et intérêt à maintenir l’Humanité dans l’état qui leur a permis d’arriver où ils en sont. À cette fin, ils peuvent jouer sur l’orgueil des « experts », l’abrutissement des masses par une éducation déficiente leur interdisant tout sens véritable de logique et esprit d’analyse élaboré, le contrôle de ces mêmes masses par l’émotionnel en lui offrant des loisirs stimulant ce dernier au détriment du mental et en la plongeant dans un état quasi perpétuel de peur (par une stimulation médiatique appropriée). Connaissant la psychologie humaine et la manière dont l’individu perçoit et imagine le monde, ils peuvent alors dicter à la masse humaine la manière dont elle doit désormais percevoir le réel. Ils obtiennent des résultats d’autant plus rapides et spectaculaires qu’ils interviennent à tous les stades du mécanisme perceptif.

En offrant à l’Humanité des capteurs et instruments d’analyse de plus en plus sophistiqués et démultipliés, si possible sur un seul support (comme le « smartphone »), on la détourne de l’usage de ses propres ressources naturelles. L’individu assujetti aux téléphones et autres instruments prétendument « intelligents » leur remet ses propres capacités d’observation, de mémorisation, d’analyse et de réflexion. Il abandonne son naturel pour l’artificiel et devient dépendant de la technologie pour assurer une partie croissante de ses besoins journaliers. Sans ces artifices, il est perdu, en état de manque, voire en véritable panique. Il ne sait plus mémoriser, calculer, réfléchir… analyser par lui-même. Il existe ainsi une différence fondamentale entre par exemple une simple paire de lunettes et un téléphone dit intelligent. Là où la première se contente de rectifier le trajet de la lumière reçue pour améliorer la vision, le second court-circuite le processus perceptif et l’empêche donc de fonctionner normalement en prétendant offrir mieux à l’individu. Or, un organe ou une fonction qui ne sont pas utilisés périclitent.

Après la phase de réception initiale de l’information, les individus mal intentionnés peuvent intervenir de nos jours au niveau cérébral lui-même, et ceci en de multiples zones ou phases du traitement de l’information. En particulier, par l’utilisation d’ondes sonores ou d’ondes électromagnétiques, selon la technologie utilisée, on peut maintenant créer des pensées artificielles, faire entendre des voix dans la tête, induire des émotions, du stress « flottant » (d’origine indéfinissable par l’individu), produire des hallucinations sensorielles, etc.. Dans le cas d’ondes électromagnétiques pulsées (4G, 5G, Wi-Fi, etc.), ces altérations de la perception et des fonctions cérébrales s’accompagnent de symptômes divers, variables selon les individus, mais dont la cause électromagnétique est alors assez rarement reconnue par la médecine et les médecins.

Cependant, il existe aussi et depuis plus longtemps des techniques plus douces et/ou « naturelles » (dans le sens de non technologiques), mais relativement efficaces qui relèvent davantage de la psychologie elle-même : hypnose, induction de « psychose de formation de masse », messages subliminaux auditifs ou visuels, manipulation, propagande et désinformation, conditionnement psychologique, bien que dans ce dernier cas, elles puissent être plus violentes lorsqu’elles s’accompagnent de privations, de stress, voire de torture physique ou psychologique, jusqu’à engendrer ce que l’on appelle classiquement un « lavage de cerveau » ou encore une dissociation de personnalité suite à des traumatismes multiples.

Plus leur connaissance relative aux êtres humains est poussée, plus des êtres mal intentionnés peuvent en tirer profit pour manipuler ces derniers et leur faire réaliser, dire ou être n’importe quoi, jusqu’à des actions, paroles et états qui sont pourtant contre nature. Et plus ils maintiendront l’Humanité dans les sphères de conscience matérielle et émotionnelle au détriment des sphères mentales, intuitives, psychiques et spirituelles, spécialement en stimulant les instincts animaux (de survie, de reproduction…) et l’émotionnel (en jouant par exemple sur la peur ou en utilisant la loi d’attraction et de répulsion), plus il leur sera facile de l’asservir et de lui imposer une fausse réalité. Les instincts et les émotions représentent la porte de la manipulation et du contrôle sur les individus lorsque ces derniers y sont déjà, par nature ou habitude, assujettis au détriment des sphères plus élevées. Et ce n’est pas pour rien notamment que les gourous de sectes tendent presque systématiquement à dénigrer le « mental » comme leur ennemi ou plutôt comme celui que leurs ouailles doivent combattre ou fuir. La raison et le discernement représentent en effet des obstacles à une bonne manipulation, alors que celle-ci gagnera à jouer sur la peur et l’instinct de survie pour placer le corps et le cerveau en mode approprié, celui du « fuis ou combat, mais surtout ne prends pas le temps de réfléchir à ce que tu fais ni à ce que tu perçois ».

Une lumière d’alerte ou de vigilance devrait s’allumer en chaque individu qui se voit proposer de rejeter son mental, son cerveau, la raison ou la logique, de revenir aux instincts primordiaux, de miser ou compter seulement sur ses sensations, d’assouvir ses envies, désirs ou passions sans retenue (et sans se préoccuper des conséquences pour soi et pour les autres)… Elle devrait aussi s’allumer lorsqu’on lui indique des ennemis à combattre, réels ou imaginaires, matériels ou idéologiques, visibles ou invisibles (comme des virus)… Dans une perspective évolutive ou spirituelle, le seul véritable combat à mener réside en soi-même, contre ses propres démons, ses propres illusions, ses fantasmes qui se font passer pour réels, ses mensonges sur soi-même, son orgueil, son étroitesse de vue, d’esprit et de cœur…

Plus nous saurons élever et maintenir notre conscience dans les sphères mentales, intuitives, psychiques et spirituelles, plus notre discernement, nos intuitions, notre âme et notre esprit nous permettrons de déceler les tentatives d’altérer notre perception libre et naturelle du monde, des autres et de nous-mêmes, quitte à nous tromper et à nous fabriquer notre propre perception ou image illusoire de la réalité. Nous gagnons à demeurer libres de nous tromper, de choisir notre voie, même si celle-ci se révélait temporairement sans issue (les demi-tours existent pour ceux qui ont l’humilité de les effectuer). Les conflits naissent dès que l’un de nous cherche à imposer sa propre perception ou vision du monde aux autres, d’autant plus facilement que cette perception prosélyte provient elle-même d’une manipulation. Face à la complexité et l’immensité infinie de l’Univers, en comparaison de moyens sensoriels limités, l’ultime Vérité ne peut provenir que du partage des multiples perceptions individuelles combinées (communément considérées comme des « vérités »), quand ainsi les multiples angles de vue et perspectives finissent par se chevaucher de proche en proche et par faire le tour de l’horizon, puis de la voûte céleste aussi bien que celle de l’inframonde.

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