Hiroshima

13/08/2023 (2023-08-13)

Falsifier l’Histoire et faire le silence sur les évènements les plus troublants.

[Source : mondialisation.ca]

Par Michel Raimbaud

Par les temps sinistres que nous vivons, où s’affiche sans pudeur la dégénérescence morale, intellectuelle et politique de l’Occident, de ses sociétés et de ses élites, la négation du passé et la réécriture des faits sont devenues, dans les fameuses « grandes démocraties » où l’on prétend dire le droit et guider l’humanité, les deux subterfuges fondateurs du « récit » qui tient lieu de fil conducteur de « l’Histoire ». Résultante de plusieurs siècles d’hégémonie, la posture — ou l’imposture — est apparue dans toute sa splendeur lorsque l’Amérique s’est retrouvée propulsée aux commandes du monde suite au sabordage de l’URSS, il y a plus de trois décennies. Elle allait rapidement s’afficher avec un cynisme relevant de l’indécence pure et simple… L’Occident dit le droit et l’Amérique crée l’Histoire… Ce qui permet aux dirigeants du « camp du Bien » autoproclamé de choisir les urgences prioritaires et d’ordonner les guerres successives « imposées » par les comportements (sic) de la partie non fréquentable de l’humanité, cette « jungle » qui rassemble, excusez du peu, 85 % de la population de notre planète…

Sans vouloir troubler la torpeur de l’été et le farniente des vacanciers en évoquant des malheurs qui pourraient troubler leur bonheur, il me semble plus que légitime de s’inquiéter des bruits de botte, des déclarations martiales, du discours bravache des « experts » et « penseurs » qui écartent toute perspective de négociation, toute allusion à la diplomatie, comme s’il était incongru ou criminel ou impensable d’évoquer, même du bout des lèvres, la moindre alternative à la guerre…

Il est certes à la mode de falsifier l’Histoire et de faire le silence sur les évènements les plus troublants. En notre été où brûle un parfum d’incertitude, ce qui s’est passé au Japon le 6 août 1945, puis le 9 août 1945, ne semble pas vraiment faire recette en Occident, à quelques exceptions près, qu’il convient de saluer à leur juste valeur. Je me permettrai de joindre ma voix à la maigre cohorte du souvenir en soufflant deux mots qui devraient signifier quelque chose pour les hommes et femmes de bonne volonté : Hiroshima, Nagasaki.

Le 6 août1945, à 8 h 15, une « forteresse volante » (autrement dit un avion bombardier) répondant au joyeux nom de Enola Gay largue sur Hiroshima, ville de 350 000 habitants, une bombe nucléaire à l’uranium 235. Cet engin expérimental explose à 600 mètres d’altitude au-dessus du centre-ville. Entre la déflagration et les deux semaines qui suivent, la moitié de la population (150 000 morts et 80 000 blessés) sera exterminée. La ville est rasée à plus de 90 %…

Trois jours plus tard, le 9 août au matin, c’est au tour des 250 000 habitants de Nagasaki d’être ciblés : une bombe au plutonium (subtilement nommée Fat Man, le gros bonhomme) est lancée elle aussi sur le centre-ville et tombe en fait sur la banlieue, faisant 70 000 morts et autant de blessés, démolissant 36 % des bâtiments. Clôturé en 1994, le bilan définitif et global (entre le souffle, les incendies, les radiations, les brûlures et les innombrables effets à terme) fera état de 300 000 morts, dont 187 000 morts pour Hiroshima, et 102 300 victimes pour Nagasaki, tous des civils.

Pourquoi Nagasaki, qui jusque là avait été épargnée ? De source japonaise, on dévoilera le motif particulièrement cynique qui aurait été celui de l’Amérique, déjà si bonne en ce temps-là : la ville avait été épargnée par les bombardements dans le seul but de pouvoir dresser un bilan précis de l’impact de la bombe nucléaire à venir (sic)… Le double bombardement « atomique » était intervenu alors que le Japon était vaincu et essayait d’entrer en pourparlers avec les États-Unis. La capitulation interviendra une semaine plus tard, le 15 août 1945 et sera signée le 2 septembre à Tokyo, devant le Général Douglas Mac Arthur.

Hiroshima est le premier exploit hors normes de l’Oncle Sam au sortir de la grande boucherie de la Seconde guerre mondiale. C’est le lieu d’un massacre de masse entièrement gratuit, qui suscita en son temps l’admiration des populations occidentales enivrées par le rêve américain et ayant pris pour argent comptant la propagande américaine : ayant coupé court aux velléités japonaises, les massacres d’Hiroshima et de Nagasaki auraient mis fin à une plus grande hécatombe… Des chefs militaires américains avaient exprimé leur vive réprobation, notamment le commandant en chef du Corps expéditionnaire allié en Europe, Dwight Eisenhower qui, élu ultérieurement Président des États-Unis, dénoncera les menées clandestines du « complexe militaro-industriel ».

Si le double « essai » n’avait pas suscité beaucoup d’indignation » au sein du « monde libre », ancêtre du sinistre Camp du Bien, c’est que l’on y partageait volontiers le principal objectif de Washington, à savoir intimider les Soviétiques, préfigurant les dérives guerrières à venir de « l’Occident collectif » ? Cette extase face à notre « Leader maximo » ne s’est jamais évaporée, l’épisode gaulliste mis à part et servant de référence nostalgique.

En 2023, « le monde en ébullition », ce slogan écologique à la mode que brandit le Secrétaire Général de l’ONU, ne se référerait-il pas à l’ébullition cérébrale de nos grands esprits qui sans le dire poussent les masses préconditionnées à attendre la guerre comme une fatalité. Le changement climatique est-il la principale menace, dans un monde empoisonné par de nouveaux produits, des médicaments, des déchets radioactifs, etc. déversés sans être testés ? Que dire enfin des guerres et des conflits, leurs morts, blessés et handicapés, les destructions, les bombardements, les armes chimiques, les armes à uranium appauvri ou enrichi, les armes nucléaires, licites quand elles appartiennent aux grandes puissances bienfaitrices si occidentales, tandis qu’elles sont criminelles et diaboliques quand elles sont détenues hors de l’Occident (Russie, Chine, Iran, Inde, Pakistan, Corée du Nord, etc.).

Certains esprits, sûrement malveillants, ont dénombré depuis 1945 environ 400 opérations militaires de l’Occident, des États-Unis essentiellement, qui auraient fait un nombre pharaonique de victimes (invérifiable, mais on ne prête qu’aux riches). On se limitera ici à la centaine d’agressions fomentées par Washington et ses alliés dans le Grand Moyen-Orient, particulièrement ciblé.

Pour le seul Irak, il faudrait compter 200 000 Irakiens pour la première guerre du Golfe (1991) et 1 700 000 pour la période 1991/2001 (dont 500 000 enfants), ainsi qu’un autre million de victimes civiles en vingt ans au titre de la « guerre contre le terrorisme » lancée en vertu de la « doctrine Bush » (de 2001/2002 à nos jours), selon le Strategic Foresight Group (SFG). Le score serait de 220 000 morts en Afghanistan. Le bilan des printemps arabes » (de 2011 à 2021) n’est pas moins impressionnant : 1,5 million de morts et blessés (ou plus) dont 450 000 morts en Syrie et un nombre incalculable de blessés, d’estropiés ou de traumatisés de 2011 à 2021, sans oublier 20 millions de réfugiés et déplacés…

Si l’on prend en considération les guerres du Soudan et du Yémen et les « prolongations » de ces équipées, toujours en cours en 2023 sous la forme des guerres hybrides, sanctions, blocus, embargos et mesures coercitives, imposées par les seuls États-Unis et l’Union Européenne, les opérations de démocratisation et d’assouplissement auraient fait au bas mot plus de quatre millions de morts, et sans doute bien plus.

La menace de guerre nucléaire imminente, sans cesse agitée et banalisée, sans jamais proposer d’alternative, ne s’inscrirait-elle pas dans la continuité des urgences successives qui semblent destinées à assurer la pérennité d’une hégémonie occidentale menacée et contestée ? Comment expliquer autrement le surréalisme cultivé par un Occident agonisant, face à la crise ukrainienne et sur tous les fronts « rebelles », sinon par une peur cachée de l’inconnu qui l’attend lorsqu’il aura déposé son hégémonie au vestiaire ?

Notre ineffable Axe du Bien dispose depuis vingt ans d’un joujou créé en 2005 au temps de sa toute-puissance, la Cour Pénale Internationale, chargée de juger, non les États dérangeants, mais leurs dirigeants. Et il n’y a pas besoin d’avoir le QI d’Einstein pour savoir où se situe actuellement le gisement de coupables potentiels, à ne pas confondre surtout avec les « intouchables », douillettement à l’abri à Washington, à Tel-Aviv et en Occident. À en juger par leurs investigations les plus récentes, nos chasseurs de têtes ne manqueraient-ils pas d’imagination, confirmant un vice de fabrication inhérent à la nature de cette CPI aux ordres ? Pourtant, je ne suis pas loin de penser qu’approche le moment où, sur ce point comme sur tous les autres, il faudra changer de GPS ou de logiciel. Destination Washington et autres capitales de l’Axe du Bien…. Au privilège de leur grand âge, il faudra ménager Joe Biden, « Dubia » Bush et tous les autres consorts avant qu’ils ne s’envolent vers un autre monde et qu’ils n’aient oublié leurs exploits. Qu’ils se rassurent, ils retrouveront tous leurs complices au Tribunal du Ciel ou de l’Histoire, et Saint-Pierre leur dira où aller.

Michel Raimbaud, le 6 août 2023

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