Entre communisme et christianisme

21/08/2023 (2023-08-21)

Extraits de « Retouches à mon retour de l’URSS » d’André Gide et des « Universaux » de Léon Daudet, commentés aujourd’hui…

Par Lucien SA Oulahbib


Citons d’abord le premier texte datant de 1937 (aux éditions Gallimard, pp 57-62) en un extrait assez significatif, semble-t-il, lorsque Gide relate son voyage comme invité :

« (…) tout, là-bas, me fut offert. Oui, tout : depuis le voyage lui-même jusqu’aux paquets de cigarettes. Et chaque fois que je sortais mon portefeuille pour régler une note de restaurant ou d’hôtel, pour payer une facture, acheter des timbres, un journal, le sourire exquis et le geste autoritaire de notre guide m’arrêtait : “Vous plaisantez ! Vous êtes notre hôte, et vos cinq compagnons avec vous.” Certes, je n’eus à me plaindre de rien, durant tout le cours de mon voyage en U.R.S.S., et de toutes les explications malignes que l’on inventa pour invalider mes critiques, celle qui tendit à les faire passer pour l’expression d’une insatisfaction personnelle est bien la plus absurde.

Jamais encore je n’avais voyagé dans des conditions si fastueuses. En wagon spécial ou dans les meilleures autos, toujours les meilleures chambres dans les meilleurs hôtels, la chair la plus abondante et la mieux choisie. (…). Mais ces faveurs mêmes rappelaient sans cesse des privilèges, des différences, où je pensais trouver l’égalité. (…) j’étais venu pour admirer un nouveau monde, et l’on m’offrait, afin de me séduire, toutes les prérogatives que j’abominais dans l’ancien.

— Vous n’y entendez rien, me dit un excellent marxiste. Le communisme ne s’oppose qu’à l’exploitation de l’homme par l’homme ; combien de fois faudra-t-il vous le répéter ? Et ceci obtenu, vous pourrez être aussi riche qu’un Alexis Tolstoï ou qu’un chanteur de grand opéra, du moment que vous aurez acquis votre fortune par votre travail personnel. Dans votre mépris et votre haine de l’argent, de la possession, je vois une regrettable survivance de vos premières idées chrétiennes.

— Il se peut.

— Et convenez qu’elles n’ont rien à voir avec le marxisme.

— Hélas !…

(…)

Et voyez ce qui se passe en URSS : cette nouvelle bourgeoisie qui se forme a tous les défauts de la nôtre. Elle n’est pas plus tôt sortie de la misère qu’elle méprise les miséreux. Avide de tous les biens dont elle fut si longtemps privée, elle sait comment il faut s’y prendre pour les acquérir et pour les garder. “Sont-ce vraiment ces gens qui ont fait la Révolution ? Non, ce sont ceux qui en profitent”, écrivais-je dans mon Retour de l’URSS. Ils peuvent bien être inscrits au parti ; ils n’ont plus rien de communiste dans le cœur. »

À ces extraits, j’ajouterai avant de les commenter celui-ci de Léon Daudet, dans Les Universaux (Grasset, 1935, p.82) écrit deux ans plus tôt :

« (…) Le venin de la jalousie, quand il monte en grade, devient contagieux et collectif, s’appelle l’envie. Dans cette transformation, sa virulence persiste. Associée à l’exaspération de l’esprit de justice, il donne la révolution, laquelle est épidémique et contagieuse, à la façon d’une maladie infectieuse. Plus la Révolution est violente et déchaînée, plus le fuseau de justice diminue jusqu’à disparaître complètement. Mais, une fois maîtresse du pouvoir, par la faiblesse et la défense, plus que par la vigueur de l’attaque, la Révolution, du fait que l’envie est satisfaite par la spoliation et l’expropriation, ne sait plus que faire de sa victoire et s’exténue. On dit vulgairement qu’elle s’embourgeoise. »

Ainsi André Gide pensait que le communisme léniniste venait accomplir un certain christianisme plus tourné vers le dolorisme (car l’on oublie les paraboles du Semeur et des Talents qu’aime bien citer Charles Gave), alors qu’il s’agit d’une lutte des places et non des classes comme l’a aussi montré Claude Lefort dans son retour à lui sur le communisme (La Complication, 1999, Fayard) lorsqu’il indique en prenant les termes de Daudet que les jaloux s’affûtaient avec « envie » afin non pas de faire comme un Tolstoï suivant l’exemple de ce « marxiste » interlocuteur de Gide (plus haut), mais de s’y substituer… sans le talent… comme cela se voit à profusion, encombrant en plus chaque rentrée littéraire de livres aussi inutiles les uns que les autres, tout en clouant au pilori (en faisant même la chasse) ceux qui ont eux encore quelque chose à dire…

C’est l’un des premiers axes : il s’agit d’imiter les anciennes élites, mais sans leur classe et leur élégance (enviées cependant), leurs résidus servant plutôt de faire-valoir par leurs manières, avant de les supprimer comme c’est en train de s’accomplir aujourd’hui. On jette aux oubliettes la « vieille » France (cataloguée de « moisie ») avec toute sa gouaille, sa hauteur de vues, son passé glorieux, ses inventions, ses écrivains, ses musiciens, ses poètes, ses philosophes, ses mathématiciens, ses physiciens, sa tâche spirituelle d’être la Gardienne de ce qu’a fondé Pierre (même si celui-ci renie le Christ trois fois comme le soulignait Arnaud). Tout cela doit être écarté pour certains (surtout si se trouve proposée de la soupe au cochon, et pourtant « ils » n’obligeaient même pas à la manger), alors qu’en Russie, comme il est dit plus haut, il s’agissait moins de renier le désir de posséder que de le partager (suivant le principe des deux gauches de Françoise Sagan : celle qui veut que tout le monde marche à pied ou en vélo et celle qui veut que tout le monde roule en Rolls, la première aura gagné), du moins en théorie bien sûr, car en pratique « fais ce que je te dis… », le tout au nom de « la Terre »… désormais.

Aussi Gide voulait aller plus loin. Pour lui, le communisme, le « vrai », a été trahi, celui sans doute d’un égalitarisme fantasmé que l’on voit cependant être exécuté aujourd’hui en France, non seulement en supprimant peu à peu la classe moyenne au profit d’un assistanat-chèque-bouclier, mais aussi en élargissant le droit d’égalité à toute l’Humanité invitée (mais sans le dire) à en bénéficier à raison de 400 000 et pourquoi pas un million annuel (rendez-vous dans dix ans chantait Patrick Bruel…). Le tout même pas dans un cadre politique fort qui soucieux de peser bientôt cent millions d’habitants (et en attendant que la courbe démographique autochtone se redresse — par une vraie politique familiale et une aide aux femmes qui avortent par défaut) poserait en condition sine qua non, comme désormais au Danemark, l’assimilation. Non, nous avons plutôt affaire à un non-cadre, un cadre nihiliste donc, dans lequel en absence de centre (théorisée par Blanchot maître de Bataille, Derrida Deleuze Foucault, Lyotard…) tout est de plus en plus permis, y compris la sédition, de fait. Et comme cela se voit de plus en plus, si vous contestez cela et proposez des solutions de redressement, vous êtes alors traité d’extrême droite agitée envers tous ceux qui refusent la disparition de la France, son rétrécissement en « étoile », morceau du drapeau de l’UE, à l’instar des États-Unis d’Amérique…

Il y a aussi plus encore dans le texte de Gide et qui explique bien pourquoi l’impôt progressif a été préféré (et alourdi façon Piketty) à l’impôt proportionnel (ce dernier permet d’ailleurs à la Russie qui l’a adopté de prospérer un peu mieux ces temps-ci) : le fait que l’envie se soit substituée à la jalousie pour reprendre à nouveau les termes de Daudet. La création de « profit » est, par essence, diabolisée en France, ce qui implique de la taxer à la source (cela s’appelle les impôts de production) avant même que quelque chose soit produit. Ajoutez à cela les charges sociales — que d’aucuns appellent cotisations, sauf que cela n’enlève en rien qu’elles ponctionnent la caisse courante (alors qu’il y a bien d’autres moyens que de se contenter d’une Sécu qui en plus va de plus en plus mal et coûte de plus en plus cher) — et vous avez l’idée qu’il faut exiger tout de suite des compensations au fait d’entreprendre et donc de pouvoir prospérer. Ceci fait que cette idée sous-jacente aux propos de Gide se trouve même amplifiée aujourd’hui dans la Nupes ou le fait de rester pauvre non pas par conviction (la pauvreté se distinguant de la misère qui, elle, n’est pas un choix, même si elle a des explications individuelles tout de même : qui ne fait rien n’a rien, voir encore une fois les Paraboles du Semeur et des Talents), mais par obligation, comme l’exige désormais ce nouveau « vrai » communisme qu’est l’écologisme et ses « urgences » intersectionnelles (réservées aux « gueux » bien sûr…).

Il y a donc là quelque chose de vicié, de vicieux, voire de pervers au sens de tordu : le fait de vouloir être, sans en demander la permission, devient de plus en plus suspect. « Penser par soi-même » EST désormais d’extrême droite. Pis encore : le fait qu’un immigré, un fils ou une fille d’immigré, veuillent adopter volontairement un prénom chrétien, veuille s’assimiler, apparaît lui aussi suspect, puisque la culture dans laquelle il veut s’insérer a été cataloguée par les nihilistes (de gaute, de droiche et « alter ») comme étant mauvaise, aliénante, oppressive, « impie » (tel rappeur djihadiste parlant stalinien en désignant des « social-traîtres » à propos de Rachel Khan…), alors que tout ce qui n’est pas cette culture reste paré de toutes les vertus (orientalisme). Cachez ce sein que je ne saurais voir : les crimes des conquêtes musulmanes, non, cela n’a jamais existé, ou c’est du passé. Alors que le courant actuel voulant dynamiter encore plus la culture occidentale fait le contraire, en ressassant par exemple sans cesse que l’écart actuel entre la Corée du Sud et l’Algérie serait dû à « la » colonisation française, alors qu’elles étaient au même point en 1962, oubliant aussi que les générations nouvelles n’ont pas à réécrire l’Histoire, car à ce compte il faudra aussi le faire pour chaque contrée en Afrique, Asie et Amérique, et ce bien avant la suprématie de l’homme « blanc »…

L’élite au pouvoir, qui s’est transformée au fur et à mesure en Secte, a donc tout intérêt à parler d’urgence et d’injustice afin de justifier sa présence à la tête des organismes censés les conjurer, alors qu’ils les aggravent en réalité. D’où le mode de production d’assistanat généralisé, le statut de handicapé comme étant Le stade suprême de la prise en charge au sens désormais total, cybernétique, du terme : les injonctions et les injections comme ses deux mamelles transgenres si l’on ose dire (en hommage à l’auteure d’Harry Potter vilipendée menacée de mort…).

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