07/04/2022 (2021-01-14)
Par Joseph Stroberg
Avec leur inventivité, peut-être pas toujours très saine et constructive, les êtres humains sont parvenus à tricher sur beaucoup de choses : sur la quantité d’or qu’ils possédaient, en recouvrant par exemple du plomb avec une mince feuille d’or ; sur l’essence à laquelle on peut ajouter de l’eau au risque de devoir nettoyer ensuite le carburateur ; sur le steak haché auquel on peut substituer de la peau, du jus de betterave, des os broyés et de la graisse sans pour autant lui donner le goût adéquat, mais dont ce substitut peut toujours être refilé à des pauvres qui n’ont encore jamais mangé de steak véritable… Cependant, il y a une chose sur laquelle il ne sera probablement jamais possible de tricher, c’est avec l’énergie. Nous pouvons tricher sur les sources d’énergie (par exemple l’essence), mais pas sur l’énergie elle-même. Avec un véhicule de poids, de forme et de moteur donnés, il faut toujours la même quantité de carburant pour l’amener du point A au point B. Un être humain particulier doit toujours dépenser la même quantité d’énergie pour grimper au sommet d’une montagne ou pour monter l’escalier d’un gratte-ciel spécifique, tant qu’il conserve le même poids corporel et de vêtements. Si on ne leur fournit que la moitié de l’énergie nécessaire, ils ne peuvent se déplacer en gros que de la moitié de la distance (dépendant notamment du relief, de la force du vent contraire, des obstacles sur le parcours, etc. qui peuvent être différents entre la première et la seconde moitié du trajet).
Il faut toujours à l’Homme ou à une machine une certaine quantité d’énergie pour accomplir une action ou un travail donné. Cette quantité est invariable tant que l’un et l’autre ne changent pas. Il peut cependant y avoir bien sûr de légères variations dans le cas contraire. Si l’Homme se met à grossir, jusqu’à atteindre deux fois son poids initial, il lui faudra deux fois la quantité d’énergie originelle pour désormais effectuer la même escalade. Néanmoins, on peut toujours évaluer de manière assez précise, par la science de la mécanique (des solides et des fluides), la quantité d’énergie nécessaire pour réaliser telle action. Il faudra notamment à l’Homme toujours la même quantité de Calories sous forme de nourriture solide ou liquide et à la machine toujours la même quantité de joules ou de kilowatts-heures (un kilowatt-heure équivaut à 3,6 mégajoules) sous forme d’électricité, d’essence ou d’autre carburant, selon la nature de son moteur.
Oh ! bien sûr, il y a des machines et des êtres humains qui semblent plus efficaces que d’autres pour effectuer une tâche donnée, comme trier des papiers, balayer une salle, marcher ou rouler sur une distance de dix kilomètres. Il y a quelques raisons à cela :
- le rendement de leur « moteur » (son efficacité à convertir la source d’énergie en énergie pure) ;
- la puissance de ce même moteur (grâce en particulier à la qualité et à la quantité des muscles ou des métaux utilisés, selon le cas), c’est-à-dire sa capacité à réaliser le même travail en un temps plus ou moins long — une machine deux fois moins puissante qu’une autre a besoin de deux fois plus de temps pour le faire, à égalité de dépense énergétique ;
- l’efficacité de la méthode de travail utilisable, et effectivement utilisée, pour l’Homme ou par la machine, sachant que certaines méthodes, par exemple de tri, sont bien plus longues que d’autres ;
- au moins dans le cas de l’Homme, sa fainéantise éventuelle qui peut lui faire étirer plus ou moins considérablement la longueur de traitement de la tâche.
Cependant, dans chaque cas, quels que soient le rendement et la puissance du moteur, l’efficacité de la méthode et l’ampleur de la fainéantise, il est toujours possible d’évaluer avec une assez bonne précision quelle est la quantité d’énergie nécessaire pour réaliser une action ou un travail donnés. Et la productivité est le résultat de la combinaison du rendement, de la puissance, de l’efficacité et de l’éventuelle fainéantise. Les machines présentent d’ailleurs plusieurs avantages : elles ne peuvent pas, en principe, être fainéantes ; elles sont plus puissantes et ont généralement un meilleur rendement énergétique que l’être humain. Le seul domaine où elles peuvent encore être surclassées par ce dernier est sur la méthode. De plus, si elles sont bien construites, les machines tombent moins souvent en panne que les êtres humains tombent malades (ou enceintes). On comprend alors facilement pourquoi certaines élites mondiales avides des trésors ou du contrôle de la Terre cherchent de plus en plus à remplacer leurs esclaves humains par des machines, surtout par des robots (qui peuvent réaliser des tâches complexes avec les meilleures méthodes préprogrammées), ou à vouloir les « augmenter » en les transformant en cyborgs (mi-hommes, mi-machines). On comprend aussi pourquoi ils cherchent aussi à totalement contrôler la reproduction sexuée des êtres humains (notamment pour éviter la durée des grossesses).
Ayant déterminé une chose mesurable sur laquelle l’Homme ne peut pas tricher, l’énergie, à quoi pourrait-on l’utiliser dans la pratique ? Eh bien, comme moyen d’échange ou d’équilibrage de travaux et services, au lieu des diverses formes actuelles d’argent qui permettent toutes de tricher et surtout de spéculer. On ne peut pas non plus spéculer avec la valeur de l’énergie : une Calorie sera toujours une Calorie ; un joule sera toujours un joule, et un kilowatt-heure sera toujours un kilowatt-heure. Au contraire, la valeur d’une once d’or fluctue au gré des casinos planétaires que sont les places boursières, la valeur d’une tonne de blé également, et la valeur d’une toile de peinture de maître varie au gré de l’affectivité et de l’avidité humaines. On peut spéculer sur la valeur d’une source d’énergie, mais pas sur l’énergie elle-même.
Tant que la société humaine ne sera pas capable de fonctionner intégralement sous la direction du don désintéressé, les êtres humains ressentiront plus ou moins vivement le besoin de recevoir quelque chose en retour de leurs travaux et de leurs services rendus. Pourtant, nous pourrions très bien concevoir une société fonctionnelle sur la base du don au lieu des échanges monétaires et du troc. En attendant, la forme d’argent sur laquelle on ne peut pas tricher est l’énergie. On peut toujours échanger un kilowatt-heure de travail contre un autre travail ou service demandant la même dépense énergétique. Bien sûr, comme évoqué plus haut, certains êtres humains prendront nettement plus de temps pour réaliser ce travail, de même pour les machines. Cependant, l’inégalité ne viendra que de leurs aptitudes différentes et de leur éventuelle fainéantise plus ou moins prononcée. Et il ne tient qu’à tous de chercher de meilleures méthodes. Par contre, la productivité et l’altruisme de certains êtres humains sont tels qu’ils peuvent produire et donner suffisamment pour plusieurs. Ainsi, étant globalement mieux lotis par la nature, ils peuvent aider les plus handicapés, et ne conservent pour leur propre usage, en ce qui concerne les échanges de travaux, de services et de biens matériels, qu’une fraction de leur propre production. Oh ! bien sûr, un tel modèle socio-économique ne peut fonctionner qu’avec une dose minimale et indispensable de maturité, de responsabilité collective et de sens du partage. Mais la question est de savoir si nous voulons continuer à vivre sur la base des modèles d’exploitation actuels (de la Terre et des milliards d’esclaves de l’élite mondiale) ou si nous voulons construire un monde sur des bases plus saines.
Tant que la Terre abritera des psychopathes et autres sociopathes, que l’individualisme et l’égoïsme domineront une portion non négligeable des individus, nul système organisé ne sera parfait, mais tous les types d’organisations humaines demanderont effort et vigilance. Néanmoins, si l’Humanité devient capable de passer de son adolescence actuelle à l’âge adulte, alors globalement elle saura éviter de propulser les psychopathes à la tête des groupes, mais leur retirera au contraire tout pouvoir de décision et de contrôle sur la destinée des nations et des individus. Dans un tel contexte, si elle éprouve encore le besoin de passer par un genre de monnaie pour assurer les échanges, alors celui qui semble le plus à même de diminuer grandement les risques de spéculation et de tricherie devrait reposer directement sur l’énergie, et non plus sur des ressources matérielles, fussent-elles aussi nobles que l’or, sauf éventuellement dans la mesure où l’on traduit ces dernières en équivalent énergétique. Il resterait alors dans ce dernier cas à déterminer si l’équivalence serait par exemple celle de l’énergie nécessaire à extraire telle quantité d’or d’une mine ou d’une autre exploitation aurifère, ou bien celle de la relation E=mc2 entre énergie et matière.
Voir aussi :
- Un système presque gratuit
- Liberté, égalité, gratuité
- Manifeste pour un nouveau monde
- Monnaies sociales et complémentaires
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