Rappel des Khmers rouges pour éviter le règne des Khmers verts

31/01/2024 (2024-01-31)

[Source : @Cobra_FX_ via insolentiae.com]

Par Antoine Copra

Saviez-vous qu’un jour, un pays a réellement mis fin au capitalisme ? Un lieu sans argent, sans propriété, sans inégalités, basé sur une saine agriculture vivrière… où le collectif subvenait aux besoins de la communauté. Plongée au cœur des seventies [les années 1970], au Cambodge.

Au matin du 17 avril 1975, des soldats vêtus de noir et d’un foulard rouge entrent dans Phnom Penh. La plupart des habitants sont confiants, voire enthousiastes : ces jeunes idéalistes se battent pour le peuple, une vie rurale, la fin des inégalités.

Ils connaissent souvent certains de leurs membres, et il y a beaucoup de femmes dans leurs rangs. Mais très vite, leur agressivité et leur mépris interrogent : ordre leur a été donné de ne toucher personne, sinon à la pointe du fusil.

D’appartement en appartement, ceux qu’on appelle Khmers rouges ordonnent aux habitants de fuir au plus vite : bientôt, les États-Unis bombarderaient la ville.

Si ce mensonge ne suffit pas, la force est employée. En 48 h, deux millions de personnes doivent quitter leurs logements, dans l’urgence et dans des conditions désastreuses.

Les malades sont tirés des hôpitaux, sans assistance médicale. Leurs familles en sont réduites à pousser lits ou brancards de fortune sous un soleil de plomb. Les plus faibles sont achevés sur place.

Les voitures sont réquisitionnées et tout bien de valeur confisqué. Un mot revient sans cesse dans la bouche des soldats : « dollars, dollars, qui a des dollars ? » La stupeur envahit ceux que l’on dépouille : immédiatement, les billets sont brûlés.

Derrière eux, des explosions retentissent : c’est la banque centrale que l’on dynamite. Le Kampuchéa démocratique sera un état sans monnaie.

Les soldats cherchent aussi des traîtres : enseignants, médecins, religieux, intellectuels… Ceux qui parlent français ou transportent des livres sont suspects, comme ceux qui portent des lunettes. Sous peine d’être sommairement abattus, ils devront s’en passer.

Ceux à la peau trop blanche également : c’est le signe qu’ils ne travaillent pas dans les champs.

Car ces soldats se voient comme l’« ancien peuple » : paysans au mode de vie séculaire, ils seraient l’âme du Cambodge. Ils haïssent ce « nouveau peuple » citadin, symbole du capitalisme, de la technologie & de l’impérialisme.

Pourtant, c’est dans une autre capitale que tout a commencé. En 1949, Saloth Sâr arrive à Paris avec d’autres boursiers. C’est par son nom de guerre qu’il se fera plus tard appeler : Pol Pot.

En parallèle de ses études d’électricité, il rejoint un cercle marxiste-léniniste créé par d’autres étudiants cambodgiens. Sa structure s’apparente à une société secrète : les militants sont regroupés dans des mini cellules et ne se connaissent pas les uns les autres.

Beaucoup sont logés à la Maison de l’Indochine de la Cité universitaire, à ce qu’on appelle alors « l’étage rouge ». Ils adhèrent au parti communiste français. Certains participent à des sessions de formation organisées dans des mairies tenues par le parti.

Pol Pot y côtoie Khieu Samphan, futur chef de l’État du Kampuchéa démocratique, Son Sen, ministre de la Défense, ou encore Ieng Sary, ministre des Affaires étrangères.

Il y rencontrera Jacques Duclos, Secrétaire général du PCF, qui deviendra son mentor, ainsi que Jacques Vergès, qui deviendra son ami. 60 ans plus tard, l’« avocat de la terreur » défendra ses anciens camarades poursuivis pour Génocide, crimes de guerre & crimes contre l’humanité.

Outre la Chine maoïste, la Commune, et particulièrement l’intransigeance de Robespierre, les fascine. L’idéal rousseauiste de retour à l’état de nature, inspirateur de l’écologie politique, également.

Rousseau est alors un auteur de référence pour les communistes : idéalisant l’égalité économique, rejetant les arts et l’industrie, il présente la propriété privée comme la source de toutes les misères humaines. « Les fruits sont à tous et la terre n’est à personne ».

Ainsi, le « nouveau peuple » qu’on a mis sur les routes va devoir travailler aux champs, de façon ancestrale, sans mécanique ni intrants. La société que les Khmers rouges veulent édifier sera collectiviste, égalitariste et fondée sur un retour la terre.

Toutes les commodités modernes « capitalistes » sont abandonnées, détruites. Radios, bicyclettes, machines à coudre sont interdites. Les voitures ne serviront plus au transport : elles sont dépecées pour faire des socs de charrues.

La propriété et le commerce, bien sûr, sont interdits. Non rémunérés, les Cambodgiens sont réduits à l’esclavage pour l’« Angkar », l’« organisation » khmère rouge. Le pays devient le plus grand camp de travaux forcés au monde.

Tous travaillent 10 h à 12 h par jour, femmes, vieillards, et même enfants à partir de 5, 6 ans. Les écoles sont supprimées. Les repas doivent être pris en commun dans les coopératives agricoles. Toute autre cuisine, privée ou familiale, est interdite.

Mais pour atteindre l’égalité absolue, il faut aller plus loin. L’individualité doit être niée, tout lien affectif aboli. Les papiers d’identité sont supprimés. Les citadins sont déplacés plusieurs fois, afin de couper les ponts avec leurs racines ou leurs amitiés.

La vie elle-même doit se conformer : toute démonstration d’affection est interdite. L’expression artistique, le divertissement, les plaisanteries sont bannis. Seuls les chants révolutionnaires sont tolérés.

Pol Pot s’inspire de la révolution culturelle chinoise. Qui, outre liquider le capitalisme, veut transformer l’homme dans ce qu’il a de plus profond. Staline le pensait avant eux : c’est la condition nécessaire à la réalisation de l’idéal socialiste.

Staline s’interroge. Indécrottablement individualiste, l’homme semble bien incompatible avec la réalisation de l’idéal socialiste. Qu’à cela ne tienne, pour que le socialisme advienne, l’homme doit changer.

Ils sont aidés en cela par la culture bouddhiste : le rejet de la matérialité et des aspirations individuelles, le détachement de l’homme vis-à-vis de son ego en font une religion compatible avec le marxisme.

On est dans l’exact opposé de la pensée libérale d’Adam Smith ou de Frédéric Bastiat, pour qui la recherche des intérêts particuliers — tant qu’elle reste dans la moralité — sert l’intérêt général.

Les mariages sont organisés par l’Angkar. Les époux ne se connaissent pas et ne se voient que quand l’Angkar le décide, pour — de force — consommer leur union. Si tout le monde se vaut, pourquoi avoir ses préférences ? Tous les autres rapports sexuels sont interdits.

Pour être parfaitement égaux, s’ils n’ont pas d’héritage matériel, les enfants ne doivent pas en recevoir de culturel non plus. Les nouveau-nés sont retirés à leurs parents. Placés, embrigadés, le régime en fera ses premiers délateurs. Et parfois ses soldats.

Chacun doit assister à de longues séances d’endoctrinement et faire son autocritique devant la communauté. Cacher un péché, c’est s’exposer au châtiment des Khmers. Le confesser, également.

La moindre infraction ou maladresse — casser un verre, mal maîtriser un buffle pendant les labours — peut être mortellement sanctionnée. Dans un pays sans tribunal ni jugement, les chefs de village ont droit de vie et de mort.

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