26/06/2023 (2023-06-26)
Une déclaration commune du Parti Communiste du Québec et du Pôle de Renaissance Communiste en France
[Source : initiative-communiste.fr]
[Note de Joseph relative à l’illustration tirée du site du PCQ : peut-on réellement revendiquer la liberté tout en portant un masque signe d’asservissement ?]
Face à la politique anti-culturelle destructrice du tout-globish porté par l’Axe euro-atlantiste,
POUR UNE DÉFENSE INTERNATIONALISTE ET ANTI-IMPÉRIALISTE DE LA LANGUE FRANÇAISE ET DE LA FRANCOPHONIE INTERNATIONALE,
UNE DÉCLARATION COMMUNE DU PARTI COMMUNISTE DU QUÉBEC et du PÔLE DE RENAISSANCE COMMUNISTE EN France – 24 juin/14 juillet 2023
https://www.pcq.qc.ca/Dossiers/Autres/Archives/page_article.php?article_id=8366
À la suite de plusieurs rencontres bilatérales qui se sont tenues dans un climat fraternel de compréhension mutuelle, le P.C.Q. et le P.R.C.F. ont rédigé la Déclaration conjointe qu’ils décident de publier l’un et l’autre lors deux journées importantes. Le 24 juin d’abord, fête nationale du Québec et jour du 189e anniversaire du banquet historique de Montréal, prélude à la lutte des Patriotes de 1837-1838 ; lors de ce banquet, le premier toast fut porté aux convives par le leader patriote Ludger Duvernay, qui disait : « Au peuple, source primitive de toute autorité légitime ! ».
Le 14 juillet ensuite, jour de la fête nationale de la République française, 234e anniversaire de la Prise de la Bastille et 88e anniversaire du rassemblement fondateur du Front populaire antifasciste. Ce mois de juillet 2023 aura une saveur d’autant plus particulière qu’il marquera la 230e année de l’entrée de Robespierre au sein du Comité de salut public.
VIVE L’AMITIÉ ENTRE LE PCQ ET LE PRCF ! VIVE LE COMMUNISME ET L’INTERNATIONALISME PROLÉTARIEN !
REFUSER ENSEMBLE UNE POLITIQUE LINGUISTIQUE ET CULTURELLE IMPÉRIALISTE, CAPITALISTE ET HÉGÉMONISTE, QUI CONSTITUE UNE MENACE À LA DIVERSITÉ LINGUISTIQUE MONDIALE EN GÉNÉRAL, ET A LA LANGUE FRANÇAISE ET A LA FRANCOPHONIE EN PARTICULIER
Déclaration conjointe du Parti Communiste du Québec et du Pôle de Renaissance Communiste en France — 24 juin 2023/14 juillet 2023
Au Québec et en France comme à l’échelle des cinq continents où le français constitue la langue maternelle des citoyens (c’est-à-dire dans nombre de pays d’Afrique, en Belgique francophone, en Suisse romande, dans le Val d’Aoste…), ou demeure du moins une de leurs langues de travail ou de référence, une politique linguistique impérialiste promouvant méthodiquement l’anglo-américain aux dépens du français et du fait francophone international est agressivement menée. Cette politique linguistique et culturelle hégémoniste est arrogamment portée depuis des décennies par les États impérialistes anglo-saxons, USA et Royaume-Uni en tête.
Sur le Vieux Continent, cette stratégie politico-culturelle tendant à écarter le français et d’autres langues nationales en vue de leur substituer méthodiquement le « tout-anglais » de l’euro-mondialisation néolibérale, est cyniquement relayée par l’Union européenne, qui est de plus en plus ouvertement soumise à l’OTAN et à sa ligne de maintien à tout prix de l’hégémonie planétaire de Washington. Cette orientation linguistique délétère vise aussi du reste l’usage de l’allemand en Allemagne et en Autriche, de l’italien en Italie et au Tessin, du polonais en Pologne, etc. Son but est d’instaurer à marche forcée, avec le soutien plus ou moins déclaré et complice des oligarchies financières mondiales, d’une large partie du grand patronat et de nombre de médias à leur solde, une langue unique mondiale du travail et des échanges.
Sa généralisation et son officialisation, éventuellement couplée au basculement en cours des forces productives au « tout-numérique » et à l’extension immodérée de l’intelligence artificielle, seraient ravageuses, non seulement pour la culture, la souveraineté et l’existence nationale de nombre de peuples et de pays, non seulement pour la diversité et pour le pluralisme linguistiques indispensables au dynamisme culturel de l’humanité, mais pour l’ensemble des acquis sociaux et salariaux des travailleurs salariés ou non (artisans, pêcheurs, petits commerçants, petits et moyens paysans et éleveurs…) de tous les pays. En effet, ces derniers seraient (et sont déjà pour une part) contraints de travailler exclusivement dans la langue de l’impérialisme américain, quant à celles et ceux qui la parleraient peu ou avec difficulté, ou qui la prononceraient avec un accent par trop perceptible (les non « English Mother Tongue »), ils seraient de fait mis à l’écart ou déclassés : en un mot, discriminés.
À cela s’ajoute, au Québec comme dans les régions du Canada où subsistent des minorités francophones, une politique discriminatoire de longue durée contre les minorités francophones malmenées, affaiblies, quand ce n’est pas tout simplement anglicisées pour une bonne part, conséquence de plusieurs décennies de lois iniques, humiliantes, qui rendaient illégal l’enseignement du français : ce fut le cas, par exemple, au Manitoba en 1916… et ce n’est qu’en 1976 que fut rétabli le statut de l’enseignement du français dans cette province, alors qu’une grande partie des Franco-Manitobains étaient passés entre-temps à l’anglais. Le même scénario, à quelques variantes près, se produisit ailleurs, notamment pour le peuple acadien dans les Provinces de l’Atlantique, les Franco-Ontariens, les Fransaskois, etc.
De tout cela, il reste encore des séquelles irréversibles quand ce n’est pas la perte de la langue. Et il en est de même aux États-Unis, notamment dans l’État de la Louisiane où des milliers d’Acadiens furent déportés dès 1755 lors du Grand dérangement, de ces États du Midwest américain et de la Nouvelle-Angleterre où des millions d’immigrants économiques canadiens-français (comme on disait à l’époque) se sont établis dès le XIXe siècle. Tous ces Franco-Américains ont pour une très grande majorité perdu leur langue, y compris dans plusieurs cas leurs patronymes qui ont été anglicisés (les Boisvert devenant des Greenwood, les Lebrun des Brown et ainsi de suite).
La volonté ancienne des élites anglophones du Canada, soutenus par leurs valets canadiens-français partisans du « bonententisme » ou tout simplement collaborateurs, avec l’assentiment tacite et le soutien redoutable de Washington et de Londres, de déchoir le français et d’imposer leur langue (celle des maîtres), ont contribué à tenir en lisière le français, à minorer le Québec, à neutraliser toutes les tentatives québécoises de défendre efficacement le français, à maintenir ou alourdir insidieusement des formes d’oppression nationale et linguistiques. Cela ressemble d’une certaine façon au chauvinisme grand-russe que décriait Lénine en son temps. L’objectif étant, on l’aura compris aisément, d’en arriver à terme à l’assimilation pure et simple des ci-devant francophones en phagocytant culturellement et économiquement le Québec. D’autant que sur le plan international, ce dernier fait en effet figure d’obstacle tenace à la liquidation du français et de la Francophonie internationale et que sa simple existence fait échec, en pleine Amérique du Nord, à la mise en place d’un Grand Marché Transatlantique linguistiquement « dé-segmenté » se prêtant mieux encore qu’aujourd’hui à la « mise en concurrence libre et non faussée » des Traités libre-échangistes transatlantiques…
En France même, les présidents euro-formatés qui se sont succédé depuis le départ de Jacques Chirac, ont tous contribué à l’affaiblissement structurel du français. Ils ont tous insidieusement promu le basculement du pays au tout-globish en ignorant l’article II-a de la Constitution française qui dispose que « la langue de la République est le français » et en fermant les yeux sur la loi qui stipule que« le français est la langue du travail, des échanges et de l’enseignement ». Ces atteintes à l’officialité du français culminent avec Emmanuel Macron qui, en parfaite collusion avec le Premier Ministre canadien Justin Trudeau, bloque tout effort pour faire de l’Organisation Internationale de la Francophonie (O.I.F.) un espace de résistance mondial à l’uniformisation linguistique.
Ajoutons qu’il est difficile de voir une forme d’émancipation anti-impérialiste dans la décision quasi simultanée prise par plusieurs gouvernements du Maghreb et de l’Afrique subsaharienne de déclasser scolairement le français, héritier, certes, d’un colonialisme (fort heureusement déclinant et en crise), au profit d’un anglo-américain porté par un Empire mondial belliciste et avide d’expansion tous azimuts. Au bout du compte, cette politique revient à déshabiller Pierre pour habiller Paul en ciblant, non sans raison, l’impérialisme déclinant pour mieux adouber l’impérialisme planétairement hégémonique.
QUELQUES OBSTACLES IDÉOLOGIQUES À SURMONTER ENSEMBLE
De manière encore plus préoccupante, un certain gauchisme culturel de nature pseudo-internationaliste limite ou paralyse, inégalement selon les pays, la résistance des masses populaires et du mouvement ouvrier à l’alignement linguistique continental et mondial des peuples, certaines forces ayant intégré l’idée fausse que toute défense des caractéristiques nationales d’un peuple serait assimilable à une forme de chauvinisme xénophobe. Certes le colonialisme français a pu naguère utiliser le français pour nier l’identité des peuples colonisés ou pour refouler les langues indigènes — ce que n’a nullement fait, soit dit en passant, l’URSS qui appliqua la ligne linguistique léniniste dans ses quinze Républiques constitutives en donnant un alphabet et une littérature à de nombreuses langues parlées sur le territoire de l’Union. Au Canada, le français a pu servir, comme l’anglais, à refouler les langues amérindiennes préexistantes et il en a été de même en Afrique « française ».
Il va de soi que, en tant qu’internationalistes, le PCQ et le PRCF se prononcent pour que toutes ces langues disposent de moyens étatiques importants pour retrouver leur dignité et leur dynamisme. Mais la dénonciation du colonialisme hérité du passé et se survivant au présent sous la forme de la « Françafrique » néocoloniale (dont le recul au Mali ou au Burkina Faso est une excellente chose), ne doit pas servir de prétexte pour justifier, ou pour accompagner en silence l’entreprise culturelle néocoloniale d’envergure planétaire qui vise à soumettre désormais toutes les nations, toutes les langues et toutes les cultures existantes à une seule d’entre elles, celle qui émane de l’espace impérialiste-hégémonique anglo-saxon, et dont la domination en marche cherche encore à s’étendre et à s’intensifier au moyen d’une dé-segmentation sauvage et débridée de l’espace linguistique.
En effet, une telle dé-segmentation affranchie de tout contrôle populaire et de tout mandat démocratique conféré par les peuples n’aurait d’autre but que d’aggraver comme jamais la domination culturelle, commerciale, politique, voire militaire du capitalisme, de l’impérialisme et de l’hégémonisme : en un mot, la résistance au colonialisme d’hier ne peut servir à justifier la collaboration tacite, par omission, de certaines forces prétendument progressistes à l’hégémonisme planétaire d’aujourd’hui et de demain.
Plus généralement, il ne faut pas davantage confondre le patriotisme populaire et démocratique avec le nationalisme xénophobe, qu’il ne convient d’identifier le cosmopolitisme capitaliste des chasseurs de profit avec la solidarité internationale des peuples et des travailleurs en lutte ! C’est pourquoi nous, communistes français et québécois, appelons ensemble à une offensive linguistique de nature anti-impérialiste, anticapitaliste et anti-hégémoniste. C’est d’autant plus nécessaire que des forces de droite, voire d’extrême-droite comme l’est en France le Rassemblement lepéniste, exploitent et dévoient les justes aspirations des peuples à défendre leur souveraineté et à parler fièrement leur propre langue maternelle pour, en réalité, encourager le racisme et la xénophobie, diviser la classe travailleuse sur des critères « ethniques », tout en maintenant la France dans le carcan des institutions mortifères de la mondialisation capitaliste et euro-atlantiste !
En outre, certains milieux politiques et syndicaux qui se réclament de la gauche sous-estiment les enjeux culturels du combat de classe et persistent, malgré la réfutation léniniste bien connue de l’« économisme » menchévique et social-démocrate, à cantonner la bataille sociopolitique sur le seul terrain économique et social, en un mot, sur le terrain syndical. C’est ignorer l’appel de Lénine à investir l’ensemble des terrains sociétaux en mettant la classe ouvrière et son parti communiste au premier rang des luttes démocratiques et culturelles, dont font partie la défense de la langue nationale et, plus largement, celle de la souveraineté nationale. Comme l’a en effet écrit Antonio Gramsci, le grand dirigeant communiste et antifasciste italien qui était par ailleurs linguiste de formation :
« À chaque fois qu’affleure, d’une manière ou d’une autre, la question de la langue, cela signifie qu’une série d’autres problèmes est en train de s’imposer : la formation et l’élargissement de la classe dirigeante, la nécessité d’établir des rapports plus intimes entre groupes dirigeant et masse national-populaire, c’est-à-dire de réorganiser l’hégémonie culturelle. »
Ce serait donc une faute opportuniste que d’abandonner à la partie « nationale » de la bourgeoisie d’un pays donné le rôle dirigeant dans la lutte culturelle, politique et linguistique, et c’est cette erreur que n’a nullement commise le Parti Communiste Français quand, par exemple, en pleine occupation allemande, il publiait sous la direction d’Elsa Triolet et de Louis Aragon la revue clandestine « Les Lettres françaises ».
DES AXES SOCIOPOLITIQUES POUR UNE POSSIBLE CONTRE-OFFENSIVE CULTURELLE COMMUNE
Plus que jamais, il faut donc lier les enjeux culturels et sociétaux de l’affrontement de classes avec les dimensions socio-économiques de la lutte. C’est du même mouvement que, dans leur course obsédante au profit maximal, le capital oligarchique s’en prend aux conquêtes sociales des travailleurs, aux services publics, à l’emploi industriel, halieutique et agricole national, et qu’il démolit aussi l’ensemble des repères linguistiques, historiques et culturels des peuples, car un peuple privé de sa langue et de sa mémoire n’est plus qu’une multitude avilie, sans défense et privée de dignité. C’est donc ensemble que notre classe, celle des travailleurs salariés, doit défendre l’ensemble de ses acquis, non pas pour rester figée sur eux, mais pour les étendre, tout en défendant, à l’échelle mondiale, l’idée généreuse de nations souveraines, égales et fraternelles partageant leur diversité culturelle pour construire une nouvelle société débarrassée de l’exploitation capitaliste et de l’oppression impérialiste : une société socialiste en marche vers le communisme.
C’est également ensemble, et si possible sur le plan international, comme cette première déclaration émanant d’organisations communistes francophones s’y emploie modestement, qu’il faut réfléchir à une nouvelle conception de la Francophonie, une conception franchement anticolonialiste, anti-impérialiste et faisant droit comme jamais au partage fraternel et à égalité de ce bien commun des peuples de la Francophonie qu’est la langue française, que ces peuples vivent en Afrique, en Amérique, en Europe ou en Océanie. Comment, par exemple, promouvoir ensemble la chanson, la poésie, la littérature, la philosophie, le théâtre, le cinéma, la science, la technique, etc. d’expression française en lien fécond avec les luttes sociales, culturelles, féministes, environnementales et civiques de nos peuples respectifs ?
C’est dans cet esprit qu’il importe de travailler dans les syndicats ouvriers, enseignants, étudiants, paysans, pour que grandisse la conscience sociolinguistique et socioculturelle offensive qui permettra aux travailleurs et à leurs organisations de classe de prendre la tête, sans pour autant s’isoler d’autres secteurs non oligarchiques défenseurs de la culture nationale et de la langue française, de la bataille culturelle contre le basculement à la langue unique imposée par l’impérialisme étasunien en mal d’hégémonie panaméricaine, paneuropéenne, panafricaine et si possible mondiale.
Cela implique aussi de tendre la main, dans un esprit de lutte et de résistance fraternelle commune, aux peuples autochtones opprimés, là où il en existe, afin de rendre toute leur place à leurs langues et à leur culture d’origine, mais aussi aux travailleurs issus de l’immigration : il faut forcer le pays capitaliste d’accueil qui veut les (sur-)exploiter, à enseigner dans ses écoles, non seulement l’anglais ou d’autres langues européennes comme c’est déjà le cas, mais les principales langues de l’immigration également.
En conclusion, souvenons-nous que, pour nous marxistes— léninistes, la libre fusion des nations au sein d’une humanité communiste future, riche de sa diversité, ne signifiera en rien l’écrasement des nations petites et moyennes, et avec elles celui de leurs langues et cultures. Elle signifiera moins encore le triomphe d’une super-nation d’autant plus oppressive qu’elle aurait réduit toutes les autres, par les armes, et/ou, plus hypocritement, par ce que ses admirateurs nomment le « soft power », à l’impuissance et à l’état définitif de subalternes. Non sans ouvrir la voie, de manière compensatoire, à de terribles contre-attaques xénophobes, racistes et fascisantes, car il n’est jamais anodin de priver les peuples de leur langue, c’est-à-dire de leur libre accès à la parole collective… Bref, pour pasticher l’écrivain italien Umberto Eco, la langue du monde à venir ne saurait être le tout-globish du Grand Marché capitaliste imposé par la guerre, par le conditionnement scolaire et/ou par le harcèlement médiatique incessant, mais la traduction. Ce qui passera notamment par la capacité de chaque humain à parler plusieurs langues sans sacrifier la sienne, à cent lieues de toute langue unique imposée, fût-ce, bien évidemment, le tout-français !
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