Notes sur l’intempérance du scorpion

20/11/2023 (2023-11-20)

[Source : dedefensa.org]

Par Philippe Grasset

• L’anecdote a subi l’épreuve du temps pour s’imposer comme l’allégorie de la tragédie grecque elle-même où les acteurs sont emportés par la force de leur destin, — l’allégorie de la grenouille acceptant de porter le scorpion sur son dos pour traverser la rivière bouillonnante et le scorpion piquant la grenouille pour un destin qui est celui de leur mort commune, — « Just Because ». • Dans la crise actuelle, la grenouille est américaniste, le scorpion est israélien et le poison est la stratégie du second imposée à leur destin commun.
• Il nous faut pourtant prendre garde, car il y a deux crises en une : la première est politique et légaliste, traitant des rapports d’Israël et des Palestiniens et courant depuis 1948 ; la seconde est stratégique depuis le début du siècle, sous la forme extraordinaire d’une stratégie quasiment métaphysique, héritée de la fureur du « fanatisme technologique » du général Curtiss LeMay et abritant les ambitions eschatologiques.
Il s’agit de notre époque crisique, c’est-à-dire l’irrésistible tragédie de la fin de la modernité dans laquelle cette crise-guerre de Gaza s’inscrit en lettres de feu.

18 novembre 2023 (16 h 45) – Dans son dernier texte de « Conflict Forum », Alastair Crooke entend, pour décrire les relations léonines entre les USA et Israël, dans cette occurrence où Israël est emporté dans un déchaînement stratégique, nous rappeler la fameuse allégorie du scorpion et de la grenouille. Selon notre bienveillance et donc sans volonté d’influencer le jugement, le scorpion figure Israël et la grenouille, presque aussi grosse qu’un bœuf après tout, les USA ; et ce qui est en cause, somme toute, et qui pourrait aussi bien figurer le poison, est la stratégie israélienne que nous décrivons sous l’expression de « fanatisme technologique », et qui est largement inspirée des conceptions de la puissance aérienne développées aux USA depuis le passage en cour martiale du général Billy Mitchell il y a un siècle jusqu’au bombardement de Tokyo (mars 1945) qui fit 135 000 morts sous les coups des B-29 de la XXe Air Force du général LeMay.

« L’allégorie est celle dans laquelle un scorpion dépend de la grenouille pour traverser une rivière en crue, en attelant un ascenseur sur le dos de la grenouille. La grenouille se méfie du scorpion ; mais accepte à contrecœur. Lors de la traversée le scorpion pique mortellement la grenouille qui nageait dans la rivière, sous le scorpion. Ils meurent tous les deux.

Il s’agit d’un conte de l’Antiquité destiné à illustrer la nature de la tragédie. Une tragédie grecque est une tragédie dans laquelle la crise au cœur de toute “tragédie” ne survient pas par pur hasard. Le sens grec est que la tragédie est le moment où quelque chose se produit parce que cela doit arriver ; en raison de la nature des participants ; parce que ce sont les acteurs impliqués qui font que cela se réalise. Et ils n’ont pas d’autre choix que d’y parvenir, car telle est leur nature. […]

Ces craintes sont au cœur de la “tragédie” qui “doit se produire” : la grenouille a accepté, très prudemment, de transporter le scorpion pour traverser la rivière, mais veut avoir la garantie que, compte tenu de la nature du scorpion, elle réussira. On ne pique pas son bienfaiteur.

De même, l’équipe Biden ne fait pas confiance à Netanyahou. Elle ne souhaite pas être “piqué” en se laissant entraîner dans une guerre dans le bourbier de l’Iran. »

Vous comprendrez que tout le monde interroge le scorpion : « Mais pourquoi as-tu fait ça ? ». Il est temps d’offrir alors une autre pseudo-allégorie, qui serait plutôt une anecdote pas si anecdotique que cela. On sait peu que la première, — disons la première des « guerres folles » des USA après la fin de la Guerre Froide, date de décembre 1989 : une expédition sur le Panama du trafiquant de drogue et « asset » de la CIA, le colonel-président Noriega. On savait qu’il inquiétait, pour son savoir et ses connaissances intra-CIA, le nouveau président et ancien directeur de la CIA Georges Bush-le-Père.

L’opération contre Panama, qui est bien détaillé dans le Wiki à cet effet, prit finalement le nom de code de « Just Cause » sur intervention directe du président Bush, et après un débat bureaucratique et léonin au cours duquel nombre de noms de baptême, ou noms-codes, furent proposés. Ce débat théorique et rhétorique (voir ci-après sur Wiki, avec les deux « explications » amusantes du changement de nom impliquant des interventions différentes dans le texte, avec et sans Bush-père, sans et avec la CIA !) porte en soi des attitudes pré-conditionnées divulguant par avance la trajectoire des interventions extérieures US à partir de décembre 1989, — ce que l’on pourrait désigner comme on l’a vu, comme les « guerres folles US ». Cette expression, — notre « nom-code » à nous, — impliquant que l’impérialisme US post-1989 n’est pas une reprise de l’ancien impérialisme, mais bien un néo-impérialisme sacrificiel jusqu’au suicidaire. L’influence US sur Israël, via l’armée et les idées du Général LeMay, est déjà en marche… (L’on peut avoir une description implicite intéressante de « Just Cause » dans le roman « Le tailleur de Panama », de John le Carré.)

« Les plans de l’opération dirigée contre Panama ont été dérivés des plans visant à la défense du canal. Ils sont devenus plus agressifs avec la détérioration de la situation entre les deux pays. La série de plans de l’opération « Prayer Book » inclut les répétitions en vue d’un éventuel clash (opération « Purple Storm ») et des missions pour garantir les sites américains (opération « Bushmaster »). À terme, ces plans sont regroupés sous le terme opération « Blue Spoon » rebaptisée « Just Cause » par le président Bush.

Le nom « Just Cause » a été surtout utilisé par l’armée des États-Unis pour la planification et l’histoire et d’autres entités des États-Unis telles que le département d’État. Le nom panaméen pour l’opération est « l’Invasion » (la Invasión).

Au cours des dernières années, la désignation des opérations militaires des États-Unis a été à l’origine d’une controverse, tant sur le plan international que national (voir l’opération « Enduring Freedom »). Au moment où ont été conçues les opérations pour déposer Noriega, les opérations militaires des États-Unis avaient des noms dénués de sens. « Just Cause » était prévue sous le nom de « Blue Spoon », et l’invasion elle-même incorporait l’opération « Acid Gambit »(exfiltration d’un civil américain travaillant pour la CIA emprisonné à Panama. Le nom de « Blue Spoon » a plus tard été changé pour « Just Cause » pour des raisons esthétiques et de relations publiques. L’occupation et la reconstruction post-invasion ont été intitulées opération « Promote Liberty » (« Promouvoir la Liberté »). »

Quoi qu’il en soit, et c’est là que nous voulions arriver, la gentille querelle interne aboutit à un jeu de mots fameux au Pentagone, où « Just Cause » devint « Just Because ». Cette fois, il s’agissait de la part d’une fraction non-interventionniste du département de décrire sarcastiquement une volonté de l’usage de la force — et de quelle force !, — par les USA libérés par effraction de la menace de l’URSS.

Ainsi, et pour en terminer avec cette interminable introduction, aurions-nous la conclusion de notre allégorie-anecdotique, — en notant que, pour les USA comme pour le scorpion quoique sur un temps plus long, cela revient à entraîner sa propre mort :

Scorpion, pourquoi as-tu fait cela, piquer à mort ton bienfaiteur qui aurait même pu te servir en une autre occasion, — et cela jusqu’à entraîner ta propre mort ?

Just because… »

« Juste parce que je le peux », répond le scorpion, acteur central au visage impassible à la Curtiss LeMay, acteur insensible et inflexible de la tragédie grecque — « La mère de toutes les tragédies » avait si bien vu Nietzche dans sa « Naissance de la tragédie ».

Le choix du feu

Et ainsi (suite) rejoint-on notre « Ouverture Libre » d’hier sur le « fanatisme technologique », où le drame est résumé dans cette évidence des moyens précédant les causes, puis remplaçant les causes jusqu’à nous donner une parfaite illustration du concept métaphysique de « tragédie » : « Puisque je peux le faire, dit le scorpion, je le fais, et que m’importe si ma propre mort est elle-même le terme du chemin… ». Cela se traduit donc en termes effectivement d’une technologie spécifique, toute entière venue du Ciel (majuscule acceptable) comme Icare s’approchant trop près du soleil, et tout entière contenue dans le feu sacré ; c’est-à-dire, rien de moins après tout que la formule de la modernité fondée sur le choix du feu de la thermodynamique contre le choix de l’hydrodynamique, grâce à ce feu sacré que le Titan Prométhée déroba sur l’Olympe pour le donner aux humains en même temps que la promesse de la modernité du technologisme par conséquent :

«…au travers des mannes du général Curtiss E. LeMay,[la notion] de “fanatisme psychologique” :

Il s’agit d’une conception mécaniste et nullement idéologique et raciale (quelles que soient par ailleurs les intentions et les imprécations des tenants de cette conception, et les accusations de leurs adversaires). Elle a directement à voir avec les moyens employés : l’arme aérienne et le bombardement. On peut même dire que c’est le moyen mécanique employé (l’arme aérienne et le bombardement) qui dicte la conception. Le but de la chose se trouve enfermé dans le moyen de la faire et, bientôt, complètement justifié par ce moyen. C’est pourquoi on peut justement proposer l’expression de “conception mécaniste”.

D’où vient cette conception ? Si elle devait avoir un nom générique, nous lui donnerions celui-ci, que nous empruntons à l’historien Michael Sherry : le “fanatisme technologique”. Signe des temps et de notre modernité, le “fanatisme technologique” a la particularité redoutable, pour un “fanatisme”, d’être enrobé dans une gangue opaque et quasiment impénétrable de rationalité bureaucratique. »

Retour sur « Nakba »

En effet, retour à la doctrine du « Nakba » dont il est entendu aujourd’hui qu’elle est le fondement de la stratégie générale de l’IDF (ex-« Tsahal ») après l’imposante raclée de 2006 du fait du Hezbollah, transformée deux ans plus tard en formule des victoires à venir par le général Eizenkot, qui dirigeait les forces israéliennes après avoir commandé les forces aériennes — première promotion de cette sorte dans l’armée israélienne. Eizenkot en acquit une gloire étrange — très postmoderne, à la manière des « neocon » qui dit d’une défaite qu’elle aurait été une victoire si elle n’avait pas été une défaite, — qu’on retrouve dans le texte ci-dessous et qu’Alastair Crooke signale dans son texte déjà cité, avec les mêmes termes d’une interview fameuse d’Eizenkot :

Lors de la guerre de 2006 contre le Hezbollah, toute la banlieue urbaine peuplée de Beyrouth — Dahiya — a été rasée. Le général Eizenkot (qui commandait les forces israéliennes pendant cette guerre et est maintenant membre du « Cabinet de guerre » de Netanyahou) a déclaré en 2008 : “Ce qui s’est passé dans le quartier de Dahiya à Beyrouth en 2006 se produira dans chaque village depuis lequel l’on tire sur Israël… De de notre point de vue, ce ne sont pas des villages civils, ce sont des bases militaires… Ce n’est pas une recommandation. C’est un plan. Et cela a été approuvé”.

Bien entendu, on a retrouvé la patte inratable et insatiable du général LeMay expliquant les conceptions humanitaires régulant ses raids de bombardement sur le Japon. On le remarquera dans le texte ci-dessous, qui est une simple reprise et compilation des évènements relatifs à l’invocation et à la mise en application de la « doctrine Dahiya »… Un détail révélateur pour notre chef se trouve dans le rappel qu’une vidéo du général Benny Gantz, candidat au poste de Premier ministre en 2014 et présentement dans le « cabinet de guerre », faisait explicitement mention des exploits des forces qu’il dirigeait, en 2014, de cette façon…

“…Benny Gantz (qui, bien que considéré comme modéré, a promu sa candidature au poste de premier ministre lors des élections de 2019 avec une vidéo dans laquelle il se vantait d’avoir ramené des zones entières de Gaza « à l’âge de pierre » pendant la guerre de 2014, au cours de laquelle il commandait l’IDF).”

… Car vous n’oubliez jamais que LeMay, dans ses derniers mois de président du comité des chefs d’état-major avant son départ à la retraite, conseillait à Lyndon B. Johnson devenu président en novembre 1963 de lui donner toute latitude de « ramener le Vietnam à l’âge de pierre » par le moyen de l’US Air Force, et particulièrement de son préféré, le Strategic Air Command.

L’héroïque Daniel Ellsberg, l’homme des « Pentagon Paper » récemment décédé, nous a laissé des tonnes d’impressions et d’images sur l’obsession de l’anéantissement régnant chez les « SAC people », et dont l’IDF est aujourd’hui complètement imprégnée. On trouve notamment ces extraits où les planificateurs du SAC spéculent avec zèle sur les 600 millions de morts que causerait une attaque en première frappe de l’URSS par les USA, dans une posture qui rappelle celle d’Eichmann à son procès, telle que le ressentit Hanna Arendt à propos de « La banalité du mal ». (Dans l’extrait du texte sur Ellsberg, on garde la citation de l’amiral Roy L. Johnson en langue originale, pour ne pas perdre le goût piquant et excitant de l’intraduisible (de façon satisfaisante) terme « overkill »…)

Du temps que nous rapporte Ellsberg, il s’agissait de la doctrine dite de l’« Overkill » — traduction difficile, mais état d’esprit évident. Il s’agissait d’une doctrine voulue en tant que telle, et particulièrement voulue par l’USAF sous l’influence de LeMay, comme l’ont révélé la publication, en 2007, de documents concernant les plans nucléaires (le 22 novembre 2007, par les National Archives History), sur les Single Integrated Operational Plan (SIOP). Les commentaires accompagnant cette publication sont parsemés d’observations de cette sorte :

Les objectifs de dommages élevés (« damage expectancy ») étaient intrinsèques au plan, ce qui explique pourquoi les historiens ont considéré l’« overkill », ou destruction excessive, comme l’une de ses caractéristiques les plus distinctives. Le débat interne au sein de l’armée sur le plan de guerre, en particulier les préoccupations de l’armée et de la marine concernant la destruction excessive et les risques d’irradiation pour les troupes américaines et les populations des pays alliés proches des pays ciblés, a été l’occasion d’une réflexion sur le plan de guerre…[…]

Les objectifs de niveaux élevés de dommages…[…] ont suscité des critiques de la part de certains membres de l’état-major interarmées et de commandants supérieurs concernant la destruction excessive (« overkill ») et les risques d’irradiation. Cela explique pourquoi certains historiens ont considéré la « surenchère » comme l’une des caractéristiques les plus marquantes du SIOP. »

Le document rappelle également une remarque, datant de décembre 1980, de l’amiral Roy L. Johnson, Deputy Director of Joint Strategic Target Planning Staff de 1961 à 1963, effectivement à cette époque de la toute-puissance de l’équipe LeMay-Poser sur la pensée stratégique US :

« The SAC people never seemed to be satisfied that to kill once was enough. They want to kill, overkill, overkill, because all of this has built up the prestige of SAC, it created the need for more forces, for a larger budget.[…T]hat’s the way their thinking went. »

Ainsi la crise et guerre de Gaza doivent-elles être prises sous deux angles et sur deux fronts :
• la question politique et légale d’Israël et des Palestiniens d’une part ;
• la question de la méthodologie de la guerre qu’applique l’Israel Defense Force, comme mandataire du Pentagone, dite « The House of War » selon James Carroll, l’IDF comme opérateur de la non-stratégie de masse issue des planifications du Strategic Air Command de Lemay — d’autre part…

Et, dans ce cas, le scorpion devient cette « House of War », prête à piquer mortellement cet artefact a-historique que constituent les États-Unis d’Amérique. Une remarque supplémentaire peut être faite qui ne présage rien de bon pour l’avenir, et qui apparaît dans l’article ci-dessous : l’extrême confusion des services de communication de l’IDF dans la gestion de la perception publique de la pseudo-stratégie de ces forces. À la fin de l’article, il est question d’une « doctrine lucide », mais il ne nous apparaît pas évident qu’elle soit présentée lucidement. Il est vrai que LeMay était d’abord un exterminateur et nullement un communicateur. À nous de nous en arranger, certes, mais si les observations sur la nécessité pour l’IDF de faire vite sont justifiées, — alors bien vite apparaîtront les problèmes et la confusion déjà constatée s’affirmera de plus en plus : nous serons en marche pour une perte totale de contrôle de la crise tandis que la Russie achèvera sa guerre en Ukraine hors de « the Magic Thinking »…

L’article « Washington Post : Gaza et la doctrine catastrophique de Dahiya », de « Piccolonote.it » est repris en français, le 14 novembre, par « euro-synergies.hautefort.com ».


Gaza et la doctrine catastrophique

« Nous exercerons une puissance disproportionnée contre chaque village d’où sont tirés des coups de feu sur Israël et nous causerons d’immenses dégâts et destructions ». C’est ainsi que Gadi Eizenkot a expliqué la « doctrine Dahiya » en 2008.

Gaza, les effets de la doctrine Dahiya

« L’armée israélienne a peu de temps pour achever ses opérations à Gaza avant que la colère des Arabes de la région et la frustration des États-Unis et d’autres pays face au nombre croissant de victimes civiles ne tirent un trait sur l’objectif d’Israël d’éradiquer le Hamas, ont déclaré des responsables américains cette semaine ».

Tel est l’article principal du New York Times du 9 novembre. L’article de Hamos Arel dans Haaretz intitulé : « Guerre Israël-Hamas : Tsahal [forces de défense israéliennes] dit qu’elle durera des mois, les signaux venant des États-Unis ne vont pas au-delà de quelques semaines » va dans le même sens.

Déclaration de Leaf et déclaration de Hagari

L’un de ces signaux est la déclaration de Barbara Leaf, secrétaire d’État adjointe aux affaires du Proche-Orient, à la commission des affaires étrangères de la Chambre des représentants, selon laquelle le nombre de victimes à Gaza reste incertain et « pourrait même être plus élevé que ce qui a été rapporté publiquement ».

Jusqu’alors, les États-Unis avaient tenté d’atténuer le bilan tragique, aujourd’hui ils l’augmentent même (à juste titre : de nombreuses personnes se trouvent encore sous les décombres et parmi les blessés, plusieurs mourront, notamment parce que les installations médicales ont été dévastées).

Le nombre croissant de victimes civiles choque le monde entier et les dirigeants occidentaux ont de plus en plus de mal à légitimer ce qui se passe par le droit à la défense d’Israël. La réaction de Tel-Aviv est excessive, disproportionnée et même inintelligente, car elle a enterré sous les décombres de Gaza la vague de solidarité mondiale suscitée par l’attaque du Hamas et son image internationale.

La réaction excessive a été publiquement admise par le porte-parole des FDI, Daniel Hagari, qui parlant de la phase initiale de l’offensive, a révélé que « l’accent » de la riposte des FDI était « sur les dégâts plutôt que sur la précision ».

L’aveu de Hagari a été rapporté dans le Washington Post du 10 novembre par Ishaan Tharoor, dans un article où, rapportant ses commentaires sur ce qui se passe à Gaza, il explique que

« derrière tout cela — et implicitement dans la mention par Hagari de l’’accent’ mis sur les dommages plutôt que sur la précision — se trouve une doctrine militaire qu’Israël a adoptée depuis longtemps et semble avoir adoptée dans cette circonstance également ».

La doctrine Dahiya

Il s’agit de la « doctrine Dahiya », écrit Tharoor, qui « a pris forme dans le sillage de la guerre de 2006 entre Israël et le Hezbollah au Liban » et qui porte le nom du quartier de Beyrouth réduit en ruines par les tirs israéliens en réponse à l’enlèvement de deux de ses soldats. Une réaction brutale qui a surpris le Hezbollah, qui s’attendait à quelques tirs de missiles.

La doctrine qui a émergé du conflit a été formulée sous sa forme la plus familière par le commandant de Tsahal, Gadi Eizenkot. « Nous exercerons une puissance disproportionnée contre chaque village à partir duquel des coups de feu sont tirés sur Israël et causent d’immenses dégâts et destructions. De notre point de vue, ce sont des bases militaires », a-t-il déclaré à un journal israélien en 2008. « Il ne s’agit pas d’une suggestion. Il s’agit d’un plan déjà autorisé ».

À peu près à la même époque, l’ancien colonel israélien Gabriel Siboni a rédigé un rapport pour l’Institut d’études de sécurité nationale de l’université de Tel-Aviv, dans lequel il affirme que les provocations militantes du Liban, de la Syrie ou de Gaza doivent être contrées par des attaques « disproportionnées », qui ne visent qu’en second lieu à éliminer la capacité de l’ennemi à lancer des roquettes ou d’autres attaques. L’objectif doit plutôt être d’infliger des dommages durables, sans tenir compte des conséquences civiles, afin de dissuader l’ennemi à l’avenir ».

Au début d’une phase d’hostilités, les FDI doivent agir immédiatement, de manière décisive et avec une force disproportionnée par rapport aux actions de l’ennemi et à la menace qu’il représente »,écrit-il. « Une telle réponse vise à infliger des dommages et des punitions dans une mesure qui nécessitera des processus de reconstruction longs et coûteux ».

Les guerres de Gaza et la doctrine Dahiya

« Une telle doctrine, écrit M. Tharoor, semble avoir été en place même pendant une série d’hostilités entre le Hamas, qui a attaqué à partir de Gaza, et Israël à la fin de 2008 et au début de 2009. Un rapport commandité par l’ONU sur ce conflit, au cours duquel plus de 1400 Palestiniens et Israéliens ont trouvé la mort (14 pour ces derniers, dont quatre tués par des tirs amis), a conclu que la campagne d’Israël était “délibérément disproportionnée, conçue pour punir, humilier et terroriser la population civile, diminuer radicalement la capacité économique locale à travailler et à subvenir à ses besoins, et imposer un sentiment imminent de dépendance et de vulnérabilité”.

« La doctrine est restée en vigueur dans les années qui ont suivi. Les correspondants militaires israéliens et les analystes de la sécurité ont signalé à plusieurs reprises que la doctrine Dahiya était la stratégie adoptée par Israël pendant la guerre de Gaza de l’été dernier »,

a observé l’universitaire palestinien-américain Rashid Khalidi à l’automne 2014, lorsqu’une nouvelle campagne militaire israélienne a entraîné la mort de plus de 1460 civils, dont près de 500 enfants. « Soyons francs : il ne s’agit pas tant d’une doctrine stratégique que d’un plan explicite de punition collective, un signe avant-coureur de crimes de guerre probables ».

Il n’est pas surprenant, ajoute Khalidi, que la doctrine Dahiya ait été peu mentionnée dans les déclarations des hommes politiques américains et dans les rapports de guerre de la plupart des grands médias américains, qui se sont contentés de décrire les actions d’Israël comme de l’’autodéfense ».

La doctrine Dahiya devenue folle

C’est également le cas de la guerre actuelle, au cours de laquelle, comme le note M. Tharoor, « de nombreux hommes politiques israéliens ont appelé à la destruction totale de Gaza, au dépeuplement du territoire et même à la réinstallation d’Israël » dans la bande de Gaza.

Gaza, le djihad juif à l’œuvre

Personne en Israël, bien sûr, « n’a explicitement invoqué la “doctrine Dahiya” comme programme pour la destruction déchaînée de Gaza », note Tharoor, mais il note que le susmentionné « Eizenkot est un membre du “cabinet de guerre” d’Israël ».

En fait, ce n’est pas n’importe quel membre, il dirige le cabinet en question avec le belliqueux Benjamin Netanyahu et Benny Gantz (qui, bien que considéré comme modéré, a promu sa candidature au poste de Premier ministre lors des élections de 2019 avec une vidéo dans laquelle il se vantait d’avoir ramené des zones entières de Gaza « à l’âge de pierre » pendant la guerre de 2014, au cours de laquelle il commandait les FDI).

En bref, l’attaque officieuse contre Gaza n’est pas seulement dictée par une soif de vengeance, mais par une doctrine lucide ; ou, peut-être mieux, une combinaison de ces éléments, avec la « doctrine Dahiya » portée à un niveau exponentiel et catastrophique. »

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