10/07/2024 (2024-07-10)
[Publication initiale : dedefensa.org]
Par Nicolas Bonnal
Oh, ce présent permanent : alors que l’élite mondialisée écrase en France le peuple sous son talon de fer au nom de la république, du libéralisme et des banquiers — surtout des banquiers —, j’invite à relire le bel essai de Marx sur la Lutte des classes en France, qui réconciliera un peu plus populistes de droite et de gauche. La scène se passe dans les années 1840 puis sous la Seconde République. On commence :
« Après la révolution de Juillet, lorsque le banquier libéral Laffitte conduisit en triomphe son compère le duc d’Orléans à l’Hôtel de Ville, il laissa échapper ces mots : “Maintenant, le règne des banquiers va commencer.” Laffitte venait de trahir le secret de la révolution. »
Et c’était en 1830… Après, c’est le règne prototypique de Louis-Philippe… Marx :
« Ce n’est pas la bourgeoisie française qui régnait sous Louis-Philippe, mais une fraction de celle-ci : banquiers, rois de la Bourse, rois des chemins de fer, propriétaires de mines de charbon et de fer, propriétaires de forêts et la partie de la propriété foncière ralliée à eux, ce que l’on appelle l’aristocratie financière. Installée sur le trône, elle dictait les lois aux Chambres, distribuait les charges publiques, depuis les ministères jusqu’aux bureaux de tabac. »
On se croirait sous Jospin-DSK, Sarkozy-Juppé, au moment des grandes privatisations qui marquèrent cette Restauration dont a parlé Pierre Bourdieu. On continue sur les innombrables malversations de cette époque qui inspira ses Misérables à Victor Hugo :
« En outre, les sommes énormes passant ainsi entre les mains de l’État laissaient place à des contrats de livraison frauduleux, à des corruptions, à des malversations et à des escroqueries de toute espèce. Le pillage de l’État en grand, tel qu’il se pratiquait au moyen des emprunts, se renouvelait en détail dans les travaux publics. Les relations entre la Chambre et le gouvernement se trouvaient multipliées sous forme de relations entre les différentes administrations et les différents entrepreneurs.
De même que les dépenses publiques en général et les emprunts publics, la classe dominante exploitait aussi les constructions de lignes de chemin de fer. »
On comprend nos travaux et infrastructures… Tiens, Karl Marx parle de Rothschild, ce compte fait baron :
« Par contre, la moindre réforme financière échouait devant l’influence des banquiers, telle, par exemple, la réforme postale. Rothschild protesta, l’État avait-il le droit d’amoindrir des sources de revenu qui lui servaient à payer les intérêts de sa dette sans cesse croissante ? »
On parle souvent des 1 % qui contrôlent ce pays. Du temps de Marx ils sont déjà là :
« La monarchie de Juillet n’était qu’une société par actions fondée pour l’exploitation de la richesse nationale française dont les dividendes étaient partagés entre les ministres, les Chambres, 240 000 électeurs et leur séquelle. Louis-Philippe était le directeur de cette société : Robert Macaire sur le trône. Le commerce, l’industrie, l’agriculture, la navigation, les intérêts de la bourgeoisie industrielle ne pouvaient être que menacés et lésés sans cesse par ce système. Aussi, celle-ci avait-elle inscrit sur son drapeau, pendant les journées de Juillet : Gouvernement à bon marché. »
La crapulerie immorale se déchaîne, c’est la bohème double V et le lumpenprolétariat aux commandes, toute la descente aux affaires (on ne citera pas nos scandales…) :
« C’est notamment aux sommets de la société bourgeoise que l’assouvissement des convoitises les plus malsaines et les plus déréglées se déchaînait, et entrait à chaque instant en conflit avec les lois bourgeoises elles-mêmes, car c’est là où la jouissance devient crapuleuse, là où l’or, la boue et le sang s’entremêlent que tout naturellement la richesse provenant du jeu cherche sa satisfaction. L’aristocratie financière, dans son mode de gain comme dans ses jouissances, n’est pas autre chose que la résurrection du lumpenprolétariat dans les sommets de la société bourgeoise. »
Depuis la « crise » de 2008 nous sommes recouverts de dette, comme tous nos voisins européens — et du coup bien soumis. La dette est la base de ce type de gouvernement. Marx :
« L’endettement de l’État était, bien au contraire, d’un intérêt direct pour la fraction de la bourgeoisie qui gouvernait et légiférait au moyen des Chambres. C’était précisément le déficit de l’État, qui était l’objet même de ses spéculations et le poste principal de son enrichissement. À la fin de chaque année, nouveau déficit. Au bout de quatre ou cinq ans, nouvel emprunt. Or, chaque nouvel emprunt fournissait à l’aristocratie une nouvelle occasion de rançonner l’État, qui, maintenu artificiellement au bord de la banqueroute, était obligé de traiter avec les banquiers dans les conditions les plus défavorables. Chaque nouvel emprunt était une nouvelle occasion, de dévaliser le public qui place ses capitaux en rentes sur l’État, au moyen d’opérations de Bourse, au secret desquelles gouvernement et majorité de la Chambre étaient initiés. »
Puis Marx se défoule d’une manière qui le mènerait légitimement en prison de nos jours :
« La bourgeoisie industrielle voyait ses intérêts menacés, la petite bourgeoisie était moralement indignée, l’imagination populaire s’insurgeait, Paris était inondé de pamphlets : “La dynastie Rothschild” “Les Juifs, rois de l’époque”, etc., où l’on dénonçait, flétrissait avec plus ou moins d’esprit, la domination de l’aristocratie financière. »
L’auteur ajoute :
« Rien pour la gloire ! La paix partout et toujours. La guerre fait baisser le cours du 3 et du 4 %. Voilà ce qu’avait écrit sur son drapeau la France des Juifs de la Bourse.Aussi, sa politique étrangère sombra-t-elle dans une série d’humiliations du sentiment national français… »
Oui, la diplomatie de Louis-Philippe fut une honte. Mais ne parlons pas de celle du successeur Bonaparte (Crimée et châtiment, Chine-Indochine, puis Mexique et enfin Sedan)…
Le pouvoir aux abois invoque toujours la république en France. Mais pour Marx la république est surtout un gouvernement de bourgeois au profit des plus riches ; il note :
« La République ne rencontra aucune résistance pas plus au dehors qu’au dedans. C’est ce qui la désarma. Sa tâche ne fut plus de transformer révolutionnairement le monde ; elle ne consista plus qu’à s’adapter aux conditions de la société bourgeoise. Rien ne témoigne plus éloquemment du fanatisme avec lequel le Gouvernement provisoire s’employa à cette tâche que les mesures financières prises par lui. »
La république aurait dû réagir contre les banquiers et les financiers. Marx :
« Le crédit public et le crédit privé étaient naturellement ébranlés. Le crédit public repose sur la croyance que l’État se laisse exploiter par les Juifs de la Finance. Mais l’ancien État avait disparu et la révolution était dirigée avant tout contre l’aristocratie financière. Les oscillations de la dernière crise commerciale en Europe n’avaient pas encore cessé. Les banqueroutes succédaient encore aux banqueroutes. »
Bien entendu l’épargnant de cette époque est destiné à être plumé :
« Le petit bourgeois, déjà bien assez réduit à la misère, en fut irrité contre la République. Ayant reçu à la place de son livret de caisse d’épargne, des bons du Trésor, il fut contraint d’aller les vendre à la Bourse et de se livrer ainsi directement aux mains des Juifs de la Bourse contre lesquels il avait fait la révolution de Février. »
L’argent est divinisé (ce que Céline arrivé à New York remarquera) :
« L’aristocratie financière qui régnait sous la monarchie de Juillet avait dans la Banque son Église épiscopale. De même que la Bourse régit le crédit public, la Banque gouverne le crédit commercial. Directement menacée par la révolution de Février, non seulement dans sa domination, mais dans son existence, la Banque s’appliqua, dès le début, à discréditer la République en généralisant la fermeture du crédit. »
Le gouvernement républicain loin de soumettre la banque s’y soumet gentiment (comme en 2008 — voyez Lucien Cerise) :
« Le Gouvernement provisoire pouvait, sans recourir à la violence de façon légale, acculer la Banque à la banqueroute ; il n’avait qu’à observer une attitude passive et à abandonner la Banque à son propre sort. La banqueroute de la Banque, c’était le déluge balayant en un clin d’œil du sol français l’aristocratie financière, le plus puissant et le plus dangereux ennemi de la République, le piédestal d’or de la monarchie de Juillet. Une fois la Banque en faillite, la bourgeoisie était obligée de considérer elle-même comme une dernière tentative de sauvetage désespérée la création par le gouvernement d’une Banque Nationale et la subordination du crédit national au contrôle de la nation. »
Mais le gouvernement provisoire dirigé par l’ânon Lamartine choisit la voie contraire. On commence à brader la France :
« Le Gouvernement provisoire, au contraire, donna cours forcé aux billets de banque. Il fit mieux. Il transforma toutes les banques de province en succursales de la Banque de France, lui permettant de jeter son réseau sur le pays tout entier. Plus tard, il engagea auprès d’elle les forêts domaniales en garantie de l’emprunt qu’il contracta envers elle. C’est ainsi que la révolution de Février consolida et élargit directement la bancocratie qu’elle devait renverser. »
Puis on choisira Fould comme ministre des Finances :
« Louis-Philippe n’avait jamais osé faire d’un véritable loup-cervier un ministre des Finances. De même que sa royauté était le nom idéal pour la domination de la haute bourgeoisie, les intérêts privilégiés devaient dans ses ministères porter des noms d’une idéologie désintéressée. La République bourgeoise poussa partout au premier plan ce que les diverses monarchies, légitimiste comme orléaniste, tenaient caché à l’arrière-plan. Elle fit descendre sur la terre ce que celles-ci avaient divinisé. Elle mit les noms propres bourgeois des intérêts de classe dominants à la place de leurs noms de saints. »
Conclusion à graver dans les cœurs quand on vous parle de révérer, diviniser et protéger la république dans la guerre et le sang :
« Toute notre exposition a montré que la République, dès le premier jour de son existence, n’a pas renversé, mais, au contraire, constitué l’aristocratie financière. Mais les concessions qu’on lui faisait étaient un destin auquel on se soumettait sans qu’on veuille le faire naître. Avec Fould, l’initiative gouvernementale revint à l’aristocratie financière. »
Avec ces gars de la bourse, la dette explose. Marx encore :
« Donc, sans bouleversement complet de l’État français, pas de bouleversement du budget public français. Avec ce budget public, nécessité de l’endettement de l’État, et, avec l’endettement de l’État, nécessité de la domination du commerce, des dettes publiques, des créanciers de l’État, des banquiers, des marchands d’argent, des loups-cerviers. Une fraction seulement du parti de l’ordre participait directement au renversement de l’aristocratie financière : les fabricants. »
Les bonnes vieilles méthodes de notre présent permanent :
« Sous Fould, l’aristocratie financière, à côté des autres fractions bourgeoises qui la jalousaient, n’étala point, naturellement, autant de corruption cynique que sous Louis-Philippe. Mais, d’abord, le système restait le même, augmentation constante des dettes, dissimulation du déficit. Puis, avec le temps, l’escroquerie boursière d’autrefois se manifesta avec plus de cynisme. »
Mais Marx parle aussi du peuple écrabouillé d’impôts alors que le riche passe au travers :
« Le paysan, lorsqu’il évoque le diable, lui donne les traits du porteur de contrainte. Dès le moment où Montalembert fit de l’impôt un dieu, le paysan devint impie, athée et se jeta dans les bras du diable, du socialisme. La religion de l’ordre s’était moquée de lui, les jésuites s’étaient moqués de lui, Bonaparte s’était moqué de lui. »
Marx ajoute encore sur le fisc français :
« La haine populaire contre l’impôt sur les boissons s’explique par le fait qu’il réunit en lui tous les côtés odieux du système fiscal français. Son mode de perception est odieux, son mode de répartition est aristocratique, car, les pourcentages d’impôt étant les mêmes pour les vins les plus ordinaires et pour les plus fins, il augmente donc en proportion géométrique dans la mesure où diminue la fortune des consommateurs, c’est un impôt progressif à rebours. »
Et que faire pour calmer tous ces mécontents ? Les mitrailler, car, comme dit Flaubert dans son Dictionnaire des idées reçues, c’est le seul moyen de faire taire des ouvriers…
Sources
Marx, Luttes des classes en France
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