10/03/2022 (2022-03-10)
Par Karen Brandin
Parce que j’enseigne depuis 16 ans, que j’ai connu l’enseignement conventionnel en lycée en tant que vacataire avant de me tourner vers un enseignement de proximité, je m’autorise un coup de gueule depuis longtemps contenu et une exhortation destinée au si mal nommé « corps » enseignant (les matheux de formation comprendront que nous sommes en réalité aussi instables qu’un semi-groupe, pour ne pas dire : « un magma » ; bien loin de la stabilité des corps donc).
« Mal nommé », car nous avons consciencieusement failli là où il s’agissait bien de faire corps pourtant, de faire « front » aussi, pour libérer l’École de l’ensemble de ces mesures iniques qui la convertisse doucement, mais sûrement en un lieu non pas de liberté, pas davantage d’expression, encore mois d’instruction quand telles sont pourtant ses vocations premières, mais en un lieu de contraintes, de seuils arbitraires et d’interdits quand ce n’est pas de propagande.
J’avais cru comprendre et osé me réjouir qu’il y aurait dès le lundi 14 mars 2022 une levée complète et sans condition des mesures dites sanitaires, lycées compris, sauf que France — Info a eu tôt fait ce matin de doucher cet espoir un peu naïf sans doute en rappelant qu’un nouveau protocole sanitaire sera présenté par Jean-Michel Blanquer dans l’après-midi.
Sous pression de qui ? Non pas du virus, maître pourtant incontesté des horloges comme on le sait désormais, mais des enseignants ou plutôt de leurs syndicats dits majoritaires. La précision est importante. Nous avons entendu ce matin ces représentants dûment interrogés s’inquiéter comme un seul homme, de la rapidité (quelle rapidité ? On pense à une plaisanterie deux ans plus tard) de la levée des restrictions dans le cadre des établissements scolaires qu’ils estiment insuffisamment sécurisés.
Les requêtes présentées sont que les enseignants qui le souhaitent puissent rester masqués indépendamment de l’enseignement dégradé que cela engendre, que des masques FFP2 pourtant terriblement occlusifs, soient fournis aux professeurs qui le désirent, avant de rappeler que ces derniers sont d’ores et déjà inquiets de la future gestion des cas contacts, ce qui n’est pourtant pas dans les attributions d’un enseignant.
Est exigée en outre à la rentrée 2022 la généralisation des capteurs de CO2 dans toutes les classes…
Lorsque le parcours est classique et qu’il ne s’agit pas d’une reconversion, un enseignant est titulaire d’un bac +5. Nous sommes donc, à tort ou à raison, considérés comme un public instruit, éclairé, rationnel ; sincère aussi. Comment dès lors peut-on revendiquer une dépendance à une lumière rouge pour savoir si l’on doit ou non aérer une salle de cours ?
Finalement, on demande à être dépouillés de cet instinct de l’homme qui est pourtant l’un des garants de sa survie, car le meilleur capteur, biologique celui-là, c’est nous ; ce sont les élèves aussi.
Bien sûr que l’on sent quand l’atmosphère est saturée et que l’on aère entre deux cours. On l’a toujours fait comme on avait toujours jusqu’alors, pris en charge à un stade précoce, les personnes malades.
Il ne s’agit pas d’équiper toutes les classes de capteurs, mais de rénover les lycées pour que chaque salle dispose de fenêtres qui permettent un renouvellement de l’air. Une précision tellement évidente qu’elle semble absurde.
Cette indépendance, cette capacité de jugement, il faut la revendiquer, la préserver et refuser cette contention qui envahit jusqu’à nos décisions les plus anodines. Après l’intelligence artificielle, tente-t-on de nous vendre la survie artificielle et le bon sens qui va avec ?
Comme d’autres, Roland Gori nous met en garde dans son dernier essai contre la fabrique volontaire de nos servitudes (LLL 2022. http://www.editionslesliensquiliberent.fr/livre-La_fabrique_de_nos_servitudes-676-1-1-0-1.html)
Il en va désormais selon moi de notre légitimité à enseigner puisque nous sommes a priori les garants ou les dépositaires d’une forme d’esprit critique ; nous avons pour mission d’être des passeurs de curiosité, pas des relais moutonniers de la parole gouvernementale et à cet égard, nous nous devons et nous devons à nos élèves, une honnêteté intellectuelle incorruptible.
Je rappelle à cette occasion l’étymologie du mot « lycée » : « Lieu où s’assemblent les gens de lettres » ; donc capables de comprendre, de se documenter aussi.
Ce que l’on va finir par déduire, c’est que les enseignants ne savent pas lire finalement. Car on ne compte plus les alertes de médecins, de pédiatres, de psychologues, d’orthophonistes décrivant les conséquences de cette vie masquée, de cette existence protocolisée au rythme de consentements extorqués, de cette vie standardisée en liberté contrôlée dans laquelle toute notion de spontanéité a déserté.
Est-ce qu’il est encore raisonnable de nous confier l’éducation de cette nouvelle génération « si » (ou « quand ») nous ne sommes plus capables de rationalité ; si nous n’avons plus suffisamment d’autonomie pour estimer la balance bénéfices-risques de nos décisions. Si nous ne sommes plus en mesure de gérer nos inquiétudes, nos appréhensions, de les hiérarchiser ? Encore moins de les tempérer en les confrontant simplement aux faits, aux données actuelles de la science.
La question se pose réellement.
Sans doute, on peut être rebutés par la lecture d’articles médicaux, mais des médecins de renom, rompus à cet exercice, comme les docteurs Nicole et Gérard Delépine, ont fait ce travail pour nous ; un travail titanesque destiné à rassurer le corps professoral, à l’informer et à rappeler qu’il a en réalité fait partie du personnel le moins exposé durant cette crise du covid.
Je ne peux qu’encourager la lecture notamment de leur dernier ouvrage : « Les Enfants Sacrifiés du covid » (paru chez Fauves — 2022 https://www.fauves-editions.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=72231) sachant que dans l’absolu, se documenter est un devoir.
D’autant que les sources comme les supports sont multiples ; on pourra aussi consulter cette lettre d’une maman médecin relayée par le site Instruire :
Avant de s’inquiéter des capteurs de CO2, occupons-nous déjà modestement d’enseigner convenablement nos disciplines respectives et luttons contre cet enseignement plus proche du gavage pour ne pas faire de ces enfants, qui sont l’avenir, de simples professionnels du plagiat et des artistes du surligneur.
Notre responsabilité, notre mission, puisqu’elle existe et qu’elle est même immense, n’est pas de masquer ces esprits bouillonnants, mais de leur donner au contraire les armes pour rester libres en toutes circonstances et devenir des citoyens accomplis et éveillés.
Est-ce qu’il est facile sur le terrain de lutter contre cette léthargie et retrouver une indépendance de pensée, comme de penser ? Probablement pas, car le mimétisme est un outil puissant et ravageur. C’est d’autant plus difficile que l’on n’est pas toujours soutenus ni par les familles qui nous considèrent parfois comme autant d’irresponsables lorsque l’on revendique des positions estimées à tort transverses (voire transgressives), ni même par les élèves qui ont souvent fini par intégrer cette absurde routine sans plus penser à s’en indigner.
Que ce corps de métier ait été comme tant d’autres, manipulé, conditionné ; sans doute. Mais il faut aussi compter avec une paresse intellectuelle qui est inexcusable, pour ne pas dire paradoxale, dans le monde de l’éducation. La sidération a bon dos, car c’est une émotion ponctuelle. On ne reste pas sidérés pendant deux années.
Il est temps de retirer définitivement les masques à ces jeunes (pour les plus petits, l’urgence est absolue et la maltraitance avérée), et ce indépendamment de la petite musique qui retentit depuis quelques jours et laisse entrevoir une recrudescence des cas.
En plus des conséquences si souvent évoquées d’un enseignement très dégradé avec des élèves que l’on ne reconnaît même pas sur le parking des établissements, tant on a imaginé à force de frustration, les visages, les mimiques, les fossettes dont on est privés, on est face à une angoisse émergente qui doit alerter : la peur, la honte d’être vu.
Retirer le masque devient, chez certains élèves, mais aussi chez certains enseignants, une inquiétude insurmontable comme le sont devenus les complexes que l’on entretient tous, un dévoilement dont on ne se sent tout simplement plus capables. Exposer ses traits devient indécent, impudique devant cet Autre si prompt à juger, cet Autre que l’on nous a présenté comme une menace. Le masque était l’exception, il est aujourd’hui devenu la règle.
Une étude britannique (https://cognitiveresearchjournal.springeropen.com/articles/10.1186/s41235-021-00351-9#Sec4) a même été relatée sur les ondes comme quoi elle suggérait que « nous étions plus beaux avec un masque chirurgical », notamment parce que le cerveau reconstitue un bas de visage aux proportions idéales.
« Idéal, lisse » sans doute ; sauf que ce visage avec ses imperfections, ses cicatrices, ses rides pour nous les plus âgés, ce visage marqué parfois, fatigué ou espiègle, bref ce miroir d’émotions, c’est le nôtre.
Et en cours, comme ailleurs, tout commence là. Il ne faudrait pas l’oublier et laisser définitivement derrière nous la tentation vertigineuse du : « Vivons heureux, vivons cachés. »
Karen Brandin
Enseignante
Docteure en Théorie Algébrique des Nombres
« Ce n’est pas parce que les choses sont difficiles que nous n’osons pas, c’est parce que nous n’osons pas, qu’elles sont difficiles. »
Sénèque
En complément :
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