29/10/2023 (2023-10-29)
[Source : epochtimes.fr]
ENTRETIEN — Au cours des années 1793 et 1794, la Révolution française, qui promettait « liberté, égalité, fraternité » aux citoyens français, a basculé vers un régime de terreur dont la face sanglante est encore aujourd’hui symbolisée par la guillotine. À l’école et au sein des universités, dans le cinéma ou dans la presse, cette violence reste pourtant minorée, sinon occultée, au profit d’un récit mythologique. Pourtant loin d’être un dérapage, la politique de répression mise en œuvre par les Jacobins serait le fruit d’une terrible mécanique initiée dès juillet 1789 : c’est la thèse soutenue par l’historien Hervé Luxardo dans son ouvrage La Révolution française et la violence : une logique infernale.
Epoch Times : Survenue le 14 juillet 1789, la prise de la Bastille est un événement emblématique de la Révolution française, souvent présenté comme un soulèvement du peuple parvenu à s’emparer de cette citadelle perçue tel un symbole du despotisme monarchique. Une mythologie, dénoncez-vous, dont les bases ont été jetées dès lors que les émeutiers ont découvert que seulement sept prisonniers se trouvaient en son sein. Pouvez-vous revenir sur la genèse du récit révolutionnaire ?
Hervé Luxardo : D’une certaine manière, tout commence un certain mardi 14 juillet 1789. Qu’on s’entende bien, il y a évidemment d’autres dates qui auraient pu devenir le symbole de cette année révolutionnaire, comme le 20 juin 1789, jour du serment du Jeu de Paume, ou le 9 juillet, lorsque les députés se proclament Assemblée nationale… Votre question nous renvoie en fait à la IIIe République triomphante qui s’est emparée, très logiquement, du récit fondateur des origines de la Révolution. Il lui fallait donc organiser la mémoire des Français. Elle allait construire l’histoire que devaient retenir les écoliers. C’est ce que l’on a appelé le « roman national » qui a été d’une efficacité redoutable puisqu’il fonctionne toujours, en tout cas pour certains événements ; même si les Républicains voulaient fêter le 14 juillet… 1790. Ce sont d’ailleurs les auteurs des manuels scolaires qui ont mis l’accent sur la Bastille.
Encore en 2023, la reddition de la Bastille est majoritairement présentée comme un soulèvement du peuple pour s’attaquer au « symbole de l’arbitraire royal ». Bien sûr, tout ceci est un montage idéologique. Un montage qui d’ailleurs commence au lendemain de la chute de la forteresse parisienne. En réalité, les quelque 10 000 émeutiers savaient que la Bastille renfermait de la poudre dont ils manquaient pour leurs fusils.
On a donc toute une littérature totalement imaginaire qui se fait un plaisir de décrire les heures sombres de la Bastille, qui n’existent que sur le papier. Ainsi, une brochure de 16 pages raconte le martyre d’un imaginaire Comte de Lorges, prisonnier pendant 32 ans. L’auteur, pour forcer le trait, invente un « Tribunal de Sang » qui l’aurait condamné à vivre dans un cachot obscur sans contact avec le monde extérieur. D’autres auteurs imaginèrent des « victimes du despotisme » affamées, réduites à se nourrir de leur propre chair ! D’autres, plus subtils, comme le « Patriote Palloy », un très riche entrepreneur en maçonnerie, allaient utiliser le filon en organisant des processions macabres pour dénoncer les horreurs du « despotisme monarchique ». Palloy fit aussi sculpter des milliers de petites Bastille pour entretenir la flamme patriotique et sa bourse.
Il n’y a que depuis peu que les récits révèlent systématiquement le très faible nombre de prisonniers de la Bastille. Tout ceci n’est que très logique alors que l’État républicain cherchait alors à rassembler la Nation derrière un récit mythologique.
Cruelle, richissime, conservatrice : la noblesse d’Ancien Régime est selon vous caricaturée et réduite dans les livres d’Histoire à sa portion qui vivait à la Cour du roi. Qu’en était-il exactement ?
Là encore, il fallait, pour justifier la Révolution, simplifier. Il était nécessaire de porter le fer contre la force obscure par excellence, LA noblesse.
En 1789, la société française est divisée en trois ordres : les deux ordres privilégiés et le tiers état qui, en théorie, n’en possède pas. Il est vrai que l’ordre de la noblesse est moins puissant qu’au Moyen Âge. La monarchie capétienne a peu à peu repris à cette dernière les droits régaliens : le lever de l’impôt, des soldats, l’émission de la monnaie, l’administration de la justice. Les historiens estiment ses effectifs à 400 000 personnes. L’une des plus prestigieuses est celle de la noblesse d’épée, qui est peu importante au XVIIIe siècle. La production cinématographique nous a habitué à cette vieille noblesse qu’elle nous montre notamment à Versailles. Combien sont-ils ?
Environ 4000 qui ont été présentés au roi. Une présentation qui leur permet de côtoyer le souverain et bien sûr de chasser en sa compagnie. Cette noblesse est très fortunée. Le marquis de La Fayette dispose de plus de 100 000 livres de revenus annuels. À la cour, elle dépense sans compter dans les jeux d’argent. À l’opposé, en province, on trouve des nobles très pauvres ; certains ne disposent que de 600 livres par an, c’est-à-dire quatre fois moins que les revenus d’un artisan du XVIIIe siècle. Noblesse ne signifie pas richesse ! Ajoutons qu’il existe aussi une noblesse dite de robe comme les membres des Parlements, du Châtelet de Paris, des Cours des aides, etc. Et plus étonnant, une « noblesse de cloche », comme on la surnommait méchamment, qui s’acquérait grâce aux charges municipales dans de très nombreuses villes comme à Angers, Abbeville, Poitiers, Nord ou Toulouse (avec les fameux capitouls), etc.
Enfin, même si la puissance économique de la noblesse provenait de sa richesse foncière et des droits seigneuriaux, on oublie qu’une partie non négligeable de celle-ci est à l’origine de l’industrialisation de la France. Contrairement à une idée reçue, le droit de pratiquer des activités commerciales et industrielles était autorisé, sans déchoir. Propriétaire d’une grande partie des forêts, bois et eaux courantes, elle possède le sous-sol et investit, pour une partie d’entre elle, dans les mines de charbon, la sidérurgie et le travail du verre. Par exemple, en Franche-Comté, le comte d’Orsay installe quatre hauts fourneaux et trois forges. Bien des nobles se lancent dans le textile, contribuant ainsi à l’édification d’une première industrie dans les campagnes. Certains, comme la comtesse de Lameth, vont jusqu’à faire distribuer des centaines de rouets aux villageois d’Hénencourt.
Lors de la Révolution, le premier coup dur porté au catholicisme en France se fait sous la forme de la Constitution civile du clergé du 12 juillet 1790, qui a établi une distinction entre prêtres jureurs — ceux qui acceptaient de prêter serment — et réfractaires. Vous écrivez que les persécutions religieuses, menées par des administrations incapables de comprendre l’inquiétude de la majorité des Français, ont constitué la véritable cause de la révolte vendéenne. Comment en êtes-vous arrivé à cette conclusion ?
Assez simplement ! La réponse se trouve dans les archives, les travaux des nombreuses sociétés savantes auxquelles il faut rendre hommage. Bref, à tous les chercheurs, sans oublier les milliers d’étudiants qui ont tant dépouillé de documents. Rappelons que la France de 1789 est un pays à majorité rurale. Sur 28 millions d’habitants, 20 millions vivent de l’agriculture.
Il y a tout d’abord un personnel administratif révolutionnaire très intéressé par l’idée d’acheter les terres du Clergé et les biens nationaux, et qui était attaché à ce titre à la Révolution. Bien de ces responsables étaient très hostiles à l’Église catholique, considérée comme une puissance contre-révolutionnaire. Ils aiment lire et commenter les textes des philosophes des Lumières et s’intéressent aux connaissances scientifiques et techniques de l’époque. Pour eux, la religion est à reléguer dans les vieilleries et l’Église est un obstacle au progrès. Ils n’ont que mépris pour les paysans et tous ceux qui restaient attachés aux traditions.
Jusqu’a aujourd’hui, les spécialistes de la Révolution française ont eu tendance à ne pas saisir la spécificité des mentalités populaires du XVIIIe siècle et, notamment, certains historiens ignorent sciemment les révoltes paysannes pendant la Révolution, car ces faits contredisent leur explication manichéenne du monde. « Un révolutionnaire ne peut avoir tort », affirmait en 1793 un grenadier de la Garde Nationale.
Dès février 1791, les autorités du Morbihan écrivent au président de l’Assemblée nationale pour s’inquiéter des risques de guerre civile, les populations prenant fait et cause pour leurs prêtres réfractaires. Toujours début février, 3000 paysans armés marchent sur Vannes pour libérer leur évêque alors arrêté par les autorités révolutionnaires. Conséquence : sur les 454 prêtres du Morbihan, seuls 48 préfèrent le serment pour la Constitution civile du Clergé de 1790. Pendant deux ans, jusqu’à l’insurrection vendéenne de mars 1793, les révoltes vont se succéder. Que demandaient les ruraux ? Simplement retrouver les « prêtres non-jureurs ». Dans les campagnes, ils faisaient signer des pétitions, voire prenaient les fourches. Mais les administrations départementales, la Constituante et la Législative ignorèrent superbement les revendications populaires. Ne voyant dans les paysans révoltés que des « aristocrates » et des « contre-révolutionnaires », elles accentuèrent vexations et répression. Au début de l’année 1793, la levée des 300 000 hommes décidée par la Convention a mis le feu aux poudres.
Théâtre, presse, débats parlementaires… la Révolution, qui se voulait une bataille pour la liberté, s’est soldée… par une répression terrible de la liberté. Ce mot scandé par les révolutionnaires n’était-il in fine qu’un slogan instrumentalisé à des fins politiques ?
Oui, c’est très contradictoire avec l’idée même de révolution née de l’esprit des Lumières. En 1789, la Révolution française ouvre la société et affirme, dans sa Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, la liberté comme principe fondateur de toute société. Mais certains « Patriotes » vont très rapidement l’oublier pour privilégier des pratiques, dirons-nous, moins ouvertes… Déjà, dès l’été 1789, début août, le rédacteur du Journal Politique National (de tendance royaliste) se plaint des pressions que reçoivent les imprimeurs et les libraires pour arrêter sa diffusion. Non, bien sûr, ce n’était pas qu’un slogan, comme vous dites. En revanche, dès l’année 1792 les révolutionnaires, et par la suite, les partisans de la Terreur vont réellement instrumentaliser le beau mot de liberté. Notamment dans le domaine de l’art théâtral. La commune de Paris, les Montagnards, les Jacobins et l’aile marchante de la sans-culotterie vont instaurer une dictature littéraire en contrôlant les textes. De la même manière, les véritables débats à la Convention nationale sont impossibles ; la liberté de parole n’est plus qu’un simulacre. Les Jacobins contrôlent les tribunes et organisent des chahuts pour couvrir la voix des opposants. Les députés « modérés » sont parfois poursuivis et frappés notamment par les « coupe-jarrets de Marat ».
Dominée par l’extrême gauche sans-culotte, la Commune de Paris a joué un rôle clé dans les événements de la Révolution, à commencer par l’exécution de Louis XVI. Pouvez-vous expliquer comment celle-ci a obtenu la mort du roi ?
C’est un fait qui, de mon avis, est central dans l’institutionnalisation de la violence révolutionnaire. L’extrême gauche sans-culotte parisienne s’empare du pouvoir à l’occasion de la prise des Tuileries, le 10 août 1792. La Commune de Paris, avec l’aide des 48 sections de Paris, va, pendant deux longues années, faire pression sur l’Assemblée législative, puis sur la Convention. Nommée par les 48 sections tenues par les militants sans-culottes les plus déterminés, elle comprend 288 membres. Parmi les dirigeants de cette Commune de 1792, citons Pétion, Manuel, Danton, Robespierre, Marat, puis Pache, Chaumette, Hébert…
Effectivement, la Commune — et ses relais, les militants sans-culottes — va peser de tout son poids pour détruire l’ancienne société héritée de l’Ancien Régime. Tous les moyens utilisés sont bons, notamment pour faire condamner Louis XVI. Avec les « plus ultra des Jacobins », les militants menacent physiquement les députés feuillants et girondins qui ne veulent pas la mort du roi. Coiffés d’un bonnet phrygien, armés de piques et de sabres, ils ont investi les couloirs qui mènent à la salle du Manège où siègent les députés. Quand un député défavorable à l’exécution du roi se présente, ils l’injurient, voire le saisissent au collet en le « secouant rudement »… Quand les députés commencèrent à voter pour la mort du roi, des militants apostrophaient ainsi les députés : « Ou sa mort ou la tienne ! ». C’est la terreur exercée par l’extrême gauche parisienne qui emporta la mort du monarque. Pour preuve, le 17 janvier, 387 députés sur 721 votaient la mort. Des députés modérés firent recompter le lendemain les votes. Résultat : 26 députés de plus votèrent contre la mort. Mais à une voix de majorité, Louis XVI fut condamné à la guillotine. 361 pour, 360 contre…
« Sans l’énergie de Paris, la France ne serait habitée que par des esclaves », écrivait en 1793 un grenadier de la Garde nationale. Vous soulignez le « délire obsessionnel » et « imaginaire » qui animait la pensée jacobine, prompt à diviniser le mot « peuple », en le réduisant à une abstraction. À vos yeux, est-ce là une caractéristique de l’idéologie d’extrême gauche depuis la Révolution jusqu’à nos jours ?
Effectivement, je crois que cette sacralisation de certains termes et spécialement du mot « peuple » est la clé pour une meilleure compréhension non seulement de la Révolution française, mais de toutes les révolutions. En divinisant le mot « peuple », l’extrême gauche s’attribue une proximité privilégiée avec les classes défavorisées en s’en faisant, dans le discours, l’unique porte-parole. Pour faire accepter sa vision du monde et ses pratiques politiques — la Terreur, par exemple —, elle construit un récit mythologique et manichéen où elle rejette dans les ténèbres de l’histoire tous ses adversaires. Des adversaires qui sont bientôt considérés comme des ennemis. Se revendiquant du « peuple », l’extrême gauche peut en toute majesté réduire ses contradicteurs à des dénominations infamantes : « aristocrates », « privilégiés », « fanatiques », « brigands » et ainsi les évacuer de l’Histoire. C’est ce qu’avait noté le député grenoblois, Joseph Dumolard, répondant à un député Montagnard : avec les Jacobins et les sans-culottes, « vous vous décorez du nom de peuple, mais vous n’êtes que quelques membres des sections de Paris ».
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