Jeanne d’Arc et la Maison d’Anjou

[Source : reseauinternational.net]

Par Martial Cadiou

« Le règne de Charles VII est le règne de la Maison d’Anjou dont Yolande est le chef. Nul n’agit, qui ne soit accrédité par elle ; nul ne s’élève qui ne soit protégé par elle ; conseillers, chefs d’armées, financiers, tout porte ostensiblement ou secrètement les couleurs de l’Anjou. »

(cf. Jehanne d’Orliac, « Yolande d’Anjou », p.63, Paris, 1933)

***

Yolande d’Anjou fut la clé de l’énigme du règne de Charles VII et de l’épopée johannique. Son rôle est très souvent minoré, voire occulté par les historiens bien-pensants. Et nous subodorons le pourquoi !

[Voir aussi :
8 mai : le message de Jeanne d’Arc à la France d’aujourd’hui
Discours d’André Malraux sur Jeanne d’Arc
Marion Sigaut rend hommage à Sainte Jeanne d’Arc
Renaissance de la France par la Monarchie ?]

Fille puînée de Jean Ier d’Aragon (1350-1395) et de Yolande de Bar (1365-1431)1, elle devint Yolande d’Anjou de par son mariage avec Louis II d’Anjou. Elle était surnommée « la reine des quatre royaumes » (Aragon, Valence, Sicile, Jérusalem), le titre de reine de Jérusalem lui était reconnu par tous les monarques européens ; il remontait à Godefroy de Bouillon.

D’après l’historien « conformiste » Siméon Luce, professeur à l’École des chartes, la reine Yolande est jugée « supérieure par le génie politique à tous les princes de l’époque » (p. cxcvııı). « Un cœur d’homme dans un corps de femme » dira son petit-fils, le roi Louis XI.

Selon André Cherpillod, La fabrication d’un mythe, Tome 2 p.248 :

« Elle fut le pivot de tous les événements importants de quarante-deux années d’histoire de France. Agissant le plus souvent dans l’ombre, mais faisant preuve d’autorité (…), Yolande élimina les favoris qui avaient une influence néfaste sur le roi et réussit à l’entourer d’hommes de confiance. »

Les historiens Jules Michelet, Philippe Erlanger, Ernest Lesigne, Roger Caratini, Paule Imbrecq, Jean Markale, et surtout Paul Lesourd & Claude Paillat ne disent pas autre chose !

C’est par elle que Charles VII sera fort. C’est à cause d’elle qu’il sera dénommé Charles le Victorieux. Si les Anglais furent boutés hors de France, c’est à cause d’elle. Son habileté diplomatique est légendaire. Elle saura se servir de Charles après les morts mystérieuses de ses deux frères aînés. En 1416, Charles VII deviendra l’héritier présomptif du trône de France. Pour le diriger, elle sut l’entourer de conseillers-espions tous angevins2 dont les principaux furent Jean Louvet, Tanguy du Chatel, Jean Cadart, Pierre de Brézé (1408-1465), Robert Le Maçon3 que l’on dit « Rose-Croix » et Gérard Machet (1376-1448), son confesseur, évêque de Carcassonne (si proche du Razès), grand défenseur du gallicanisme à travers la « Pragmatique Sanction ».4

Ses agents secrets, assurant les liaisons entre toutes les provinces du royaume, sont des moines mendiants, Franciscains, Clarisses. (cf. Siméon. « Luce », p. ccıı et Philippe Erlanger, p.122)

Certains avancent que les actes politiques de Yolande d’Aragon n’étaient dictés que par ses propres intérêts et ceux de sa famille.

Il y a sûrement du vrai dans ce point de vue, mais ce qui pourrait être considéré comme un trait politique du personnage se révélera être une qualité.

En effet, en l’an 1428, jamais les intérêts personnels de la duchesse d’Anjou ne se sont tant confondus avec ceux de la cause générale de la royauté française, dont le but était le règne d’un roi français sur le royaume de France.

Depuis que l’idée d’une alliance de la Maison d’Anjou avec la lignée royale de France avait germé dans la tête de Yolande d’Aragon et celle de son époux Louis II d’Anjou, jusqu’au 18 décembre 1413, jour des fiançailles de sa fille Marie, à Charles de Ponthieu, Yolande d’Aragon s’était fixée comme ouvrage et but de sa ligne politique, de voir un jour Charles de Ponthieu s’asseoir sur le trône de France, et avec lui, comme reine, sa fille Marie. Rappelons la prophétie de Yolande concernant Charles VII :

« Tel qu’il est, il représente un atout considérable dans la main de qui saura s’en servir. »

Yolande, depuis son mariage, avait élaboré et structuré un parcours politique qui avait pour but de faire entrer ses enfants de la Maison d’Anjou dans la Maison royale de France. C’est ainsi que le 21 octobre 1413, elle négocia de main de maître les fiançailles de sa fille Marie, neuf ans avec Charles de Ponthieu, dix ans, onzième enfant et cinquième fils de la reine Isabeau.

Yolande savait aussi que pour en arriver là, il lui fallait acquérir de puissantes alliances et elle s’y était déjà employée.

Elle avait fait rompre par son époux, en novembre 1413, celle qui liait depuis 1410 son fils René d’Anjou, comte de Guise à Catherine de Bourgogne, fille du duc Jean sans Peur. En faisant cela, elle signifiait clairement à tous qu’elle servirait dorénavant la cause du roi de France (Armagnacs) et délaisserait celle du duc de Bourgogne (Bourguignons) et de ses alliés anglais.

Elle continua à protéger comme elle le faisait depuis 1413 ce roi jouisseur et craintif, qui pensa même à fuir en Écosse ou en Dauphiné avec son mauvais génie d’alors, Georges La Trémoille, ennemi de Yolande. Elle placera auprès du roi, Arthur de Richemont, frère du duc de Bretagne, Jean VI. Personnage considérable, il sera placé à la tête de l’armée française malgré la haine que Charles VII lui portait. C’est elle encore qui entreprit la convocation des États généraux de Poitiers où il fut ouvertement demandé à Charles VII de confier officiellement une régence à Yolande.

Le 5 février 1414, Yolande quitta Paris pour sa cour d’Angers en emmenant avec elle ses cinq enfants, plus le prince Charles de Ponthieu, qu’elle va protéger et élever comme son propre fils.

Yolande saura, lorsque les atouts de sa fille Marie d’Anjou faibliront, la remplacer par des concubines favorables à la cause angevine. Elle assistera au Conseil de son gendre et se dressera contre les conseillers néfastes, les traîtres et les incapables. À elle seule, elle incarna le prestige, l’honneur et l’ordre du royaume.

En 1416, Yolande d’Aragon s’accorda avec son oncle le cardinal de Bar pour que son fils René devienne l’héritier du duché de Bar.5

Pour obtenir la paix entre les deux duchés de Bar et de Lorraine, elle proposa au duc Charles II de Lorraine la réunion de ces deux duchés. Elle garantit cette réunion territoriale par la mise sous la tutelle du duc de Lorraine, son fils René d’Anjou ; et par le futur mariage de ce même fils avec Isabelle, fille du duc de Lorraine. Cet arrangement fut accepté par Charles de Lorraine, pourtant fervent partisan de la cause bourguignonne. Les deux enfants furent fiancés et René alla vivre à la cour de Lorraine qui devint aussi celle de Bar.

Il existait aussi une Yolande d’Aragon qui ne manquait jamais de lui rappeler les anciennes prophéties faites par Merlin, contenu dans un manuscrit qui, en quatre vers affirmaient :

« “qu’une” fille viendroit du Bois-Chenu, et chevaucheroit » sur le dos des architenans (architenentium), et contre eux (l’Anglais). »

Ainsi que des prédictions récentes reprisent par l’évêque de Castres, en son vivant confesseur royal :

« qu’il avait vu autrefois en écrit qu’une certaine fille devait venir, qui secourrait le roi de France. »

C’est encore Yolande qui en 1429 pensa à Jeanne comme figure salvatrice de la France. Le miracle de Jeanne, c’est Yolande qui en est à l’origine. C’est également l’avis du poète Joachim du Bellay qui fut persuadé que la Pucelle d’Orléans fut l’instrument entre les mains de Yolande. Yolande sut habilement exploiter cette ferveur mystique qui parcourait les terres de France en ce début du XVe siècle. Les temps étaient propices à la venue d’une envoyée de Dieu.

Yolande s’était vu confier l’éducation de celle qui allait, sur ses instigations, devenir Jeanne la Pucelle. C’est encore Yolande qui organisa l’examen de Poitiers où s’étaient réfugiés les Maîtres de l’Université de Paris. Quand il fallut s’assurer de la virginité de Jeanne, c’est Yolande en personne qui procéda à l’examen physique.

C’est Yolande qui conseilla à Charles VII de se faire sacrer à Reims. Là encore, Jeanne fut son instrument.

Jeanne ne fut suscitée que pour cinq objectifs précis :

  • – bouter les Anglais hors de France
  • – délivrer Orléans et Charles d’Orléans de son occultation
  • – la prise de Paris
  • – faire sacrer Charles VII à Reims

La mission de Jeanne est mentionnée par Morosini dans son Journal :

« D’abord elle est venue pour lever le siège que les Anglais tenaient à Orléans ; en second lieu, pour le couronner librement et le faire roi de toute la France et ses appartenances ; en troisième lieu, pour faire la paix entre lui et les Anglais ; et, encore, pour faire sortir à l’amiable le duc d’Orléans de sa prison d’Angleterre. »

(lettre du 30 juin, III, p.97)

Après, Jeanne ne lui fut plus utile. Sa mission était accomplie et l’agent traitant se devait de rentrer dans le rang.

Pour ce faire, Yolande, tertiaire franciscaine, décida de s’appuyer sur le très puissant tiers ordre franciscain auquel elle appartint et que soutenait également son oncle le cardinal Louis, duc de Bar.

On avance que Yolande rencontra Colette et Isabelle de Vouthon, mère adoptive de Jeanne à l’occasion d’un pèlerinage en septembre 1425 au Puy-en-Velay, l’un des hauts lieux initiatiques des confréries celtiques. Toutefois, la présence d’Isabelle de Vouthon est contestée par André Cherpillod — Ibid — Tome 2, p.312. Le pèlerinage de Isabelle de Salm-Vouthon aurait été inventé de toutes pièces par Siméon Luce (p.cccv-cccvi) et repris par Gabriel Hanoteaux (p.48-57 ou 32-41, suivant l’édition)

Colette de Corbie était une religieuse qui s’était donné pour tâche de réformer l’ordre des Saintes Claires en le « franciscanisant » pour qu’il devienne celui des Clarisses. Instituée par Benoît XIII, elle effectuait donc de nombreux voyages entre ses fondations qui étaient des couvents de religieuses franciscaines de l’observance, dites en France « colettines ». Ces couvents se trouvaient à Moulins, à Aigueperse, à Castres, et au Puy pour ne citer que les plus importants.

Ces déplacements faisaient immanquablement passer Colette par Domrémy et Neufchâteau, Vaucouleurs, Void, Commercy et Saint-Mihiel qui étaient établis sur l’ancienne voie romaine de Langres à Verdun.

Jehanne d’Orliac pose une question dans son livre p.153 :

« Yolande crut-elle à la mission divine de la Lorraine dont elle allait utiliser si magistralement le prestige ? Aucun document ne peut nous éclairer. La logique du temps et des caractères, seule, peut nous avertir. Il me semble qu’on peut toujours répondre avec certitude : Non. D’une haute piété, mais large, intelligente, elle ne pense jamais que les choses de la politique puissent être confondues avec la morale et la religion officielle. Elle fait la part de Dieu et la part des hommes. Celle du Ciel, celle de la Terre, peut être celle de l’Enfer… »

De même Gérard de Senneville, « Yolande d’Aragon, la reine qui a gagné la guerre de Cent Ans », Éd. Perrin, 2008 ne croit guère que Yolande crût aux voix divines de Jeanne. La majorité des contemporains de Jeanne ne crurent nullement aux voix, encore moins aux « voix » divines.

Ce n’est qu’au XIXe siècle que le mythe des « voix » va s’imposer ! Nous atteindrons l’excellence du dérèglement et du fourvoiement calculé avec la pseudo-historienne Colette Beaune et les mythographes domrémistes : « Les voix sont un fait historique incontestable» (cf. « Jeanne d’Arc : vérités et légendes », p.89)

Même dans l’Église, on ne crut un instant à l’authenticité des « voix ». Ainsi, Pie II, Enea Silvio Piccolomini (1405-1464), dans ses « Mémoires » (1463) pouvait émettre ses doutes :

« Était-ce œuvre divine ? Était-ce stratagème humain (Divinum opus an humanum inventum fuerit) ? Il me serait difficile de l’affirmer. Quelques-uns pensent que, durant les prospérités des Anglais, les grands de France s’étant divisés entre eux, sans vouloir accepter la conduite de l’un des leurs, l’un d’eux mieux avisé [Pie II, implicitement, rend hommage ici à la clairvoyance de Yolande d’Anjou] aura imaginé cet artifice (hoc vaframentum) de produire une Vierge divinement envoyée, et à ce titre réclamant la conduite des affaires ; il n’est pas homme qui n’accepte d’avoir Dieu pour chef ; c’est ainsi que la direction de la guerre et le commandement militaire ont été remis à la Pucelle »

(édition de 1614, VI, p.158 ; original latin in Quicherat, IV, p.518 ; traduction in Ayroles, IV, p.256-257 — La vraie Jeanne d’Arc). Le mot latin vaframentum, traduit ici par « artifice » signifie « ruse, adresse, expédient. »

L’historien « conformiste », Siméon Luce commente ainsi ce passage :

« En lisant cette page, il ne faut pas oublier qu’elle a pour auteur un pontife éminent initié aux secrets les plus intimes de la politique européenne, un ancien membre du Sacré Collège qui avait été pendant un quart de siècle le collègue du cardinal d’Estouteville, promoteur du procès de réhabilitation. »

(p. X).

Autrement dit, Pie II sait de quoi il parle !

Il est néanmoins possible que Jeanne ait bénéficié du psychisme de Louis d’Orléans, son père, qui, lui, avait des dons de voyance au point qu’il aurait entrevu les circonstances de sa mort tragique. Charles d’Orléans aurait, dit-on, profité lui aussi de visions ?

Pour Robert Ambelain p.184 :

« Jeanne avait tout simplement hérité de son père Louis d’Orléans, et de son aïeul Charles V le Sage, un certain don de voyance et de clairaudience, véhiculé par un psychisme héréditaire, très marqué par des pratiques occultes […] »

Gabriel Naudé nous dit Dans ses considérations politiques sur les coups d’État (1639) que :

« Les Anglois devenus maîtres de la France, il fut nécessaire d’avoir recours à quelque coup d’État pour les chasser. Ce fut doncques à celui de Jehanne la Pucelle qu’on se décida. »

(III, 128)

Le manuscrit n° 1999 découvert par Pierre de Sermoise et retranscrit par les secrétaires de Mazarin conte que :

« Tout le fait de la Pucelle d’Orléans n’estoit qu’une finesse politique, inventée par les courtisans de Charles VII, pour retirer ce prince de ses amours avec Agnès Sorel ; & dautant que cela se fit au nom de la Religion, & comme par miracle, tout le peuple de France y accourut comme au feu […] La plupart des escrivains, touchez au miracle, ont tenu son parti, mais les sçavans, gueris de cette maladie populaire, & et qui sçavent bien que ces miracles ne sont que suppositions & inventions pour tromper le peuple & le mener par le nez, en lui faisant payer la taille, ont advoué la fraude […]

Tout ce qui se lit des historiens ordinaires de la Pucelle d’Orléans ; n’est qu’un Romant : en quoy il n’y a pas plus d’apparence de vérité qu’en tout ce qui se dit de la Papesse Jeanne. »

(cité par Robert Ambelain — opus cité — p.177)

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Domrémy se trouvait partagé entre deux administrations temporelles.

La partie septentrionale de Domrémy (la rive gauche du ruisseau) était rattachée à la prévôté d’Andelot et au bailliage de Chaumont-en-Bassigny. Elle relevait de la châtellenie de Vaucouleurs, dernier lambeau de la terre fidèle aux Valois, et appartenant au comté de Champagne. Elle était partie intégrante du domaine royal, et à ce titre, administrée directement par un fonctionnaire royal dévoué aux Anjou, Robert de Baudricourt.

La partie méridionale (rive droite du ruisseau) formait une seigneurie tenue en fief par les seigneurs de Bourlémont, vassaux des ducs de Bar, et dépendait de la châtellenie et prévôté de Gondrecourt, c’est-à-dire une partie du Barrois mouvant de la couronne de France. Jusqu’en 1419, le souverain du Barrois était Louis Ier, cardinal-duc de Bar. Sa sœur n’était qu’autre que la mère de Yolande d’Anjou, Yolande de Bar.

Domrémy n’était situé qu’à quelques kilomètres du comté de Joinville, propriété de Louis d’Orléans et ressortissait au diocèse de Toul sous la garde de ce même Louis d’Orléans.

Pour l’heure, la seigneurie de Domrémy appartenait à Jehanne de Joinville, châtelaine champenoise, épouse d’Henri d’Ogéviller qui venait de l’hériter de son oncle, Pierre Bourlemont. Jeanne de Joinville se remaria avec Jean de Salm.

La mission de Jeanne ne lui vint pas de Dieu, mais des dames du chapitre noble de Remiremont, Parthénon aristocratique, qui possédait la plus grande partie du département actuel des Vosges, et des charbonniers lorrains qui étaient placés sous leur protection. À ces deux corporations, s’en étaient joints deux autres : celles des marchands de Saint-Michel et des cornards de Saint-Marcel de Langres, lesquelles étaient des confréries de pénitents répandues en France et en Italie.

Les Dames de Remiremont doivent figurer en tête des collaborateurs de Jeanne D’Arc. Leur résidence seigneuriale était assez éloignée de Domrémy ; mais elles en avaient un peu partout, et d’ailleurs, Jeanne, qui était une riche paysanne et une cavalière intrépide, ne devait pas reculer devant la distance qui la séparait de la célèbre abbaye, à une époque où les pèlerinages étaient les seules parties de plaisir que pussent se permettre les gens de la campagne. Ce fut, sans doute, dans ce sanctuaire chrétien, resté tout imprégné de traditions druidiques, qu’elle conçut l’idée de sa mission et qu’elle en fit la confidence à quelque haute dignitaire du chapitre, ennemie des Anglais et des Bourguignons, qui, de plus, devait être Champenoise et en relation avec les cornards de Saint-Marcel de Langres.

Pendant le Grand Schisme d’Occident, l’abbaye de Remiremont dont le nom provient de saint Romaric, avait embrassé la cause des Papes d’Avignon6. Celle-ci reçut du pape Benoît XIII une bulle qui la déclarait Chapitre noble de l’Église.

Les Dames de Remiremont et d’Épinal étaient les héritières directes des collèges druidiques féminins de l’ancienne Gaule, qui les tenaient, comme on sait, en grande considération, et elles jouissaient des privilèges les plus singuliers, notamment, en certaines circonstances, de celui de pourvoir aux cures vacantes. Comme elles étaient astreintes à des preuves de noblesse très sévères, et qu’il n’y en avait pas d’autres sur leurs terres que la leur, il en résultait qu’elles étaient toutes étrangères au pays. Du reste, leur vasselage semble avoir été très supportable, et il écartait ces tyranniques hobereaux qui faisaient enrager le reste de la France. Aussi, cette partie de la Lorraine se faisait-elle remarquer par l’absence de ces châteaux qui dominaient jadis les routes comme autant de nids d’oiseaux de proie.

Les cornards de Saint-Marcel de Langres devaient avoir des ramifications dans toute la France, car ils ont joué un rôle capital dans l’histoire des XVIe et XVIe siècles.

Toutes ces confréries urbaines ou forestières7 remontaient au Ve siècle de notre ère, ou du moins avaient été réorganisées à cette époque, à la suite de l’abandon de la liturgie grecque des druides pour le latin vulgaire dit langue Thais ou français moderne. Les grands évêques gallo-romains, saint Germain, saint Marcel et saint Loup, semblent avoir joué un rôle considérable dans cette réorganisation, soit directement, soit indirectement par suite des traditions païennes qui se rattachaient à leurs vieux noms de divinités locales. Dans les sociétés occultes qui ont précédé la franc-maçonnerie moderne, le titre de Germain équivalait à celui de maître et la bannière de Saint-Marcel ralliait sous ses plis toutes les couches populaires. Les charbonniers prenaient le nom de loups ou lupins, et dans toutes les sectes les fils d’adeptes prenaient celui de marmots-loups, auquel les maçons modernes ont substitué le titre de louveteaux.

Tels furent les plus puissants des collaborateurs occultes de Jeanne d’Arc, saint Marcel et saint Michel de Langres, auxquels se joignirent les charbonniers de Remiremont, vassaux du chapitre noble de cette riche communauté et les ménestrels de Murcie8. Les dames chanoinesses, lui servirent-elles d’intermédiaire avec les confréries de Langres ? C’est possible, probable même, mais ce n’était pas indispensable. Nous allons nous en convaincre en passant de la vallée de la Moselle dans celle de la Meuse.

Ce chemin qui, depuis l’antiquité, partait de Dijon et du plateau de Langres pour se diriger vers les plats pays des Flandres en suivant le cours de la Meuse, entre Neufchâteau et Domrémy, avait pris de l’importance lorsque le mariage de Philippe ler Le Hardi de Bourgogne avait réuni la Flandre, l’Artois et la Bourgogne et que s’étaient établis entre ces territoires des échanges commerciaux.

Force est de constater que tous ces abbayes et couvents franciscains formaient un remarquable réseau religieux certes, mais aussi politique, qui couvrait l’ensemble du royaume au service de Yolande d’Aragon, duchesse d’Anjou.

Si on ne peut pas affirmer que Colette de Corbie soit venue de nombreuses fois voir Jehannette à l’ermitage de Notre-Dame de Bermont, et qu’elle ait assuré personnellement son instruction religieuse et surtout mystique, on ne peut pas écarter, tant s’en faut, qu’elle ait délégué la prise en charge du dit enseignement aux Cordeliers et aux Clarisses (Franciscains) de Neufchâteau.

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Le bar est un poisson pouvant atteindre un mètre. Nous le retrouvons sous tous les blasons des villes commençant par Bar, comme Bar-le-Duc, Bar-sur-Aube et évidemment aux armes du Comté du Barrois. On avance que Charles VII prit l’emblème du Dauphin, afin de se confondre avec l’emblème du Bar, et qui sait, se légitimer en tant que Mérovingien. (cf. Jean Circare, « La France hermétique », p.64, Éd. Henry Veyrier)

La Maison de Bar est d’origine mérovingienne. Le Prieuré de Sion en revendique deux membres, dont deux grands maîtres : Édouard de Bar et sa sœur Jeanne de Bar. D’après les Documents Lobineau, la famille de Bar aurait été au cœur de l’histoire du Prieuré de Sion et lui aurait donné plusieurs grands maîtres : Édouard et sa sœur Jeanne.

Yolande d’Anjou put compter sur son fils René Ier d’Anjou pour déployer sa politique audacieuse.

Il se trouve que nous ne savons presque rien de son éducation, on sait seulement qu’à l’âge de trois ans il aurait été amené chez les Célestins de Marcoussis — dans le couvent même où devait plus tard apparaître le tableau de Célestin V, dont on dit que l’abbé Bérenger Saunière aurait fait l’acquisition au Louvre.

Louis de Bar, rabiboché avec sa sœur Yolande, adoptera René et l’introduira au sein de l’ordre du Lévrier Blanc où l’on vénérait le Veltro cher au poète initié Dante9 et plus tard dans celui de la Fidélité. L’ordre de la Fidélité avait pour emblème un lévrier bleu et pour devise : Tout Ung. L’ordre de la Fidélité fut fondé en 1416 par son grand-oncle le cardinal de Bar, et ne groupait que 40 membres, nombre du retour au Principe.

René se trouva aux points obscurs du destin météorique de Jeanne : d’abord lors de la première audience ducale sollicitée par la Pucelle (février 1429)10, ensuite à la cour du Dauphin à Chinon, lors du siège d’Orléans.

René fut le créateur d’ordres de chevalerie ésotérique se mesurant à l’« Art Royal » : l’ordre du Croissant fondé le 11 août 1448 à Angers appelé aussi l’ordre de la Lune11(Ordine della luna), réplique de l’ordre de la Jarretière (fondé selon certains à Gisors) dit aussi ordre de la Toison d’Or. René avait placé cet ordre sous la protection de saint Maurice, patron de la ville natale d’Angers12. Cet ordre, dont le nom évoque l’astre cher aux adorateurs de la déesse-mère et des trois croissants rouges de l’étendard de Clovis, sera supprimé par le pape Paul II en 1461. Ce dernier ne goûtait pas la création d’un ordre qui exaltait le paganisme abhorré.

Le roi René choisira le croissant, car il figurait autrefois sur l’écu des rois mérovingiens. Sa disparition de l’emblématique royale est contemporaine de la conversion au catholicisme de Clovis. Celle-ci fut l’œuvre de sa femme, Clothilde, fervente catholique. La légende raconte qu’un jour elle vit un ange en songe. La créature céleste lui demanda d’effacer le croissant de l’écu des chefs francs pour le remplacer par la fleur de lys13. La dynastie angevine affichait ainsi sa fidélité aux traditions franques primitives affirmant ainsi son hostilité de principe à l’Église de Pierre.

Plus spirituel que militaire, on le disait fin lettré, épris de Dante, Pétrarque et des disciples de la Cortézia parmi les « Fidèles d’Amour » ou « Fede Santa ». Poète, on lui doit « Le Livre du Cœur d’Amour épris »14où les thèmes courtois affleurent ainsi que les allusions à la quête du Graal. Il s’intéressa particulièrement à l’enluminure et fit réaliser un « livre d’heures » très admirable. « La Fontaine de fortune », titre de cette enluminure, illustrait « Le Cuer d’amour espris », un ouvrage dont il fit aussi les miniatures. Cette fontaine donne naissance au fleuve l Alphée qui coule en Arcadie. Dans un autre de ses textes : « Regnault et Jeanneton », René d’Anjou fait allusion à l’Arcadie. La véritable Arcadie, c’est-à-dire le pays où s’étaient installés les chrétiens « Ébionites ».

Rappelons que l’on désignait ainsi un groupe de chrétiens qui ne croyaient pas en la personne divine du Christ, leur conviction était que le Christ était un homme élu de Dieu.15

René contribua de façon décisive à l’essor des festivités et pèlerinages liés à cette venue en Provence de la famille de Lazare. C’est le roi René qui fonda le pèlerinage des Saintes-Maries à Notre Dame-de-la-Mer. À ce pèlerinage se rattache celui de la Sainte-Baume, ultime résidence des reliques de Marie-Madeleine, la pécheresse purifiée, la première à qui apparut le Christ ressuscité et qui régit une des formes les plus hautes de l’initiation chrétienne.

On lui doit la croix de Lorraine ou Croix d’Anjou16. En 1453, René II d’Anjou fit dessiner sur ses armoiries la croix de Hongrie, une croix à double traverse ǂ. Cette croix orientale à deux branches fut connue en Europe occidentale au XIIe siècle, rapportée de Jérusalem par Jean d’Alluye. Un reliquaire de la vraie croix, en forme de croix à double travers, se trouvait à l’abbaye cistercienne de la Boissière, anagramme parfaite de la demeure du général De Gaulle à Colombey-les deux-Églises, la « Boisserie ». Le Général exhumera ce symbole des souterrains de l’histoire pour représenter les Forces Françaises Libres.

Au XIe siècle, Stenay17, capitale mérovingienne appartenait à la Maison d’Ardenne, puis aux ducs de Bouillon. Godefroy de Bouillon la vendit en partant pour la Croisade à l’évêque de Verdun qui la donna ensuite au Comte de Luxembourg qui la revendit à Renaud, comte de Bar, évêque de Chartres mort en 1217. Sans postérité, les deux nièces de Renaud de Bar, Marguerite et Jeanne de Bar épouseront Henri, comte de Salm et son frère. Ainsi, les Salm prendront connaissance du trésor des Templiers et de la lignée mérovingienne.

Frédéric Wildgrave de Salm fut Grand-Maître de l’ordre du Temple de Hongrie (1289-1296) à l’époque de la maîtrise de Jacques de Molay (1292-1314). Pierre d’Aumont, considéré comme héritier de Jacques de Molay, à qui aurait été confié le trésor du Temple en 1307, l’aurait confié à un représentant de la famille de Salm indépendante du roi Philippe le Bel. Celle-ci fondera l’abbaye de Solival où, dit-on, sera caché le trésor du Temple constitué de l’Arche d’Alliance.

Thévenin, dont on peut retrouver les travaux sur le site « Les secrets de Jeanne », rubrique, « Questions & Hypothèses », nous livre une information capitale : Isabelle Romée serait en fait Isabelle de Salm, dite Romée de Vouthon ! Isabelle ou Isabelette de Romée ayant repris le surnom de Romée porté par sa mère. L’origine de cette appellation est consécutive au pèlerinage de 1376, auquel sa mère a participé pour célébrer le cent cinquantième anniversaire de la mort de saint François d’Assise.

Si cette généalogie est avérée, elle serait la fille d’Isabelle de Brixey de Bourlémont (1340-1385) et non de Thaddée de Visconti18, mariée à Jean-Nicolas, comte de Salm († 1385), seigneur de Vouthon et prévôt de Vaucouleurs. Salm est un nom dérivé du latin, salmo signifiant saumon. Saumons que l’on retrouve sur leur blason.

Il n’existerait pas de famille de Vouthon, mais des Salm de Vouthon, propriétaires d’une châtellenie à Vouthon. Les Salm étaient propriétaires de plusieurs châtellenies, dont Viviers, Vouthon, Puttelange, etc. La mère d’Isabelle Romée, Isabelle de Brixey de Bourlémont descendait d’une famille de la noblesse chevaleresque remontant au VIe siècle et de sang mérovingien, dont les forteresses dans le comté de Bar et le duché de Lorraine surplombaient Frébécourt, Greux, Neufchateau, Bourlémont, Maxey sur Meuse, Vaucouleurs, Domrémy.19

Plus intéressant encore, Isabelle Romée était une parente de saint François d’Assise (1186-1226). Les parents de saint François se dénommaient Pietro Bernadone del Moriconi et sa mère Dona Joanna Pica de Bourlémont !

René Guénon a effleuré le symbolisme du poisson dans son livre « Symboles fondamentaux de la Science sacrée », lui aussi architecturé par les éditions Gallimard sur le Nombre d’Or. Le poisson fait écho au Roi Pêcheur, semblable au « pêcheur d’âmes » chrétien, mais aussi au dieu Oannès des Mésopotamiens. On sait que pour les Celtes le saumon était sacré, du fait de son retour à l’origine au moment de sa reproduction et de sa mort. Dans la tradition hindoue, la plus proche de la Tradition primordiale hyperboréenne, le poisson symbolise la fin d’un cycle et l’avènement d’un nouveau Matsya Avatara, le poisson étant le premier des dix avatars de Vishnu !

Le poisson, en l’occurrence ici le saumon, renvoie au Nün ou Noun primordial.

Le Nun symbolise l’Arche de Noé. En araméen, il signifiait serpent, mais aussi poisson.

Dans « Le Livre des Morts des Anciens Égyptiens », le Noun ou Nun symbolise la matrice primordiale, le néant, lieu de naissance de l’univers, de Dieu et du soleil.

Que ce soit les Bar ou les Salm, nous avons ici affaire à des maisons aristocratiques dépositaires d’un ésotérisme politique puissant, indispensable et incontournable pour la compréhension du mystère de Jeanne.

Que la forge du Diable l’ait reconnu et identifié comme tel, nous conduit à penser que le zèle avec lequel cette dernière refuse de reconnaître les origines aristocratiques de Jeanne n’en est que plus suspect !