Fractures multiculturelles au Canada

12/11/2023 (2023-11-12)

[Source : lapresse.ca]

[Illustration : PHOTO SEAN KILPATRICK, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE]

Craquelures dans le postnationalisme de Justin !

Par Boucar Diouf

Ce mercredi, le Premier ministre Trudeau s’est indigné très profondément des tensions intercommunautaires qui secouent le Canada depuis le début de la guerre entre Israël et le Hamas.

Justin est monté en chaire pour plaider la nécessité de revenir au dialogue. Si on n’arrive pas à mieux s’écouter dans un pays comme le Canada, avait-il dit, dans quel autre pays pourrait-on le faire ? Il a qualifié d’épouvantable la montée de l’antisémitisme et de l’islamophobie en parlant des attaques contre les synagogues, des manifestations organisées devant des entreprises, des garderies et des centres communautaires juifs. Sa prise de parole a été d’une sincérité saluée par plusieurs commentateurs politiques.

Si louable que soit le message de Justin Trudeau, permettez-moi quand même de rappeler que cette crise qui secoue le Canada doit à sa vision du vivre-ensemble. Depuis son arrivée au pouvoir, Justin promeut activement son idée d’un Canada postnational. Un projet dans lequel s’inscrit directement son objectif de 100 millions de Canadiens pour 2100.

Pourtant, sa vision postnationale ressemble bien plus à la construction d’un État plurinational, car ceux qui débarquent ici ont déjà des appartenances identitaires profondément imprimées dans leur cœur. Si en plus on les invite à célébrer la délocalisation des cultures qui est au cœur du multiculturalisme canadien, ils s’exécutent avec plaisir.

C’est ainsi que le Canada est devenu petit à petit une mosaïque de petites nations séparées les unes des autres, une diversité qui peut effectivement importer des conflits qui se déroulent à l’autre bout du monde.

Cette triste réalité, c’est elle que Justin vient de découvrir avec stupéfaction. Pourtant, on n’a pas besoin d’être un oracle pour prédire qu’avec ce cloisonnement toujours plus étroit des appartenances, cette tension intercommunautaire ne sera pas la dernière du genre à secouer les métropoles canadiennes.

Le règlement des conflits par la discussion que souhaite Trudeau est un arbre à palabres qui germe dans les sociétés plurielles où on accepte de parler d’inclusion, d’égalité des chances et d’ouverture. Ce qui ressemble beaucoup au Canada. Mais elle nécessite aussi de parler d’intégration, de laïcité, de valeurs fondamentales, d’interculturalisme et de respect absolu du droit des femmes et des minorités sexuelles. Des sujets qui sont un peu plus difficiles à aborder dans la façon canadienne de célébrer la diversité culturelle.

Pourtant, s’il est utopique de rêver à un aplanissement des appartenances, force est d’admettre que l’emmurement dans ces forteresses communautaires caractéristiques de l’idéologie multiculturaliste ne favorise pas ce dialogue que souhaite Justin en ces temps de crise. Au contraire, il génère et nourrit dans l’ombre les discriminations et les racismes croisés qui, comme on le découvre, peuvent culminer à la faveur de conflits qui se passent à l’autre bout du monde.

Malheureusement, Justin Trudeau croit la paix sociale si indissociable du multiculturalisme, qu’il ne réalise pas que depuis son accession au pouvoir, les crimes haineux n’ont pas cessé d’augmenter au Canada.

Le Premier ministre est tellement habité par cette idéologie qu’en 2017, il déclarait que le Canada n’avait pas d’identité propre. Raison pour laquelle, en ces temps de grande polarisation, quand il nous demande de serrer les rangs autour des valeurs canadiennes, on a presque envie de lui demander : de quelles valeurs exactement parlez-vous ?

À sa décharge, il faut reconnaître que la guerre au Proche-Orient provoque aussi des tensions dans des pays occidentaux qui ne sont pas multiculturalistes. On peut penser ici au cas de la France, qui s’est retrouvée dans un pire bourbier social que le Canada en empruntant le chemin de l’exclusion et de la ghettoïsation planifiée. L’autre différence avec la France, c’est qu’au Canada, les lois manquent de mordant pour dissuader les propagateurs de haine qui haranguent des foules en se drapant dans la religion.

En cause, le Code criminel contient une disposition protégeant le discours religieux portant préjudice à un groupe identifiable. Ici, la liberté de religion trône au-dessus du Code criminel. De ce fait, si ledit discours est motivé par une véritable foi et est fondé sur un texte sacré, le porteur peut facilement passer à travers les mailles de la justice.

Le paragraphe 319 (3,1) du Code criminel précise :

« Nul ne peut être déclaré coupable de fomenter volontairement la haine contre un groupe identifiable si […] b) il a, de bonne foi, exprimé une opinion sur un sujet religieux ou une opinion fondée sur un texte religieux auquel il croit, ou a tenté d’en établir le bien-fondé par argument. »

En toile de fond de cette incompréhensible exception, il y a évidemment les passages discriminatoires qu’on retrouve dans beaucoup de textes religieux. Des propos haineux ciblant les apostats, incroyants, femmes, homosexuels, groupes ethniques ou raciaux et les adeptes d’autres religions.

Si la grande majorité des croyants savent creuser un sillon entre leurs pratiques religieuses et ces libellés d’un autre temps, les plus rigoristes peuvent encore prendre ces écrits à la lettre et prêcher impunément la haine dans les rues, les lieux de cultes et les médias sociaux du Canada.

Alors, si Justin veut faire quelque chose de vraiment significatif en ces temps où les esprits s’échauffent, pourquoi ne pas abolir la disposition sur l’exception religieuse ? Je suis certain que le Bloc québécois travaillerait avec son parti pour faire ce changement. Ce serait une belle façon de décourager ceux qui se drapent dans la religion pour distiller la haine.

⚠ Les points de vue exprimés dans l’article ne sont pas nécessairement partagés par les (autres) auteurs et contributeurs du site Nouveau Monde.