Éric Zemmour et la destruction de la culture française (par Malraux) sous de Gaulle

15/08/2023 (2023-05-19)

[Photo : De Gaulle et Malraux]

Par Nicolas Bonnal

Dans sa Mélancolie française, Zemmour a entre autres très bien parlé du caractère méphitique de la politique culturelle de Malraux. Et cela donne, sur fond d’étatisme culturel-financier et de messianisme à deux balles (France, lumière du monde, terre de la liberté, etc.) :

« En 1959, le général de Gaulle offrit à son “génial ami”, André Malraux, un ministère de la Culture à sa mesure, sur les décombres du modeste secrétariat aux Beaux-Arts de la IVe République. Dans l’esprit de Malraux, la France devait renouer avec son rôle de phare révolutionnaire mondial, conquis en 1789 et perdu en 1917 ; devant en abandonner les aspects politiques et sociaux à l’Union soviétique et aux pays pauvres du tiers-monde, elle consacrerait toute son énergie et tout son talent à propager la révolution mondiale par l’art. »

Un peu ironique, Éric ? Voyez donc :

« Nouveau Monsieur Jourdain, Malraux faisait du “soft power” sans le savoir. »

Et de rappeler le rôle jusqu’alors prestigieux de ce pays (l’ancienne France donc) jusqu’alors sans « ministère de la culture » :

« La France ne manquait pas d’atouts. Dans la première moitié du XXe siècle encore, Paris demeurait la capitale mondiale de la peinture moderne ; le cinéma français fut le seul (avec l’allemand) à résister au rouleau compresseur d’Hollywood, et les grands écrivains américains venaient en France humer l’air vivifiant de la première puissance littéraire. “Il n’y a qu’une seule littérature au monde, la française”, plastronnait alors Céline. Dans les années 1960 encore, la chanson française — Aznavour, Brel, Brassens, Ferré, Barbara, Bécaud, etc. — s’avérait la seule à tenir la dragée haute à la déferlante anglo-saxonne partout irrésistible par l’alliage rare de talents exceptionnels et de puissance commerciale et financière. »

Les ennuis commencent sous De Gaulle donc :

« De Gaulle ne pouvait qu’être séduit ; il laissa la bride sur le cou à son glorieux ministre. Pourtant, le Général, par prudence de politique sans doute, sens du compromis avec les scories de l’époque, “car aucune politique ne se fait en dehors des réalités”, amitié peut-être aussi, ne creusa jamais le malentendu qui s’instaura dès l’origine entre les deux hommes. »

Puis Zemmour souligne le hiatus entre les deux immenses esprits visionnaires :

« De Gaulle était, dans ses goûts artistiques, un “ancien” ; il écrivait comme Chateaubriand, goûtait la prose classique d’un Mauriac bien davantage que celle torrentielle de son ministre de la Culture ; il préférait Poussin à Picasso, Bach à Stockhausen. La France était pour lui l’héritière de l’Italie de la Renaissance, et de la conception grecque de la beauté. Malraux, lui, était un “moderne” ; hormis quelques génies exceptionnels (Vermeer, Goya, Rembrandt), il rejetait en vrac l’héritage classique de la Renaissance, et lui préférait ce qu’il appelait “le grand style de l’humanité”, qu’il retrouvait en Afrique, en Asie, au Japon, en Amérique précolombienne. Il jetait pardessus bord la conception gréco-latine de la beauté et de la représentation, “l’irréel”, disait-il avec condescendance, et remerciait le ciel, et Picasso et Braque, de nous avoir enfin ramenés au “style sévère” des grottes de Lascaux ou de l’île de Pâques. La révolution de l’art que porterait la France serait donc moderniste ou ne serait pas. »

Elle est même archaïque et îlienne, sa conception de la culture des arts premiers ! Malraux (que plus personne ne lit) saccagera donc le « jardin à la française » et va piéger la France sans le vouloir :

« Loin de créer un “contre-modèle” solide et convaincant au marché capitaliste de l’entertainment, comme les gaullistes et les marxistes français l’espérèrent de Malraux ministre et de ses successeurs socialistes, la politique culturelle inaugurée par l’auteur des Voix du silence parvenu au pouvoir, en d’autres termes la démocratisation du grand art du modernisme, s’est révélée, au cours de son demi-siècle d’exercice, un accélérateur de cela même qu’elle se proposait d’écarter des frontières françaises : l’afflux d’une culture de masse mondialisée et nivelée par le bas et le torrent des images publicitaires et commerciales déracinant tout ce qui pouvait subsister en France, dans l’après-guerre 1940-1945, de vraie culture commune enracinée comme une seconde nature par des siècles de civilisation. […] »

On se rapproche de la phrase : « il n’y a pas de culture française » de Macron. C’est vrai au moins depuis le Général et son ministre vociférant. Zemmour cite Fumaroli, auteur de l’État culturel :

« Pour Fumaroli, l’Amérique ne pouvait pas perdre ce duel autour de l’“art moderne”, qu’elle incarnait presque d’évidence, par sa puissance industrielle, ses gratte-ciel, son vitalisme économique et scientifique. La France de Malraux, au lieu de rester sur ses terres d’excellence de l’art classique, des mots et de la raison (héritées de Rome), vint jouer sur le terrain de l’adversaire, des images et des noces ambiguës de la modernité avec l’irrationnel primitif, même rebaptisé “premier”. L’échec était assuré. »

Entre cette culture déracinée, les villes nouvelles, les banlieues, les autoroutes et les stations-service, le métro-boulot-dodo et la télé pour tous, on se demande ce qui pouvait rester de français à la fin de la décennie gaullienne : les Shadocks peut-être ?

Nicolas Bonnal

PS :

Rappel de Michel Debré :

« une impulsion a été donnée pour permettre à Malraux de créer des maisons de la culture, moyennant quoi toutes les maisons de la culture, ou à peu près, sont des foyers d’agitation révolutionnaire (Entretiens, p. 145) ».


https://www.babelio.com/livres/Zemmour-Melancolie-francaise/167956

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