Détruite par Titus en 70, Jérusalem a été reconstruite par l’empereur romain Hadrien

[Source : cairn.info]

[Source illustration : Exploring Aelia Capitolina, Hadrian’s Jerusalem FOLLOWING HADRIAN]

Par Caroline Arnould-Béhar

Un peu plus d’un demi-siècle après sa destruction par Titus en 70, Jérusalem a fait l’objet d’une fondation coloniale avec installation de vétérans ou deductio. Le nom de Colonia Aelia Capitolina qui lui est alors accordé traduit la volonté de son fondateur, l’empereur Hadrien, de la transformer en une cité païenne en la plaçant sous le patronage du grand dieu capitolin. Cette fondation s’inscrit dans le cadre de mesures prises par les autorités dans la province de Judée et dont font partie le réaménagement du réseau routier et l’installation d’une seconde légion.

La découverte récente de monnaies frappées à Aelia Capitolina dans une grotte occupée lors de la révolte de Bar Kokhba confirmerait que la fondation de la colonie avait précédé le déclenchement de la révolte1. La chronologie des événements a longtemps fait l’objet d’une controverse en raison des contradictions entre les témoignages de Dion Cassius et d’Eusèbe de Césarée2. L’on admet maintenant que, suivant les indications fournies par le premier de ces auteurs, Hadrien aurait fondé la colonie lors de son séjour en Judée en 130 apr. J.-C. Sa décision aurait été l’un des facteurs conduisant au soulèvement mené par Bar Kokhba3. Le caractère particulier de cette colonie qui constitue en même temps un camp légionnaire, celui de la legio X Fretensis, a bien souvent été souligné. Dans la région et pour cette période, seule la cité de Bosra, en Syrie du Sud, partage cette particularité.

Dans cette contribution, nous nous proposons, à partir de l’examen des traces matérielles, d’apprécier l’impact de la décision d’Hadrien — décision administrative et symbolique — sur le plan et les aménagements de Jérusalem. Le changement de statut de la ville s’est-il accompagné d’un remodelage de son espace ?

L’extrême diversité des restitutions du plan d’Aelia Capitolina révèle une situation marquée par la pauvreté de la documentation. Les sources littéraires sont peu abondantes et de rédaction tardive. Le Chronicon Paschale qui contient la seule description un peu détaillée de la Jérusalem d’Hadrien, remonte ainsi au VIIe siècle4. La rareté du matériel archéologique et épigraphique s’explique principalement par la densité et la continuité de l’occupation de Jérusalem et se vérifie à peu près à toutes les périodes de l’histoire de la ville. Seule la documentation numismatique est abondante et bien étudiée, ce qui a souvent amené à sa surexploitation5. La pénurie des données, en particulier celles issues de l’archéologie, est l’une des raisons pour lesquelles les aspects urbanistiques ont été largement négligés dans l’étude d’Aelia Capitolina. Jusqu’à l’article récent d’Y.Z. Eliav6 qui, bien que centré sur le problème de la place du mont du Temple dans la cité, a engagé une discussion sur le plan et la conception de celle-ci, la principale question d’ordre topographique était celle de la localisation du camp légionnaire.

Même s’il reste peu épais, le dossier archéologique s’est étoffé au cours des quinze dernières années par de nouvelles découvertes sur le terrain, comme celles d’un complexe industriel de la Xe légion dans le quartier de Givat Ram. Mais surtout, la poursuite de la publication d’importantes fouilles telles que celles de B. Mazar au sud-ouest du mont du Temple ou celles de N. Avigad dans le quartier juif de la Vieille Ville, la récente publication du corpus épigraphique d’Aelia Capitolina7 et de nouvelles études consacrées à des monuments ou à un matériel connu depuis une époque ancienne8 constituent une réelle avancée de la recherche, permettant de procéder à une analyse plus fine de l’organisation de l’espace urbain.

Positions concernant la relation entre Aelia Capitolina et la Jérusalem hérodienne

L’historique de la recherche fait apparaître l’absence de consensus à propos du plan d’Aelia Capitolina9. Deux théories principales ont vu le jour. Selon la première, ses limites correspondraient grossièrement à celles de la Vieille Ville ottomane de Jérusalem — à peu près celles de la ville hérodienne — tandis que la seconde exclut la partie orientale de cette dernière. La colonie n’aurait occupé que les collines nord et sudoccidentales. Cette hypothèse est aujourd’hui la plus largement partagée10. Quelques schémas différents des précédents ont été proposés. La restitution de D. Bar11 laisse en dehors du périmètre urbain toute la partie sud de la Vieille Ville comme celle de J. Magness12 qui, de plus, place la limite septentrionale de la ville à plusieurs centaines de mètres au nord de l’enceinte de la Vieille Ville.

Au-delà du plan, ces restitutions révèlent différentes conceptions des auteurs quant à la relation entre la ville hérodienne et Aelia Capitolina13. Deux prévalent. La première est celle de la superposition et de l’oblitération. Elle apparaît dans les écrits de la plupart des auteurs restituant le périmètre d’Aelia Capitolina selon les contours de la Vieille Ville. Ces auteurs partent de l’idée que Jérusalem fut totalement rasée en 70 apr. J.-C. et que les concepteurs de la nouvelle colonie construisirent à son emplacement une ville de novo selon les principes de l’urbanisme gréco-romain. Le caractère symbolique de cette fondation est pour eux prédominant. Cette position est défendue par K. Kenyon : « … Hadrian’s decision to obliterate Jerusalem by the establishment of a Roman city on top of it… »14, comme par L. H. Vincent : « … il ne s’agissait plus d’une transformation de la ville ancienne. Dans la plus stricte mesure où ces sortes de substitutions sont réalisables, Jérusalem avait été abolie pour faire place à une ville de caractère tout autre, fondée avec ses rites propres et organisée suivant les exigences d’une civilisation absolument différente »15. L’idée d’un remodelage est souvent implicite, comme chez D. Bahat : « Under Hadrian a typical Roman city was planned… »16. La seconde conception est celle du déplacement. Les restitutions laissant à l’écart la partie orientale de la Vieille Ville s’accordent avec l’idée d’une importante mutation dans l’organisation de la ville, à savoir le déplacement de son centre administratif et religieux. La colline nord occidental aurait constitué le nouveau centre tandis que le mont du Temple et la colline orientale, l’ancien cœur de Jérusalem, auraient été abandonnés. L’idée est celle d’une totale restructuration de l’espace urbain. Celui-ci n’est plus appréhendé en termes de colline orientale et de colline occidentale, mais selon la nouvelle division reconnue : celle d’une zone nord affectée à la vie municipale et une zone sud attribuée à la légion. Y. Z. Eliav est celui qui a le mieux développé cette théorie, que l’on voit apparaître déjà dans le second article de Germer Durand consacré au sujet : « … ils ont laissé en dehors de leur colonie toute la cité primitive… C’est une véritable transposition […]. Cette remarque fait toucher du doigt l’illusion de ceux qui pensent retrouver debout quelques restes de la ville du temps des Hérodes… »17. Le point de vue de Y. Z. Eliav a été adopté par N. Belayche, qui indique à propos de la topographie : « nor did Jerusalem and Aelia Capitolina have very much in common in this respect either, as the town centre and its main point of reference had been moved »18. Ces deux auteurs envisagent la mutation comme étant un véritable déplacement du site et les parallèles avec les oppida gaulois sur lesquels ils s’appuient sont à cet égard très révélateurs19. Ils l’expliquent toutefois de manière différente. Pour Y. Z. Eliav, il s’agirait de raisons pragmatiques, la difficulté à évacuer les débris du complexe du temple tandis que N. Belayche y voit un motif idéologique20.

Les historiens d’Aelia Capitolina ont privilégié la reconstitution comme approche méthodologique, se basant sur les sources écrites, en particulier le Chronicon Paschale, ou, plus généralement, sur le modèle théorique de la colonie romaine21. Le plan et l’aspect de villes contemporaines de statuts identiques sont utilisés pour compenser l’absence de vestiges. C’est de cette manière qu’Aelia Capitolina s’est trouvée dotée, par exemple, d’un tétrapyle ou d’un nymphée dont aucune trace n’a été décelée. Elle est appréhendée comme une cité nouvelle, présentant une organisation, des cultes et un urbanisme sans rapport avec ce qui était avant sa fondation. L’idée d’un héritage, d’une continuité n’ont pas été envisagés. Cette restitution d’une ville aménagée selon un plan et des principes d’urbanisme totalement nouveaux nous semble mal s’accorder avec les circonstances historiques. Elle part du postulat que Jérusalem fut en 70 apr. J.-C. complètement détruite, ce qui a été remis en question, et occulte par ailleurs le fait que la ville était en contact depuis une période déjà ancienne avec les traditions gréco-romaines en matière d’architecture et d’urbanisme. Il semble qu’on ait aussi peu tenu compte de la topographie très contraignante ne permettant pas l’application de schémas qui convenaient à des sites de plaine. Une autre option nous semble donc devoir être proposée, à titre d’hypothèse de travail : celle de la continuité. Celle-ci pourrait se traduire par la romanisation de l’espace et sa paganisation sans qu’il y ait de remodelage, de nouvelle structuration de l’espace urbain.

L’hypothèse d’un abandon de la partie orientale de la ville hérodienne

Malgré toutes les difficultés relatives à l’exploitation du dossier archéologique, certaines questions peuvent faire l’objet d’un nouvel examen. L’une des principales difficultés réside dans l’imprécision des datations qui permet difficilement de dégager les différentes phases d’aménagement. Le problème de l’intégration de la partie orientale de la ville hérodienne, correspondant en partie au site de la Jérusalem des origines, constitue le point central autour duquel s’articule la problématique de la relation entre la colonie et la ville précédente. Nous nous intéresserons successivement au mont du Temple, au secteur nord-est et à la colline orientale (fig.1).

LE MONT DU TEMPLE

L’exclusion du mont du Temple représenterait une véritable rupture dans l’histoire urbaine de Jérusalem dans laquelle il a toujours occupé une place prééminente. Elle constituerait également une indication d’une transformation majeure dans l’organisation de l’espace de la ville, visant à déplacer et peut-être à regrouper les lieux de la vie publique. Son intégration attesterait au contraire d’une forme de continuité par rapport à l’ancienne Jérusalem et de la conservation d’une formule urbanistique orientale, dans le cas où cet espace ait gardé sa fonction religieuse. La question de l’intégration du mont du Temple se double en effet d’une autre qui est celle de son affectation.

Les témoignages archéologiques sont extrêmement pauvres et cela est parfois vu comme une preuve de l’inoccupation du site à la période en question. Aucun aménagement ou réparation ne peut être attribué à cette période, tandis que l’on a constaté les traces d’un démantèlement, celui de l’escalier de l’arche de Robinson, intervenu dans les années soixante-dix22. En conclure à un abandon du site est toutefois hâtif. D’une part, les techniques d’appareillage et de parement des pierres employées à l’époque d’Aelia Capitolina ne présentent pas de caractéristiques qui permettraient de les reconnaître dans une construction et rien n’autorise en conséquence à affirmer qu’aucune des assises du mur de soutènement de l’esplanade du Temple ne date de cette période23. D’autre part, sur l’esplanade ou en remploi dans la construction des mosquées, se trouvent plusieurs chapiteaux qui sont clairement d’époque romaine (IIe – IIIe siècles). Dans le catalogue établi par J. Wilkinson24, dix chapiteaux corinthiens et deux chapiteaux composites sont datés de cette période25. Tous sont en marbre. Le plus ancien d’entre eux pourrait, selon l’auteur, remonter au règne d’Antonin le Pieux26. La présence de ces fragments architecturaux atteste qu’une activité de construction, dont on ne peut préciser ni la nature ni l’ampleur, a bien eu lieu à la période évoquée.

L’existence d’aménagements près de l’angle sud-ouest de l’esplanade du Temple, en contrebas de celle-ci, constitue un autre argument en faveur de l’occupation du site. Il s’agit principalement d’une structure identifiée comme une boulangerie et de thermes dont la date de construction est mal assurée, mais qui semblent avoir fonctionné durant les périodes romaine et byzantine. Plus à l’est, une vaste salle souterraine dans laquelle se trouvaient plusieurs figurines de terre cuite aurait eu une fonction cultuelle. La datation à la fin du IIIe, début du IVe siècle de ces terres cuites du type dit de Beit Natiff permet de dater l’utilisation de l’installation27. Le matériel retrouvé dans ce secteur est abondant au regard de l’ensemble des vestiges se rapportant à Aelia Capitolina. Il se compose d’éléments de statuaire, de monnaies, d’intailles, de lampes et de fragments de tuiles et de briques estampillées28. Il a été noté que plus de dix pour cent de l’ensemble des monnaies de la colonie avait été trouvé dans ces fouilles, dont soixante-sept des soixante-neuf monnaies frappées dans la ville29. Une partie du matériel se rapporte à la période comprise entre la fondation de la colonie et la fin du IIe siècle. On note en particulier la présence de monnaies frappées sous les règnes d’Hadrien, d’Antonin le Pieux et de Marc-Aurèle30. Parmi les premières figure une monnaie frappée à Aelia Capitolina et portant sur l’avers l’effigie d’Hadrien et sur le revers la représentation de la cérémonie de fondation de la colonie31. Certains des fragments de briques portant l’estampille de la Xe légion32, de même que quelques-unes des intailles et des lampes à huile appartiennent également à cette période, témoignant de l’occupation de ce site déjà dans la première phase d’existence d’Aelia Capitolina. L’abondance des trouvailles comme la durée d’occupation du quartier suggère son importance. Elle explique sans doute le rôle majeur accordé à la Voie de la Vallée qui le borde à l’ouest, rôle que l’on peut déduire de l’orientation de la porte nord de la colonie, actuellement visible sous la Porte de Damas33. Il paraît peu vraisemblable, d’un point de vue défensif, que ce quartier se soit développé alors que l’ancienne esplanade du Temple qui le surplombe était inoccupée. B. Mazar, s’appuyant sur le grand nombre de tuiles et de briques estampillées de la légion, a suggéré qu’il ait été de nature militaire. E. Mazar va plus loin, développant l’idée que le camp de la Xe légion occupait cette zone ainsi que le mont du Temple34. L’hypothèse de la localisation du camp légionnaire sur le mont du Temple n’est pas nouvelle. Elle a été proposée notamment par B. Isaac et repose sur la remarque de l’avantage stratégique qu’offrait le site. Les deux questions auxquelles renvoie cette hypothèse, la localisation du camp légionnaire et celle du temple capitolin, ont été les plus débattues dans l’histoire de l’étude d’Aelia Capitolina35. Nous nous contenterons de remarquer que le caractère raffiné des chapiteaux de colonnes s’accorde mal avec l’idée de bâtiments légionnaires.

LE SECTEUR NORD-EST

La théorie de l’exclusion du secteur s’étendant au nord-est du mont du Temple repose sur l’identification de l’arc de l’Ecce Homo (fig. 2) comme une porte de ville.

La position de cet arc monumental presque dans l’axe du mur occidental de l’enceinte du Temple, au nord de celui-ci, a conduit Y.Z. Eliav à reconnaître dans la ligne qu’ils auraient formé le tracé de la limite orientale d’Aelia Capitolina.

Plusieurs remarques permettent d’affirmer que l’Ecce Homo n’a pas été conçu comme l’une des portes de la colonie36. La première est celle de l’absence de caractère prestigieux dans son architecture. L’arc est en particulier dépourvu d’un ordre d’encadrement et d’angle, ce qui est exceptionnel et laisse supposer l’absence d’attique. Sa construction est peu soignée et le traitement de ses moulurations, qui constituent son unique décoration, est d’une extrême sobriété. La seconde est liée à sa situation dans un site surplombé par le rocher de l’Antonia et marqué par des escarpes et massifs rocheux ce qui lui confère un rôle urbanistique mineur. L’un d’eux, aujourd’hui visible derrière le chevet de la chapelle de la Condamnation, se dresse à plusieurs mètres au-dessus du sol antique et dans l’axe de l’ouverture septentrionale de l’arc, ce qui empêche de restituer à l’est de celui-ci une voie qui lui serait d’une largeur égale. La présence de différents aménagements à l’est de l’arc s’oppose enfin à l’idée qu’il ait marqué la limite orientale de la cité, à moins que ceux-ci ne résultent d’une expansion postérieure à son érection, ce qui doit être vérifié37. Dans la proximité immédiate de l’Ecce Homo se trouvent en particulier deux structures, une citerne double et un dallage, dont la contemporanéité est à peu près certaine. Le couvrement de la citerne et la pose du dallage peuvent être attribués aux urbanistes d’Aelia Capitolina comme le laisse supposer l’habileté mise en œuvre face aux difficultés techniques que posaient l’utilisation du berceau incliné pour une section des voûtes et le raccordement des différentes sections38. Il est bien difficile de concevoir que cette importante citerne, couverte avec soin, et le pavement qui la recouvre, se soient trouvés à l’extérieur de la ville39. D’autres aménagements, moins importants, et quelques fragments architecturaux dont de hauts piédestaux à dé renflé datant de la deuxième moitié du IIe siècle ou du IIIe siècle, montrent par ailleurs qu’il s’agissait d’un espace aménagé même s’il reste difficile à restituer.

Sur le site de Bethesda, dans le quart nord-est de la Vieille Ville, se trouvent des restes de constructions attribués à un sanctuaire d’époque romaine. L’identification tôt proposée d’un asclepeion a renforcé pour certains historiens l’hypothèse d’un sanctuaire extra-muros40. La complexité de ce site, occupé sur une longue période, et l’état de la recherche le concernant, ne permettent pas actuellement d’avoir une idée précise des lieux à l’époque romaine41. Les témoignages les plus remarquables qui en proviennent sont les éléments sculptés identifiés comme des ex-votos. Parmi eux, le pied votif inscrit du nom de Pompeia Lucilia42 et deux fragments d’un relief portant la représentation probable d’un Sérapisagathodaimon dans un édicule couronné d’un fronton syrien43. Tous deux se rapportent à la période de la deuxième moitié du IIe siècle ou du IIIe siècle et attestent du culte rendu à Sérapis. En l’état des connaissances, il n’est pas possible d’affirmer que le sanctuaire existait dès l’époque de la fondation de la colonie, mais l’importance et l’ancienneté du culte de Sérapis permettent de le supposer. Une inscription datée du règne de Trajan atteste de son implantation à Jérusalem avant même la fondation d’Aelia Capitolina tandis que dans le monnayage de celle-ci, le dieu est présent dès le règne d’Hadrien et jusqu’au milieu du IIIe siècle qui marque la fin des émissions monétaires de la cité.

La chronologie de l’occupation de ce secteur nord-est de la ville hérodienne est mal assurée, mais il est clair que les différentes structures reconnues ont, dans une phase postérieure à celle de la fondation de la colonie, cohabité.

LA COLLINE ORIENTALE

La colline orientale de Jérusalem, appelée aussi Cité de David, est le site occupé par le premier établissement urbain et le siège du pouvoir de la ville pré-exilique. Les traces d’occupation de la période d’Aelia Capitolina sont très peu nombreuses. Dans les fouilles qu’il a conduites en plusieurs points du site, Y. Shiloh n’a trouvé qu’une très faible quantité de poterie correspondant à ce niveau et dans un seul de ses chantiers44. Une activité de faible ampleur est attestée dans le secteur du Cédron en travers duquel un barrage aurait été placé. Derrière lui, les archéologues ont retrouvé une poterie abondante45. L’abandon de la piscine de Siloe a été constaté par D. Adan (Bayewitz) qui place la fin de son utilisation en 7046. Quelques vestiges subsistent dans la partie septentrionale de la colline, sur l’Ophel. En dehors de la salle souterraine évoquée plus haut, on peut signaler les sièges d’un édifice de spectacle employés dans un second temps pour former des éléments de latrines47. L’une des deux utilisations pourrait remonter à la période d’Aelia Capitolina.

Le tableau n’est en fait pas très différent de celui que présente ce quartier à la période hérodienne. Car, s’il est inclus dans le circuit des fortifications, il semble avoir été en partie inoccupé et les principaux aménagements sont concentrés dans le secteur de l’Ophel. Hérode le Grand, en construisant à l’ouest de la ville son palais royal, avait confirmé le déplacement du centre du pouvoir, probablement réalisé sous les Hasmonéens.

L’examen des traces matérielles amène à s’opposer à la restitution d’une ville amputée de sa partie orientale. Si la colline orientale paraît bien avoir été délaissée pour sa majeure partie, l’occupation de la zone s’étendant au sud-ouest du mont du Temple, qui ne peut être vu comme un quartier extra-mural, est bien l’indication d’une implantation dans cette partie. Il est de plus difficile de concevoir que ce quartier se soit développé à proximité immédiate de l’esplanade de l’ancien Temple sans que celle-ci ait elle-même abrité une activité, qu’elle ait été cultuelle ou autre (administrative ?). La conservation de chapiteaux réalisés en marbre, matériau d’importation, confirme l’existence d’un bâtiment de caractère prestigieux. Au nord du mont du Temple, dans le quart nord-est de l’ancienne ville, des aménagements majeurs ont vu le jour. Aucun d’eux ne peut toutefois être attribué sûrement à l’époque de la fondation de la colonie et il n’existe en conséquence pas de preuve que son organisation résulte d’un programme mis en œuvre dès l’origine.

L’arc de la Porte de Damas et la limite septentrionale d’Aelia Capitolina

L’arc à trois baies encadré de tours que surmonte la porte de Damas percée dans la muraille ottomane est l’un des seuls vestiges — peut-être le seul — de la fondation d’Aelia Capitolina (fig. 3). L’analyse de ses caractères architecturaux et décoratifs permet en effet de placer sa construction à cette époque48.

Ce monument, qui fait la synthèse entre le type de la porte défensive auquel il emprunte son plan et ses tours, et l’arc honorifique dont il possède la valeur décorative, marquait la limite septentrionale de la colonie. Bien qu’étant encadré de tours dont le plan est issu de l’architecture militaire, il n’était pas à l’origine relié à une muraille et pourrait s’être vu accorder la valeur symbolique de celle-ci en son absence. Son plan et sa situation lui confèrent un rôle urbanistique majeur, celui d’organiser l’espace dans un secteur important de la nouvelle ville. La place sur laquelle il ouvrait donnait naissance aux deux voies principales que l’on peut restituer, la « voie de la Vallée » suivant la vallée du Tyropeon et le nouveau cardo que l’on suppose avoir été créé à cette époque malgré l’absence de données archéologiques. La construction de cet arc monumental correspond donc à un projet de grande ampleur probablement lié au programme urbanistique mis en œuvre à la fondation de la colonie. Sa situation constitue une indication supplémentaire de l’occupation de la partie orientale de la ville vers laquelle elle est orientée.

L’hypothèse d’une continuité dans l’organisation de l’espace urbain d’Aelia Capitolina

L’intégration du mont du Temple dans les limites définies pour la colonie est la marque la plus évidente de la continuité avec la ville précédente dont on a gardé la structuration. D’autres éléments de l’ancien urbanisme ont été conservés. La porte nord de la colonie a été érigée à l’emplacement exact d’une porte dont les assises inférieures d’une tour subsistent et que l’on peut attribuer à la période hérodienne. D’importantes divergences subsistent quant au tracé du « troisième mur » évoqué par Flavius Josèphe et qu’aurait édifié Agrippa Ier au milieu du Ier siècle apr. J.-C. Pour une partie des historiens de Jérusalem, que nous suivons, il correspondrait à celui de la muraille ottomane, et la porte nord d’Aelia Capitolina se trouverait ainsi placée exactement sur la ligne de l’enceinte de la ville du Ier siècle49. La remarque de la conservation de la « voie de la vallée » dans l’urbanisme de la colonie est un autre exemple de continuité. On remarquera que son tracé non rectiligne s’oppose à la restitution d’un plan hippodamien, en tous cas pour l’ensemble de la ville50.

Certaines constatations vont toutefois dans le sens de l’adoption d’une nouvelle planification. En premier lieu, la conception d’une ville ouverte est totalement nouvelle. Les données archéologiques, provenant en particulier des travaux réalisés en différents points du mur nord de la Vieille Ville, montrent que la colonie n’a pas été fortifiée, du moins pas avant la fin du IIIe siècle51. L’affectation de certains quartiers pourrait avoir changé. S’il est avéré, le lien entre celui se développant au sud-ouest du mont du Temple et la légion en serait un exemple. Au nord-est de la ville, le site de Bethesda pourrait également avoir été le cadre d’une transformation. En dépit de l’interprétation traditionnelle qui reconnaît pour cette période la présence d’un sanctuaire, il nous semble que les trouvailles se rapportant à l’époque du Ier siècle avant – Ier siècle après J.-C. orientent plutôt vers une activité domestique. Un espace cultuel aurait dans ce cas remplacé une zone d’habitations. Ces hypothèses sont à vérifier de même, bien sûr, que celles qui concernent l’emplacement du camp légionnaire. S’il est bien situé dans les limites de l’ancienne ville, son installation aura contribué de façon importante au remodelage de l’espace urbain. Il faut bien considérer pour le moment l’impossibilité de localiser et de restituer cet espace.

Au terme de cette étude très partielle de l’espace urbain d’Aelia Capitolina, nous sommes en mesure d’écarter la deuxième option reconnue, selon laquelle l’aménagement de la colonie répondrait à une totale restructuration de l’espace. Celle-ci se serait traduite par la suppression de la partie s’étendant à l’est du tracé du mur occidental de l’enceinte du Temple, et par une nouvelle division nord-sud, ce qui, nous l’avons vu, ne se vérifie pas. La première hypothèse, celle de l’oblitération de la ville hérodienne et de son remplacement par une cité d’un caractère tout autre, nous semble en partie infirmée par la mise en évidence d’éléments de continuité. La difficulté à restituer un plan hippodamien s’accorde mal avec cette hypothèse, de même que l’idée de l’apparition d’une parure monumentale gréco-romaine qui existait déjà au temps d’Hérode52. L’observation des vestiges révèle un développement progressif de la ville. Une partie importante des restes de constructions et du matériel découverts se rapporte à une période tardive, tandis que pour la période de fondation les témoignages architecturaux sont peu nombreux. Seule la porte septentrionale (Porte de Damas) aurait pu être construite sous le règne d’Hadrien auquel se rapporte aussi une dédicace monumentale53. Les principaux remodelages semblent par ailleurs devoir être mis en relation avec la présence de la Xe légion plutôt qu’être dus à l’initiative impériale, et tout semble indiquer qu’il n’y a pas eu de mise en œuvre d’un nouveau programme urbanistique à la fondation d’Aelia Capitolina.

L’étude de la documentation archéologique amène à corriger l’image rendue par les historiens d’une cité conçue comme une « petite Rome », image déduite principalement de son statut et des motivations idéologiques supposées de son fondateur. Elle révèle une situation complexe, faisant apparaître à la fois des éléments de continuité et de discontinuité et des transformations correspondant à différentes phases d’aménagement. Pour cette période mal documentée de l’histoire de Jérusalem, l’archéologie constitue un apport essentiel en palliant l’imprécision et le caractère tardif des sources littéraires.

Notes