Dans l’ombre, la firme McKinsey était au cœur de la gestion de la pandémie au Québec

30/09/2022 (2022-09-30)

[Source : ici.radio-canada.ca]

Le gouvernement Legault n’a pas tout dit du rôle joué par les consultants, payés 35 000 $ par jour.

MM. Legault, Dubé et Arruda marchant dans un corridor de l'Assemblée nationale.
Le premier ministre, François Legault,
le ministre de la Santé et des Services sociaux, Christian Dubé,
et le directeur national de santé publique, Horacio Arruda,
juste avant une conférence de presse sur la COVID-19 durant la pandémie.
PHOTO : RADIO-CANADA / SYLVAIN ROY ROUSSEL
Thomas Gerbet

Par Thomas Gerbet

Le 14 décembre 2020, alors que les tout premiers vaccins viennent d’être injectés aux Québécois, le directeur de la campagne de vaccination Daniel Paré reçoit un courriel d’une associée du cabinet-conseil McKinsey : « Bravo pour cette première journée qui se déroule bien. Voici mes notes sur les suivis (action, responsable, délais). N’hésitez pas à faire des changements. »

En coulisses, McKinsey a joué un rôle central dans le plan de match de la campagne de vaccination au Québec, en s’appuyant sur son expérience avec d’autres États, révèle une enquête de Radio-Canada. Mais le cabinet-conseil américain a fait plus que ça.

En mai 2020, le gouvernement Legault avait rejeté une demande des partis d’opposition pour rendre publique la transmission de tous les avis et documents produits par la firme.

Radio-Canada a pu reconstituer plus précisément le rôle joué par McKinsey par l’intermédiaire de plus de 200 courriels, des contrats et des documents de travail. Certains de ces éléments ont été obtenus de sources, d’autres par des demandes d’accès à l’information.

La firme américaine est un cabinet-conseil ayant 130 bureaux
dans 65 pays et regroupant 30 000 consultants.
PHOTO : MCKINSEY

Les documents confidentiels que nous avons obtenus démontrent que les consultants privés ont contribué à des décisions cruciales durant la pandémie en donnant des conseils au gouvernement Legault, notamment pour la stratégie de communication. Ils ont élaboré des scénarios d’achats d’équipements de protection et travaillé à la stratégie de tests PCR. Ils ont aussi proposé des solutions pour remédier à la pénurie de personnel en CHSLD.

La firme privée a coordonné les équipes décisionnelles et convoqué les hauts fonctionnaires qu’elle voulait, en rencontre de groupe comme en rencontre individuelle. On voit même un associé de McKinsey tutoyer le secrétaire général du gouvernement, Yves Ouellet, le plus haut fonctionnaire de l’État québécois.

35 000 $ par jour

Les conseils de McKinsey ont été facturés au Québec 215 000 $ par semaine, plus taxes, soit 35 000 $ par jour, pour la période d’avril à juin 2020. En décembre, une autre facture pour une semaine de travail donne un total de 247 196 $, soit toujours 35 000 $ quotidiens.

Au total, le gouvernement a déboursé 1,7 million de dollars, officiellement pour que McKinsey l’aide à préparer son plan de déconfinement, et 4,9 millions pour l’appuyer dans le plan de relance de l’économie.

Le cabinet-conseil a piloté des comités, organisé des rencontres stratégiques, distribué des rôles sur des groupes de travail… Il a aussi eu accès à des informations confidentielles, montrent les courriels et documents obtenus.

À ces documents s’ajoutent des entretiens avec trois personnes en santé publique qui ont eu à travailler avec la firme durant la pandémie. Nous avons aussi pu compter sur la collaboration de deux personnes qui ont activement préparé la vaccination au Québec. Toutes sont soumises à des ententes de confidentialité avec leur employeur. C’est pourquoi nous avons accepté de protéger leur identité.

Le recours à McKinsey suscite le malaise d’un syndicat de fonctionnaires qui accuse le gouvernement d’avoir tourné le dos à l’expertise interne. La présence des conseillers a aussi irrité des membres de la santé publique qui ont collaboré avec la firme. Le gouvernement, de même que certains experts en gestion consultés, pense toutefois que le caractère exceptionnel de la crise le justifiait.

Les 10 000 préposés aux bénéficiaires, une idée inspirée par McKinsey?

La firme de consultants a travaillé étroitement avec le gouvernement au dossier des ressources humaines en santé. Le 26 mai 2020, McKinsey envoie un document pour discussion intitulé Leviers pour faire face aux enjeux RH en CHSLD. L’objectif est de trouver des solutions pour remédier à la pénurie de personnel.

Parmi les idées évoquées, on trouve celle de créer [des] programmes de formation accélérés et sans frais […] pour réduire le temps de formation avant le déploiement en CHSLD. Le lendemain, le 27 mai, Legault annonce qu’il veut recruter 10 000 préposés aux bénéficiaires en trois mois.

Nous avons recensé la présence de 10 consultants différents de McKinsey ayant collaboré étroitement avec les hauts fonctionnaires québécois, en 2020.

Qui est McKinsey?

La firme américaine est un cabinet-conseil ayant 130 bureaux dans 65 pays et regroupant 30 000 consultants.

Durant la pandémie, elle avait pour clients des gouvernements (États-Unis, France, Allemagne, Royaume-Uni, Mexique, Ontario…), des entreprises de tous les secteurs économiques, notamment pharmaceutiques, et des organisations internationales (Organisation mondiale de la santé, Fondation Bill et Melinda Gates…).

Selon un rapport du Sénat français, McKinsey avait Pfizer comme client durant la pandémie. Au début de la campagne de vaccination, Pfizer est le seul fournisseur de vaccin autorisé au Canada.

Liste de clients de McKinsey obtenue par une commission d’enquête du Sénat, en France.
PHOTO : SÉNAT DE LA FRANCE

[Voir aussi :
articles et vidéos sur McKinsey]

Le 25 novembre, McKinsey écrit à Jérôme Gagnon, un sous-ministre adjoint qui vient de se faire confier, en interne, la responsabilité de la campagne de vaccination. La consultante écrit : Les travaux de planification sont entamés sur plusieurs chantiers de travail […] Nous n’avons pas d’avance, même un peu de retard si nous souhaitons être prêts à une vaccination massive et si nous ne passons pas par notre processus de distribution habituel.

McKinsey lui propose de renforcer la structure de gouvernance et détaille toute la marche à suivre pour lancer la campagne de vaccination, en s’appuyant sur un plan de match autour de sept dimensions clés, un concept que l’on trouve dans plusieurs écrits de McKinsey.

Le lendemain, le 26 novembre, François Legault présente au public Jérôme Gagnon, son général responsable de la vaccination.

Dans un mémorandum de fin de mandat, McKinsey explique avoir aidé le gouvernement à bonifier sa stratégie et son plan de vaccination à la lumière des meilleures pratiques dans le domaine.

La firme ajoute avoir fait l’évaluation du niveau d’avancement de la préparation à la vaccination et avoir fait l’identification des décisions en suspens concernant la planification. Elle a aussi procédé à la révision de la structure/cadence de gouvernance proposée.

Dans ce contexte, notre mandat consistait à baliser le plan créé par le gouvernement, sans toutefois le rédiger, précise la firme. Cette responsabilité était celle des autorités compétentes.

Des recommandations concernant Pfizer

Des courriels montrent des conseils formulés par la firme au sujet de Pfizer. En novembre, McKinsey recommande de passer une entente avec le manufacturier Pfizer au sujet des lieux de distribution.

Dans un courriel de décembre, une consultante encourage le nouveau responsable de la vaccination, Daniel Paré, à discuter avec Pfizer des enjeux de transport. La firme explique au directeur de la campagne de vaccination le fonctionnement de l’acheminement des fioles réfrigérées afin de les administrer en CHSLD.

La campagne de vaccination a débuté le 14 décembre 2020, au Québec,
avec uniquement des vaccins Pfizer.
PHOTO : RADIO-CANADA / HADI HASSIN

À la mi-décembre, la consultante propose à Horacio Arruda et à Richard Massé, le bras droit du directeur national de santé publique, de faire une recommandation au ministre sur l’importance d’avoir une discussion de fond avec Pfizer quant au besoin de garder la 2e dose.

Québec accepte de ne pas connaître les autres clients de McKinsey

Comme d’autres cabinets-conseils, McKinsey travaille simultanément pour plusieurs clients publics et privés dont les intérêts peuvent être divergents. La firme le reconnaît elle-même dans son entente avec Québec.

Il est arrivé que McKinsey représente au même moment un fournisseur de médicament et l’autorité publique qui autorise ce médicament, comme l’a révélé le New York Times.

Le contrat du 2 avril avec Québec indique que le prestataire de services [la firme] s’engage à éviter toute situation qui mettrait en conflit son intérêt personnel et l’intérêt du ministre [ici, le premier ministre].

Parallèlement, la firme a obtenu un avenant (modification) au contrat, le 6 avril, qui indique, notamment, qu’elle ne divulgue pas au gouvernement du Québec qui sont ses autres clients.

« McKinsey ne peut ni informer le Client ni le consulter sur le fait que McKinsey effectue des missions pour des concurrents du Client ou d’autres parties. »

Une citation de  Avenant au contrat entre McKinsey et le gouvernement, le 6 avril 2020

Selon le Conseil exécutif, l’entente balisait bien le risque de conflit d’intérêts. En cas de défaut, les contrats prévoient les mesures requises pour remédier à la situation ou leur résiliation, dit la porte-parole du MCE, Marie-Ève Fillion.

La sous-traitance de la gestion de crise à McKinsey fait polémique en France

Le rôle de McKinsey a été l’objet d’une vive polémique lors des dernières élections présidentielles françaises, à la suite d’une Commission d’enquête relative à l’influence des cabinets de conseil sur les politiques publiques, tenue par le Sénat.

La campagne électorale d’Emmanuel Macron a été ternie par la controverse
sur le rôle du cabinet-conseil durant la pandémie.
PHOTO : REUTERS / SIPHIWE SIBEKO

Après quatre mois d’enquête, les sénateurs ont conclu que des pans entiers de la gestion de crise [avaient été] sous-traités à des cabinets de conseil et qu’en France, McKinsey a été la clef de voûte de la campagne vaccinale.

Le rapport mentionne que McKinsey organise la journée des agents de santé publique. Selon les sénateurs français, la pratique est en réalité courante dans le secteur du conseil : les consultants peuvent travailler en équipe intégrée chez leurs clients et sont alors quasiment assimilés à des agents publics.

« L’intervention des consultants doit rester discrète : lors de la crise sanitaire, McKinsey indique qu’il restera behind the scene, en accord avec le ministère. Le cabinet n’utilise pas son propre logo pour rédiger ses livrables, mais celui de l’administration. »

Une citation de  Extrait du rapport de la commission d’enquête du Sénat français

Il s’est produit la même chose au Québec. Nous avons mis la main sur plusieurs documents de travail produits par McKinsey qui portaient le logo du gouvernement du Québec et l’indication « Votre gouvernement ».

Dans leur rapport, les sénateurs français proposent d’interdire aux consultants d’utiliser les logos de l’administration publique et de leur imposer une déclaration d’intérêt.

Le ministère de la Santé ne divulgue pas sa collaboration avec McKinsey

Le 11 juillet 2022, la demande d’accès à l’information suivante a été adressée au ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec (MSSS) : J’aimerais savoir quelles recommandations provenant de la firme McKinsey vous avez reçues.

Réponse du MSSS : Nos recherches dans le cadre du traitement de votre requête n’ont permis de repérer aucun document détenu par le ministère sur ce sujet.

Pourtant, nous avons comptabilisé au moins quatre documents de travail reçus par le ministère en provenance de McKinsey, sans compter les nombreux courriels.

Dans un message du 29 avril 2020, l’administratrice d’État au ministère de la Santé [aujourd’hui sous-ministre] Dominique Savoie demande au ministère du Conseil exécutif (MCE), le ministère du premier ministre, de pouvoir bénéficier du soutien de McKinsey.

« Dans le cadre de nos travaux de planification des besoins en ÉPI à long terme, j’aimerais que la firme McKinsey nous soutienne pour établir des scénarios qui nous permettraient de viser un bon niveau de réserves et une modulation pour les deux prochaines années dans nos achats et stocks pour nos équipements prioritaires (masques et blouses). »

Une citation de  Dominique Savoie, alors administratrice d’État à la gestion des ressources gouvernementales en santé, le 29 avril 2020

L’affaire est rapidement entendue, puisque le 4 mai, on voit apparaître un comité formé de McKinsey et Dominique Savoie afin d’élaborer des scénarios pour définir le bon niveau d’achats et d’inventaires pour les deux prochaines années.

Le MSSS confirme avoir participé à des rencontres en présence de la firme McKinsey, mais n’a pas voulu en dire plus. Il nous a renvoyés vers le MCE.

L’INSPQ ignorait que ses cadres avaient collaboré avec McKinsey

L’Institut national de santé publique du Québec nous a affirmé à deux reprises ne pas avoir eu de collaboration avec McKinsey. Lorsque nous avons montré des preuves dans des courriels, l’INSPQ a finalement confirmé que sa vice-présidente aux Affaires scientifiques, Jocelyne Sauvé, a bien participé à des rencontres avec la firme, mais l’Institut affirme que rien n’en est ressorti.

Officiellement, le mandat de McKinsey était de mettre en place une méthodologie pour opérationnaliser les décisions entourant la levée des mesures de ralentissement de la pandémie COVID-19, dit le MCE. Elle s’impliquait également dans l’élaboration et la validation de scénarios de déconfinement des différents secteurs d’activités économiques et sociales.

La firme privée a eu accès à des informations confidentielles du gouvernement

Quand les consultants commencent un de leurs mandats, ils demandent accès à une quantité d’informations. On le voit dans un courriel du 23 novembre 2020, adressé à des sous-ministres adjoints. Pour entreprendre son travail afin de bonifier le plan de préparation à la vaccination, McKinsey demande accès au processus de commandes, à la logistique, au transport et à l’entreposage.

C’est bien indiqué dans l’avenant (modification) au contrat qui lie Québec et la firme. On y lit que le gouvernement s’engage à mettre à la disposition de McKinsey des données, informations et personnel nécessaires à l’exécution des tâches ou responsabilités qui lui seraient, le cas échéant, dévolues.

Il est aussi écrit que Québec partagera des informations confidentielles avec la firme. Par exemple, les ressources humaines du ministère de la Santé ont dévoilé aux consultants « les enjeux et les défis spécifiques ayant mené au manque de main-d’œuvre », partageant ainsi des informations sur la vulnérabilité du gouvernement.

Plusieurs courriels indiquent la présence de spécialistes des données et de l’intelligence artificielle de McKinsey dans les échanges avec le gouvernement. À quelles données la firme a-t-elle eu accès? Elle ne peut pas répondre, car c’est confidentiel.

Le contrat indique toutefois que la firme s’est engagée à restreindre l’accès à l’information gouvernementale aux seules personnes qui doivent y avoir accès aux fins de l’exécution du présent contrat.

Pourquoi faire appel à McKinsey?

Le jour où le ministère du Conseil exécutif, celui du premier ministre, signe un contrat d’urgence, de gré à gré (donc sans appel d’offres), avec McKinsey, la situation est très difficile au Québec sur le front de la COVID-19. En ce 2 avril 2020, la province ne dispose que de deux millions de masques d’intervention, ce qui est insuffisant pour tenir quatre jours.

Pour s’approvisionner, ça joue dur. Des pays plus fortunés rachètent les cargaisons de masques sur le tarmac des aéroports chinois et le Canada en est victime. Le premier ministre Legault avoue même que des représentants de son gouvernement se promènent avec des valises de billets pour acheter de l’équipement.Début du widget YouTube. Passer le widget?

Tout le monde était débordé, dans un état de stress, raconte une source en santé publique pour expliquer le recours à McKinsey. Il y avait tellement de choses à organiser, ajoute une autre source à la santé publique. Il fallait tout faire très vite.

Invité à réagir à notre enquête, le ministère du Conseil exécutif justifie le recours à McKinsey par la situation exceptionnelle de la COVID-19.

« Dans l’objectif d’assurer la meilleure gestion possible de cette crise et d’en limiter au maximum les impacts sur la population et les entreprises, le gouvernement du Québec avait besoin d’un regard externe et de l’expertise précise et chevronnée de toute une équipe de chez McKinsey. »

Une citation de  Marie-Ève Fillion, porte-parole du ministère du Conseil exécutif

Le ministère du premier ministre ajoute que McKinsey disposait de ces compétences dans son équipe.

En avril dernier, le ministre Christian Dubé a vanté l’aide inestimable apportée par McKinsey, sans donner de détails.

Lorsque Radio-Canada avait interrogé McKinsey en juin 2022, la firme avait répondu : Nous sommes fiers d’avoir travaillé avec les fonctionnaires du Québec en leur fournissant des informations essentielles, basées sur les faits, dont ils avaient besoin (à ce moment) pour prendre les meilleures décisions sur des questions cruciales de santé publique, dans l’intérêt de l’ensemble des Québécois.

Dans le cadre de la présente enquête, le cabinet-conseil a refusé de faire plus de commentaires. Nous devons respecter nos ententes de confidentialité, explique l’associé senior de McKinsey à Montréal, Éric Gaudet.

Malaise dans la fonction publique

Une source en santé publique reconnaît qu’il manquait de ressources humaines pour agir sur le front de la vaccination et que McKinsey a comblé ce manque. Mais il y a du monde qui était irrité par sa présenceil y avait de la grogne, ajoute-t-elle.

C’est la déresponsabilisation de l’État, croit une deuxième source. Je ne comprends pas pourquoi ils étaient là.

« Ce n’étaient pas des consultants en santé publique, mais des gens en organisation. »

Une citation de  Une troisième source à la santé publique, qui a collaboré avec McKinsey.

Ils arrivaient avec des propositions et nous consultaient, raconte cette source. Les experts étaient consultés, mais ce sont eux qui organisaient. Ils nous testaient. Elle ajoute : C’est comme si on était convoqués, on avait des documents à discuter.

La présidente par intérim du Syndicat des professionnels du gouvernement du Québec (SPGQ) Lydia Martel est estomaquée par nos révélations. On en a des personnes qui ont une grande expertise en gestion, y compris la gestion de crise, dit-elle.

Je m’explique mal pourquoi les compétences internes n’ont pas été appelées à jouer ce rôle de coordination, de gestion de haut niveau, ajoute-t-elle.

« [Au gouvernement], on est persuadé que nous, on est des pas bons qui ne peuvent pas trouver de bonnes formules et de bonnes façons de faire à appliquer. »

Une citation de  Lydia Martel, présidente par intérim du SPGQ

La présidente du syndicat ne voit pas de mal à ce qu’une firme externe apporte des modèles qui ont fait leurs preuves ailleurs, mais elle pense que ce recours aux cabinets-conseils doit se limiter à des compétences spécifiques que nous n’avons pas en interne.

En juin 2020, le gouvernement avait déjà expliqué à Radio-Canada que les services de McKinsey étaient complémentaires à l’expertise des employés de l’État et s’inspiraient des expériences d’autres pays.

Le cabinet-conseil avait quant à lui affirmé que son travail sur la COVID-19 visait à soutenir, et non à remplacer, la prise de décision des autorités gouvernementales et que McKinsey possède une expertise et une expérience pertinentes dans la gestion de questions de santé publique.

Des experts partagés

Selon l’avocat Patric Besner, vice-président de l’Institut sur la gouvernance d’organisations privées et publiques (IGOPP), une aide externe était peut-être nécessaire pour coordonner le travail de plusieurs ministères sur une même gestion de crise. Je ne vois pas de problématique dans le principe, devant l’ampleur de la situation et voyant que les ressources étaient très limitées à l’interne.

Le professeur titulaire à l’École des sciences de la gestion de l’UQAM Benoit Duguay est quant à lui renversé par les réalisations de McKinsey durant son mandat. Ce n’est pas le genre de rôle que j’ai l’habitude de voir dans un cabinet-conseil.

« Il faut faire une distinction entre l’interne et l’externe dans un gouvernement. Comment se fait-il qu’un cabinet-conseil soit dans une relation aussi proche? »

Une citation de  Benoit Duguay, professeur titulaire à l’École des sciences de la gestion de l’UQAM

L’expert admet que l’appareil gouvernemental est très lourd : Peut-être que c’était pour aller plus vite, parce qu’on était dépassés par les événements, parce que la pandémie était horrible et c’était peut-être la bonne chose à faire.

En revanche, Benoit Duguay reproche au gouvernement d’avoir manqué de transparence quant au rôle joué par McKinsey : S’ils sont venus nous aider et si on leur doit une fière chandelle, alors dites-nous ce qu’ils ont fait, qu’on aille les remercier.

« Si on a besoin de conseillers pour coordonner l’action de différents ministères, au secours. Je ne sais pas si nous avons cette expertise-là, mais nous devrions l’avoir. Nous devrions être capables de gérer une crise [sans l’aide de consultants]. »

Une citation de  Benoit Duguay, professeur titulaire à l’École des sciences de la gestion de l’UQAM

Une médecin parmi les associés de McKinsey

Dans un courriel du 23 novembre 2020, on voit apparaître une nouvelle associée de McKinsey, dont le profil la distingue de ses collègues. Il s’agit d’une médecin urgentologue québécoise associée à un bureau de McKinsey aux États-Unis.

Le 10 décembre, un des courriels de McKinsey indique qu’au même moment, cette consultante de la firme travaille avec plusieurs États dans leur stratégie de vaccination.

Des conseils en communication

Le Conseil exécutif a affirmé à Radio-Canada que McKinsey n’a eu aucune responsabilité pour les communications gouvernementales. Pourtant, dans les courriels, on voit que la firme est présente dans le groupe de travail qui prépare la « stratégie de communication ».

Dans un message du 22 avril 2020, une consultante présente un plan travaillé avec la santé publique et le MCE dont l’objectif est de maintenir la confiance envers le gouvernement et la santé publique et de maintenir le suivi des règles par la population.

Il est question de l’importance des points de presse et de la complicité [entre] le Dr Arruda, M. Legault et Mme McCann.

Le plan fait aussi référence au besoin d’une communication spécifique au sujet des enfants et de la reprise scolaire et des garderies. Le courriel suggère d’impliquer d’autres acteurs influents de la santé, donnant l’exemple de pédiatres, pour dire que la reprise scolaire est envisageable.

Plus tard le même jour, François Legault annonce aux Québécois qu’un plan sera bientôt présenté pour un retour graduel en classe.

Dans un document de travail fourni par la firme au gouvernement, on lit aussi que McKinsey a soutenu [le] narratif des premières communications entourant la réouverture des différents secteurs (exemple : critère de santé publique comme étant primordial).

Le 14 mai 2020, McKinsey planifie une rencontre stratégique avec différents cadres de la santé publique, dont Horacio Arruda. En prévision, elle leur remet un document sur l’utilisation du couvre-visage dans le monde (pays qui l’obligent ou pas), toujours flanqué du logo du gouvernement du Québec.

La consultante de la firme annonce dans le courriel les trois questions à discuter lors de la rencontre. Parmi celles-ci, elle leur demande : Est-ce que le gouvernement devrait fournir un soutien aux citoyens pour faciliter l’accès à des couvre-visages? (par exemple : distribution à l’entrée des transports en commun…)

Le lendemain, le 15 mai, François Legault annonce le don d’un million de masques à Montréal et de l’argent pour les sociétés de transport afin qu’elles distribuent des masques.

McKinsey a contribué à la stratégie de déploiement des tests PCR

Le gouvernement avait besoin d’aide pour déterminer la capacité du système de santé à tester la population. McKinsey a estimé le nombre de tests requis et recommandé d’acheter des machines supplémentaires. La firme affirme aussi avoir accompli le développement des premiers jalons de la stratégie de testing, dans un document remis au gouvernement.

McKinsey a participé à l’élaboration de la stratégie de tests PCR et estimé les quantités requises.
PHOTO : RADIO-CANADA / IVANOH DEMERS

Dans un courriel du 4 mai signé par McKinsey, on peut lire : Testing – Élaborer la stratégie de testing  (priorisation des tests entre différents groupes de population) Richard Massé en collaboration avec McKinsey – EN COURS.

Et un autre : Estimer la quantité de tests requise pour la stratégie de testing entérinée (McKinsey en collaboration avec Jocelyne Sauvé [INSPQ] et équipe de modélisation).

La firme produit aussi un rapport de tout ce qui se fait ailleurs dans le monde en matière de tests. Elle remet ce document le 11 mai.

Le 13 mai, François Legault utilise ces informations en conférence de presse pour montrer que le Québec fait mieux que des pays comme l’Allemagne ou les États-Unis en termes de test par million d’habitants.

Notre enquête démontre qu’entre avril et juin 2020, McKinsey a aussi collaboré avec d’autres ministères et organismes, comme le ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale, le ministère de la Sécurité publique, la CNESST et le Secrétariat du Québec aux relations canadiennes.

Les courriels consultés ne montrent pas de liens directs avec le ministère de l’Éducation. Toutefois, McKinsey écrit dans un document de travail avoir mis en lumière des enjeux relatifs à la réouverture des CPE et des écoles primaires (par exemple : mesures de protection et ratios étudiants-professeurs).

Un associé de McKinsey dans une réunion de la ministre de la Culture avec les musées

Le 29 avril 2020, la ministre de la Culture Nathalie Roy organise une rencontre téléphonique avec 14 représentants de musées et galeries d’art du Québec à propos de la relance de ce secteur. Son agenda indique que Julien Truchon-Poliardengagement manager chez McKinsey, est aussi présent sur la ligne, en compagnie d’une représentante de la santé publique.

La firme McKinsey a été mandatée par le gouvernement du Québec pour apporter des conseils de gestion pendant la crise sanitaire, explique la direction des communications du ministère. M. Truchon-Poliard est la ressource de la firme qui a été affectée au ministère de la Culture et des Communications. C’est pourquoi il a été invité à la rencontre.

McKinsey a contribué au plan de relance économique du Québec

En juillet 2021, le ministère de l’Économie et de l’Innovation a conclu un contrat de gré à gré de 4,9 M$ avec McKinsey pour l’aider à planifier la relance économique du Québec et à choisir les chantiers à prioriser.

Dans le décret spécial, on peut lire que des services-conseils spécialisés, dans le contexte de la pandémie mondiale de la COVID-19, sont nécessaires pour réussir la relance économique.

Ces travaux visaient à permettre au gouvernement de mettre en place les conditions pour accélérer la croissance de l’économie du Québec afin de réduire l’écart de richesse avec les États-Unis et l’Ontario, explique la porte-parole du MCE, Marie-Ève Fillion.

Elle ajoute que, pour ce faire, il souhaitait obtenir un regard externe, complémentaire à ses propres données, pour mieux évaluer la portée de l’ensemble de ses mesures économiques et des programmes qu’il avait mis en place.

L’Ontario a fait pareil et ça a déplu à la vérificatrice générale

Alors que le Québec signait un contrat de 1,7 M$ avec McKinsey le 2 avril 2020, l’Ontario signait le lendemain un contrat avec la même firme pour 1,6 M$.

L’objectif était d’élaborer une structure organisationnelle d’intervention pour répondre à la crise. Quelques mois plus tard, le gouvernement de Doug Ford a ajouté une somme de 3,2 millions de dollars destinée à la même firme pour l’aider à la planification de la reprise par rapport à la COVID-19 et à la préparation de la stratégie de réouverture pour l’éducation.

Dans un rapport publié en novembre 2020, la vérificatrice générale (VG) de l’Ontario critique la province qui a réagi à la crise en embauchant un consultant externe pour créer une structure de gouvernance.

La VG affirme que le coût du consultant était supérieur aux taux standards de l’industrie.

Selon le National Post, le recours aux consultants en tout genre devrait représenter des dépenses de plus de 17 milliards de dollars en 2022 comparativement à 8,3 milliards en 2016 pour le gouvernement canadien.

En France, le rapport des sénateurs conclut à un phénomène tentaculaire et à un recours massif à ces consultants, ce qui soulève des questions quant à la bonne utilisation des deniers publics et à notre vision de l’État et de sa souveraineté face aux cabinets privés.

Le recours aux consultants constitue aujourd’hui un réflexe : ils sont sollicités pour leur expertise (même lorsque l’État dispose déjà de compétences en interne) et leur capacité à apporter un regard extérieur à l’administration.

« Une relation de dépendance peut s’installer entre l’administration et ses consultants. […] Les cabinets de conseil organisent la dépendance à leur égard. »

Une citation de  Extrait du rapport de la commission d’enquête du Sénat français

Quand McKinsey frappe de nouveau à la porte du gouvernement

Le 20 juillet 2020, alors que le mandat de la firme est terminé depuis près de deux mois, McKinsey tente une approche auprès d’un cadre du ministère de François Legault.

Est-ce que la structure de gestion de la COVID-19 évolue à ton goût? demande le représentant du cabinet-conseil dans le courrielN’hésite pas si on peut aider avec quoi que ce soit.

Et il l’informe que plusieurs juridictions en Amérique du Nord réfléchissent présentement à la modernisation de l’État et à la préparation à de futures pandémies.

Québec fera de nouveau appel aux services de la firme quatre mois plus tard, puis encore une fois un an après.

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