16/11/2020 (2020-11-16)
[Source : http://polemique.roman-livre.com/les-reponses-en-direct-a-vos-questions/#reponses1]
Extrait des réponses de Rémy aux diverses questions qui lui sont posées :
« Vous n’avez pas l’air très sérieux » ou les 100 bonnes raisons de ne pas bouger le petit doigt
Vous avez remarqué le nombre de personnes qui ont toutes sortes de choses à dire pour ne surtout rien faire ?
Rémy a relevé pour vous, depuis des années, leurs bonnes raisons de ne pas agir. C’est une jolie litanie qui, avec le recul, a quelque chose de touchant. Et de drôle, naturellement.
Il écrit:
« Le grand dissident russe Boukovsky (qu’il a eu l’honneur de rencontrer totalement par hasard) avait joliment listé les raisons de ne surtout pas bouger le petit doigt qu’on avait pu lui opposer, auxquelles il avait eu le temps de réfléchir, en prison, pendant que ses « camarades » étaient dehors, planqués.
Ces camarades, c’est ceux qui critiquent et glosent encore, cette fois-ci, alors qu’on leur propose de faire le boulot à leur place.On me dit « vous n’êtes pas sérieux, c’est manipulateur, ça ne marchera pas etc. » Il y a ainsi des tas de raisons pour disqualifier d’avance tout effort, que les circonstance en fait rendent absolument obligées: alors qu’il FAUT agir et qu’il n’y a AUCUN MOYEN d’y échapper, vous avez encore des gens qui en causent… et critiquent cette conclusion; et vous en même temps.
Hommage donc aux pleutres qui se refusent à entrer dans l’action. Ils sont ulcérés par les événements, scandalisés, hors d’eux, mais dès qu’on leur dit: « engage-toi avec nous », ils discutent et cherchent par mille moyens de se tirer d’affaire sans une égratignure :
– « vous n’êtes pas sérieux »:
si, parfaitement, pourquoi ?
– « ça ne marchera pas » :
- – avez-vous travaillé autant la question que nous ?
- – il faut faire quelque chose et ceci est le plus sûr d’y arriver, avez-vous une autre option ?
- – avez-vous évalué scientifiquement les probabilités d’échec ? En fait, vous dites cela sans savoir.
– « C’est manipulateur »:
recruter, mobiliser, ça fait bouger des gens. C’est ce que vous appelez « manipuler » ?
« Qui êtes-vous et qui représentez-vous ? »
(comme si un réseau allait balancer son organigramme)
– « Quels sont vos moyens ? »
(sous-entendu « si je ne touche pas un énorme armement, je ne ferai rien » : on pense aux soldats allemands qui sur le Front de l’Est ont été des lions sans presque plus de munitions)
– « Quel serait mon grade ? »
(ceux-là, ils ne se mouchent pas du pied)
– « ce genre d’action ne contribuera pas à la victoire »
(assertion gratuite mais qui marque bien son lâche).
– « Les pouvoirs publics se feront un plaisir de reconstruire voire de poursuivre leur propagande ailleurs »
(autrement dit laissez tout faire car sinon l’ennemi recommencera, c’est l’argument de la soumission).
– « Faites-les tomber et d’autres seront plus sévères, évitons donc de bouger »
(argument qu’on trouvait fréquemment en Chine, quand la population protégeait un tyran de crainte qu’un autre arrivant soit pis).
– « Les actions éventuelles seront instrumentalisées pour faire passer leurs auteurs pour des brutes assoiffées de sang »
(là, c’est le demi-portion qui craint pour sa réputation tandis que le pays est à feu et à sang).
– « Le public ne sachant pas suffisamment de quoi il retourne ne pourra pas comprendre les motivations réelles »
(comme si le public avait jamais eu quelconque participation au succès d’une révolution ou d’une contre-révolution, et qu’il importait réellement sur le plan tactique; le public a toujours suivi le gros des événements sans sourciller, quoiqu’en maugréant – ce qui n’a strictement aucune importance en fait).
– « Il y aura répression : ils ne se gêneront pas pour ajouter des caméras et fliquer la population encore plus ! »
(sans blague, et ce n’est pas le cas ? il y en a déjà et chacun est en résidence surveillée, mais celui-ci pense que ça peut être pire ; et comme ça peut toujours être pire, il a toujours un argument pour que ça n’aille pas plus loin. Chaque année, tandis que ça se dégrade, il répète : « ça pourrait être pire. » Pendant la guerre, un couple de paysans gardait un jambon de côté, « au cas où ce serait pire ». Naturellement, les mois passant et les choses empirant, il ne l’a jamais mangé ; c’est un voisin qui l’a volé)
– « Il faudrait une sacrée organisation derrière »
(c’est faux, Trotsky a renversé le régime avec 50 hommes, mais c’est sous-entendu « en aucun cas je n’ai l’intention de m’y mettre, ne serait-ce que de commencer, c’est trop fatigant. »)
– « Imaginons qu’un drame se déroule au cours de l’action, : ce serait catastrophique par rapport à la population »
(la population est déjà persécutée, arrêtée, éborgnée, avortée, rackettée, violée, assassinée, décapitée, génocidée plus qu’en temps de guerre mais pour celui-ci, un incident serait épouvantable. On est admiratif du niveau de confort moral de certains…).
– Idée répandue que la révolution intellectuelle précède toujours la révolution physique, c’est presque un théorème; qui d’ailleurs donne à penser qu’on a affaire à un haut niveau de doctrine.
Hélas, c’est faux et Trotsky, comme beaucoup d’autres, Garibaldi par exemple, a montré que l’action et les faits étaient bien plus puissants que « la pensée » ou la conquête intellectuelle, et qu’en plus, le monde intellectuel penchait toujours systématiquement du côté du plus puissant, étant conformé ainsi, on l’a vu sous le joug anglais, sous les Prussiens, sous les Cosaques, sous les Huguenots, sous les Allemands, et bien avant encore au temps des Mérovingiens, des invasions barbares, de Rome, etc.)
– « Je peux t’affirmer que tant que tu n’auras ni le pouvoir, ni les moyens financiers de leur offrir une alternative sécurisante concrète (travail-activité, maison, nourriture, divertissement, locomotion), les gens ne rejoindront pas notre camp ».
Comment ça « notre camp » ? tu refuses de t’engager et tu parles de « notre camp » ? Mais tu es dehors, pour l’instant, tu es un gars de l’arrière. Cela dit, on a bien entendu. Tu es le gars qui avoue carrément à quel point il est vénal.
– « Pourquoi vous ne feriez pas (telle chose) ? »
Réponse: « Très bien, c’est d’accord, nous vous confions la tâche de le faire ». Hop, le gars disparaît.
– « Pour un blanc massacré, il en faut 100 dans le caniveau ! » Quelques déclarations guerrières semblables. Réponse : « D’une part, ce n’est pas vraiment ce qui arrangera nos affaires car ça ne changera pas le mouvement des choses, c’est au sommet qu’il faut agir. Mais d’autre part, si vous tenez à cette option, vous commencez quand ? »
(bien sûr, cette charmante personne ne répond ni sur le premier, ni sur le deuxième point).
– « Il m’est impossible d’engager ma vie entière sur la base d’un échange de messages sans savoir qui est qui »
(personne n’a demandé une telle chose, et cependant toutes les résistances sérieuses ont commencé par un premier contact).
– « Personne de sérieux ne va s’engager dans une telle démarche » :
en réalité, c’est encore la trouille qui domine ces arguties.
Mais Boukovsky ajoutait d’autres motifs (et il en a entendu des centaines) :
– Que puis-je faire seul?
(Si tout le monde s’y mettait, alors moi aussi…)
– Si ce n’est pas moi, ce sera un autre
(et moi, cela vaut mieux, je ferai moins de mal).
– Pour sauvegarder l’essentiel, il faut faire des compromis, des concessions et des sacrifices
(C’est ainsi que l’Eglise orthodoxe considère qu’elle doit faire des concessions pour se conserver elle-même. Et ces concessions ont été sans fin, à telle enseigne que maintenant c’est le K.G.B. qui nomme les prêtres et que ceux-ci, du haut de l’ambon, font des suppliques pour la santé des dirigeants soviétiques. C’est ainsi également que l’écrivain désireux de voir publier son œuvre, si nécessaire aux lecteurs, accepte de rayer une petite ligne par-ci, d’ajouter un paragraphe par-là, de changer la fin, de retirer un personnage, de modifier son titre, moyennant quoi l’essentiel a disparu ! Ça m’est égal, dit fièrement notre écrivain, à telle page, il y a une allusion et mon héros négatif dit TOUT, à peu près ouvertement ; ensuite, c’est vrai, il se rééduque et dit exactement le contraire.)
– Il faut servir la Russie. Les communistes disparaîtront d’eux-mêmes, un jour ou l’autre
(ces propos sont particulièrement répandus chez les savants et les militaires).
– Il faut servir les valeurs éternelles, créer les valeurs impérissables de la science et de la culture, et toutes ces protestations (ce remue-ménage de souris) ne font que vous écarter de ce service.
On a là une hauteur de vue qui écarte en même temps du moindre danger…
- – Il ne faut, en aucun cas, protester ouvertement c’est de la provocation, cela ne fait qu’irriter les autorités et cela retombe ensuite sur les innocents.
- – Les protestations publiques font le jeu des partisans de la ligne dure du Politburo et empêchent les colombes de procéder à la libéralisation.
- – Les protestations publiques entravent les progrès de la libéralisation que l’on ne peut réaliser qu’à l’aide d’une grande politique et d’une diplomatie secrète.
- – Protester pour des vétilles, c’est seulement se démasquer. Il faut se cacher. Quand viendra le moment décisif, alors oui. Mais, en attendant, camouflons-nous.
- – Oui, mais pas maintenant, maintenant, c’est le plus mauvais moment ma femme est enceinte, mes enfants sont malades, il faut d’abord que je soutienne ma thèse, mon fils doit entrer à l’université…
(Et ainsi de suite… jusqu’à la fin de la vie.)
- – Plus ça ira mal, mieux ce sera. Il faut pousser sciemment toutes les inepties du régime jusqu’à l’absurde. Tant que la coupe ne débordera pas, le peuple ne comprendra pas ce qui se passe.
- – La Russie est un pays d’esclaves. Jamais les Russes n’ont eu de démocratie, et ils n’en auront jamais. Ils n’en sont pas capables. Ce n’est même pas la peine d’essayer. Avec notre peuple, on ne peut pas faire autrement.
- – Le peuple garde le silence. De quel droit une poignée de mécontents s’expriment-ils ainsi ? Qui représentent-ils ? Ils expriment l’opinion de qui?
J’ai même entendu ce raisonnement:
- – Vos protestations induisent en erreur l’opinion mondiale. Les Occidentaux peuvent penser que nous avons la possibilité de nous exprimer ouvertement ou de changer quoi que ce soit, vous faites donc le jeu de la propagande soviétique.
- – Il faut faire carrière tranquillement, parvenir jusqu’au sommet et, de là, d’en haut, tenter de faire quelque chose d’en bas, on ne fera jamais rien.
- – Il faut gagner la confiance des conseillers et des dirigeants, les éduquer et les instruire discrètement. C’est seulement ainsi que l’on pourra influer sur la marche de l’Etat.
- – Vous protestez mais, moi, je ne le ferai pas. Il faut bien que quelqu’un reste en vie pour témoigner (j’ai entendu cela au camp, avant une grève de la faim.)
- – S’il y avait une nouvelle théorie, à la place du marxisme, pour entraîner les gens, alors oui… Mais sur le seul refus, on ne construira rien.
- – C’est le ciel qui a envoyé le communisme à la Russie pour la punir de ses péchés, et ce serait pécher que de s’opposer au châtiment divin.
Et ainsi tout le monde, depuis les membres du Politburo, les académiciens et les écrivains jusqu’aux ouvriers et aux kolkhoziens, se trouve une justification. D’ailleurs, le plus souvent, les gens croient sincèrement exprimer leurs véritables sentiments. Rares sont ceux qui reconnaissent qu’ils ne font qu’alléguer un prétexte pour se justifier et qui avouent honnêtement qu’ils ont tout simplement peur des mesures répressives. Je n’ai rencontré dans ma vie qu’une seule personne qui m’ait dit que l’Etat communiste faisait parfaitement son affaire : il lui permettait de gagner de l’argent en écrivant toutes sortes de boniments démagogiques dans les journaux. « Dans un Etat normal, on ne me permettrait pas d’approcher de la presse, même à une portée de canon ! Alors, qu’est-ce que je ferais ? Je serais débardeur en forêt ? »
Pour finir, seuls les Vrais-Orthodoxes (membres d’une secte qui s’est séparée de l’Eglise officielle et ne reconnaît pas l’Etat soviétique qu’elle considère comme une émanation du diable) ne soutiennent en aucune façon notre système d’oppression. Mais ils sont peu nombreux, et ils sont tous en prison…
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