Washington s’expose à une défaite dans la querelle de la mer Rouge

24/06/2024 (2024-06-24)

[Source : unz.com]

[Illustration : https://x.com/saqii52/status/1744688743338917956]

Par Mike Whitney

Les Houthis ont accepté de mettre fin à leurs attaques contre le trafic commercial en mer Rouge si Israël autorise l’acheminement de l’aide humanitaire aux Palestiniens. Il ne s’agit pas seulement d’une proposition raisonnable, mais d’une politique soutenue par la grande majorité des gens dans le monde.

En juin, la Defense Intelligence Agency (DIA) a publié un rapport soulignant l’impact des attaques des Houthis sur la navigation commerciale en mer Rouge. Ce rapport dresse un bilan dévastateur de l’incapacité de Washington à protéger les couloirs de transit essentiels dans l’une des voies navigables les plus importantes au monde. La coalition navale improvisée de l’administration Biden, baptisée « Operation Prosperity Guardian » (Opération Gardien de la prospérité), n’a pas seulement été incapable de garantir un passage sûr aux transporteurs commerciaux en mer Rouge, elle a même aggravé la situation. Les Houthis ont affiné leurs opérations militaires tout en ajoutant des armes plus meurtrières à leur arsenal. En bref, les Houthis ont montré qu’un groupe disparate de militants peut imposer des sanctions coûteuses à ses ennemis en mettant en œuvre des stratégies asymétriques qui sapent « l’ordre fondé sur des règles ». Voici un extrait du rapport de la DIA :

À la mi-février, le transport maritime de conteneurs par la mer Rouge avait diminué d’environ 90 % depuis décembre 2023 ; le transport maritime par la mer Rouge représente généralement environ 10 à 15 % du commerce maritime international. (…)

Les routes maritimes alternatives autour de l’Afrique ajoutent environ 11 000 milles nautiques, 1 à 2 semaines de temps de transit et environ 1 million de dollars de frais de carburant pour chaque voyage. Pour de nombreuses compagnies maritimes, les coûts combinés des primes d’équipage, de l’assurance contre les risques de guerre (environ 1000 % de plus que les coûts d’avant-guerre)…

Depuis la mi-février, les primes d’assurance pour les transits en mer Rouge représentent 0,7 à 1 % de la valeur totale d’un navire, contre moins de 0,1 % avant décembre 2023.

Les attaques des Houthis exercent une pression sur le commerce international, DIA

Ce rapport est choquant. Selon la propre analyse du gouvernement, la politique de M. Biden concernant la mer Rouge a été un échec lamentable. Le transport maritime de conteneurs a diminué de 90 %, tandis que les primes d’assurance, les frais de carburant et les « miles supplémentaires parcourus » ont grimpé en flèche. Il n’y a pas la moindre trace d’optimisme dans l’ensemble du rapport. Les Houthis ont pratiquement atteint tous leurs objectifs stratégiques, tandis que l’ingérence de Washington n’a rien accompli.

Étonnamment, les journalistes de Business Insider ont tiré la même conclusion que la DIA, à savoir que les Houthis ont déjoué les plans de l’Oncle Sam à chaque fois. Voici un extrait d’un article récent de BI :

Les Houthis se sont révélés être un ennemi redoutable et rusé. Cinq mois après des séries de frappes aériennes de la coalition dirigée par les États-Unis visant à « perturber et dégrader » leurs capacités, les militants continuent de faire des ravages. Ils obligent régulièrement la force opérationnelle dirigée par les États-Unis à intercepter leurs missiles, leurs bateaux bombardiers et leurs drones volants qui ont transformé les voies maritimes de la mer Rouge et du golfe d’Aden en un couloir dangereux — et mortel.

Les Houthis ont frappé de nombreux navires au cours de la semaine dernière, et les responsables américains affirment qu’il est peu probable que ces attaques cessent de sitôt, ce qui fait craindre que les États-Unis ne se retrouvent coincés dans une impasse coûteuse et insoutenable.

Les Houthis ont réussi à entraîner Washington dans un conflit prolongé, coûteux et épuisant les ressources, et à faire grimper les coûts de transport. Bien qu’aucun navire de guerre américain n’ait été touché, les États-Unis doivent supporter les coûts financiers croissants et l’usure de leurs navires de guerre.

Les navires de guerre de la marine américaine sont coincés dans une bataille en mer Rouge qu’ils ne pourront pas mener éternellement, Business Insider

Les Houthis ont essentiellement fermé la navigation commerciale à travers l’un des plus importants points de passage du monde et les États-Unis sont incapables de faire quoi que ce soit à ce sujet. N’aurait-on pas pu anticiper ce scénario avant que M. Biden ne déploie impulsivement une flottille navale en mer Rouge ?

De nombreux sceptiques savaient que la stratégie de Biden n’avait aucune chance de réussir, mais leurs voix ont été étouffées par les guerriers de salon qui définissent toujours la politique. Il s’agit des hauts responsables de la politique étrangère qui, invariablement, ignorent les faits et vont de l’avant avec leur philosophie « tirer d’abord et poser les questions ensuite ». Dans le cas présent, ces rapaces Uber tenaces ne pouvaient tout simplement pas accepter qu’une batterie de militants vêtus de sandales puisse porter un coup aux intérêts américains en lançant des attaques de missiles et de drones sur des navires marchands protégés par des destroyers américains. Mais c’est précisément ce qui s’est passé et — comme nous l’avons dit précédemment — Biden avait été averti qu’un tel résultat était probable. Ceci est tiré d’un article paru sur le site Responsible Statecraft :

(…) un certain nombre de voix réalistes décrient la folie de tomber une fois de plus dans une spirale de violence de représailles qui conduira probablement à une véritable crise militaire, voire à la mort de membres des forces armées américaines, avant qu’elle ne soit terminée.

« Elles (les frappes) ne fonctionneront pas. Elles ne dégraderont pas suffisamment les capacités des Houthis et ne mettront pas fin à leurs attaques contre les navires », déclare Ben Friedman, membre du conseil d’administration de Defense Priorities. « Pourquoi faire quelque chose d’aussi manifestement imprudent ? La retenue nous rappelle qu’aucune loi ne nous oblige à mener des frappes aériennes qui ne fonctionneront pas. Nous avons toujours la possibilité de ne pas recourir à une violence inutile ».

Les États-Unis frappent à nouveau le Yémen, mais les attaques des Houthis se poursuivent, Responsible Statecraft

La « retenue » ? L’auteur pense que les responsables de la politique étrangère américaine sont capables de retenue ?

Malheureusement, tous les réalistes compétents et lucides qui jouaient autrefois un rôle dans l’élaboration de la politique étrangère des États-Unis ont depuis longtemps été remplacés par des guerriers de salon qui réagissent par réflexe à chaque crise en recourant à la même application contre-productive de la force militaire. Nous ne doutons pas que ces mêmes faucons de guerre vont à nouveau se livrer à une escalade au Yémen, comme ils l’ont fait en Ukraine, entraînant le pays plus profondément dans un conflit qu’il n’a aucune chance de gagner. Découvrez cet extrait révélateur de la stratégie de sécurité nationale 2022 de Joe Biden :

(…) les États-Unis ne permettront pas à des puissances étrangères ou régionales de compromettre la liberté de navigation dans les voies navigables du Moyen-Orient, y compris le détroit d’Ormuz et le Bab al-Mandab, et ne toléreront pas les efforts d’un pays pour dominer un autre pays ou la région par le biais de renforcements militaires, d’incursions ou de menaces.

Voilà qui est dit : Les Houthis représentent un danger clair et présent pour la sécurité nationale des États-Unis en affirmant simplement leur contrôle sur leurs propres eaux territoriales. Cela signifie-t-il que l’escalade est inévitable ?

C’est le cas. L’extrait ci-dessus équivaut à une déclaration de guerre. Il faut s’attendre à ce que Joe Biden agisse en conséquence en intensifiant les bombardements des villes et des infrastructures yéménites, en renforçant le blocus économique et, enfin, en déployant des troupes de combat pour mener une offensive terrestre sur la péninsule arabique. À en juger par l’expérience passée, les décisions sur ces questions ont probablement déjà été prises.

D’ailleurs, l’opération navale de M. Biden — Opération Prosperity Guardian — n’a jamais été approuvée par le Conseil de sécurité de l’ONU, le Congrès américain ou le peuple américain. Il s’agit d’une nouvelle intervention unilatérale, sans lendemain, qui exclut toute solution diplomatique et garantit aux États-Unis une nouvelle défaite humiliante face à leurs ennemis. Pour en savoir plus, Jim Krane, chargé d’études sur l’énergie, explique l’impact mondial des attaques des Houthis :

Les attaques des Houthis contre les navires de la mer Rouge constituent un nouveau phénomène dans les conflits géoéconomiques : un acteur non étatique utilise la guerre asymétrique non seulement pour combattre les forces armées conventionnelles, mais aussi pour imposer des sanctions économiques ciblées en attaquant de manière sélective le transport maritime international. Les Houthis ont franchi ce pas en combinant deux facteurs : un armement peu coûteux et de haute technologie capable de menacer — voire de couler — les navires de haute mer et le contrôle d’un territoire côtier stratégique donnant sur l’un des points d’étranglement maritimes les plus fréquentés au monde : le détroit de Bab al-Mandab. (…)

Le siège des navires de la mer Rouge a réorienté le commerce entre l’Asie et l’Europe de manière inégale. Les compagnies maritimes basées dans les pays dont les gouvernements se sont prononcés contre l’offensive israélienne à Gaza ont été exemptées des attaques des Houthis, ce qui leur a permis de bénéficier d’avantages en termes de coûts et d’augmenter leurs bénéfices. À l’inverse, les chargeurs basés dans des pays soutenant Israël, ainsi que ceux transportant des cargaisons à destination de l’Europe ou des États-Unis, ont perdu l’accès au raccourci de la mer Rouge entre l’Asie et l’Europe. En conséquence, les coûts et la durée des voyages ont augmenté en même temps que la demande de navires, ce qui a contribué à faire grimper les frais de transport, y compris sur les itinéraires qui ne passent pas par la mer Rouge.

La perturbation du transport maritime mondial suggère que les Houthis ont réussi à atteindre leur objectif d’imposer des coûts aux partisans d’Israël… Les dirigeants houthis auraient cimenté les avantages concurrentiels pour les expéditeurs chinois et russes. (…) La stratégie sélective employée par les Houthis consiste à imposer des pénalités économiques ressemblant à des sanctions économiques qui affectent de manière disproportionnée les entreprises basées dans l’UE… En effet, les coûts supplémentaires de la chaîne d’approvisionnement pèsent lourdement sur les prévisions économiques déjà pessimistes de l’Union européenne et de l’Égypte. Plus les attaques se poursuivent, plus l’impact résiduel est important, ce qui réduit les perspectives de croissance.

La campagne des Houthis dans le golfe d’Aden et la mer Rouge a engendré une nouvelle forme de perturbation économique mondiale fondée sur des griefs à l’égard d’Israël, et s’avère difficile à dissuader ou à contrer. (…) La campagne des Houthis a également mis en évidence l’inefficacité des contre-mesures prises par les États-Unis et leurs alliés de l’OTAN…

Les attaques américaines et britanniques contre des sites houthis au Yémen ont créé de nouveaux griefs et une justification pour une extension potentielle des attaques de la mer Rouge au-delà d’un cessez-le-feu à Gaza. (…) Les attaques des Houthis contre les navires se sont en fait intensifiées après le début des frappes de représailles américaines et britanniques (…).

Le groupe militant, enhardi, a annoncé le 14 mars qu’il étendrait ses attaques au-delà de la zone immédiate de Bab al-Mandab à l’ensemble de la mer d’Oman et de l’océan Indien afin de cibler le transport maritime lié à Israël et à ses alliés et détourné par le cap de Bonne-Espérance. (…)

Les attaques des Houthis sur la mer Rouge ont des répercussions économiques mondiales, Arab Center

D’accord, résumons : Les attaques des Houthis sur la mer Rouge ont…

  1. Créé de nouvelles possibilités pour les acteurs non étatiques de mener une guerre asymétrique contre les forces armées conventionnelles.
  2. Imposé des sanctions économiques ciblées aux partisans du génocide israélien.
  3. Réorienté le commerce entre l’Asie et l’Europe de manière à offrir des avantages concurrentiels aux chargeurs chinois et russes.
  4. Les Houthis ont réussi à atteindre leur objectif d’imposer des coûts aux partisans d’Israël.
  5. L’augmentation des coûts de la chaîne d’approvisionnement a eu un impact négatif sur les prévisions économiques déjà pessimistes pour l’Union européenne et l’Égypte… réduisant ainsi les perspectives de croissance.
  6. Préparé le terrain pour l’expansion des opérations des Houthis au-delà de la mer Rouge, vers la mer d’Oman et l’océan Indien.

Lesquels de ces résultats font progresser les intérêts des États-Unis ou renforcent leur sécurité nationale ?

Aucun, c’est pourquoi nous poserons une deuxième question :

Les personnes qui prennent ces décisions à courte vue s’interrogent-elles sur l’impact de leurs choix sur le pays ou sur le peuple américain ?

Probablement pas.

Et, s’il vous plaît, ne blâmons pas les Houthis pour un conflit dont l’administration Biden est responsable à 100 %. Personne n’a mis un pistolet sur la tempe de Joe Biden1 et ne l’a forcé à déployer la marine américaine en mer Rouge pour s’engager dans des combats inutiles afin de défendre le droit d’Israël à assassiner des femmes et des enfants à Gaza. Cette décision a été prise unilatéralement par Joe Biden, au mépris de la vague de condamnations internationales, des décisions cinglantes de la CPI et de la CIJ et de pratiquement toutes les organisations de défense des droits de l’Homme de la planète Terre. M. Biden a choisi d’ignorer le jugement moral du monde entier pour promouvoir l’agenda sordide de l’État juif. C’est de sa faute ! En revanche, les Houthis ne font que leur part pour mettre fin au génocide israélien. Ils n’ont pas envie d’une guerre avec les États-Unis. Ce n’est pas du tout cela. Ils essaient simplement d’obtenir des Israéliens qu’ils lèvent leur blocus, afin que davantage de personnes ne meurent pas de faim. Est-ce trop demander ? Voici comment le chef des Houthis, Mohammed Al-Bukhaiti, résume la situation :

Agir pour soutenir les opprimés… est un véritable test de moralité… et quiconque n’agit pas pour mettre fin au crime de génocide… a perdu son humanité.

Les valeurs morales ne changent pas en fonction de la race et de la religion de la personne. Si un autre groupe d’êtres humains subissait l’injustice dont sont victimes les Palestiniens, nous prendrions des mesures pour les soutenir, quelles que soient leur religion et leur race.

(…) le peuple yéménite (s’engage)… à parvenir à une paix juste qui garantisse la dignité, la sûreté et la sécurité de tous les pays et de tous les peuples

Mohammed Al-Bukhaiti @M_N_Albukhaiti

La déclaration d’Al-Bukhaiti peut sembler étrange aux Occidentaux, qui ont du mal à croire qu’un dirigeant puisse faire passer ses convictions morales avant son propre intérêt ou l’accumulation de pouvoir. C’est pourtant ce qui dynamise le mouvement houthi : sa détermination à mettre en pratique ses convictions religieuses. Les Houthis n’ont rien à gagner en combattant les États-Unis. Ils le font parce qu’ils s’opposent à la brutalité sadique et à la violence meurtrière des FDI. C’est pourquoi ils s’exposent à des blessures graves ou à la mort. C’est parce qu’ils croient que c’est la « bonne chose à faire », parce que la justice vaut la peine de mourir, et parce que, comme le dit Al-Bukhaiti, « agir pour soutenir les opprimés est le véritable test de la moralité ».

Ironiquement, les opinions du peuple américain sont plus proches de celles des Houthis que de celles de leur propre gouvernement. La majorité des Américains est favorable à la justice pour les Palestiniens, à la création d’un État palestinien souverain, à un cessez-le-feu permanent et à la fin de la violence et de l’effusion de sang. Seuls notre gouvernement (et Israël) souhaitent que le bain de sang se poursuive.


1 Ça reste à voir (il est plutôt connu des « complotistes » pour être une simple marionnette de l’État profond) — NdT

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