19/05/2021 (2021-05-19)
[Source : La Presse+]
Par ROBERT BÉLIVEAU
MÉDECIN RETRAITÉ
Dans un article récemment publié dans L’Actualité médicale, le président du Collège des médecins, le Dr Mauril Gaudreault, nous fait part ouvertement de ses inquiétudes : « Un ordre professionnel doit protéger le public, mais je me demandais si le public se sentait protégé. » Puis, un peu plus loin dans le texte, autour du thème très actuel de la COVID-19, il ajoute « qu’il n’a pas pris position sur certains enjeux sur la place publique, question de laisser toute la marge de manœuvre nécessaire pour que la santé publique puisse faire son travail », expliquant que « ce n’est pas le temps présentement de formuler des critiques ».
C’est en soi une prise de position. Très claire. Et très dangereuse.
Elle laisse ainsi le champ complètement libre à la Santé publique, qui ne pourrait être sujette à aucune critique des mesures suggérées ou imposées.
Comme si la Santé publique et son directeur étaient détenteurs de la vérité. Pourtant, après plus d’un an d’un régime de plus en plus liberticide, une stratégie dominante en Occident, la communauté médicale se doit de réagir. De briser le silence. D’oser prendre la parole !
Que le président du Collège préfère rester « silencieux », je veux bien.
Toutefois, le Collège, qui devrait protéger la population et favoriser, sinon imposer, un débat ouvert et libre parmi tous les membres de la société (médecins non experts inclus), est silencieux comme une tombe.
Pire, il impose l’omerta parmi ses membres, favorisant une dictature médico-politique et un discours aligné, monolithique et unidimensionnel, oubliant que l’erreur est monnaie courante en médecine. Or, la science, comme l’expliquait le philosophe Karl Popper, n’est science que si elle se fait le devoir de mettre en doute, de contester et de toujours tenter de réfuter toute « vérité » présumée.
C’est donc la responsabilité de la médecine, qu’elle soit Santé publique ou civile, d’informer, de proposer, d’éduquer et de se méfier des tendances prétentieuses à imposer, infantiliser, culpabiliser et dicter. Or, le Québec, comme une bonne partie de l’Occident, s’est plié à une dictature sanitaire, une « doctature », où l’arbitraire est roi. La science est ainsi instrumentalisée et présentée comme un outil infaillible qui fournit une base incontestable pour justifier des décisions qui affectent toutes les couches de la société, tant celles menacées que celles très peu à risque.
MAL FAIRE OU TROP EN FAIRE
Nortin Hadler a classé les erreurs médicales en deux catégories : les premières sont de « ne pas faire ou de mal faire ce qui est médicalement requis » ; les deuxièmes, les plus fréquentes aujourd’hui, sont de trop en faire, de surmédicaliser, de surtraiter, donc, de parfaitement faire ce qui n’est pas nécessaire ou ce qui s’avère nuisible. Depuis le début de cette crise, nos autorités ont commis les deux types d’erreurs.
Le premier confinement se justifiait alors qu’on était en pleine crise, en pleine confusion. Il eût été suicidaire politiquement pour le gouvernement d’être passif alors qu’un vent de panique nourri par les médias gagnait la population. Rapidement, il a été possible d’identifier les populations présentant un risque élevé et on aurait pu mieux cibler, mieux orienter diverses mesures. Rejetant cette approche, les autorités s’acharnent plutôt à faire plus (trop) de ce qui ne fonctionne pas, causant d’énormes dommages collatéraux. Pour éviter de paraître négligent, on provoque ainsi des dommages irréparables, en particulier envers les plus démunis, les jeunes, les femmes, les enseignants, les entrepreneurs et tant d’autres. Pour quiconque ouvre les yeux, ces dommages collatéraux sont insoutenables.
Aveuglée par la pandémie, la Santé publique ignore une règle fondamentale en médecine : Primum non nocere, d’abord ne pas nuire.
Actuellement, les seuls médecins qui peuvent impunément s’exprimer, émettre leurs opinions sans s’exposer aux foudres du Collège sont les retraités comme moi. Cet état de fait est inacceptable dans une démocratie. Les médecins sont aussi des citoyens et doivent pouvoir s’exprimer et débattre. Librement. Sans inquiétude. En bâillonnant ses membres, le Collège continue de manquer à son devoir de « protéger la population ». Il convient de le dire haut et fort. Et de souhaiter un changement drastique d’attitude.
Je termine par deux citations, une du médecin Norbert Bensaid (auteur de La lumière médicale, les illusions de la prévention) :
« On favorise les médecins savants au détriment de ceux qui savent soigner. Il est, hélas ! faux que les deux aillent ensemble. Très souvent, on est prisonnier de ce qu’on sait ou croit savoir, et on ne sait plus s’en servir. [L]a relation médecin-malade reste le lieu privilégié d’une éducation sanitaire qui ne retomberait ni dans le lavage de cerveau publicitaire, ni dans la catéchisation, ni dans la mobilisation, sous le couvert de la raison, des passions les plus dangereuses. »
L’autre citation est issue d’un éminent juriste, ex-juge de la Cour suprême en Grande-Bretagne, récemment retraité, Lord Jonathan Sumption :
« Les gouvernements traitant de questions scientifiques ne devraient pas se laisser influencer par un seul groupe de scientifiques. Ils devraient toujours tester ce qu’on leur dit, de la même manière que, par exemple, les juges testent l’opinion d’un expert en produisant un contre-expert et en déterminant quel ensemble de points de vue s’avère le meilleur. »
Garder les yeux ouverts et l’esprit critique, c’est un devoir qui est au cœur de notre travail d’aidant. Un devoir citoyen aussi. Et pouvoir discuter librement, un droit que devrait âprement protéger et défendre sans compromis notre Collège, si son mandat est bien celui de protéger la population.
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