03/09/2023 (2023-09-03)
[Source : samizdat.qc.ca]
[Illustration : Patrick Provost]
Par Paul Gosselin
Le lundi 28 août 2023, à l’université Laval (Sainte-Foy, Québec), j’ai assisté au 10e jour des audiences disciplinaires de Patrick Provost, professeur au département de Microbiologie-infectiologie et immunologie. Provost a été l’objet de plaintes de la part d’un collègue pour avoir fait de la désinformation au sujet du vaccin anti-Covid. Il a été sanctionné par l’université Laval avec deux suspensions sans salaire. Connaissant peu la procédure de ces audiences, j’avais préparé une question pour les représentants de l’université/comité disciplinaire, mais sur place j’ai vite constaté qu’il s’agissait d’une procédure administrative où seuls les personnes directement concernées et leurs avocats avaient droit de parole.
Ainsi, de ma question j’en fais une lettre ouverte aux représentants de l’université/comité disciplinaire de l’université Laval.
Question pour les représentants de l’université/comité disciplinaire
Mon nom est Paul Gosselin. Je suis anthropologue et auteur. Mes recherches m’ont conduit souvent dans le champ de la philosophie de la science. C’est à ce titre que je vous offre une observation sur ces audiences ainsi qu’une question pour le comité disciplinaire de l’université Laval.
Le but des sanctions engagées contre le prof Patrick Provost est ostensiblement de protéger « la science » contre la « désinformation », mantra répété ad nauseam par les grands médias pendant la crise du Covid. Voilà une affirmation qui mérite examen plus attentif.
Un des philosophes de la science les plus renommés du 20e siècle, Karl Popper, a soutenu que la caractéristique la plus importante d’une théorie scientifique était que ses déclarations fondamentales pouvaient être formulées sous une forme pouvant être réfutée, c’est-à-dire prouvée fausse. Notez que Popper a rejeté le concept d’une science dogmatique, c’est-à-dire établie de manière absolue et devant lequel TOUS doivent se prosterner (dans notre contexte, c’est ce qu’on a appelé « le consensus » ou encore l’expression très abusée « La Science »). Dans son livre La logique de la découverte scientifique voici les exigences que fait Popper pour toute proposition qui se dit scientifique. (1935/1973 : 40-41)
Les théories [scientifiques] ne sont donc jamais vérifiables empiriquement. (…) Toutefois, j’admettrai certainement qu’un système n’est empirique ou scientifique que s’il est susceptible d’être soumis à des tests expérimentaux. Ces considérations suggèrent que c’est la falsifiabilité et non la vérifiabilité d’un système, qu’il faut prendre comme critère de démarcation.
En d’autres termes, je n’exigerai pas d’un système scientifique qu’il puisse être choisi, une fois pour toutes, dans une acception positive, mais j’exigerai que sa forme logique soit telle qu’il puisse être distingué, au moyen de tests empiriques, dans une acception négative : un système faisant partie de la science empirique doit pouvoir être réfuté par l’expérience.
Ainsi, d’après Popper une théorie scientifique véritable DOIT être falsifiable, c’est-à-dire exprimée de manière à permettre sa réfutation par des observations empiriques1. Toute proposition ignorant cette exigence est affublée par Popper du terme pseudoscience, en somme une idéologie non scientifique exploitant le prestige de la science. Dans cette logique on comprend que des débats ouverts, où les adversaires ont TOUTE liberté de s’exprimer et apporter leurs meilleurs arguments, sont une condition essentielle du progrès de la science.
S’exprimant à nouveau dans son livre La connaissance objective, Popper ajoute (1973/1998 : 41) :
Or, je prétends que les théories scientifiques ne peuvent jamais être tout à fait justifiées ou vérifiées, mais qu’elles peuvent néanmoins être soumises à des tests. Je dirai donc que l’objectivité des énoncés scientifiques réside dans le fait qu’ils peuvent être inter-subjectivement soumis à des tests.
Si nous ramenons le jargon philosophique de Popper sur le plancher des vaches et « l’objectivité des énoncés scientifiques réside dans le fait qu’ils peuvent être inter-subjectivement soumis à des tests » devient « une affirmation scientifique DOIT pouvoir être testée par des êtres humains au moyen d’expériences ». Ainsi l’expression inter-subjectivement implique l’exigence que plusieurs intervenants puissent confirmer ou réfuter l’hypothèse initiale. Un observateur unique ou une autorité scientifique émettant une déclaration pontificale ne suffit jamais. Ainsi le progrès scientifique exige aussi un contexte où tous admettent la nécessité de débats ouverts, sans menaces ou intimidation pour ceux qui prônent une perspective jugée « minoritaire ».
Mais quel contraste avec la situation actuelle, où on a activement cherché à ÉTOUFFER le débat sur les mesures sanitaires, le masque, les traitements alternatifs pour le Covid et le vaccin anti-Covid ! Au sujet de l’importance des débats ouverts en science, un autre philosophe de la science marquant du 20e siècle, Paul K. Feyerabend, affirmait (1975/79 : 32) :
La prolifération des théories est bénéfique à la science, tandis que l’uniformité affaiblit son pouvoir critique. L’uniformité met aussi en danger le libre développement de l’individu.
Au sujet du concept du consensus Feyerabend ajoute brutalement (1975/79 : 46) :
… l’unanimité dans l’opinion peut convenir à une Église, aux victimes terrorisées ou ambitieuses de quelque mythe (ancien ou nouveau) ou aux adeptes faibles et soumis de quelque tyran. Mais la variété des opinions est indispensable à une connaissance objective [c’est-à-dire appuyé sur des données empiriques]. Et une méthode qui encourage la variété est aussi la seule méthode compatible avec des idées humanistes.
Voici donc ma question pour le comité disciplinaire de l’université Laval :
Étant donné ces faits, pouvez-vous offrir à la salle réunie ici UN seul exemple où des procédures de censure comme celles-ci qui ont pu faire avancer la science véritable ? UN seul exemple ?
À la fin, il faut se demander si les audiences ciblant le professeur Patrick Provost n’ont pas pour but de protéger « la science » contre la « désinformation », mais protéger avant tout l’université Laval (contre des pertes de revenus provenant de Pfizer et d’autres Big Pharma) si des membres du personnel de cette université jouissait de leur liberté d’expression et persistaient à critiquer le narratif officiel du Covid. C’est une question qui se pose…
Références
FEYERABEND, Paul K. (1975\79) Contre la Méthode. Seuil Paris 350 p.
GOSSELIN, Paul (2023) La crise du Covid et l’exploitation idéologique de la science : Première partie. (Samizdat)
GOSSELIN, Paul (2023) La crise du Covid et l’exploitation idéologique de la science : Deuxième partie. (Samizdat)
POPPER, Karl. (1935/73) La logique de la découverte scientifique. Paris, Payot 480 p.
POPPER, Karl. (1948) What Can Logic do for Philosophy?, pp. 141-154. Aristotelian Society Proceedings, supp. Vol. xxii
POPPER, Karl R. (1962/1985) Conjectures et Réfutations. Payot Paris 610 p.
POPPER, Karl (1934/1959) The Logic of Scientific Discovery. University of Toronto Press 480 p.
POPPER, Karl R. (1973/1998) La connaissance objective. (traduction intégrale de l’anglais préfacé par Jean-Jacques Rosat, coll. Champs 405) Flammarion Paris 578 p.
Notes
1 Évidemment il est très facile de trouver des détracteurs de Popper dans le milieu universitaire, en particulier des philosophes affirmant haut et fort que sa définition de la science est trop restrictive, trop étroite, trop intégriste. Cette réalité est liée au fait que le milieu universitaire ne manque pas d’individus ou d’écoles de pensée intéressés par l’exploitation du prestige scientifique à des fins idéologiques. Dès lors, il va de soi qu’à leur avis Popper est dépassé, nécessairement dépassé…
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