05/05/2022 (2022-05-05)
[Source : arretsurinfo.ch]
Par Gilbert Doctorow, International relations, Russian affairs
Paru le 4 mai 2022
Ces deux derniers jours, deux scandales diplomatiques majeurs ont éclaté au niveau international. L’un concerne l’ambassadeur ukrainien à Berlin, qui a grossièrement insulté la chancelière. L’autre concerne les remarques désinvoltes du ministre russe des affaires étrangères, Sergei Lavrov, lors d’une interview sur l’antisémitisme, qui ont immédiatement irrité l’establishment politique en Israël. Bien que les deux incidents aient fait l’objet de bulletins d’information, aucun n’a été abordé sous l’angle du journalisme d’investigation.
Lorsque l’ambassadeur Andrij Melnyk a accusé Olaf Scholz de se comporter comme « comme une saucisse de foie offensée »* pour avoir refusé de se rendre à Kiev, cela a attiré l’attention non seulement des médias allemands, mais aussi des médias mondiaux. L’expression « offended liver sausage » peut sembler particulière aux anglophones, mais il est clair qu’il ne s’agissait pas d’un compliment.
Le Daily Beast est allé plus loin que la majorité de la presse en identifiant le terme comme une expression familière allemande « communément employée pour décrire quelqu’un comme une prima donna ». Ils ont fait le lien entre cette insulte au chef du gouvernement et une réaction de la chancelière : le mois précédent, Zelensky avait refusé de recevoir le chef d’État allemand Frank-Walter Steinmeier en raison de ses liens étroits avec Moscou, ce qui avait motivé la décision de Scholz de ne pas s’y rendre.
Cependant, les journalistes prétendument investigateurs du Daily Beast n’ont pas cherché plus loin. Ni ce journal ni le courant dominant n’ont demandé et répondu de manière convaincante à la question de savoir pourquoi Kiev offenserait intentionnellement le pays le plus puissant de l’UE, dont il dépend largement pour son assistance militaire et économique. Certains mettent cela sur le compte des opinions personnelles de l’ambassadeur. D’autres sont tout simplement déconcertés.
Personne n’a envisagé que la prise de bec de l’homme sur place de Kiev avec Scholz pourrait être une intervention calculée dans la politique intérieure allemande, dans le but de pousser l’indécis Scholz hors du pouvoir. On sait que le chancelier est menacé par d’autres membres de son propre parti et par des partenaires de la coalition qui le remplaceraient volontiers par quelqu’un de plus engagé à aider la cause ukrainienne par des actions et pas seulement des mots.
Le cas des remarques de Lavrov sur les Juifs et l’antisémitisme a fait l’objet d’une analyse encore moins approfondie. Selon la presse, il aurait déclaré qu’Hitler avait aussi du sang juif et que les pires antisémites se trouvent parmi les Juifs. Ces propos ont été instantanément dénoncés par le gouvernement israélien, qui a demandé des excuses.
La presse occidentale s’est également empressée de faire remarquer que Lavrov avait précipité ce qui ne peut être qu’un refroidissement des relations avec Israël. Jérusalem abandonnerait désormais sûrement ses prétentions à être un honnête courtier et s’alignerait plus étroitement sur Kiev. À Washington et à Londres, les rédacteurs en chef ont jubilé.
Cependant, personne n’a posé la question qui mérite d’être posée : comment, pourquoi Sergueï Lavrov, qui est certainement le diplomate le plus expérimenté sur la scène mondiale, a-t-il tenu des propos qui ne pouvaient que nuire aux relations russo-israéliennes ?
J’admets qu’il existe une explication anodine. Lavrov a voulu par ses propos contrer le déni occidental selon lequel Kiev est un régime dominé par les nazis, au motif que le président Zelensky lui-même est juif. Mais Lavrov devait être conscient de la façon dont Jérusalem réagirait à ses paroles, et nous devons donc chercher plus loin.
Laissez-moi deviner. Lavrov savait bien ce qu’il faisait et avait probablement discuté de ce sujet avec son patron, Vladimir Vladimirovitch, avant de s’exprimer.
Les Russes sont très mécontents d’Israël en raison de sa coopération militaire passée avec l’Ukraine, et la déclaration de Lavrov n’était que le premier round. Si nous revenons aux tout premiers jours de l’ »opération militaire spéciale » de la Russie, lorsqu’ils ont pris le contrôle de la centrale nucléaire de Zaporozhye et y ont saisi des documents relatifs aux efforts de l’Ukraine pour construire une « arme nucléaire sale », le ministère russe de la défense a annoncé que des facilitateurs étrangers y étaient actifs. Puis, le lendemain, de manière inattendue et en toute hâte, le Premier ministre israélien, M. Bennett, s’est rendu à Moscou pour des entretiens non programmés avec M. Poutine. Presque rien n’a été divulgué sur l’objet de leurs discussions. Mais par la suite, les Russes n’ont jamais désigné les facilitateurs étrangers.
Bien que certains lecteurs m’aient félicité pour avoir évité les « spéculations », je me permettrai pour cette fois de spéculer : il n’est pas inconcevable que les Israéliens aient été parmi les principaux conseillers de Kiev sur son programme de fabrication d’armes nucléaires. Si c’est le cas, nous pouvons nous attendre à ce que les relations russo-israéliennes se détériorent considérablement dans les semaines et les mois à venir.
* Andrij Melnyk, ambassadeur d’Ukraine en Allemagne a déclaré :
« Cela ne fait pas très chef d’État de se comporter comme une saucisse de foie offensée »
Source: Gilbert Doctorow
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