Les juges ne sont pas au-dessus des lois, surtout celles dites « fondamentales »

23/06/2023 (2023-06-23)

Par Lucien SA Oulahbib


Daniel BENSOUSSAN-BURSZTEIN interviewant David CHEMLA à propos d’une conférence (mai 2023) ayant pour objet de « Sauver la démocratie israélienne » (rien que ça…) fait ainsi état des réflexions de deux des dix participants, Dominique Schnapper et Alain Finkielkraut :

« La sociologue Dominique Schnapper, ancienne membre du Conseil constitutionnel et actuelle présidente du MAHJ, a rappelé les fondements de la démocratie libérale basée sur la séparation des pouvoirs, ce qui ne serait plus le cas si la Knesset devait réduire les pouvoirs de la Cour suprême israélienne en changeant le mode de sélection de ses membres et en permettant au pouvoir de contourner ses décisions par le vote d’une simple majorité. Le philosophe Alain Finkielkraut a dit qu’en faisant cette réforme, le pouvoir “voulait avoir les mains libres pour multiplier les implantations et délaïciser l’État”. »

https://www.lapaixmaintenant.org/entretien-avec-david-chemla-jcall-a-propos-de-la-conference-sauver-la-democratie-en-israel/

Ces deux auteurs ne saisissent pas visiblement ce qui fonde la Politeia (République en grec ancien) qui signifie, semble-t-il, être ensemble et non pas seulement « vivre » ensemble au sens d’exister seulement, telle une pierre (la pierre existe. Elle n’est pas). Ainsi, « être ou ne pas être », telle serait donc la question « éternelle » pour certains, alors que d’autres y voient toujours une trop grande agressivité, car les premiers n’en verraient pas assez la « souffrance » afférente… Pourtant « être ensemble » indique surtout, en creux, l’espoir de faire quelque chose ensemble et non pas seulement cohabiter, ce qui implique de partager, ensemble, une amitié, un bonheur, dans une action qui fasse, que l’on se sente bien ensemble de se mouvoir ainsi, librement, dans la même atmosphère. C’est ce que soulignent aussi, semble-t-il, quelques illustres Anciens et également Modernes, mais ce au sein de limites données cependant — car autrement il n’y aurait même pas ce sentiment de liberté — permettant précisément la constitution de son « visage », de sa « forme » pour indiquer quelques notions également célèbres.

De deux choses l’une dans ce cas : soit ce visage de la liberté humaine doit s’effacer sur le sable de l’océan Histoire (au même titre que « l’Homme » disait-on naguère…) ; soit sa forme se conserve, s’affine aussi, perdure dans des particularités (nations) et des singularités (individus) données ; non pas seulement dans le Temps mais comme Temps, celui de ce « vécu », , pouvant alors être aussi ou principalement issu d’une ethnie (ainsi les Indiens d’Amazonie veulent préserver le visage de leur liberté d’être, celle de leur « identité » qui en est la forme ou le régime juridico-politique : sa Constitution…) ce qui peut également signifier de pouvoirlimiter son « ouverture » du moins si celle-ci remet par trop en cause sa constitution dans tous les sens du terme…

Pourquoi ce qui est concevable pour les Indiens d’Amazonie ne le serait pas pour toutes les autres nations ?…

Observons d’abord qu’il faille analyser l’idée d’assurer constitutionnellement ce visage de la liberté et sa forme ou « identité » aux niveaux juridiques et sociologiques. Comment ? Par un équilibre « mixte » : à la fois anthropologique et sociopolitique. Or, c’est ce qu’exprime politiquement la notion de citoyenneté : celle-ci comprend l’Ethnos, mais ne s’y réduit pas, du moins dans la mesure du possible.

Ainsi, il n’y a tout d’abord aucune raison, du moins autre qu’idéologique, de repousser arbitrairement voire de discréditer de manière a priori ce besoin naturel de délimiter territorialement les attributions de « l’être » ensemble ou Nation. Pourquoi ? Parce que pour se préserver comme cet être-là et non pas un être en général (car c’est confondre universel, particulier et singulier) il faut que cette nation en tant que ce visage de la liberté d’être puisse se conserver comme forme (ou identité) tout en « évoluant », mais ce dans certaines limites qui ne mettraient pas en danger ses acquis civilisationnels lui permettant de bien être ensemble en tant que cette nation et non une autre en général, insistons-y. Ceci implique le respect d’un certain nombre de règles « fondamentales », mais que d’aucuns peuvent certes refuser, ce qui est leur liberté (ou droit de nature) et leur « ouvre » alors également la possibilité de partir, fonder ainsi une nouvelle cité (expliquant l’essaimage grec), une nouvelle « ville » aussi, y compris loin, lorsque des communautés religieuses s’expatriaient dans le « Nouveau Monde » pas seulement pour fuir la famine, mais aussi vivre pour « être », comme elles le « veulent » ; ce qui implique d’aller fonder ailleurs leur manière de se comporter

Concrètement parlant maintenant, s’agissant des problèmes de l’heure, par exemple en Israël, mais aussi en France, et ailleurs, plusieurs choses semblent être confondues. À partir du moment où l’idée de lien entre Israël et peuple « juif » s’avère constitutif, cela signifie qu’aucune disposition juridico-politique secondaire ne peut le couper sans remettre en cause sa liberté, dénaturant par là non seulement son visage, le fait d’être cette nation et non une autre, mais aussi sa forme, son identité, le fait que cela soit le peuple et non certains de ses membres qui s’en approprient sans « limites » le pouvoir ; même pas une majorité au Parlement…

Ce qui n’a rien à voir avec la composition des cours suprêmes et autres conseils qui devrait être calibrée soit par le vote soit par un équilibre dénué de conflits d’intérêts : ainsi en France le fait que le Conseil Constitutionnel ait avalisé l’action d’un passeur de migrants au nom de la « fraternité » devrait pouvoir être remis en cause, car cela remet en cause la liberté de la France de constituer le visage de son identité comme elle le désire ; surtout à partir du moment où il s’agit d’une question qui relève surtout des relations internationales, de l’ONU plus strictement dit, et non d’une juridiction nationale qui ne peut, à elle seule, palier la « misère du monde »….

Ce qui fait que s’agissant de l’accueil de peuples étrangers, il est possible d’admettre qu’à partir du moment où cela peut mettre en danger, déjà démographiquement, l’équilibre anthropologique mixant ethnicité et acquis civilisationnels donnant à cette liberté ce visage et non un autre, leur accueil doit être pensé surtout à cette aune qui dose la forme nécessaire et suffisante ou « identité » : car cela met aussi en danger sociologiquement la structure, l’infra et la supra structure de la politeia considérée en ce sens où toute Cité ayant atteint certains acquis civilisationnels et qui se traduisent en certaines habitudes doit les défendre pour éviter ce que d’aucuns admettent maintenant comme étant la « décivilisation »…

C’est ce qui fait aussi alors que les groupes et individus au sein de cette nation, c’est-à-dire de cette liberté ce visage et non pas un visage en général dessiné indifféremment par IA, c’est-à-dire également cette forme cette identité et non pas une autre en général qui rendrait indifférent le fait que l’on en soit citoyen ou non, eh bien ces groupes et ces individus en son sein doivent l’admettre ou se démettre c’est-à-dire partir…

Les sciences politiques et sociologiques (la sociologie est une science, disait Boudon) ont dégagé que tout « groupe » en tant qu’unité d’action particulière aime se déployer comme il le désire singulièrement et ce selon son « droit de nature » (Hobbes). Sauf qu’il ne peut pas le faire tel quel lorsqu’il est au sein d’une structure antérieure qui l’englobe : cela entre en contradiction avec ce qui est devenu constitutif de cette nation, et ce non seulement au fil du temps, mais comme étant sa temporalité même, impliquant alors que ces groupes et individus doivent se faire une raison (ou « loi de nature ») à leur logique ou droit de nature. Ils doivent ainsi accepter de se dépasser (Aufhebung), soit de fusionner avec le groupe autochtone politiquement hégémonique, soit partir, du moins s’ils ne veulent pas la guerre (« père de toutes choses »).

D’où certes pour certains groupes le fait de contester cette « base », ce fondement, ce départ fondamental, constitutif permettant à ce visage d’avoir la forme qui lui sied. Ainsi les groupes dits « palestiniens »aimeront remonter jusqu’à l’arrivée des Hébreux en se réclamant de peuples cananéens — alors qu’ils se disent pourtant également « arabes », ce qui est d’ailleurs contradictoire — et de toute façon ne résout pas la question historique et constitutive (ontologique) indiquant qu’un peuple juif non seulement existe, mais affirme son être depuis des millénaires (refuse toute soumission), d’autant que « le » peuple dit « cananéen » ne semble plus avoir des représentants autochtones autres que ceux qui se réclament d’une autre temporalité tardive, celle des arabo-musulmans, dont la présence s’est cependant avérée bien plus contestable : elle se constitue déjà sur la base d’une occupation politico-religieuse à partir du 7e siècle, puis, à partir de la fin du 19e siècle ; elle semble empiriquement plutôt liée au dynamisme socio-économique croissant des membres du « Retour à Jérusalem », et ce au-delà de leur obédience politico-culturelle particulière conflictuelle (entre religieux et socialistes kibboutznik par exemple)…

Ceci implique que peu à peu ces populations prétendant en quelque sorte avoir un « visage » arabo-cananéen ne peuvent réclamer d’en imprimer la forme, la direction, l’identité, du territoire labouré, construit, défriché, aimé alors qu’il était laissé à l’abandon (il suffit de lire Itinéraire de Paris à Jérusalem de Chateaubriand pour le saisir). Comment cette demande est-elle d’ailleurs devenue concevable, comme si de rien n’était, comme si entre cette époque et 1947 il n’y avait pas eu des efforts considérables de faire vivre, à défaut d’être ensemble, et la nation juive et ces populations arabophones disparates. Et même après, n’est-il pas vrai que toute l’histoire d’Israël a montré tout un effort, parfois poussé jusqu’au tragique (alors qu’il n’avait eu que 20 % des territoires « promis » par la Déclaration Balfour) d’élargir sa définition juridique en considérant par exemple qu’il serait toujours possible d’être israélien, tout en étant non juif ; sans cependant pouvoir espérer en diluer ce caractère initial cependant qui en forme le visage…

D’où l’enjeu crucial qui touche certaines nations dites « aisées » avec la présence subie et l’arrivée également subie de tous ces groupes issus de l’histoire mondiale mal assumée par les nations ayant eu en charge le « transfert de puissance » depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Le sous-marin nommé ONU a disparu corps et biens à la recherche de ce Titanic que fut « la » Communauté internationale, cette fable qui pourtant perdure et même s’augmente ses salaires comme au sein de l’Union Européenne, tandis que les groupes et individus victimes de cette histoire mondiale avortée déploient des exigences qui s’avèrent de plus en plus disproportionnées puisqu’il s’agit pour eux d’affirmer leur liberté, d’imposer leur visage, de façon souveraine au sein des nations dites aisées, ce qui est impossible à moins d’en faire éclater « dilater » la forme, l’identité….

Certes, certains contestent cette idée de se préserver ethniquement également, de préserver son visage au lieu d’avoir celui généré (à terme) par IA. Cette demande n’a pourtant rien de « raciste », y compris au sens nazi du terme : s’agit-il en effet d’écarter tout individu de toute responsabilité qui ne pourrait pas prouver biologiquement l’appartenance « originaire » de son visage ? Vieille question que les Grecs et Romains avaient contournée en mettant comme visage, à leur tête, des chefs métèques, si et seulement si du moins ils se sentaient être grecs ou macédoniens, ou romains…

Tout dépend de quoi l’on parle : le legs civilisationnel atteint aujourd’hui par l’Humanité tout entière indique que l’idée de « discrimination » ne peut pas être déclarée « positive » si elle uniquement basée sur le sang ou la couleur de peau ; il faut qu’elle soit aussi adhésive et méritocratique, mais ce au sens où l’on se doit aussi d’épouser l’histoire de cette société dans laquelle est demandée l’hospitalité, et ce de telle sorte que l’on y œuvre selon sa compétence dont les fluctuations sont prises en charge par la forme de la Solidarité considérée.

Concernant par exemple la spécificité d’Israël et son lien constitutif avec une judéité comprise au double sens ethnique et religieux, l’individu non juif à la base doit savoir cependant que s’il désire prendre des responsabilités politiques, il se doit également, même étant non juif, de défendre son caractère juif aussi, qui est son visage, et pas seulement sa forme israélienne… C’est une contrainte constitutive (et donc constitutionnelle) à prendre ou à laisser, et c’est ce qui permet à un « visage » singulier d’émerger (la biodiversité concerne aussi les humains…), léguée par l’Histoire et aussi mise en forme par les refus successifs de prendre en compte les évolutions faisant qu’Israël détient ces traits singuliers formant visage juif, tout en admettant certes que sa forme, son identité, peut évoluer, car il n’est pas dit que les pensées, les actions, leurs délimitations doivent rester immobiles, à moins de se prendre pour celui qui EST…

Pour la France également, groupes et individus, y compris les plus autochtones, tels les Bretons, Normands, Vendéens (et pourtant…) même « les » Corses ou les habitants de Mayotte, ne peuvent pas revendiquer une fragmentation de la nation pour revenir à l’époque pré-carolingienne (comme le prônent certains avec leur « histoire mondiale de la France ») afin de retrouver une souveraineté pleine qui irait alors aux antipodes de tout ce qui s’est passé depuis (ce qui ne veut pas dire qu’il faudrait les bombarder et leur interdire leur culture en cas de demande d’autonomie comme il a été effectué dans le Donbass…). Ceci fait que devient aujourd’hui français celui qui y est né et aussi, même s’il n’est pas natif, accepte de l’être dans les faits, ce qui implique de défendre et d’affiner les acquis civilisationnels de « la » nation française, et ce à l’encontre de certains groupes pourtant « français », mais qui, à l’instar des affrontements entre catholiques et protestants, veulent affirmer aussi des habitudes qu’ils pensent « souveraines », mais dont le « visage » est aux antipodes des acquis civilisationnels communs, comme ces diktats niant cent ans de lutte féminine pour l’égalité homme/femme dont la différence constitutive est par ailleurs également attaquée par ceux-là mêmes qui préfèrent, à l’inverse, une indifférenciation des sexes et des peuples, jusqu’à vouloir les réduire à des entités interchangeables, ce qui est une approche nihiliste visant à dissoudre non seulement les formes nationales, mais le visage singulier des individus placés sous IA…

Le rôle d’une Cour Suprême ou d’un Conseil Constitutionnel dans ces conditions évolutives historiques multiformes consiste donc à préserver les acquis civilisationnels et non à les fonder, en plus arbitrairement, car la fondation est plutôt à la charge constitutive, et exclusive, du Démos, y compris celui de l’affiner ou non, et ce ni plus ni moins. En ce sens, le Droit, aussi « suprême » soit-il, ne peut pas, constitutivement, se considérer comme « supérieur » au Politique qui a pour responsabilité la Direction de la Politeia, puisque le Droit en est seulement la superstructure contractuelle en son sens uniquement notarial notifiant ce qui outrepasse les limites constitutives, ni plus ni moins ; d’autant que celles-ci ne reposent pas en l’air, mais enveloppent une forme juridico-politique particulière permettant à la singularité de ce visage de continuer à dessiner ce sourire, , et non pas un sourire en général, aussi parfait numériquement soit-il tout en haut de Times Square…

PS : Pour en parler plus à fond :

NATION — IDENTITÉ
en DANGER
CONF ZOOM – Dimanche 2 Juillet 18 h 30 (France)
le lien : https://us06web.zoom.us/j/81046899643?pwd=QWJsL2hpa1JNbFJ5N1FFOUZ6Z2cwUT09

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