14/05/2022 (2022-05-14)
[Source : francesoir.fr]
[Illustration : L’Italie est-elle prête à se (re)lever ?
Filippo MONTEFORTE / AFP]
Auteur(s): Moufid Azmaïesh, pour FranceSoir
TRIBUNE — « Nous voulons que l’Italie se batte pour l’Italie. » Que ce soit en musique, en mathématiques, en architecture, en physique ou même et surtout en poétique, la majorité des acquis de ce que l’on appelle la civilisation « européenne » découle de découvertes faites en Italie, depuis le 12e ou 13e siècle.
Or, l’Italie n’a depuis 1945 de souveraine que le nom.
Ce pays d’artistes et de génies scientifiques, de facto occupée par les États-Unis, est désormais une simple plateforme militarisée de l’OTAN, modèle de ce que l’Europe est censée devenir.
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La peur au ventre depuis l’assassinat de l’homme d’État Enrico Mattei (1904-1962), qui avait conclu de gigantesques accords avec les pays producteurs de pétrole dont l’URSS, suivi des années de plomb et accompagné par le bruissement des réseaux Gladio, le citoyen italien lambda s’interdit de contester même en rêve ces bases américaines. Car l’Italie est un pays « où on meurt facilement d’accident ».
Or, avec le conflit en Ukraine, la menace de sécurité que représente l’Italie pour ses voisins, avec ses bases américaines recelant des armes nucléaires, éclate au grand jour. Ce n’est pas une vue de l’esprit ou de quelque opinion radicale, mais un fait avéré. Un temps décriées comme « idéologiques », les analyses de Manlio Dinlucci sont avérées.
L’Italie, réserve et donc cible d’armes atomiques
Fin avril, le conseiller Davide Barillari du Latium publiait sur son site un texte incendiaire d’auteurs tiers : « Assez des mensonges ! L’Italie doit sortir de l’OTAN ! ». Si M. Barillari est connu comme le loup blanc pour son opposition au passe vaccinal et aux injections expérimentales, c’est également l’un des francs opposants italiens à l’OTAN et à la présence militaire américaines en Italie.
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Le communiqué, s’il est entaché de quelques erreurs, présente toutefois des éléments dans le domaine public sur lesquels le citoyen lambda préfère prudemment fermer les yeux : en plus des bases avouées de l’OTAN, il y aurait 20 bases secrètes, pour un total (le nombre étant en flux constant, il est impossible d’en connaître le nombre exact) de 13 000 soldats américains. Et ces bases sont extra-territoriales, ce qui est d’une importance capitale. Nul Italien ne sait ce qu’il s’y trame.
La marine américaine possède un aérodrome gigantesque en Sicile, à Sigonella, d’où décollent entre autres les drones rôdant sur la frontière ukraino-russe, ainsi que les drones Triton et Reaper. À Camp Darby, près de Pise, un dépôt de bombes et d’armes, 125 bunkers ; à Gaeta, le bâtiment amiral et le commandement de la VIème flotte américaine ; à Ghedi, près de Brescia, un dépôt d’armes atomiques ; à Aviano, la plus grande base aérienne américaine de la Méditerranée, dépôt de têtes nucléaires ; à Vicenza, où la population avait voté à plus de 90 % contre le doublement de la base américaine, se trouve le commandement américain pour l’Europe du Sud, avec des milliers de soldats ; à Naples, l’Allied Joint Force Command de l’OTAN, le commandement de la « Security Force » de la Marine américaine, la base de sous-marins américains, le commandement des forces aériennes pour la Méditerranée ; à Mondragone, près Caserta, le souterrain anti-atomique pour le commandement américain et otanien.
Au total, selon ce même communiqué, 70 têtes atomiques seraient entreposées sur le sol italien.
La liste pourrait s’étendre sur des dizaines de pages sans que jamais elle ne soit à jour, de nouvelles armes, bâtiments et unités américaines arrivant et partant sans cesse dans le contexte du conflit russo-ukrainien.
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Revenons sur Camp Darby. Cette base américaine, à côté de Pise, fait l’objet d’un gigantesque plan d’investissement censé dévorer une partie du Parc national Rossore, avec l’abattage de 1 000 arbres, mais surtout, censé permettre une connexion multi-voies au Port de Livorno. Le projet, apparemment financé par le Département américain de la défense, donne lieu à des rassemblements les 14 et 15 mai prochains, sous le sigle « Les causes économiques de la guerre : le néolibéralisme », organisé par le comité « No Camp Darby« . Parmi les sujets abordés : le destin de Julien Assange et le « journalisme de guerre », ainsi que « La militarisation du territoire – cause et conséquence de la guerre », avec l’économiste Matteo Bortolon.
Alors que ses travailleurs sont parmi les plus mal payés du continent, l’Italie a augmenté il y a peu son budget militaire, passant de 25 à 38 milliards d’euros annuels.
Par ailleurs, l’association de consommateurs CODACONS vient de déposer recours devant le Tribunal administratif du Latium pour abus de pouvoir, qui sera plaidé le 25 mai. Selon Carlo Rienzi, président du CODACONS, le décret-loi N°14-2022, par lequel le gouvernement italien fournit des armes à l’Ukraine, méconnaît les articles 11 et 78 de la Constitution.
Le CODACONS conteste non seulement le dispositif par lequel l’Italie envoie des armes en Ukraine, mais aussi le fait que le gouvernement ait imposé le secret sur les catégories d’armement concernées, occultant vraisemblablement le fait qu’il puisse s’agir d’armes offensives et non défensives. L’Italie « se trouve par conséquent en état de guerre non formellement déclaré, ce qui viole l’article 78 de la Constitution ». Cette aide, dit la CODACONS, « n’est pas marginale, mais décisive. L’Italie s’est ainsi exposée à toutes les conséquences pour ce que pourront les représailles de la part des armées russes. »
Quant à l’article 11 de la Constitution, il dispose notamment que « l’Italie répudie la guerre comme moyen de résolution des disputes internationales », tandis que la loi exige que toute opération belliqueuse soit débattue par le Parlement. Sur son blog, Carlo Rienzi souligne que le contribuable (et consommateur) italien, qui s’est bien souvent montré hostile à toute participation italienne au conflit, finance par l’impôt ces armes, explosifs et munitions, sans toutefois avoir été consulté.
Des cargaisons occultes d’armes à Pise
Déjà à la mi-mars, des travailleurs de l’aéroport Galilei de Pise s’étaient révoltés, en découvrant que des caisses qu’ils chargeaient à Cargo Village près l’aéroport civil, censées contenir du matériel médical et humanitaire, étaient en réalité remplies d’armes et munitions à destination de l’Ukraine, par le truchement des bases américaines/OTAN en Pologne. Soulignant que les Ukrainiens chargés de la réception du fret militaire seront tués dans les bombardements russes, les manutentionnaires italiens ont refusé de traiter les chargements et ont exigé des contrôleurs aériens qu’ils bloquent les vols. Cela a débouché sur une manifestation à la mi-mars, devant l’aéroport.
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Les analyses les plus exactes quant au péril d’extinction que représente cette présence américaine en Italie sont issues de la plume de stratèges très « à gauche », tel Manlio Dinucci. Cela n’enlève rien à leur précision scientifique et ne discrédite en rien le message qui agite désormais le Parlement italien. Cela semble même atteindre l’étrange atlantiste et président du conseil Mario Draghi.
Voilà qu’à la surprise générale, au moment même où le Financial Times annonçait que « l’Italie a finalement décidé de la jouer dure avec la Russie », Mario Draghi a déclaré, à l’issue de son entretien avec Joe Biden le 10 mai à Washington : « Au début de la guerre, certains disaient que l’Italie devrait jouer un rôle, ce à quoi j’ai répondu : il n’est pas utile de chercher un rôle. Il faut chercher la paix. Cela importe peu qui sont les parties impliquées, c’est une initiative de paix qu’il faut et non une initiative partisane ».
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Le « Great Resist » en Italie : vers une plateforme commune anti-passe, UE et Otan
Faut-il chercher cet apparent tournant dans les déclarations du pape François, ou plutôt dans la rencontre entre les opposants au passe et le mouvement « gaulliste » italien ?
Le 1er mai dernier s’est tenu à Padoue un congrès qui sera peut-être vu comme de portée historique. Il réunissait tous les mouvements d’opposition : Ancora Italia, Alternativa, Federazione Terza Repubblica, Italexit, Liberiamo l’Italia, Movimento 3V et Riconquistare l’Italia, pour discuter d’une plateforme commune. Évènement couvert par la nouvelle chaîne de réinformation Byoblu, qui à l’instar de plusieurs chaînes italiennes animées par des journalistes pour la plupart non-professionnels (Cento Giorni da Leoni, Luogocomune de Massimo Mazzucco, Visione tv), est auto-financée et émet désormais plusieurs fois par jour.
« Au nom de la Paix, du Travail et de la Liberté, nous voulons que l’Italie se batte pour l’Italie », a déclaré une jeune femme qui participait au Congrès. Mot de la fin… ou d’un nouveau commencement ?
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