20/06/2021 (2021-06-20)
[Source : Russie politics]
[Photo : © Denis Balibouse, AFP]
La rencontre Biden / Poutine aurait pu être simplement inutile, elle est finalement désastreuse, tout au moins en ce qui concerne le discours politico-médiatique qui en suit. Or, dans ce monde post-moderne de la communication, abandonner ainsi la maîtrise du discours est une erreur stratégique. Entre Biden qui reprend son agressivité et Poutine qui s’extasie sur les qualités de Biden, l’on se demande ce qui a été finalement négocié et si cela coûtait réellement aussi cher…
A priori, l’intérêt de cette rencontre était très relatif, les Etats-Unis et la Russie ayant des intérêts vitaux totalement divergents et le conflit géopolitique qui les oppose étant existentiel, dans le sens premier du terme – existence des Etats-Unis comme centre de la globalisation (ce qui implique la disparition de la Russie, comme État revendiquant une souveraineté… même relative) ou existence de la Russie dans sa dimension civilisationnelle (donc avec une victoire contre les Etats-Unis, centre d’un monde global uniformisé et « barbarisé »).
Dans cette logique, dans le meilleur des cas, cette rencontre aurait pu être simplement inutile. Les deux Présidents auraient échangé quelques banalités diplomatiques, auraient envisagé une possible coopération sur quelques sujets qui pouvaient, à un moment donné, encore les intéresser tous les deux, se seraient serrés la main froidement et, chacun ayant pris la mesure de l’autre, auraient fait plus attention.
La démonstration de force équilibrée aurait permis de stabiliser pour un temps les relations.
Mais cette rencontre a été beaucoup trop faussement amicale.
Pendant que Poutine refaisait son argumentation devant la presse et jouait la journée du Grand Pardon, Biden, lui, a immédiatement donné le ton avec quelques déclarations très symboliques. Tout d’abord :
« Les conséquences de la mort de Navalny en prison seraient catastrophiques pour la Russie sur la scène internationale »
Et parallèlement :
« Biden a déclaré qu’il existe de réelles perspectives d’améliorer les relations entre les États-Unis et la Russie »
Et sur le chemin vers l’aéroport, Biden d’ajouter :
« La Russie tente désespéremment de rester une puissance mondiale. La Russie est dans une situation très difficile »
L’on ne peut pas dire que ce soit des paroles empruntes d’un grand respect… Si la Russie, de son côté, s’affirme satisfaite des pourparlers, n’en attendant pas grand-chose, pour l’instant le Kremlin ne voit pas de raison d’ôter les États-Unis de la liste des pays inamicaux.
Ce qui est extrêmement surprenant est la grande campagne de réhabilitation de Biden lancée par Poutine dans les médias.
Ainsi, selon Poutine, l’image de Biden faite dans les médias ne correspond pas du tout à la réalité – il est attentif, professionnel, parfaitement au courant de tout, etc. Le Président « Cloutine » a manifestement été sous le charme… L’on préférait le Président Poutine, mais bon.
Après cela, Biden déclarait avec justesse qu’il a rempli sa mission : il a fait ce pour quoi il était venu. Et le New York Times résume parfaitement la situation : Biden a marqué ses lignes rouges face à la Russie, même si la mauvaise dynamique ne changera pas, en revanche le discours politico-médiatique en Russie concernant Biden, lui, a radicalement changé.
« But his third goal — establishing some red lines for President Vladimir Putin of Russia, whom he called his “worthy adversary” — proved more elusive. Though Biden expressed cautious optimism after their meeting in Geneva, it is far from clear that any of the modest initiatives discussed will fundamentally change a bad dynamic. (…) After months of ridiculing Biden as bumbling, confused and well past his prime, Russian state media changed its tune. Here is a man we can do business with, some in Moscow said. »
[« Mais son troisième objectif — établir quelques lignes rouges pour le président russe Vladimir Poutine, qu’il a qualifié de « digne adversaire » — s’est avéré plus insaisissable. Bien que Biden ait exprimé un optimisme prudent après leur rencontre à Genève, il est loin d’être évident qu’aucune des modestes initiatives discutées ne changera fondamentalement une mauvaise dynamique. (…) Après avoir ridiculisé Biden pendant des mois en le qualifiant de maladroit, de confus et de dépassé, les médias d’État russes ont changé de ton. Voici un homme avec lequel nous pouvons faire des affaires, ont déclaré certains à Moscou. »]
Le signal à l’intérieur du pays a été clairement perçu par les forces globalistes, qui se lancent sans trouver aucune résistance en face d’elle. Après l’introduction de la vaccination obligatoire à Moscou (voir notre texte ici), le Gouvernement non seulement n’en appelle pas à la légalité, mais appelle les autres régions à suivre l’exemple. Sobianine annonce donc, dans une poussée d’autoritarisme aiguë, que les entreprises pourront virer sans paiement du salaire les salauds d’employés qui refuseraient de se vacciner… Les chauffeurs de taxis et de bus à Moscou ont quelques jours pour faire leur première injection et les policiers vérifieront leur « passeport vaccinal » — qui donc existe, sans avoir été légiféré.
Rappelons que les élections législatives sont fixées pour septembre. Il n’y a pas à douter que certains sont en effet très intéressés à une déstabilisation de la situation, mais est-il nécessaire au pouvoir de jouer leur jeu ? Qu’a-t-il négocié en contrepartie de ce revirement radical ? Cela en vaut-il réellement le prix à payer ? Aucun système ne s’écroule sans une trahison intérieure.
Comme l’écrivait Hervé Bazin dans La tête contre les murs :
« Tous ces fuyards ne reconnaissaient plus aucune légalité, hormis celle de la peur. (…) Le monde a enfin un monde à sa mesure. Un monde de pieds. Ce délire collectif, ce gigantesque délire de conduite sert d’apothéose au sien. Voici les jours prévus par l’Apocalypse, où les fous commanderont aux sages et les courberont sous leur fouet.«
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